Le Vent de la Chine Numéro 9

du 8 au 14 mars 2004

Editorial : La Chine vers l’économie privée, à petites pierres blanches

Le quart de siècle de route du socialisme chinois vers l’économie de marché offre une insolite analogie avec le Petit Poucet: tel le héros du conte de Perrault, le régime «arraché à sa chaumière» par la misère, sème des cailloux sur son chemin, afin de pouvoir faire demi-tour, si nécessaire!

Depuis son vote en 1982, la Constitution de Deng Xiaoping a semé 3 «cailloux», séries d’amendements destinés à réconcilier le « socialisme aux couleurs de la Chine » avec l’initiative privée, sans remettre en cause le système.

Celle de ’88 sanctifiait la propriété personnelle.

Celle de 1993 légalisait l’«économie socialiste de marché».

Celle de 1999 octroyait au privé un statut «important» – mais non égal au public.

L’étape suivante se joue en cette session 2004 du Parlement, qui inscrira à la Constitution l’inviolabilité de la propriété légalement acquise.

Banale ou décevante pour la plupart, la mesure passera dans l’histoire comme le point de non-retour : le PCC s’interdit tout recours au bras armé du prolétariat pour reprendre les grandes fortunes. Les 2 types de propriété sont à pied d’égalité. Pour les petits propriétaires urbains, le signal vient trop tard : la vague immobilière a fait ses ravages, les expropriant à bas prix des meilleurs sols. Peut-être cette réforme sera-t-elle plus bénéfique aux paysans, complétée par une loi foncière, en cours d’adoption?

Au plan pratique, 2 suites peuvent être attendues :

[1] Assurées de la solidité des patrimoines privés, les banques devraient relaxer leur attribution de prêts individuels, et la distinction entre firmes privées et d’Etat devrait s’estomper.

[2] Chez les particuliers, cette couverture constitutionnelle pourrait jouer l’effet d’une invitation à entreprendre, bienvenue alors que la Chine cherche un second souffle à sa révolution industrielle en cours.

Ces bonnes résolutions doivent être tempérées par le poids du passé. Selon Yue Jie, auteur dissident, «une constitution sans protection contre ses violateurs, n’est qu’un chiffon de papier ». Sanctifier la propriété protège les intérêts de la nomenklatura, sans brider ses pouvoirs. Depuis 2003, tout débat sur ces thèmes est étouffé. Dès les 1ers jours du mandat de Hu Jintao, la constitution fut décrétée «un bon document de travail…n’exigeant pas de révision ». Aucun partage du pouvoir n’apparaît à l’horizon, malgré le poids toujours plus lourd d’une mince classe dirigeante, et toutes les crises (écologique, d’écart de richesses, etc.) découlant du blocage…

N’empêche que comparé à 1982, la direction du Parti a opéré (entre les 4 séries d’amendements) un virage à 180°. Tournant lent et âpre à la fois (suivant la durée considérée), qui suggère un programme à long terme – une discrète promesse de construction d’une démocratie. La direction ne peut pas aller plus vite, sans s’aliéner ses gauchistes, voire les influents barons, craignant pour leurs privilèges. Dans ces conditions, tout ce qu’un réformateur peut faire, est de créer les conditions d’un changement futur, par l’instauration d’une prospérité et éducation larges, sans le dire!■


A la loupe : Santé et paysanat : priorité absolue !

En hausse de 7% à 138MM², le budget 2004  trahit les craintes du pouvoir, à travers ses 2  priorités nouvelles, santé et paysannat!

L’agriculteur n’a gagné que 262² en 2003, +4,3% face aux 847² et +9% du citadin : gouffre grandissant que Hu Jintao veut enrayer!

Ma Kai, le jeune patron de la Commission Développement et Plan, annonce pour 2004 5% de hausse du revenu rural, moyennant  des efforts financiers tous azimuts. 94MM² des recettes fiscales (+6MM² et 2/3 du budget!) retourneront à la base, pour aider les bourgs à résorber leur dette. Toutes les subventions montent, pour les micro-infrastructures (hydroponie, eau potable, biogaz, clôtures etc), les industries agroalimentaires et les grands projets (source d’emploi). Les services seront renforcés : écoles, tribunaux, qualité des produits, et une inspection, créée pour décourager la spéculation sur les engrais, semences, tracteurs…

Un effort sans précédent depuis 25 ans sera également fait en matière de santé : des montants non dévoilés mais énormes iront en réhabilitation des hôpitaux ruraux, dans la surveillance des prix et de la qualité des médicaments, l’instauration d’une Sécurité sociale verte, voire là où l’on pourra, d’un salaire minimum.

Sous l’angle des épidémies, l’effort s’appliquera aussi aux villes : la 2de phase d’un centre national de prévention se bâtit à Pékin, assorti d’un régime de détection et isolement des malades, de fonds de soins aux démunis, d’un réseau d’info transparente, et d’un régime de sanctions en cas de faute grave. Pas de doute : là où le Sida avait laissé froid, Sras et fièvre aviaire ont forcé à réagir !

 


Joint-venture : Delta des Perles, un (chemin de) fer au chaud

— Toujours plus tributaire de l’étranger en graines oléagineuses, Pékin importait en 2003 plus du tiers de la récolte US de soja (8,3Mt, pour 2,8MM$).

Pour autant, elle garde une défense prudente contre les OGM, moins par souci phyto-sanitaire (comme en UE), que pour prendre le temps d’accéder à une technologie concurrente. Depuis 2002, les OGM yankee entraient sous licences temporaires sourcilleusement renouvelées, sauf le coton OGM, en raison de son innocuité.

Mais les tensions commerciales Outre-Pacifique viennent d’ébrécher le mur protectionniste: pour 3 à 5 ans, cinq variétés transgéniques ont été agréées (23/2) -un soja, deux maïs, deux cotons.

Toutes profitent à Monsanto, le géant mondial. Coup dur pour Greenpeace, qui trouve une maigre consolation dans l’exception du Heilongjiang, déclaré zone verte, et putativement fermé à toute culture transgénique.

— L’entrée chinoise à l’OMC, les cotations en bourse et le tsunami d’emprunts alimentent une soif inextinguible en services comptables.

En 2003, le pays admettait  une demande de 300.000 auditeurs, d’autant moins facile à satisfaire, qu’il se met juste aux normes internationales. De 1,3MM$ en 2002, le marché passera à 4MM en 2007.

Quatre géants étrangers se partagent la moitié du gâteau :

PricewaterhouseCoopers (n°1, 6.000 employés), KPMG, Ernst &Young et Deloitte.

Ce dernier vient de faire savoir(3/3) qu’il allait racheter d’ici 2009, pour jusqu’à 200M$ de cabinets locaux, et portera ses bureaux (Chine/HK) de 9 à 20, et son personnel de 3.000 à 8.000 hommes. Avec les licences, Deloitte reprend aussi les clients, méthode universelle : en 2001, rachetant le n°1 local Da Hua, Ernst doubla son staff à 1200 col blancs, tandis qu’en 2002, PwC avalait les restes d’Arthur Anderson à HK!

— Les marques de luxe usent leurs griffes en Chine, pense Morgan Stanley.

Tout se passe comme si l’ex-Chine rouge et les maisons de luxe, bouleversés par le contact de leur Antéchrist d’hier, ne trouvaient pas -encore- le modus vivendi.

Pékin ne tolère la 100aine de boutiques sur son sol que moyennant d’écrasantes taxes, détournant ainsi les  9/10


A la loupe : Chine : ventre de fer, foie d’acier !

Séparés de 3500km, Australie et Chine formaient un couple improbable. Jusqu’à ce jour, les pays développés importaient des PVD les matières 1ères à bas prix.

Mais dans le tandem Canberra-Pékin, le rapport est inversé.

Devenue usine du monde, la Chine du Tiers-Monde s’approvisionne à long terme en Australie: l’ex-dominion britannique s’avère meilleur marché (et à moindre risque politique) que l’Indonésie!

En 2002 et 2003, la Cnooc avait déjà contracté en Australie pour 175Mt de livraison de GNL, au coût évalué à 38MM$.

Or, le 1/3, quatre aciéries chinoises (Wuhan Iron & Steel, Maanshan, Shagang, Tangshan) s’assurent la fourniture de 12Mt/an de minerai de fer par BHP Billiton, le géant austral. En 25 ans, il leur en coûtera 9MM$! Comme pour les contrats de Cnooc, le deal est scellé par une entrée chinoise dans le capital du gisement -40% de la mine Jimblebar. Dès 2004, BHP haussera ses livraisons chinoises (toutes aciéries!) de 19Mt (en 2003) à 25Mt.

Un autre gros fournisseur, le Brésil n’est pas de reste: le plus gros sidérurgiste chinois, Baosteel (Shanghai) vient de contracter 20Mt/an de minerai sur 10 à 20 ans, auprès de VdRD, 1er producteur mondial. La coopération est d’ailleurs croisée: Baosteel se lance dans un train de laminoirs à St Louis (Brésil) qui établira un nouveau record d’investissements chinois à l’étranger, à 2,5MM$ dont 60% à sa charge: il lui permettra de contourner les barrières douanières US.

Tout ceci évoque la fringale d’acier de la Chine, qui affole le monde. En 2003, l’Empire du milieu dévora 36% de l’acier mondial dont 222Mt produites chez elle. En 2004, elle produira 277Mt, et en consommera 280. Dans ce climat de rêve éveillé, les aciéries chinoises ont battu tous leurs records en 2003, tel Baosteel qui a vendu pour 13,9MM$, gagné 844M$ (+63%), et vu ses parts en bourse de HK s’envoler, à +72% !

 


Argent : le coton étrangle ses tisserands

Comme bien des produits de base catapultés par une demande enthousiaste, le coton chinois flamba en 2003.

Une récolte médiocre (-20%) et des quotas d’import imprudemment congrus suffirent à propulser en décembre 2003, le prix à 2084$/t (+55%). Ceci fit le bonheur des planteurs du Xinjiang, mais aussi le malheur des usines, dont le pourcentage  dans le rouge doubla à 47%, tel Tongyu (Jiangsu), en peine de payer ses 3000 cousettes.

L’Etat maintient ce carcan, pas seulement pour remplumer les comptes des paysans, mais pour que le marché parachève la sélection naturelle, entamée dès 1997 par le retrait de M de navettes obsolètes.

En 2003, Weiqiao (Shandong), le plus gros tisserand chinois haussa ses ventes de 50% (795M$, 3% du marché chinois), alors qu’exacerbés par les économies d’échelle, ses profits (65M$) gonflaient de 88%.

Pour 2004, le groupe maintient la pression et s’offre des hausses de capacité variant de +55% dans le fil (486.000t), à 70% en tissages écrus, frisant le MM de mètres.

Or, ce n’est pas fini, avertit  le Pdg Zhang Bo : cette concentration de la nippe à travers l’Asie, ne laissera vivants que les mammouths !

 


Pol : 1ère victime du Triangle d’or – la Chine!

— Le  Sommet à 6 sur la Corée du Nord (Pékin, 25 28/2) s’est achevé fort prévisiblement- dans la pénombre.

Pas de communiqué commun, et à la sortie, des jugements opposés entre Washington et Pyongyang. Après ce conclave, la Corée du Nord a perdu tout espoir en Bush, et campe en attendant Kerry. Colin Powell par contre, se félicite: les 5 n’ont “jamais été si unis”, la Corée a offert un démantèlement complet, et les 6 sont convenus de se revoir en juillet.

Le frein tient à 2 choses:

|1] Comment, une fois la frontière ouverte, se partager à cinq l’influence sur le pays du matin calme?

[2] En campagne électorale, captive de son opinion publique, la Maison Blanche (inévitablement suivie par Tokyo) rejeta un peu vite l’offre sino-russo-Sud-coréenne d’aide énergétique à Pyongyang, qui aurait pu faire pencher le fléau dans le juste sens… 

— Sur les 70 à 80t d’héroïne produites/an dans le Triangle d’or (Birmanie, Laos, Thaïlande), 80% passe en Chine. L’info vient de Luo Feng, vice-ministre de la Sécurité publique, qui voit en son pays la grande victime du trafic – même si une partie de la schnouffe ne fait que transiter vers l’Asie Centrale (via le Xinjiang), ou les US (via Shanghai/HK).

La Chine compte 643.000 héroïnomanes recensés, 85% des preneurs de paradis artificiels.

Financé, dit Luo, à 80% par la prostitution et le vol, le marché atteindrait 3,3MM$. En 2003, la police chinoise saisit 9,4t d’héroïne, 5,8t d’ice (+82%), 73t de composants, et coffra 63.700 trafiquants. La conférence de presse de Luo était un appel voilé à la coopé mondiale, sur le modèle du coup de filet opéré le 10/2 en duplex entre Manille et la Chine, permettant de mettre la main sur 5 hommes, 12M$ et 300kg de métaamphétamines. D’ailleurs, un accord anti-drogues est imminent au sein de l’OSC—club des 5 pays d’Asie Centrale avec Russie et Chine!

— Après 4 ans de vie,  l’OSC cesse d’être une coquille vide, pour servir de moteur d’intégration économique.

Le progrès est visible au Kazakhstan, voisin du Xinjiang. En novembre 2003 fut adopté le tracé définitif des 1.782km de frontières. En février 2004, Pékin et Astana convenaient d’ouvrir une zone de libre-échange de 200ha – ayant déjà attiré Kasen, le n°1 mondial du sofa, avec 20M² d’invest initial. Puis Astana vient de “louer” à la région de Yili, pour 10 ans, 7.000 ha de sa région d’Ala-Kol, permettant d’installer sur ces terres en friche 3.000 ouvriers agricoles. Enfin, en juin débute la construction d’un oléoduc transfrontalier de 1.300km (dont 500km à réhabiliter) entre Atasu et Alashan, d’un coût de 850M$, pour le compte de CNPC et KazMunaiGaz. Il pompera vers la Chine  10Mt/an de brut -pour commencer!

 


Temps fort : Wen Jiabao : ‘produire moins, mieux, plus juste!’

Le 5/3 à Pékin, face aux 3000 élus, dans son discours d’ouverture de la session de l’ANP, le 1er  Ministre Wen Jiabao a pris un ton inédit : la sérénité, s’interdisant sermons et semonces, même face à Taiwan, malgré son référendum programmé le 20/3.

La Chine, en 2003, a volé de victoires en victoires! Populaire, le tandem Hu-Wen dispose d’une marge d’expression et d’action!

Avec sa théorie des « 3 représentativités», Jiang Zeminse retrouve subtilement enchâssé dans un  Panthéon honorable mais sans influence: proclamée par Wen Jiabao, la «victoire sur le SRAS» est aussi la correction d’erreurs de l’équipe précédente!

Quittant l’ultralibéralisme, Wen impose le nouveau cap : produire moins, mieux, avec plus de justice.

La croissance en 2004 ne vise que 7%, 2% de moins de celle atteinte en 2003.

C’est la fin de la  valse des bons d’Etat, dont Wen n’émettra que 11 MM², soit trois de moins qu’en 2003. Pour autant, les grands chantiers seront maintenus, et les plans de rattrapage social seront augmentés, en faveur de l’Ouest, du Nord-Est, du paysannat.

Bien des réformes déjà évoquées au VdlC figurent dans ce programme-cadre.

La relance de l’agriculture inclut la protection des ceintures vertes urbaines et de la propriété paysanne, les baisses d’impôt, la chasse aux taxes illégales.

La santé verra une refonte d’ici 2007 (hélas non chiffrée) du système hospitalier, pour créer un réseau utile de prévention du Sras et du Sida. La construction de la Sécurité sociale et d’une mutuelle volontaire se poursuit.

Le passage de la taxe industrielle à la TVA sera testé dès cette année dans 8 provinces.

Cette vaste inflexion sociale sera financée par 2 sources : la chasse aux gaspis (investissements polluants, redondants ou de prestige), et aux privatisations massives d’Entreprises d’Etat, pour lesquelles « l’actionnariat deviendra la norme »!

 


Petit Peuple : Pucheng – le ballon de foot qui tue!

Pucheng (Shaanxi) reste ébahi de l’offre rarissime: 600$ de prime pour dénoncer un vol!

L’affaire était grave, il est vrai : gros comme un ballon, lourd comme une valise, un conteneur de césium 137 avait disparu d’un chantier (6/2).

Catastrophe! Dans l’eau, il explosait. Hors de sa gaine de plomb, il causait stérilité et malformations des bébés! Craignant des sanctions, la mairie fit discrètement passer par 200 agents les quartiers au peigne fin. Mais 5 jours après, le colis manquait encore : ce fut la panique! De Xi’an, les experts débarquèrent avec leurs machines reniflant l’air, les eaux et la glèbe. Anxieux de prouver leur valeur, les commandos anti-guerre chimique, en scaphandres, sondèrent enthousiastement décharges et vergers. En vain : la bourgade s’avérait un vrai sac de noeuds, 盘根错节 pan gen cuo jie (“racines de banyans et faux noeuds”). De Shanghai, Zhu Guoyin, oracle nucléaire, prédisait sombrement le pire scénario : le colis serait jeté dans un haut-fourneau, centuplant ainsi l’effet de la radiation. L’intuition ne s’avéra que trop juste: quand le 16/2 – l’appât du gain ayant agi-, les trafiquants furent empoignés, le césium était déjà fondu en des milliers de tonnes de ferraille de récup

Opération ruineuse pour tous! Les cadres furent tancés, la bande embastillée, et la fonderie attend le verdict sur son avenir -qui ne peut être que froid et noir!

 

 

 


Rendez-vous : Pékin – la foire aux poids lourds

8-9/3, Shenzhen:Conférence Internationale Circuits intégrés

9-12/3, Pékin: Expo véhicules industriels + pièces détachées.