Le Vent de la Chine Numéro 21

du 15 au 21 juin 2003

Editorial : visages romantiques:Zhou Zhenyi et Mao Yuping,, spéculateurs, sous les verrous!

Alors que l’OMS donne (12/5) l’extrême-onction au SARS / SRAS en Chine, Taiwan exclu, resurgit le vieux conflit interne du PCC qui couvait depuis des mois, occulté par l’arrivée au pouvoir de Hu Jintao (novembre 2002 comme 1er Secrétaire, en mars 2003 comme Président de la République).

L’enjeu : la réforme de la Constitution, lancée par Jiang Zemin, reprise à son compte par Hu Jintao.

La date : au 1er juillet, par un discours de Hu à l’occasion du 80. anniversaire au PCC. Les amendements seraient votés à la prochaine session de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) en mars 2004.

Le compromis provisoire : pour éviter éclatement ou défaite, Hu cherche le consensus sur une réforme limitée, adoptée vite pour éviter tout dérapage démocratique :

[1] maintenir en vie le principe de la dictature du prolétariat,

[2] rechercher une meilleure efficacité du pouvoir, par exemple en renforçant la lutte contre la corruption. Donc, pas question d’aller vers une nouvelle constitution (réclamée par des juristes), « loi fondamentale de la nation et non instrument du Parti ».

Cette réforme comportera un garde-fou conservateur : le centralisme démocratique, équivalent des « 4 points cardinaux » dans la politique d’ouverture de Deng Xiaoping en ’80. Dans cet objectif, 100 clubs viennent d’être interdits (11/6) à travers le pays – associations des amoureux de la valse, la franco- ou russophilie, le Lotus d’or (roman classique licencieux) ou la pêche à la ligne.

Le contenu: Hu Jintao proposerait une démocratie interne au PCC, dont les membres éliraient maires et gouverneurs entre plusieurs candidats. Les assemblées provinciales, ensuite, confirmeraient (ou non). La réforme engloberait le projet de Jiang – protéger la propriété privée, de pair avec la publique (art. n°12). Jiang semble aussi assuré de pouvoir y inscrire sa théorie des 三个代表 sangedaibiao, « 3 représentativités ».

La lutte: Même limitée, cette réforme eût été impossible sans le SRAS qui a rebattu les cartes et renforcé Hu. Les 2 camps marquent des points :

[1] côté des conservateurs, évincés pour incompétence, Zhang Wenkang, l’ex-ministre de la santé (ex-médecin privé de Jiang) est soutenu par une campagne de réhabilitation, et le vice-ministre Gao Qiang le soutient.

[2] en face, pour rédiger cette réforme, Hu a créé un nouvel organe secret dirigé par Wu Bangguo (Prsdt de l’ANP, neutre) : preuve de la priorité absolue placée sur cette démarche! Hu a aussi repris la tête du Groupe directeur «affaires étrangères» dont Jiang Zemin s’est retiré et surtout, où Zeng Qinghong, son lieutenant, ne figure plus: Hu fait (vite) son chemin!

 

 


A la loupe : Le baccalauréat, promo ‘ SRAS ‘

Survivance millénaire du système mandarinal, le 高考 gaokao, baccalauréat doublé du concours d’entrée aux universités bouleverse les existences de M de jeunes, hissant les uns vers la gloire et fracassant les rêves des autres. Du 7 au 9 juin, ils étaient 6M à se présenter – chiffre doublé par rapport à 4 ans plus tôt- pour répondre aux questions à choix multiples en mandarin, ou  en 5 langues minoritaires, ou en braille. Ils planchaient sur 3 matières imposées (chinois, anglais, math), plus une section au choix : (lettres, ou bio-physique-chimie).

Les succès sont déterminés par les places d’études disponibles en fac. En ce domaine, depuis 1999, un effort sans précédent est en cours : les candidats reçus cet été friseront les 3M (50% en moyenne nationale, 70% à Shanghai ou Pékin).

Pour des raisons évidentes, le bachotage de 2003 fut difficile. Avancé d’un mois pour anticiper la canicule, le concours fut entouré d’une foule de précautions d’ordre épidémiologique: prise de température, tables espacées (20 candidats par salle au lieu de 30) et interdiction aux parents de faire le pied de grue devant les écoles. Ceux-ci se retrouvèrent donc -comme de tradition – dans les temples, pour y prier Wenshu, le Bouddha des carabins.

Mauvaise nouvelle par contre pour la promotion diplômée : ils seront 2,12M, soit +46% par rapport à la classe 2002, alors que l’économie s’est contractée.

Résultat : la moitié ne trouvera pas d’emploi d’emblée, les 2/3 à Pékin, et même 3/10 dans les universités-phares. L’an dernier, 2/3 des jeunes, via internet ou les foires aux emplois, avaient signé leur job avant la remise des diplômes : rien de tout cela cette année, et il faudra ramer!

 


Joint-venture : Cisco, une victoire à la Pyrrhus

— Depuis janvier, Cisco, n°1 mondial du logiciel de réseaux, est en procès au Texas avec Huawei, le groupe chinois d’origine militaire, qu’il accuse de pirater son logiciel IOS et 5 de ses brevets (cf VdlC n°5 et 10). Admettant qu’une “fraction de logiciels de Cisco était entrée par inadvertance” (sic) dans ses produits, Huawei avait depuis, retiré sa gamme de routers Quidway des marchés US. Cette flexibilité a permis au groupe de Shenzhen d’éviter le pire : le 6 juin, le juge fédéral l’enjoignit de cesser d’exploiter toute technologie tirée des codes-source Cisco, de se séparer de ses programmateurs made in Cisco, mais n’interdit point la totalité de sa production. Huawei nie avoir fait un “deal” avec

l’adversaire, promettant de quitter le marché US contre la clémence du juge. Le bras de fer juridique se poursuit donc. Associé à 3Com (concurrent de Cisco), le groupe chinois veut faire un “come back” aux US, où il empochait  0,5MM$ de ventes en 2002!

— Pour la CNPC, aux mois de vaches maigres succède la saison faste. Avant la guerre d’Irak, CNPC avait dû importer du pétrole à prix d’or, pour constater la chute de conso durant la crise du SRAS. Puis CNPC s’était vu rejeter du consortium de la Caspienne. Mais la chance a tourné avec la signature, début juin, du contrat russe de livraison d’or noir sur 30 ans, pour150MM$, assorti du feu vert au projet d’oléoduc Angarsk-Daqing.

Battant le fer pendant qu’il est chaud, CNPC négocie à présent avec BP et le Coréen KOGAS, la construction du plus long gazoduc d’Asie, 4800km entre la poche de Kovytkta (Sibérie) Shenyang (Liaoning), d’où il bifurquera vers

ŒPékin/Jinan (Shandong),

?Dalian/Séoul moyennant une section immergée, évitant studieusement la Corée du Nord – insolvable et risquée. L’investissement de 20MM$, est colossal pour assurer le transfert de 30MMm3 /an, dont 2/3 à la Chine. Le prix serait moins lourd que les 1,35Y/m3 revendiqués par le gazoduc Urumqi-Shanghai (notoirement cher). Ce  coût d’investissement explique que malgré des réserves de 1900MMm3, Kovytkta soit resté dormant depuis sa découverte en 1975. L’étude de faisabilité sera rendue cet été, incluant l’option d’un tracé commun avec le pipeline d’Angarsk pour limiter les frais.   

 


A la loupe : La réforme rurale aussi, démarre

Zhu Rongji avait choisi (sans doute contraint) de ne pas toucher aux 粮仓 liangchang, Offices des grains : perdant des MM$/an, ils étaient cependant l’héritage de Mao, et la dernière chance de maintenir la dépendance du monde rural envers une administration forte. A présent, c’est justement pour cela que Wen Jiabao s’apprête à démanteler ce réseau, afin d’enrayer la dangereuse paupérisation des 900M d’habitants des campagnes, en :

Œsupprimant les taxes illégales,

?et en laissant le paysan produire pour le marché, tirant un trait sur la ruineuse surproduction céréalière.

Zhu Rongji subventionnait l’agriculture par le biais du prix 4MMY/an versés dans l’Anhui. Cependant 9/10 des fonds, siphonnés par les Offices des grains, n’atteignaient jamais les chaumières. Wen veut remplacer ce système par une prime au producteur, versée par la banque, en cas de chute des cours (modèle US). Les Offices des grains ne toucheront plus les prêts bancaires, mais affronteront la concurrence (réprimée hier) des opérateurs privés

A Laian (Anhui), un des cantons où fut testé cet outil nouveau, le résultat fut radical : le mois de mai vit le renvoi de 1000 employés de l’Office des grains local, qui devront trouver du travail. Le paysan court lui aussi un risque, l’achat du grain n’étant plus garanti. Par contre, il n’aura plus à nourrir un cadre pour 27 habitants. Si Wen et Hu réussissent leur pari, c’est la fin des 小金库 xiao jinku – « petites caisses noires » des cadres locaux abusant de leurs pouvoirs pour s’enrichir ou simplement survivre.

Entre autres mesures  pour réduire le retard rural, figure la refonte du crédit agricole—mais à Xushui (Hebei), cette politique vient de subir un re-vers début juin lorsque Dawu, une des plus prospères firmes agraires du pays, fut fermée en pleine ouverture d’une coopérative de crédit, censurée pour les opinions imprudentes de son patron.

La Chine annonce enfin, pour renforcer l’export, une campagne «qualité des produits», par le passage aux normes internationales : seules 20% des 3,929 normes sont conformes à la pratique mondiale!

 


Argent : Jinjiang, nain-géant hôtelier

— Après avoir fusionné sa grande distribution et son prêt sur gages (cf VdlC n°14/16), Shanghai monte Jinjiang Int’l, 1er tour-opérateur du pays, à partir de Jinjiang Holdings et de New Asia. Le nouveau groupe aligne 240M$ de capital pour 1,8MM$ d’actifs, une 100aine d’hôtels (dont le fameux Peace), restaurants, Cies touristiques et de transport à travers le pays, 36.000 jobs. Jinjiang espère passer d’ici 2008 dans la botte des 30 premiers mondiaux. Comme la majorité de l’économie chinoise, le secteur touristique est atomisé en PME locales. La Chine vaut mieux que cela : 5ème destination en 2001 (33M de touristes étrangers), elle espère ravir la pôle position, à la France actuellement, avant 2020.

Bien sûr, l’étranger lui aussi se place sur ce marché: Shangri-la investira 330M $ dans 6 hôtels d’ici 3 ans, Marriot voit 9 ouvertures en 2 ans et Accor – gestionnaire de 2 hôtels Jinjiang Int’l– d’ici 2005, ajoutera 5 Sofitel (5 étoiles, 2 Novotel (4 étoiles) et 1 Ibis (2 étoiles) à son réseau de 23 hôtels.

— Attendues après deux mois de crise médicale, les dernières données conjoncturelles portent le chaud et froid. En mai, l’export a cru de 37% à 34MM$, l’import a cru de 41% à 31,6MM$, générant un excédent de 2,2MM$. La croissance industrielle s’est maintenue à +13,7% soit 38,6MM$. Les retombées négatives du SARS/ SRAS auraient donc pu être pires.  Mais la croissance des IDE contractés, à  7,7MM$ et +18% est érodée. La consommation intérieure, vue par Citibank, sera faible, +3,5% attendus, au lieu des 9% des mois passés. L’avantage insolite de cette douche froide, est que l’inflation a été ralentie en mai, à 0,8% : ce souci inflationniste est presque un luxe, et une bizarrerie par rapport à la majorité de la planète, qui se bat contre la déflation! Enfin, se multiplient les signes de convalescence : 50% des acheteurs étrangers se disent prêts à retourner en Chine à court terme—les autres, parlant d’attendre 3 à 6 mois. Les restaurants et chantiers souffrent de l’absence dans les villes des 8M de migrants retournés au village.

 


Pol : taxes—l’incivisme au microscope

— Suite au 1er coup de pelle donné le 9/6, la baie de Hangzhou (Zhejiang) sera survolée, dès 2008, d’un pont suspendu à 6 voies de 36km dans le delta du Yangtzé, de Zhapu à Cixi. Coiffant de 8km le pont-tunnel de Chesapeake (US), il sera le plus long pont maritime au monde. En bureau d’études, le design prit rien moins que 9 ans à aboutir—délai minimum pour régler les problèmes d’instabilité du sous-sol alluvial, de longueur, de vitesse du courant (jusqu’à 40km /h) et de marnage (8,9m de hauteur). Autre originalité de l’ouvrage, son financement: d’un coût de 1,4MM$, il sera supporté pour 35% par les firmes du Zhejiang anxieuses de se désenclaver, et 59% par les banques, qui y voient un investissement sûr (viable par ses péages) : le pont reliera Shanghai et Ningbo, écourtant le parcours de 120km, et ouvrira une section de l’autoroute nord-sud, Heilongjiang-Sanya (Hainan).

— A Pékin, chiens et bicyclettes en règle s’identifient par leur médaille (sous le menton) et leur plaque (sous le guidon). Mais à observer les parkings-vélo et les toutous en laisse, on déduit vite que les payeurs sont une infime minorité. Les statistiques sont formelles dans leur dénonciation : seuls 12% des 10M d’amoureux de la petite reine règlent les 4Y/an de taxe, et seuls 1/3 des 400.000 canophiles s’acquittent des 5000Y d’enregistrement du fidèle compagnon. Curieusement, le %age des fraudeurs est inversement proportionnel au coût. C’est que la taxe de vélo coûterait plus cher à la ville à percevoir, que son produit, et l’utilisateur pour sa part n’y voit aucun service en contrepartie. La taxe canine est prise plus au sérieux : bien des maîtres angoissent de voir leur bête en fourrière, voire euthanasiée.

Idem, le Pékinois est rétif à l’impôt, que plusieurs millions devraient payer, avec leur salaire de plus de 800Y/mois. Cet incivisme frontal est expliqué par les chercheurs de deux manières. D’une part, le citoyen n’a pas confiance dans la volonté du cadre de ne pas détourner ces fonds. Il y a aussi un problème de qualité de la loi : la taxe canine avait pour but de punir la propriété de chiens. En 8 ans, les chiens dans Pékin ont néanmoins quintuplé : “la taxe a raté son but”, dit le professeur de droit, “une bonne loi sera toujours respectée”!

 


Temps fort : Les routiers sont sympa—en Chine!

Le VdlC annonçait (n°20) un accord de Volvo N°2 du poids lourd, et CNHTC détenteur de la moitié du marché chinois de plus de 16t : c’est aujourd’hui chose faite (9/6). Dès déc. à Jinan (Shandong), Huawo, JV à 50/50% de 72,5M$ produira 2000 camions par an (types FL, FM9 et FM12). De 4% au début, les associés veulent prendre 10% d’un marché de 100.000 semi-remorques en 2010, avec un haut taux d’intégration locale. Volvo est le 1er camionneur lourd  étranger admis en Chine.

Le 9juin encore, après neuf mois de gestation était signée une autre JV-record entre Dongfeng Motor et Nissan. D’un invest sans précédent (2MM$ à 50/50% ), l’entente réunit tous les actifs du groupe de Wuhan (Hubei), déjà en JV (double) avec PSA pour la production de Citroën (DCAC) et  Peugeot (DPAC). Dongfeng sera la 1ère JV à embrasser tous les créneaux du marché local : auto, camions légers et lourds, autobus. Avec 74.000 emplois seulement (après de féroces dégraissages), elle relancera dès juillet les chaînes renforcées par le japonais, pour sortir la compacte Sunny sous marque nippone, et les camions Dongfeng sous logo chinois : pas plus que Volvo qui roulera Huawo, Nissan n’obtient de conserver sa marque pour ses poids lourds. Pour avoir refusé de se plier à cet oukase, Daimler  n’a pas pu signer son propre deal (VdlC n°20). Plus qu’une fierté des constructeurs locaux, cette insistance de conserver sa marque, trahit une ambition chinoise à long terme : l’export!

D’ici 2006, Nissan produira 5 autres modèles, dont Teana (luxe) Paladin (4×4), Bluebird et Cima. A terme, la capacité atteindra 220.000 voitures. L’état-major sera mixte, avec un Vice Président Nissan (Katsumi Nakamura), et un Président chinois, Wei Miao

NB : invisible sur la photo, Renault gagne sur les 2 tableaux étant actionnaire de Volvo, et de Nissan!

 


Petit Peuple : le bras de fer du syndic

— Reine des HLM d’hier, la dame de l’ascenseur perd la partie au profit d’un être conceptuel, mystérieux mais puissant: le syndic qui en Chine comme ailleurs, assure aux abonnés l’entretien des platebandes et des lifts, le paiement des charges et le gardiennage. Seulement, ce personnage surgi à la vitesse d’une champignonnière, n’a pas toujours le profil de l’emploi : Yang Xiufeng, résident aux Zhijin Gardens de Haidian (Pékin) eut loisir de le découvrir. Président de l’assemblée des propriétaires, il se retrouva dix jours à la porte de son domicile, tenu à distance par les nervis du syndic. En charge de son immeuble depuis février 2003, ce dernier revendiquait des frais outranciers, tout en refusant de présenter le moindre justificatif. Au nom des résidents, Yang lui avait donc refusé son pouvoir. Les choses tournant à l’aigre, le syndic avait  mis le propriétaire à la rue, et sur la liste noire de ses vigiles!  L’affaire fut longue à dénouer. L’entremise de la retraitée du Comité de Quartier fit long feu. Prudente, la police le laissa prendre, sous sa garde, des vêtements de rechange: le syndic l’accusait d’extorsion et de fraude. En désespoir de cause, Yang se plaignit au Bureau de l’immobilier, qui découvrit le pot aux roses: auto proclamé, le syndic opérait sans licence, et n’avait jamais reversé un 分  fen de charges aux Cies d’eau, gaz et électricité. Les rôles furent donc inversés : à l’ombre, le syndic déplore d’avoir poussé le bouchon trop loin, au risque de tomber dans l’eau de sa propre arrogance. De retour au bercail, Yang médite sa mésaventure en forme de 天方夜谭 tianfang ye tan, (“espace dans le ciel, et étang dans la nuit”) : conte des mille et une nuits et monde à l’envers!