Le Vent de la Chine Numéro 22

du 14 au 20 juin 1998

Editorial : La crise en Asie – ‘ j’y suis, j’y reste !’

La plus forte chute en sept ans, pour le yen japonais, vient de causer une cascade de symptômes d’enlisement de l’Asie dans la crise. A Taiwan, la chute du NT$ au niveau le plus bas depuis 1987, suit l’annonce de la perte des 2/3 de son excédent commercial de 1997. Singapour s’apprête à avouer qu’elle n’atteindra pas en 1998 les + 2,5% de Produit Intérieur Brut (PIB) prévus. Une étude Reuters prête, pour 1998, une croissance négative à l’Indonésie(-14,5%), à la Thaïlande (-5,7%), ainsi qu’à la Malaisie et à la Corée.

Qu’est-ce qu’a à voir avec tout ceci la Chine, que des experts, il y a trois mois, disaient vaccinée contre les misères de ses voisins, parce que

[1] D’une autre échelle (pouvant compter sur son marché),

[2] Partant de plus bas,

[3] Et parce que « la Chine »?

En Chine aussi, les feux oranges se mettent à clignoter :

[1] Shanghai a vu son carnet de commandes en janvier – avril, baisser de 8%3,5MMUSD, et la croissance des exports, s’effriter de 15,3% (par rapport aux 56MMUSD engrangés par Shanghai dans la période en 1997). Au niveau national, la chute des exports cette année est pour l’instant de 1,5%.

[2] Le Vice – Premier Ministre Wu Bangguo admet qu’atteindre l’objectif fixé de 8% de hausse du Produit National Brut (PNB) sera difficile.

[3] Au marché noir, dans la rue, le RMB est passé de 8,3 à 8,5/1USD.

A HongKong, les analystes remarquent pour leur part la non publication, en trois mois, du niveau des réserves en devises: signe que des fonds auraient été injectés dans la défense du RMB voire même du yen (preuve que décidément, la Chine a à voir!). Il n’a pas fallu plus que ce simple soupçon pour justifier, en trois jours une chute libre de l’indice Hang Sen, de 8500 à 7886. Il dépassait 13000 en juin 1997: le choc psychologique de la Bourse de HK, étant dans la découverte que la Chine, tous comptes faits, est un pays asiatique « comme les autres« !

 


A la loupe : Police Academy, à la chinoise

La presse fourmille d’informations faisant état de renvois massifs, par dizaines de milliers, de policiers à travers le pays: 225 au Guizhou, 22 officiers et 50000 non professionnels dans le Henan, 76 à Hainan. Ceci, sans autres commentaires, que ceux d’incompétence et de corruption.

Ce qui se passe: comme partout en Chine, la police se réforme, afin d’améliorer qualitativement ses 1,2M d’hommes, après l’effort de recrutement des 9 dernières années. D’ici à 2000, elle veut attirer (tâche facilitée par la crise) 3000 néo-diplômés, dont elle polira la formation. Aujourd’hui, sur les 2141 commissariats de district du pays, 4/5 comptent au moins un universitaire, contre 1/4 il y a 3 ans. Exemple de modernisation: les îlotiers pékinois disposent de 50 minibus modernes, reliés par intranet, capables d’atteindre en 5 minutes tout lieu de crime ou d’accident, appelés par téléphone, au bon vieux « n°110 ».

Tout ceci a lieu, sous cette nuance spécifique à la police: son double service, au public, et au Parti. La réforme sert évidemment les deux mandats, avec une progression sensible dans le sens du premier.

 


Joint-venture : Ningxia, banque musulmane -JV

• A P&G – Canton, un ex-employé réclame 400000Y de pretium doloris pour cruauté mentale: ayant annoncé son intention de quitter l’entreprise, il avait été privé de son ordinateur, y-compris de ses fichiers personnels, qui avaient été divulgués au personnel. P&G ne nie pas les faits, mais précise qu’une Cie a le droit de se protéger contre la fuite de secrets d’entreprise, et qu’en tout état de cause, un ordinateur d’entreprise n’a pas à détenir de fichiers privés. On attend le verdict.

• Avon, ex n°1 de la vente directe en Chine (2 usines de produits cosmétiques, 150 000 vendeurs, 75MUSD de chiffre en 1997) reprend du collier, après l’interdiction générale de l’activité le mois dernier: ses 75 dépôts seront convertis en magasins, et une 3ième  usine va ouvrir dans l’année à Conghua(Canton).

• Preussag, leader européen de la grue portuaire, arrive à Zhangzhou (Fujian) avec une Joint-venture de 40M USD, pour produire toutes sortes de grues portuaires.

NB : Plus d’½ de la demande mondiale est en Asie Pacifique, et 30%dans la grande Chine (avec HongKong et Taiwan).

• Seule province (et une des plus pauvres) à jouir du droit de constituer des Joint-ventures avec des pays islamiques, le Ningxia annonce une Joint-venture bancaire avec la Saudi Arabia commercial bank. L’envie de Pékin de développer les liens avec le monde arabe, est tempérée par la turbulence de son Xinjiang, et de ses soupçons d’une infiltration intégriste.

 


A la loupe : Un tonneau de blé des Danaïdes

A l’instar des silos remplis ras bord, le système d’achat des céréales craque. Crise d’inadéquation croissante d’un marché basé sur des idéaux et cadres dépassés. Contraints d’acheter à prix imposés, les Offices du grain s’endettent, revendant à 30% moins cher qu’il y a trois ans. Au rythme du premier trimestre, les pertes dépasseraient 100 MMY, double de 1997, quintuple de 1996.

Aussi Zhu Rongji vient-il de convoquer une téléconférence, pour rappeler les règles: défense aux provinces d’imposer des taxes locales à l’achat du grain, ou de détourner ces fonds (pratique courante). Obligation aux OG de revendre avec profit (à prix librement fixé). Ils devraient être efficaces comme des grandes surfaces… tout en restant publics!

L’enjeu est tout sauf académique. Il touche à la capacité du pays à se nourrir hantise du régime. Justement, selon Shu Geng, professeur sino-américain, la Chine pourrait perdre d’ici à 2030, 100Mt de grain (récolte en 1997 : 580Mt), sous l’effet de la perte des sols arables (en constructions) et des intempéries de plus en plus sévères.

Notons enfin une étonnante contradiction: durant la Téléconférence, Zhu a réaffirmé l’interdiction du secteur privé comme acheteur direct. Mais le lendemain, une réforme est annoncée, ouvrant la porte à des opérateurs « autorisés, plutôt qu’aux pouvoirs locaux’, et autorisant le paysan « à ne produire que ce qu’il peut vendre »: pragmatisme tardif ?

 


Argent : 1998, année de l’endettement public

• Trop petites, ces firmes de courtage faisant commerce des titres boursiers! Elles sont 240 (trust & investissement) plus 90 (sécurités), dont 10 contrôlent 70% du marché. La China Securities Regulatory Commission (CSRC) encourage de son mieux fusions et reprises, pour permettre à quelques grands de résister à l’accès inéluctable des géants nippo euro yankee au marché intérieur boursier.

• Approuvés par la Commission d’Etat au Plan de Développement (CEPD) et la Banque Populaire de Chine (BPdC), 5,3 MMY en bons d’État viennent d’être émis au bénéfice des Chemins de fer de la Cie d’État pour l’Énergie, et de 13 groupes high technologie Les grandes banques viennent de recevoir une ligne d’emprunt pour 45MMY. Aujourd’hui, le plan d’émission de bons pour 1998 (280MMY) est épuisé à la 6/7, et sera dépassé.

D’ici à 2003, les CF comptent investir 245 MMY, dont une majorité obtenue par souscription. Ainsi se traduit, en termes financiers, le choix politique de soutenir la croissance par les grands travaux: selon un expert de Shenyin & Wanguo, « 1998 sera l’année de l’endette ment public, sur les marchés des capitaux ».

• Approuvé, le 4ème  métro chinois: pour Shenzhen, avec deux segments de lignes, reliées au chemin de fer HongKongais : 14,8km, 14 stations, pour un investissement de 6,7MMY.

•1er  producteur national de voitures, Shanghai n’a que 6000 autos privées, contre 400000 à Pékin. Faiblesse due à une taxe, sous forme de vente aux enchères des plaques à 100000Y d’entrée (100% du prix d’achat). Pressée par la crise, la ville baisse l’enchère à 50000Y, et encourage la remise (par les promoteurs) de plaques gratuites aux acheteurs de logement en banlieue.

• Avec 134M d’hectares de forêt, la Chine est un des pays les plus déboisés. Son plan de reboisement (« nouvelle grande muraille verte » reste lettre morte, à cause des incendies, de l’abattage illégal. Aux grands maux, grands remèdes: si Pékin se fait obéir, d’ici peu après 2000, l’activité sera interdite, le quota de 29Mm3 sera supprimé, les 1M de bûcherons et leurs 135 Cies, redémarreront comme pépiniéristes. Coût d’ici à 2000: 19,5MMY, que la régie des forêts « espère obtenir » (sic!) de Pékin.

 


Pol : L’APL, en Alaska?

• La semaine du 1er  au 7 n’avait vu dans la presse, ni manifestation, ni catastrophes. A peine passé le 9ème anniversaire du massacre de la place Tian An Men, une manifestation réapparaît dans les média: 200 cyclopousses, à Xi’an (Shaanxi). Justement, un jeune économiste, Yang Lujun, estime « bien plus explosif » qu’en 1989, le climat social, du fait de la rude montée du chômage et des interdictions des faux emplois tels cyclopousse ou commerce direct. Seul moyen selon lui de relâcher la tension: les réformes politiques, associer le petit peuple à la res publica, en contrepartie de leur propre prise en charge, en fait d’emploi, de logement, et de Sécurité Sociale.

• La discipline collégiale du Polit bureau (le principe d’unanimité dans les prises de décisions) ne signifie pas l’absence de débats de haut vol. Telle cette proposition de Jian Chun wan, nouveau patron du  (gonganbu, min. de la sécurité publique), de laisser la presse superviser la police, dans la campagne  (yanda), opéra « coup de poing », qui vient juste de démarrer. Jian proposait aussi que la corruption (des policiers, des cadres du Parti) soit nommée 5ème  thème de cette campagne, après pornographie, prostitution, paris et drogue. Jian a perdu, des conservateurs lui ont opposé la mission de la presse, telle que définie par Mao: « propager l’avis du Parti et non le leu r». Mais le débat est ouvert, on y reviendra.

• A Taiwan, le Parti Démocratique du Progrès (DPP),1er  parti d’opposition (indépendantiste) a un nouveau Président, Li Yi-Hsiung 58 ans, 1er  en Asie élu par sa base. Le Président (et Fondateur) sortant, Hsu Hsin-liang, devrait rencontrer à Pékin Zhu Rongji en sept. Lin veut être le candidat du Parti Démocratique du Progrès (DPP) pour les présidentiel les de 2000: il aura un rival, Chen Shuibian, maire de Taibei. L’enjeu se fera probablement sur la question de l’indépendance, et le référendum proposé sur ce thème par le Parti Démocratique du Progrès (DPP).

• Visite, cette semaine, du Président Italien Oscar Scalfaro, et signatures d’un  accord de coopération scientifique et technique. L’Italie a signé près de 2MMUSD d’investissement direct (1,16 déjà sur place), et 2000 entreprises (surtout PME) présentes directement ou non. Côté Europe, visite aussi du Secrétaire d’Etat français à l’Industrie, Ch. Pierret, qui fait mûrir plusieurs contrats pour la venue du 1er  Min. L. Jospin: dans les domaines des technologie du charbon propre, et de la transmission d’électricité notamment. Au même moment, avait lieu la Comm. Mixte franco-chinoise, avec signature du protocole au titre de la coopé scientifique et technique.

• Parmi les avancées importantes attendues de la visite de Bill Clinton à Pékin fin du mois, on attend un début spectaculaire de coopération militaire: des exercices conjoints, fin 1999, et dès juillet, l’invitation d’observateurs chinois aux exercices US à Hawai et en Alaska.


Temps fort : Pétrole – dérégulation imminente!

La Chine produit par an 150Mt de pétrole, et en consommera 200 en 2000.

Depuis 1995, elle est passée d’un rôle d’exportateur à celui d’importateur net. Depuis, son corset étatique sur les prix a conduit à l’anarchie: aujourd’hui, son prix intérieur est de 18 USD/t, et le prix mondial, 14 USD/t.

Seule conséquence possible: la contrebande départ Hong Kong, avec complicités officielles locales. Elle serait de 10Mt, surtout sur Canton: 5% des besoins nationaux, mais ses effets sont décuplés car la fraude se cantonne dans le haut de gamme (gasoil industriel, essence). Du coup, les raffineries petites et obsolètes de l’intérieur, comme celles géantes et neuves de la côte (telle Total – Dalian) ne tournent plus qu’à 70% de leurs capacités -alors que d’autres arrivent sur le marché, comme l’unité signée en février, de Shell à Huizhou (Canton).

Mais ce cadre de distribution est en train de basculer: une directive du Conseil d’État du 1er juin, prévoit l’entrée progressive d’un cours calqué sur Singapour (marché «spot») pour le brut. Même orientation reconnaissable pour les produits dérivés.

Autre tendance dominante: la fracassante entrée chinoise sur le marché pétrolier mondial.

 Pékin rachète successivement des droits d’exploitation au Kazakhstan, au Soudan, en Iran (etc), à des prix non commerciaux, et promet des oléoducs de milliers de km, des investissements en MMUSD, avec possibilité d’extension vers Corée et Japon.

En fait, Pékin paie sans rechigner un «ticket d’entrée» élevé, dans une ambition non occultée: celle de faire ses armes dans tous les métiers pétroliers, aux côtés des grands du monde de l’or noir.


Petit Peuple : La folie du ballon rond

• Mascottes, badges, appareils TV, tenues, revues: crise à part, les chinois achètent sans compter, tout ce qui a à voir avec la Coupe du monde de Football. Les ventes à thème, centre ville, ont monté de 150%. Les parieurs clandestins abondent. Les étudiants crient au complot – une telle fête, à quelques jours de leurs examens. La TV retransmet tout (+ 48 matchs en différé, pour éviter trop de 100M de travailleurs englués à leur TV à 3h du matin). À Pékin, 57% des familles suivent au déplaisir manifeste des épouses. 3 sites Internet chinois sont ouverts (cf www.worldcup98.china.com).

• Insolite et franchement bête, cette pub dénoncée par un titre shanghaien: Baoshutang, labo pharma. pékinois, paierait des filles pour se brûler en public avec des chaînes chauffées à blanc, avant d’appliquer son onguent sur les plaies pour en démontrer les vertus: les chalands achèteraient, moins par conviction que par pitié.

• En province du Hubei, la Chinese Aviation Administratif Corporation (CAAC) empêche 12 paysans de voler en rond. Ensemble, ils avaient racheté un coucou à la grande Muette, et voulaient faire, avec un pilote d’occasion, des baptêmes de l’air locaux: « ta-ta-ta »! A dit l’administration, pas de permis, pas de plan de vol!

 


Rendez-vous : Assises de la ligue de la jeunesse

• 14-18juin, Pékin: salon Pharmacie ou cosmétiques

• 15-21 juin, Harbin: foire sino-russe

• 16 juin, Pékin: salon Chine – Corée

• 19-25 juin, Pékin: Plenum quinquennal Ligue de la Jeunesse -1469 élus (par 68M de membres). Âge moyen: 30,2 ans.

•  Téléphone rouge (police) pour les touristes à Pékin : 6356 1321 (tél) et 6352 3783 (fax)