Le Vent de la Chine Numéro 37 (2018)

du 19 au 25 novembre 2018

Editorial : Cap sur le Pacifique Sud

Les 14-16 novembre, Singapour recevait le 13ème sommet de l’Asie orientale, puis les 21 membres de l’ASEAN. Le 1er ministre Li Keqiang y assistait, face au n°2 américain Mike PenceDonald Trump, toujours hostile à la coopération multilatérale, restait absent. Pence ne rencontra pas Li pour discuter du litige entre leurs pays. Ce n’était pas bon signe pour sa rencontre du surlendemain avec Xi Jinping à Port Moresby (Papouasie nouvelle Guinée,  PNG), ni pour le meeting Xi-Trump au G20 de Buenos Aires (1er décembre)…

A Singapour, un des sujets était le futur traité RCEP de libre-échange (Regional Comprehensive Economic Partnership), proposé par la Chine, pour créer une zone de libre échange entre ASEAN, Pacifique et Inde. Pékin espérait l’accord avant décembre. Mais un blocage intervint, empêchant toute signature avant 2019. Un des freins est l’Inde, inquiète de voir son marché accaparé par des consortia chinois épaulés par un Etat qui leur fournit à volonté fonds et technologies (le plan Made in China 2025). D’autre part, New Delhi supporte mal la pression de Pékin sur sa frontière himalayenne (l’Etat d’Arunachal, revendiqué par la Chine sous le nom de Sud-Tibet), l’installation de l’Armée Populaire de Libération dans l’océan Indien, la création d’un « collier de perles » (ports) chinois au Sri Lanka (Colombo, Hambantota), Pakistan (Gadwar) et Birmanie (Kyaukphyu).
Cette méfiance est exacerbée par la percée chinoise au Pacifique Sud. Le 15 novembre,  Xi s’envolait pour la PNG, la plus pauvre des 21 nations de l’APEC, qu’elle recevait les 17-18 novembre. Là encore, Mike Pence assurait la présence minimale des Etats-Unis, et il fit un déballage de mésentente, sur le front de la guerre commerciale où il réitérait les attaques contre la Chine ayant « commercialement abusé des Etats-Unis depuis des années ». Il dénonçait aussi la Chine, presque nommément, pour ses nouvelles « routes de la soie », auxquelles il opposait la « stratégie indo-pacifique » des Etats-Unis soutenus par Australie et Japon. L’offre américaine, promettait-il, n’allait pas noyer les pays candidats « dans une mer de dettes ». Enfin, Pence accusait l’offre chinoise d’être « une ceinture qui étrangle, et une route à sens unique » : jamais la démarche chinoise n’avait été accusée de la sorte !

Curieusement, en simultané depuis Washington, Trump tweetait un son de cloche fort différent. Les palabres avec la Chine se portaient à merveille, suite à ses dernières offres qui répondaient à nombre de ses exigences. « Quatre ou cinq » restaient en plan, mais Trump se faisait fort d’obtenir satisfaction, et de signer bientôt un « bon accord ».
Les messages de Pence et de Trump, on le note, sont contradictoires, sur l’objectif de paix avec la Chine. À ce stade, impossible de prédire quelle tendance prévaudra, entre l’agressive et la conciliante. Mais dès maintenant, une conclusion logique semble se dégager. Même si Chine et Etats-Unis parviennent  à s’entendre sur des règles équitables dans le jeu de leurs échanges à long terme, les deux puissances se retrouveront en rivalité débridée d’influence sur le monde indo-pacifique, et sur le monde tout court : leurs relations, et les équilibres géostratégiques auront changé. Abandonnant sa passivité débonnaire, les Etats-Unis désormais soutenus par des alliés régionaux, vont vouloir se battre pied à pied avec la puissance émergente chinoise. 

Quelques jours avant à Pékin, Zheng Zeguang, vice-ministre, parlant des pays insulaires d’Océanie, avertissait : « aucun pays ne devait enrayer l’effort d’aide de la Chine à la région ». Chine et Océanie étaient une « famille », sous entendu au lien plus soudé qu’avec les colonisateurs d’hier. Autant dire que dans la région comme partout au monde, les ambitions chinoises sont  sans limites, et vont se heurter à d’ex-puissances tutélaires, déterminées à défendre leur influence d’hier.


Economie : Une année 2019 de tous les dangers ?

L’excédent commercial chinois dans le commerce bilatéral avec les Etats-Unis s’est encore alourdi de 15% depuis janvier, aggravant la tension entre ces deux pays. Depuis juillet, 25% de taxes compensatoires des USA frappent 818 produits chinois -autos, pièces aéronautiques et informatiques, en sus des taxes précédentes sur l’acier et l’aluminium. Pour rééquilibrer les échanges, forcer la Chine à ouvrir des segments encore interdits de son marché et à bannir le piratage, le Président D. Trump menace d’étendre la rétorsion dès le 1er janvier 2019 à la totalité des exportations chinoises sur sol américain.

Pour être plus sûr de se faire entendre, l’Oncle Sam déserte les grands rendez-vous commerciaux. Début novembre, les Etats-Unis étaient la seule puissance sous-représentée à la Foire internationale de Shanghai (CIIE). Le montant officiel des contrats s’élevait à 57,8 milliards de $, dont la plupart étaient conclus bien avant l’événement. En même temps, à l’autre foire, celle de Canton, les ventes chutaient  e 30% et à Yiwu, plus gros marché de gros de la planète, les commandes de Noël vers les Etats-Unis étaient réduites de 40%. Moins de clients, plus de taxes… Les perspectives pour 2019 sont pour le moins brumeuses !  « Nous savions bien que notre économie dépendait trop de l’export », explique Fran Wang, experte au Caixin Financial Group, « le gouvernement tente d’inverser la tendance, mais ça prend du temps ».

Comme chaque année, les promotions de la « fête des célibataires » du 11 novembre sur internet devaient redonner du baume au cœur, grâce à ces 24h de ventes folles, sous prétexte d’aider les cœurs solitaires à s’installer. Les chiffres annoncés ont effectivement été triomphaux, avec 31 milliards de $ chez Alibaba, et 23 milliards de $  chez JD.com, les grands rivaux (record battu, surtout chez JD avec +27% par rapport à 2017). Mais ces chiffres peuvent tromper : entre 20% et 40% des produits commandés sous l’hystérie collective du 11.11, devraient être renvoyés après coup.

Une autre donnée prête à réfléchir : le cabinet américain Azoya note que 10% des achats concernent des produits étrangers, taux qui passe à 40% pour les acheteurs de la « génération Y » (nés entre 1981 et 2000). Or, ces jeunes sont l’avenir de la consommation chinoise : dès 2030, ils devraient réaliser 20% des achats annuels des ménages… C’est donc cette tranche de clientèle que les marques nationales vont devoir reconquérir, si elles veulent sauvegarder leur chiffre d’affaires de demain. Et elles ne le feront qu’en rendant leurs produits compétitifs, en matière de qualité, de sophistication, de SAV. Autrement dit, les groupes chinois auront des milliards de $ à dépenser en formation et en R&D.

D’autres nuages sombres se profilent. De janvier à octobre, selon l’ONG China Labour Bulletin, 1.444 manifestations et conflits sociaux en entreprises chinoises ont eu lieu, surtout dans le delta des Perles (Guangdong), avec 15% dans les usines et 48% dans le bâtiment. De même source, sous le ralentissement de la demande, 2 millions d’ouvriers perdaient leur emploi en 2018. Pour l’heure, le chômage reste stable, entre 4,8 et 5,1% dans les grandes villes de l’Est. Mais, selon les projections du quotidien FT, la guerre commerciale avec les Etats-Unis pourrait coûter à la Chine 2 à 3 millions d’emplois en 2019, car la baisse de l’export vers les USA n’est pas rattrapée par des hausses vers Afrique et Amérique du Sud, ni par la consommation intérieure.

Pékin tente donc plusieurs stratégies de compensation. La première consiste à masquer un bilan trop clair de la situation, pour éviter une explosion de « grogne ». Ainsi, la Chine est le seul pays à ne pas titrer dans sa presse sur les effets des rétorsions américaines. Inquiets pour leur poste, les économistes chinois interrogés refusent de répondre, sauf pour répéter le credo du Président Xi Jinping en ouverture du CIIE : il n’est d’avenir qu’en le libre-échange. Pékin fait face ici à un problème de fond : ayant bâti sa légitimité sur la croissance, il ne peut s’en passer.

Autres moyens pour compenser la baisse des exportations : le Conseil d’Etat promet de baisser les impôts sur les bas revenus, et d’alléger le fardeau fiscal des PME privées qui sont 97% des firmes du pays, 60% du PNB et 80% de l’emploi urbain.

Mais le scénario n’est pas tranché : le débat reste indécis entre conservateurs partisans d’un stimulus massif comme en 2008, et réformateurs tel le Premier ministre Li Keqiang, qui dès septembre, prônait la « simplification de l’administration, délégation des pouvoirs, dérégulation et le renforcement des services pour faciliter la vie des entreprises et des gens ».

En novembre, les conservateurs semblent l’emporter. Le yuan dévisse face au dollar – la Banque Centrale doit le soutenir. Les dépenses d’infrastructures remontent depuis juillet, et les injections de liquidités font rejaillir le spectre d’une inflation et d’une dette publique galopantes.

En face, les réformistes ne désarment pas. Les économistes Hang Weiying et Sheng Hong dénoncent un modèle chinois « peu différent du capitalise occidental ». Croire qu’un secteur public surpuissant, une gouvernance autoritaire pourraient tirer le pays de la crise, serait une illusion. La vraie raison du passage à l’acte des USA devrait être cherchée dans la montée en puissance de l’Etat… Mais là encore, Pékin veille au grain, refusant le débat. Invité à donner une conférence à Harvard, Sheng Hong a été bloqué à l’aéroport de Pékin, sous prétexte de « sécurité nationale ».

Sur le front diplomatique, on attend beaucoup – probablement trop – du tango que doivent danser D. Trump et Xi Jinping au prochain G20 en Argentine au 1er décembre.

Comme toujours, Liu He est aux avant-postes à Washington pour préparer l’agenda de la rencontre. Mais le sherpa de Xi Jinping ne trouve pas la clef pour débloquer la situation. Si aucun accord n’est trouvé rapidement, il faut redouter que 2019 se présente sous des augures difficiles.

Par Sébastien Le Belzic


Automobile : Le virage électrique

Incroyable, mais au fond prévisible : l’industrie automobile chinoise passe d’une euphorie permanente, presque sans transition, aux années de vaches maigres ! Après avoir connu une croissance turbo, avec des ventes qui explosaient de 45% en  2009, l’année 2018 pourrait basculer dans le rouge—une première depuis 30 ans. En 2018, selon CAAM l’association nationale des constructeurs, de juin à septembre, les ventes enregistraient une baisse de 7,7%, pire performance en 10 ans, et passaient à 11,7% en octobre. L’interprofession attend même une aggravation pour ce qui reste de l’année.

Logiquement, le recul des commandes s’accompagne d’une autre courbe maléfique : les concessionnaires doivent consentir à de substantiels rabais, sacrifiant leurs marges. Le marché chinois représentant un tiers du mondial (23 milliards de $ de chiffre par an selon Bain), sa récession induit celle du marché mondial pour la première fois depuis 2011.

Les constructeurs s’y attendaient. Yao Jie, vice-président de la CAAM, affirme que la première cause de mévente est la saturation du marché. L’une après l’autre, les villes congestionnées limitent la création de plaques d’immatriculation. Tablant sur un « mât de Cocagne » perpétuel, les constructeurs s’étaient lancés depuis 10 ans dans une course aveugle à l’équipement pour occuper le terrain « avant le déluge », espérant avoir  suffisamment grandi d’ici là pour laisser ledit déluge emporter la concurrence trop faible pour résister. Résultat, la capacité de production est de 40 millions de voitures par an, pour un marché de 28,5 millions. Aussi, le quart des chaînes reste à l’arrêt.  
Une seconde raison à la baisse des ventes tient à la décroissance en général, tronquant les budgets des ménages. Mais celle-ci va durer : les 6,5% de hausse de PIB attendus en 2018 ne seront atteints que par l’intervention massive de l’Etat, sans prendre en compte les besoins réels du marché.
Enfin en troisième position seulement selon Yao Jie, la guerre commerciale avec les Etats-Unis affaiblit elle aussi les ventes…

Face à cette crise, l’Etat hésite encore sur l’attitude à suivre : laisser fermer les usines « zombies », ou subventionner pour permettre un repli en douceur ? Quelle que soit la décision, elle impactera aussi les constructeurs étrangers. Souvent présents sur les deux marchés (chinois et américain), ils devront s’adapter au nouvel équilibre.
Paradoxalement, ce sont ceux les mieux implantés en Chine qui vont souffrir le plus : les griffes allemandes VW, BMW, Daimler voient leurs profits fondre, avec des ventes chinoises en baisse et des usines moins employées – celles d’Europe produisent à 80% de capacité, et sont plus rentables. Par contre, sont à la fête les constructeurs de véhicules utilitaires (aux meilleures marges) et ceux vendant plus en Europe (PSA) ou sur d’autres marchés encore porteurs tels Inde ou Japon (Renault-Nissan-Mitsubishi).

Bien sûr, la décélération de l’automobile chinoise impacte les équipementiers : XD Plastics de Harbin, 1er producteur de polymères auto, voit ses profits baisser de 40% au 3ème trimestre—et de manière intéressante, ouvre une filiale à Dubaï, proche des gisements pétroliers géants du Golfe Persique, capable de fournir les marchés américains sans payer la taxe de Trump à 25%.

Cette crise va donc accélérer une refondation du secteur. De longue date, les constructeurs, chinois comme étrangers, publics comme privés, réfléchissaient à la relève. Sur le tard, les groupes occidentaux parient sur la voiture « à énergie nouvelle » (NEV), voire électrique (EV).
Forts de leurs années d’avance et du plan d’Etat dédié aux NEV en route depuis 10 ans, les constructeurs chinois occupent le marché : les modèles électriques de BYD (Shenzhen) sont en plein boom avec 26.066 ventes pour le seul mois d’octobre (un record, +121% par rapport à 2017). Côté étranger, Tesla achète son terrain en zone franche à Shanghai à 145 millions de $, recrute 3000 employés pour sortir 500.000 voitures par an (contre 100.000 aux USA). BMW porte à 75% ses parts dans Brilliance – qui va sortir avec Renault deux fourgonnettes électriques. Renault sortira en 2020 son atout-maître : sa KZE faite à Xi’an avec eGT, JV Dongfeng et Nissan, d’une autonomie de 250 km, à moins de 10.000€ – peut-être la moins chère du pays. VW pour sa part annonce dès 2017 un investissement de 12 milliards de $ en Chine pour une future usine de 300.000 batteries et des modèles partagés avec Ford, SAIC… Le Néerlandais Lithium Werks délocalise à Shanghai, mettant 1,6 milliard d’€ dans une JV visant 160.000 batteries par an. Tesla n’hésite plus à prédire l’après automobile à moteur à combustion, qu’il décrit comme un « effet Kodak », firme de pellicules argentiques, poussée hors du marché par la technologie numérique…

En effet, deux évolutions pointent à l’horizon, faisant craindre aux constructeurs traditionnels la perte de 50 à 90% de leurs ventes. La voiture autonome s’apprête à réduire la conduite humaine et les accidents, et optimiser le trafic. Tout groupe automobile y pense, tel Daimler, premier étranger à avoir obtenu le droit de faire rouler dans Pékin ses véhicules tests.

D’autre part, le marché s’oriente vers l’auto partagée, réduisant le nombre de véhicules nécessaires pour desservir les centres urbains. Ce véhicule partagé va multiplier les fonctionnalités embarquées (commerciales, ludiques, culturelles), liées à l’internet et à l’intelligence artificielle. Associées, ces deux tendances convertissent la voiture en un taxi multi-usages. VW s’associe à Didi Chuxing en une « alliance stratégique ». Volvo (filiale Geely) s’associe à Baidu, champion de la navigation connectée, pour produire des voitures autonomes de niveau 4, au moyen de la plateforme d’auto-conduite Apollo…

Ce secteur à l’état natif promet donc de connaître encore bien des remous. À l’été, l’administration homologuait 428 nouveaux modèles « EV » issus de 118 firmes – beaucoup trop pour le marché, et promettant bien des faillites. Mais cela fait partie du plan !


Technologies & Internet : Après l’internet en Chine, l’Intelligence Artificielle

Digitalisation et Intelligence Artificielle (IA) doivent aider la Chine à dominer l’ère post-internet : tel est le message de la Conférence mondiale de l’Internet de Wuzhen (Zhejiang, 7-9 novembre). En effet, la Chine ne cache pas sa volonté d’accélérer le passage d’une économie industrielle d’exportations, à une autre qui sera basée sur l’IA. En 2017, sur 15,2 milliards $ investis à l’échelle mondiale dans des start-up en IA, près de 50% allait en Chine, contre 38% aux USA.

Suivant le plan de 2017 soutenu par Xi Jinping en personne, la Chine a prétend devenir un des leaders de l’IA dès 2020. Dès 2025, elle veut vendre à travers le monde ses gadgets connectés. Et d’ici 2030, elle veut s’être imposée comme n°1 mondial, avec un secteur devant atteindre les 143 milliards de $ par an d’ici 2030 ! Le savoir-faire chinois en IA s’exporte déjà, tel son logiciel de reconnaissance faciale efficace à 99,9%, installé dans les aéroports du Zimbabwe et d’ailleurs en Afrique.
De telles ambitions ne sont pas du goût de tous, USA en tête, qui freinent transferts technologiques et investissements chinois sur leur sol. La Chine est accusée d’encourager ses firmes à racheter des groupes d’IA avec portefeuilles de brevets et centres de recherche, tels Kuka, un maître allemand en robotique industrielle.

Le régime y voit un intérêt pour son propre contrôle social : la reconnaissance faciale s’impose partout sur son sol, le Xinjiang lui servant de laboratoire in vitro.

En IA, la Chine dispose de trois atouts : d’abord, sa capacité de financement, puis celle de confier aux groupes privés des pans entiers d’économie future, tel le  paiement en ligne chez Alibaba, la médecine assistée chez Tencent, la voiture autonome chez Baidu… Enfin, elle génère des volumes imbattables de données personnelles, indispensables au développement de logiciels intelligents. Or, cette collecte de données n’est pas bridée par des lois de protection de la vie privée : résultat, la R&D de l’intelligence artificielle chinoise, et sa mise en pratique se font plus vite qu’ailleurs.

A Pékin, Face++, la technologie de la start-up pékinoise Megvii, accède à 1,3 milliard de données biométriques obtenues en direct par 170 millions (bientôt 570 millions) de caméras installées à travers le pays. Créée en 2011 par trois jeunes de l’Université Tsinghua, Megvii vaut déjà 4,5 milliards de $, financés par la filiale d’Alibaba Ant Financial, par l’assembleur Foxconn, par les assurances Sunshine, et un fonds sino-russe (pour 460 millions de $) – autant de soutiens très proches du pouvoir.
Par Sébastien Le Belzic


Santé : Le vaccin nouveau s’en vient

Qualifié de « hideux » par Xi Jinping, le scandale du laboratoire pharmaceutique Changchun Changsheng en août dernier, avait bouleversé le pays, la compagnie s’étant fait attraper à écouler des centaines de milliers de doses de vaccins inactives pour cause d’actifs périmés, de tests invalides et de livres financiers falsifiés. Quinze employés avaient été arrêtés dont la Présidente, et 12 cadres publics congédiés. Licence retirée, ce n°2 national avait dû payer 1,3 million de $ d’amende et ouvrir un fonds de compensation aux victimes pouvant réclamer jusqu’à 93.000 $ par personne –tel vaccin peut tuer ou causer de terribles séquelles.

Vu la fréquence de telles affaires, l’Etat veut aller plus loin. Un projet de loi de régulation des vaccins  vient d’être publié pour recevoir 15 jours de critiques. Il va regrouper et harmoniser les dispositions éparpillées entre diverses lois dont celle de gestion des médicaments. Il va alourdir les sanctions : au lieu du « triple du volume d’affaires » applicable actuellement à la vente (ou au non-rappel) de vaccins frelatés, le laboratoire encourt le décuple, jusqu’à 720.000 $ d’amende. Les directeurs, les responsables verront leurs profits saisis et encourront 10 ans d’interdiction. En cas de dommage prouvé, la victime pourra attaquer en justice. Si la vaccination résultait d’une campagne nationale, les dommages seront à charge de l’administration locale, sinon, à celle du laboratoire ou du distributeur – si ce dernier n’a pas respecté les normes de stockage.

Cette disposition introduit donc un progrès historique : c’est la première fois en droit chinois, aux dires de l’avocat pékinois Zhu Yonggen, que des dommages peuvent être infligés au-delà des simples coûts encourus (selon le principe du pretium doloris), tels frais d’hôpital, compensation salariale ou funérailles. Le niveau de la compensation dépendra du statut du district – il sera plus élevée à Canton qu’à Lhassa. Avant que de tels dommages ne puissent être imposés, le Tribunal Suprême devra émettre ses décrets d’application.
Une autre disposition, devant dissuader les charlatans, fait son apparition : pour recevoir sa licence, le laboratoire devra avoir contracté une assurance-dommages.  Elle devrait responsabiliser le producteur, et aider à rétablir la confiance, actuellement très faible de l’opinion publique. Mais comment détecter le laboratoire fraudeur ? Depuis Shanghai, la consultante Tao Lina préconise une rémunération des délateurs—manière de couvrir leur risque très réel, à accuser des industriels puissants et bien connectés. Le législateur y réfléchit, sans doute…


Petit Peuple : Dazhou (Sichuan) – Liu Guoqing, double revenante (1ère partie)

En Octobre 1995 à Dazhou (Sichuan), dans l’effervescence générale, la ferme se parait de rubans écarlates, de papiers découpés en double bonheurs et de proverbes propitiatoires aux encadrures des portes, invoquant harmonie, santé et richesse. Des guirlandes de papier crépon chamarraient les fenêtres. En cuisine, les femmes découpaient, pelaient, retournaient les légumes, cubes de porc et de poulet cuisant à toute vapeur. Elles sortaient du feu à grandes louchées les mets fumants, les transvasaient dans des saladiers de terre cuite vernissée qu’elles portaient, échangeant blagues et quolibets, jusqu’à la salle de banquet improvisée dans la cour, pour les déposer sur les vingt tables rondes de location. L’endroit exhalait des senteurs de joie, de poivre et de piment, de tofu frit ou braisé, d’œufs de caille, d’arachides étuvées, de jarrets de porc mijotés à la badiane, de beignets aux filets de caramel brûlant. Les musiciens exécutaient des airs nasillards et entrainants, sur mirliton, tambourin ou viole à deux cordes, histoire d’encourager les invités à gonfler les enveloppes rouges de billets de 100¥, qu’ils tendaient cérémonieusement à la maîtresse de cérémonie.

Yu Ningguo, 24 ans, le fils unique prenait pour épouse Liu Guoqing, jeunette de 21 ans. Drapée de rouge, la mariée voilée dans son palanquin montrait juste assez de visage pour exhaler son bonheur du moment…

Malheureusement, cette félicité devait s’avérer par trop éphémère. Dès l’année suivante, l’orage gronda au sein du jeune couple, vu les différences de personnalité. D’aigres disputes se multiplièrent, litiges qui ne furent jamais réglés, créant ainsi un terreau propice à la rancœur, à laquelle l’arrivée de deux enfants ne changea rien.

Le fond du problème tenait aux mauvaises habitudes du mari depuis l’enfance : fils unique adulé par père et mère, oncles tantes et grands-parents, Yu avait toujours vu les deux branches familiales céder à ses caprices. Ce que l’une tentait de lui refuser pour lui poser des limites, l’autre le lui donnait pour lui prouver son amour et s’en obtenir les bonnes grâces. Une telle surenchère de gâteries ne faisait que favoriser chez l’enfant un orgueil et une irresponsabilité inimaginables.

A peine en ménage, le jeune coq avait pris ses aises, sortant chaque soir avec les copains pour faire bombance et jouer toute la nuit au mah-jong, dilapidant l’argent du ménage. Puant l’alcool blanc par tous les pores de la peau, il retournait à l’aube les poches vides. Tout ce qu’il ne gaspillait pas au tapis vert, il le dépensait en cadeaux à sa kyrielle d’amantes, découchant sans même s’embarrasser à inventer des prétextes. Et quand la malheureuse Liu osait élever un mot de protestation, il était prompt à la faire taire par une volée de coups, la laissant dolente et en sanglots. Liu endura ce traitement durant onze interminables années, avant de décamper une nuit d’octobre 2006 sur la pointe des pieds tandis qu’il cuvait son « baijiu », après l’avoir tabassée une dernière fois.

Elle partit avec un sac, quelques vêtements, et quelques centaines de yuans en poche. Le cœur gros, elle laissait sur place son aîné et sa cadette. Sur ce point, la tradition était claire : si la femme se sauvait, quelle que soit la raison légitime ou non, les enfants restaient propriété du mari, du clan masculin. Justice et police y veillaient jalousement. Si elle avait osé tenter de les emmener, elle n’aurait pas été loin !   

C’est donc à ce prix lourd et amer qu’à 32 ans, Liu recouvrait sa liberté. Un premier bus l’amena à Chengdu la capitale provinciale, un second à Canton où elle trouva en quelques heures un job de couturière en usine. Deux ans plus tard, elle repartait pour Changsha (Hunan).

Les années passèrent : dès 2007, par l’entremise de Meimei, l’amie d’enfance restée à Dazhou, elle avait discrètement renoué contact avec ses enfants entrés dans l’adolescence. 

Le cours de sa vie changea en août 2016. A 42 ans, elle reçut un bien étrange appel de Meimei qui lui faisait savoir la rumeur dont bruissait toute la contrée : elle-même Liu Guoqing serait décédée, rien de moins. Quant à Yu son mari (qui légalement l’était toujours, le divorce n’ayant jamais été prononcé) il avait disparu, s’étant supposément réinstallé au village voisin. Il n’apparaissait plus que rarement, lors des foires d’automne et de printemps… « Tu devrais te méfier, conclut Meimei, ça sent le roussi ».

Liu ne prit pas l’avertissement de son amie au sérieux… Ces paysans qu’elle avait connus dans son enfance, coincés dans leurs cancans absurdes, avaient toujours été incapables de vivre sans déformer les simples faits du jour du village !

Deux mois plus tard, un autre incident la força cependant à reconsidérer la situation. A sa banque où elle était venue retirer son salaire, elle se vit refuser l’accès à son compte : le système refusait sa carte bancaire et sa carte d’identité ! Médusé, le guichetier qui la connaissait depuis tant d’années, finit par passer outre le bug informatique, pour lui verser ses sous, mais le grand ordinateur était formel, Liu n’existait plus dans ses registres… Le chef d’agence lui recommanda de retourner au pays pour tirer l’histoire au clair.

Voilà pourquoi le 18 mai 2018, Liu retourna à Dazhou, intriguée, après 12 ans d’absence.

Insouciante, Liu était loin de se douter qu’elle n’allait y retrouver que l’ombre d’elle-même… La suite, la semaine prochaine !


Rendez-vous : Semaine du 19 au 25 novembre 2018
Semaine du 19 au 25 novembre 2018

16-25 novembre : AUTO Guangzhou, Salon international de l’automobile

19-21 novembre, Shanghai : China FLOOR Expo, Salon international de revêtement de sol

19-21 novembre, Shanghai : EDME Expo, Salon international du matériel de décoration murale et des technologies de collage de Shanghai

19-21 novembre, Shanghai : MORTAR Expo, Salon international des technologies et équipements pour la production de mortier

19-21 novembre, Shanghai : TIM Expo Shanghai, Salon international du matériel d’isolation thermique, des matériaux étanches et des technologies liées à l’économie d’énergie

22-24 novembre, Shanghai : BIC China, Salon asiatique international de l’ingénierie du bâtiment

22-24 novembre, Shanghai : PAPERWORLD China, Salon professionnel international des fournitures pour le bureau et pour l’école, de la papeterie et des matériaux pour les arts graphiques

22-26 novembre, Canton : TEA Expo Guangzhou, Salon de thé de Canton


Vent de la Chine : Eric Meyer, finaliste des Trophées des Français de l’étranger : votez !
Eric Meyer, finaliste des Trophées des Français de l’étranger : votez !

Chers lecteurs,

Eric Meyer, journaliste et rédacteur en chef du Vent de la Chine, est le dernier candidat encore en lice à représenter la Chine continentale au Prix du Grand Public des Trophées des Français de l’étranger en Asie, organisés par Le Petit Journal.

Pour le remporter, et ainsi faire rayonner la communauté française de Chine, nous avons besoin de votre soutien !

Pour voter, rien de plus simple, cliquez sur le lien ci-dessous (votre adresse email ne sera pas demandée) :

https://fr.surveymonkey.com/r/3236HZF

N’hésitez pas à partager à votre réseau avant le 19 novembre – midi heure française !