Le Vent de la Chine Numéro 4 (2018)

du 5 au 11 février 2018

Editorial : Chroniques de gel et de dégel

Pour 2018, la Chine veut précipiter ses adieux au charbon, partiellement responsable de plus d’un million de morts prématurées par an. Représentant 68% du mix énergétique en 2017, la part du charbon devait baisser à 58% d’ici 2020. Au Hebei, l’objectif de raccorder au gaz 1,8 million de foyers ruraux a même été dépassé de 700.000. Mais c’était sans compter sur une météo à pierre fendre cet hiver, où le thermomètre chuta de jour à –4°C, de nuit à –15°C. Même des provinces subtropicales telles Hunan ou Jiangxi se sont laissées surprendre : électricité et gaz ne peuvent suivre le sursaut de demande. Forcés par la pénurie houillère à ralentir leurs turbines, 4 groupes électriciens (Huaneng, Datang, Huadian et SPIC) appellent l’Etat à laisser les mines opérer à plein régime. En effet, certaines centrales n’ont plus de charbon que pour 2 à 3 jours, et d’autres voient exploser leur facture de fret, le réseau ferré étant saturé à la veille du Nouvel An chinois. Ces difficultés sont aggravées par une déficience d’interconnexions : chaque province produit pour elle-même, sans pouvoir fournir ses voisines lors des pics de demande. L’Etat gèle donc ses projets en cours de raccordement au gaz, pour laisser les villages retourner au bois ou charbon—temporairement ! Car à long terme, les objectifs demeurent. Par exemple, en 2018, le Hebei devra brûler 5 millions de tonnes de charbon en moins, notamment du côté des industries lourdes.

Un autre « gel » – plus inattendu celui là – touche au lien entre le Pape et les églises de l’ombre, qui rejettent l’autorité du Parti. Le Pape François vient de faire un pas historique en forçant l’évêque de Shantou (Canton), Pierre Zhuang Jianjian (88 ans), à céder place à Guiseppe Huang Bingzhuang, prélat de l’église officielle chinoise. Même Joseph Zen, l’ex-Cardinal de Hong Kong notoirement hostile au Parti, parti pour Rome pour tenter de faire changer d’avis le Pape, se heurta à un mur : Le Pape répliqua que les évêques « dissidents » en leur pays ne pourraient plus compter sur lui pour valider leur ordination.
C’est un tournant : jusqu’alors, les évêques de l’ombre recevaient l’approbation pontificale, mais ceux « rouges » ne l’obtenaient pas toujours. Huang, 6 ans plus tôt, avait même été excommunié pour sa nomination « hors de l’Eglise ». C’est un message puissant qu’émet le Pape envers le catholicisme de l’ombre en Chine, et un fort appel au Parti. L’enjeu est de rétablir des relations diplomatiques rompues depuis 1951. Selon une étude américaine, au rythme actuel des baptêmes, la Chine passerait en 2030 au premier rang des nations chrétiennes avec 247 millions de fidèles. Ceci peut expliquer cela : si Paris valait bien une messe, une nonciature apostolique à Pékin vaut bien un évêque. Quand à Monseigneur Zen, qui accuse publiquement le Pape de « vendre l’église catholique de Chine », il risque lui-même à présent l’excommunication, rien de moins !

Enfin, après le gel, c’est le dégel entre la Chine et ses voisins du Japon et de Corée du Sud. Avec Tokyo, les liens s’étaient distendus suite à une longue série de visites obstinées des gouvernements nippons au sanctuaire négationniste de Yasukuni. Avec Séoul, le froid était plus récent, remontant à l’installation en 2016 d’une rampe américaine de missiles anti-missiles Thaad. Or, ces mauvaises relations diplomatiques sont dangereuses, et en tout cas incompatibles avec de forts échanges commerciaux (Chine-Japon à 303 milliards de $, Chine-Corée à 280 milliards de $). Ceci a peut-être forcé ces trois gouvernements à revoir leurs positions.
Le 28 janvier, Taro Kono, ministre nippon des Affaires étrangères, rencontra à Pékin son homologue Wang Yi (cf photo). Ils convinrent de visites des chefs d’Etat ou de gouvernement. Suivit le 29, l’annonce d’un sommet avec la Corée du Sud en avril, dans le but de négocier un traité trilatéral de libre-échange entre ces pays générant 25% du PIB mondial. Pour la planète, ce sera une nouvelle donne.


Temps fort : Chassez le naturel…

Au 19ème Congrès d’octobre 2017, à 69 ans, le Président de la Commission de Discipline du Parti (CCID) et membre du Comité Permanent Wang Qishan, abandonnait tous ses mandats : respectant ainsi la règle tacite (七上八下—qī shàng bā xià) selon laquelle, passé 67 ans, les cadres suprêmes partent en retraite. Ceci permettait au Président Xi Jinping de forcer ses adversaires membres du même Comité Permanent, à s’en aller aussi.

Mais alors, pourquoi le 29 janvier, voit-on le même Wang élu délégué au Parlement, dans la délégation du Hunan ? Toujours à la demande d’un Xi, à présent débarrassé de ses rivaux, Wang  « rempile » pour un nouveau mandat. Il pourrait devenir, lors du Plenum du Parlement en mars, vice-Président de la République. Une position honorifique… Mais le pays garde en mémoire la main de fer de Wang, et Xi peut avoir besoin de lui pour renforcer toujours plus son autorité.

Espionnage au siège de l’Union Africaine

Courant 2017 à Addis Abeba (Ethiopie), l’Union Africaine fit discrètement remplacer le réseau informatique de son flamboyant siège de béton, qui avait été offert et construit par la Chine cinq ans plus tôt. On lui reprochait de transférer chaque nuit ses données vers des serveurs d’un bureau de renseignement shanghaien… Pékin, et plusieurs Présidents africains ultra-fidèles à la Chine, démentent formellement.

Investissements chinois

Le Nigéria va voir débuter un chantier d’ampleur : le raccord de 4 barrages sur le fleuve Donga et une centrale hydroélectrique d’une capacité de 3050 MW. Les 5,8 milliards de $ du projet seront payés à 85% par l’ExIm Bank, et l’ouvrage sera réalisé par China Civil Engineering Corp (CCECC), sans grande participation des compagnies locales.
En Europe, l’Allemagne, par la voix du Secrétaire d’Etat à l’Economie Matthias Machnig, réclame l’adoption avant décembre d’un règlement européen pour protéger l’Union Européenne de rachats chinois de ses « pépites technologiques ». Outre-Rhin l’an dernier, les investissements chinois atteignaient 12,1 milliards d’€ – et sous sa législation actuelle, Berlin ne peut pas toujours s’y opposer.

Inde et Chine—nerveuse paix

En août 2017, après 6 semaines de tension au Doklam (à 5000m d’altitude), Pékin et New Delhi convenaient de se retirer derrière la « ligne de contrôle effectif » (LAC, acronyme anglophone) séparant Chine, Inde et Bhoutan. Or cinq mois après, les images satellitaires montrent qu’aucune partie n’est restée inactive. Côté chinois, se sont bâtis casemates de béton et héliports, tandis que les aéroports de Lhassa et Shigatse recevaient un renfort de chasseurs bombardiers, d’hélicoptères, missiles HQ-9 et drones de combat. Côté indien, les bases de Siliguri Bagodara et de Hasimara ont été renforcées pour y recevoir l’avion russe Su-30 MKI, nec plus ultra de la défense aérienne indienne. Contredisant ces bruits guerriers, le commandement indien au Ladakh a invité le 26 janvier la partie chinoise au 69ème anniversaire de son pays. Il attend l’invitation de retour, pour célébrer ensemble la fête nationale du 1er octobre.

Didi et la petite reine

 Quand on voit l’engorgement des trottoirs des villes sous les flots de vélos partagés, essentiellement ceux de Ofo et de Mobike, on se demande ce que Didi Chuxing vient faire dans cette galère. Le 25 janvier, ce roi des VTC (20 millions de véhicules) lance à Chengdu (Sichuan) son service de vélos partagés sous le nom de Qingju. Il a aussi arraché Bluegogo (n°4 national) à sa faillite, et pris 25% des parts d’Ofo. Il peut se le permettre, étant deuxième groupe privé mondial en capitalisation avec 65 milliards de $ et disposant en Chine de 450 millions d’usagers de ses services de transports. Cette puissance lui permet aisément de renoncer à prélever toute caution préalable sur ses vélos de location. L’argument pourrait suffire à lui faire rattraper son arrivée tardive sur ce marché. Mais son atout majeur sera d’être le seul groupe présent sur tous les créneaux du transport urbain : bus, taxi, limousines, petites reines. On le prédit déjà : les coupons de réduction vont pleuvoir pour remporter la guerre des prix !

Tencent, la forge d’un empire

Ce géant des réseaux sociaux chinois (avec 1 milliard d’usagers de « WeChat ») poursuit à marche forcée son entrée dans la grande distribution. Le 23 janvier, en synergie avec les supermarchés Yonghui, Tencent entrait au capital de Carrefour Chine. Le 29 janvier, son alliance avec Suning, JD.com et Sunac rachète 14% de Wanda Commercial, opérant 235 Wanda Plazas, qui accueillaient l’an dernier 3,19 milliards de visiteurs. Wanda Commercial avait toutefois bien besoin de ce renfort pour alléger sa dette de 44 milliards de $. Une fois ses arrières protégés par ces poids lourds du monde des affaires, Wanda Commercial compte renouer avec la croissance, espérant franchir « aussitôt que possible » la barre des 1000 plazas.

Tencent ne s’arrête pas là. Fidèle à la nouvelle stratégie publique de « halte à la spirale des prix et de la construction neuve », Tencent s’allie à Warburg Pincus et à Sequoia pour miser sur le marché locatif.  Le consortium investit  630 millions de $ dans la startup Ziroom, qui loue à long terme des logements privés sur base d’une application mobile qui « fait tout en un » : visite virtuelle, sélection du locataire (minimum de 70 points de « crédit social » au tableau d’Ant Financial), contrats, maintenance… Loin d’être la seule startup de ce type, Ziroom louait 500.000 appartements fin 2017. Il vise le double d’ici décembre.  


Technologies & Internet : L’Intelligence Artificielle, dada chinois (1ère partie)

Le 31 janvier, lors d’une réunion du Bureau Politique, le Président Xi Jinping souligna la nécessité d’« accélérer l’effort d’intégration… de l’intelligence artificielle à l’économie réelle ». D’après Forrester Research, la nation chinoise, groupes publics et privés confondus, augmentera de 8% cette année ses achats en technologies pour un montant total de 234 milliards de $. La course à l’intelligence artificielle (IA) est donc lancée dans tous les secteurs.

En matière de santé, avec 1,5 médecin par 1000 habitants, la Chine n’offre qu’une faible couverture médicale. Pour la compléter, 130 entreprises chinoises développent applications qui libèrent les médecins de certaines tâches, selon Yiou Intelligence, cabinet de consultants pékinois. Bernstein Research lui, envisage à l’horizon 2020 des investissements de 150 milliards de $ en « health tech ».

Certaines de ces recherches se font à l’international : en marge de la visite  d’Etat de Theresa May, la Premier ministre britannique, la start-up londonienne Medopad vient de signer 15 contrats pour plus de 140 millions de $, devant générer quelques 500 emplois au Royaume-Uni d’ici 2020. Le plus significatif est un partenariat avec la division médicale de Tencent, utilisant l’IA pour soutenir le diagnostic du médecin. Avec China Resources, un logiciel d’assistance au traitement des affections chroniques, sera déployé en 5 ans entre 600 hôpitaux, moyennant 51 millions de $. D’autres partenariats ont été liés avec Ping An Good Doctor, Lenovo Good Vision… D’autres applications sont 100% chinoises, telle Miying de Tencent, système d’imagerie médicale de détection précoce du cancer. Miying a  déjà trouvé sa place dans près de 100 hôpitaux au sud du pays. De même, le robot chinois d’intervention médicale d’IFlytek a reçu sa certification du ministère de la Santé. La  majorité de ces applications doivent servir à soulager les grands hôpitaux urbains, en renforçant la capacité de diagnostic et de traitement dans les petits hôpitaux de campagne.

D’autres encore visent à sécuriser et simplifier l’accès au e-commerce du 3ème âge, en mettant en lien personne âgée et sa famille pour l’aider au moment de l’achat… D’ici 2020, ce marché aujourd’hui de 30 millions d’usagers, pourrait doubler. Lire la suite…


Diplomatie : Theresa May, l’impossible visite

De Wuhan à Shanghai, en passant par Pékin, la visite de Theresa May (30 janvier-1er février) s’est déroulée en demi-teinte, en quête d’un impossible succès pour le Royaume-Uni. Quittant un marché européen qui lui assure 43% de son produit national brut (PIB), la 1er ministre tentait de lui trouver un ersatz, sur un marché chinois limité à 3,1% de ce même PIB.

La cheffe du gouvernement d’outre-Manche fut certes reçue avec tapis rouge : « le passé, c’est pour nous un prologue », devait lui déclarer le Président Xi Jinping, citant Shakespeare pour suggérer des lendemains qui chantent. Mais sur le fond, à l’issue de la visite, les espoirs de chacun restèrent déçus – c’était prévisible.

La Chine n’obtiendrait pas de Londres un chèque en blanc pour son plan BRI (Belt & Road Initiative).

Comme avant elle le Président français E. Macron et la Chancelière allemande A. Merkel, Theresa May a exigé, une « conformité aux normes internationales ». En clair, les chantiers BRI devraient être profitables aux deux parties. Pour l’heure, selon le Center for Strategic & International Studies, 89% des projets d’infrastructures réalisés dans 34 pays d’Asie et d’Europe, ont été attribuées à des entreprises chinoises.

De son côté, le Royaume-Uni devrait patienter longtemps avant de signer avec Pékin un accord de libre-échange (ALE). En effet, la Chine doit avancer très prudemment, avec une leader britannique contestée au sein de son Parti conservateur, risquant de perdre sa place à court terme. Pékin est en outre bien consciente du risque que l’Union Européenne force le Royaume-Uni en plein Brexit, à se tenir à l’écart de toute action contraire aux traités européens…

Dans ces conditions, on peut reconnaître à Theresa May le mérite d’avoir su maintenir une certaine cohérence face au partenaire chinois, et de ne s’être pas engagée dans des promesses qu’elle ne pouvait pas tenir.

En outre, le carnet de commandes qu’elle retire pour sa suite d’une cinquantaine de patrons de choc (AstraZeneca, HSBC, Jaguar-Land Rover) n’est pas négligeable : 9 milliards de £ de contrats, dont un contrat high-tech en matière de santé et 550 millions de £ pour un contrat dans l’éducation, qui renforcera la position du Royaume-Uni dans ce secteur, déjà hôte de 160.000 étudiants chinois, ce qui lui rapporte chaque année 7 milliards de $ en frais d’écolage et de logement…


Exploration : Tara, « médecin de la mer » en eaux chinoises

Tara Expéditions étudie l’impact du changement climatique sur les océans. Sa 11ème expédition (2016-2018) l’emmène dans le Pacifique, avec pour objet l’étude de l’impact du réchauffement global sur les récifs coralliens.

Sa goélette de 38m de long par 10m de large (forme en « amande », qui permet de se laisser bloquer en hibernation par les glaces polaires en en bravant la compression), sera à quai du 24 février au 4 mars à Sanya (Hainan), Hong Kong (7-15 mars), Xiamen (2-10 avril). Shanghai reçoit la part du lion avec 15 jours (15-29 avril), inaugurant un lien étroit avec ce pays.

A bord vivent 6 scientifiques aux côtés de 7 marins, d’autres membres de l’équipage consistant en artistes, journalistes, médecin ou cuisinier.

Avec un budget de 5 millions d’€ en partie couverts par le CNRS, les fondations Cartier, Veolia, Albert de Monaco, L’Oréal (parmi d’autres), la mission lui a déjà fait réaliser un tour et demi de la Terre – 60.000 kilomètres, sur les 100.000 prévus en 2 ans. Elle les a surtout faits à la voile – par principe philosophique sans compromis.

Cela ne l’empêche pas d’embarquer des instruments scientifiques les plus « avancés, telle cette machine de séquençage des génomes des coraux de la planète ». 3500 plongées à travers le Pacifique dans le « triangle de corail » ont permis de remonter 25.000 échantillons, dont une partie séquencée à bord, le reste à Paris par livraison trimestrielle par avion. Romain Troublé, chef de la mission commente : « nous appliquons à la mer cette technique génomique conçue pour la médecine humaine. Car la mer est malade, et voit son mal empirer brusquement : 20% des coraux ont déjà disparu. Ceci nous aidera peut-être à trouver le remède ».

La maladie se présente comme un blanchissement accéléré des massifs : 8 jours dans cet état rendent leur condition irréversible, « morts de faim », par disparition du plancton sous l’effet de la pollution et du réchauffement global.

De traversées et escales, le bateau se partage entre recherche scientifique et communication. Deux ans avant le départ, les recherches à exécuter à bord ont fait l’objet d’une rigoureuse sélection à partir des proposition de dizaines d’instituts et universités. Une fois à bord, chacun des six scientifiques embarqués, issus de ces instituts, doit exécuter les recherches pour le compte de tous les autres. Les résultats seront mis à disposition de la communauté internationale.

Tara envoie aussi, chaque jour, les derniers résultats et articles, attendus par les revues scientifiques mondiales, ainsi que ses reportages, photos et vidéos, ayant alimenté 10.000 publications dans les médias.

Une part importante du temps de la mission se passe dans les ports, à accueillir les visiteurs, avec priorité aux classes d’élèves : Tara veut les conscientiser sur l’aspect matriciel de la mer et de ses coraux, qui concentrent 30% de la biodiversité marine, sur 2,2% de la surface de la planète bleue.

Xiamen sera un temps fort de l’étape chinoise, en raison de sa vocation nationale en océanographie, une filière d’étude de son université. Celle-ci a d’ailleurs armé en 2017 un navire de recherche ultramoderne de 77m de long, le Tan Kah Kee (cf photo). Avec le concours du professeur Dai Minhan, francophone formé à Paris, une mission chinoise est en place, qui se veut sœur de la mission Tara. Agissant sous des protocoles et normes harmonisés, les équipes vont travailler en complémentarité, Tara sur les coraux et Tan Kah Kee sur les récifs.

Tara prépare déjà sa prochaine mission, Tara Arctique qui quittera son quai lorientais en 2020. Un des six scientifiques sera Chinois et devra exécuter une partie des nombreuses expériences et recherches commandées par toute la Chine—une fois validées par la direction française. Cette coopération qui naît aujourd’hui fera parler d’elle dans les années à venir.

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Car dès à présent, la Chine ne cache plus ses ambitions sur les régions arctique et antarctique. Depuis 2013 membre observateur au Conseil Arctique, elle a publié son premier « livre blanc » sur cette immense région s’étalant au large de la Scandinavie, de la Russie et du Canada.

La Chine s’intéresse au gaz naturel sibérien qui doit lui fournir 4 millions de tonnes de GNL par an, une fois le gisement de Yamal opérationnel. Elle se prépare à faire emprunter à ses navires la route maritime nordique, qui lui promet, durant les mois d’été (hors période de gel), d’économiser 20 jours de navigation sur 48, par rapport à l’itinéraire traditionnel via le canal de Suez.

Tous les pays, surtout les riverains de l’Arctique et de l’Antarctique, ne voient pas d’un bon œil cet intérêt chinois pour ces espaces encore sauvages, riche en faune quasi-inexplorée et en ressources minérales immenses (30% du gaz du sous sol terrestre). Pour se faire accepter, elle compte sur sa capacité à cofinancer des projets. Peut-être par l’intermédiaire de son plan mondial des projets BRI (« Belt and Road Initiative »), doté officiellement de 1000 milliards de $ de crédits chinois, publics et privés…


Petit Peuple : Wudashan (Sichuan) : He Xiaoping, le terrible secret de famille (1ère partie)

Ce jour de mai 1988 au village de Wudashan, près de Nanchong (Sichuan), les noces furent expéditives. Le maire nota au registre les noms de He Xiaoping (cf photo) et Liu Xiaoqiang, les mariés ; les familles se réunirent autour d’un banquet simple ; et les époux se retirèrent dans leur très modeste home sweet home. Dès le lendemain, ils reprirent leur routine, et se levèrent au chant du coq pour rejoindre les champs—ils avaient tous deux 18 ans.

En novembre 1989, Xiaoping alla seule au dispensaire pour accoucher – Xiaoqiang lui, était à Chengdu, sur un chantier. Durant sa grossesse, Xiaoping n’avait pu se reposer un seul instant. C’est sûrement pour cette raison que le poids du nouveau-né était trop faible. Les jours suivants, le bébé refusa les tétées. 40 jours plus tard, dans la nuit noire, la mère le retrouva inanimé. Alors, elle prit la dure décision d’aller à l’aube, l’enterrer elle-même au bord du fleuve. Les voisins la plaignirent—même si par derrière, ils se demandaient ce qu’elle avait bien pu faire pour mériter ce châtiment du Ciel ! L’ancien du village vint la voir : « ton tronc céleste et ta branche terrestre te prédestinent à une vie difficile, fit-il, pour conjurer le sort, tu devras élever un enfant né d’une autre femme ». Cette prédiction ébranla Xiaoping sur le coup, mais elle ne perdit pas espoir. Un an plus tard, elle tomba à nouveau enceinte. Puis en décembre 1991, elle accoucha encore une fois seule d’un petit garçon, Liu Jinxin, littéralement son « cœur en or ». Malheureusement, il était tout aussi chétif que le premier. Et le cauchemar se répéta : maigre à fendre le cœur, le nourrisson ne prenait pas son lait. Dans ce logis glacial, non chauffé par manque de moyens, le petit Jinxin menait contre la mort un combat inégal. Hélas, l’enfant ne survécut pas plus longtemps que le premier : il décéda après six semaines.

Paniquée, il apparut soudain à Xiaoping qu’elle et son mari seraient mis au ban du village, si elle avouait ce nouveau décès. Ils seraient considérés comme maudits du ciel, ce qui les mettrait de suite dans la catégorie des parias—pour éviter toute contagion du mauvais sort. Psychologiquement, Xiaoping n’était pas non plus prête à accepter ce second décès. Le soir, elle donna alors 10¥ à l’idiot du village pour aller enterrer le petit corps.

Le lendemain, comme si de rien n’était, un couffin bourré de linge sous le bras, elle prit le bus pour Chengdu, pour « passer quelques semaines avec Xiaoqiang et le bébé ». A son arrivée, Xiaoqiang s’étonna auprès d’elle de ne pas voir son fils, qu’il attendait de rencontrer pour la première fois avec impatience ! Pour seule réponse, Xiaoping se mura dans le silence, les larmes aux yeux… Il comprit de suite et n’insista pas. Durant 4 mois, Xiaoping resta renfermée, secrète dans sa douleur, hantée par la malédiction.

Un vendredi de juin, sans avertir son mari, elle prit la direction de Chongqing. Là-bas elle fut hébergée chez son oncle, Lin Jiangmen, qu’elle avait contacté la veille. Il la reçut en son appartement de Jiefangbei en banlieue. Le soir à table, il lui conseilla : « pourquoi ne ferais-tu pas ‘ayi’ (nourrice) ? Il y a beaucoup de demandes pour s’occuper des enfants… Ça te permettrait de voir venir ! Va donc faire un tour au marché à l’emploi de Chuchimen, à trois arrêts de bus ». « Mais, objecta-t-elle, pour ça il faut des papiers. Et moi, j’ai laissé les miens au village ». « Et bien, j’ai la carte d’identité qu’une cousine a laissée chez moi, prends-la, tu la rendras quand tu auras le boulot », répondit-il.

Le lendemain, Xiaoping se trouva sur place, debout côte-à-côte avec d’autres migrants, tenant droit son panneau manuscrit qui indiquait le nom et l’état civil de la cousine, et bien sûr, l’emploi de maison qu’elle visait. Il ne fallut pas 5 minutes pour que le poisson morde : un homme sur sa trentaine se présenta, recherchant une nounou pour s’occuper de son fils, âgé de quelques mois seulement. Etudiant le visage de Xiaoping, il lui posa quelques questions sur sa vie, son expérience et ses attentes salariales. Détail qui devait s’avérer crucial, l’homme regarda à peine la carte d’identité, et soucieux d’épargner les 5¥ de l’enregistrement du contrat, il l’emmena sans passer par le bureau du marché, qui aurait tout de suite repéré l’usurpation d’identité. La chance semblait être à ses côtés pour une fois !

Chez l’employeur, le bébé lui fut présenté. Peu farouche, il se laissa bercer – un geste qui fit fondre le cœur de Xiaoping, et la détermina à poursuivre son plan.

Durant le week-end, les parents lui expliquèrent comment s’occuper de leur bambin, l’habiller, le nourrir, le laver…

Le lundi matin, vers sept heures, après avoir donné sa bouillie au petit, la mère partit pour l’hôpital où elle travaillait comme infirmière. Dix minutes plus tard, ce fut au tour du mari de prendre le chemin de sa plantation, étant pépiniériste. Le cœur battant, Xiaoping attendit encore 15 minutes, puis passa au petit son anorak, ses moufles, le prit dans ses bras et descendit. Parvenue au portail, elle crut défaillir, quand le vieux garde l’apostropha : « tu pars faire les courses ? ». Le « oh ! » étranglé de sa réponse, put heureusement passer pour un « oui ».

Puis elle fila droit à la gare routière, où elle prit un ticket pour Wudashan, via Nanchong, à 200 km. A bord du bus, terrorisée mais triomphante, elle contemplait son nouveau fils, l’avatar du disparu. Sans tarder, elle commença à l’appeler « Jinxin », du nom de son second fils décédé.

Elle le savait, et elle l’assumait, elle venait de piéger le destin, tricher et commettre un crime. Elle avait semé le malheur dans une famille, « volé la poutre faîtière et ôté les piliers » (偷梁换柱 – tōuliáng huànzhù). Elle devrait désormais vivre avec le poids de cette faute – sous la terreur constante de voir la police débarquer…

Comment cette aventure terrible va-t-elle se poursuivre ? On le saura la semaine prochaine !