Le Vent de la Chine Numéro 24 (2018)

du 17 juin au 30 juin 2018

Editorial : Et vive le courant vert !

À l’ouverture de la Coupe du Monde de football à Moscou (14 juin), la Chine se classait « 8ème » … en achats de billets, avec 40.251 tickets acquis par ses fans ! C’est une manière de se consoler de ne pas voir son « Onze national » participer à la fête du ballon rond. La Chine sera aussi présente par ses millions de mascottes made in Zhejiang leurs copies piratées sont déjà détruites par la police— et surtout par ses sponsors à la FIFA, tels Vivo (400 millions de $ sur 6 ans), Wanda, Hisense ou Mengniu. Tous ces petits faits sont symptômes d’une seule et même réalité : l’Empire du milieu de terrain se languit de trouver la formule pour enfin voir son équipe défendre à la Coupe du Monde sa couleur écarlate aux cinq étoiles !

En un domaine bien différent le 8 juin, Alibaba Cloud lançait en Chine rurale sa dernière technologie révolutionnaire : ET Agricultural Brain. Dans les fermes, elle propose d’installer un réseau de capteurs et de cameras à reconnaissance visuelle pour surveiller le terrain et le climat. Analysées par un logiciel, les données récoltées alertent le paysan sur les tâches à faire en temps réel. Alibaba ne produit rien lui-même, mais vend aux grands groupes et aux coopératives le matériel, incluant une formation d’instructeurs qui relaient ensuite le savoir-faire aux paysans. 

Cette technologie, expérimentée par le groupe porcin Tequ au Sichuan, a permis d’augmenter la taille des portées de chaque truie de 3 porcelets par an. Des progrès obtenus en tatouant sur chaque porcelet un code et en créant sa fiche individuelle. La période de chaleur de la truie est notifiée, tout comme le risque d’écrasement des petits après avoir mis bas—leurs cris sont détectés par un système de reconnaissance vocale qui transmet l’alerte. 

De la même manière, Alibaba a permis à Haisheng, groupe de fruits et légumes, d’économiser 3 millions de $ en un an, en détectant le meilleur moment pour récolter le raisin de table et en prévenant les dégâts d’insectes sur ses pommes.
Ailleurs, à Cha’an (Anhui), ZhongAn Technology (propriété d’Alibaba, Tencent, et les assurances ZhongAn) lançait en juin 2017 le projet GoGo Chicken, basé sur une « blockchain » de données, ouvertes et inviolables. Plus de 100.000 poulets élevés en plein air, portent dès la sortie de l’œuf, une bague à la patte stockant ses données d’élevage (génétique, âge, marche à l’air libre par jour, alimentation, suivi vétérinaire). Consultable via une application mobile par le client final, cette fiche individuelle constitue une irréfutable garantie de qualité par la traçabilité, et renchérit les prix (jusqu’au triple de ceux de la concurrence). Ce système a été classé parmi ceux nationaux de lutte contre la pauvreté.

Depuis décembre 2017, JD.com, en lien avec Walmart, IBM et l’université Tsinghua, a lancé une « alliance de sécurité alimentaire par Blockchain », centre de recherche de traçabilité des aliments par cette technique informatique, exploitable dans ses galeries digitales et ses magasins propres (7Fresh). JD devrait lancer une plateforme « blockchain » dédiée au bœuf australien, permettant au client de vérifier ses ascendants génétiques, son alimentation… Blockchain et intelligence artificielle font donc leur arrivée dans l’agriculture chinoise. Ces outils ne sont pas une solution immédiate, ni universelle à la diversité des situations du monde rural. Mais la Chine avance à grands pas !

Dernier domaine : l’environnement. Le ministère envoie 18.000 inspecteurs, répartis en 200 groupes d’intervention dans 6 provinces du bassin du Yangtzé, arpenter durant 10 mois tous les secteurs, de l’énergie aux transports, de la construction à l’agriculture. Des milliers de fermetures sont à attendre, usines obsolètes, PME polluantes… Shanxi et Shaanxi, les provinces traditionnelles à houille, sont spécialement visées. Li Ganjie le ministre de l’Environnement affirme que : « nos inspections font partie d’un mécanisme à long terme pour améliorer la qualité de l’environnement, elles ne sont pas qu’un simple courant d’air ».


Dernière minute : Chine/USA – L’incendie, ou juste la fumée ?
Chine/USA – L’incendie, ou juste la fumée ?

Le 15 juin, Donald Trump a confirmé la guerre commerciale à la Chine en validant une liste de produits taxables à 25% pour un total de 50 milliards de dollars, dont 34 milliards à compter du 6 juillet et 16 milliards « après consultations ».

Les produits visés sont à haute technologie, microprocesseurs ou biotechnologie, d’une catégorie soutenue par l’Etat chinois dans le cadre du plan « made in China 2025 ». Trump, et avec lui l’Union Européenne, reprochent à la Chine de forcer les entreprises étrangères à céder leurs technologies d’avant-garde, en échange de leur accès au marché chinois, puis de fournir la « recette » à la concurrence locale, agrémentée de dizaines de milliards de $ de subventions pour cloner des produits rivaux.

Ce n’est donc pas que la balance commerciale que Trump défend (déséquilibrée de 375 milliards de $ en faveur de la Chine), mais bien l’avenir industriel des Etats-Unis.

A peine le communiqué américain publié, Pékin rétorquait par une réponse « miroir » : il frappait de 25% de taxes 50 milliards de $ de marché américain en Chine, dont 34 milliards sur le champ, sur le soja, le maïs, le porc, les fruits secs, les automobiles. Concernant cette dernière catégorie, un million de ventes de voitures made in USA pourraient être perdues. 

Curieusement, les premiers commentaires venus d’Outre-Pacifique se veulent lénifiants, presque rassurants. « Tout dépendra de Trump, s’il ne poursuit pas par une série de nouvelles contre-mesures, le conflit restera limité, davantage une escarmouche qu’une guerre commerciale ».

Sous cette perspective, le fait pour chaque camp de laisser provisoirement sous le boisseau un tiers des sanctions, signifie une main tendue de part et d’autre vers la négociation, tout comme l’allusion appuyée de Trump, à son amitié « précieuse » avec son homologue Xi Jinping. Peut-être même la perspective d’une descente infernale vers un conflit destructeur, et la crainte des industriels et des provinces chinoises d’une chute en récession, laisseront-t-elles paradoxalement à Xi davantage de latitude pour transiger sur ce que les USA veulent voir disparaître : le très chauvin plan « made in China 2025 » !

Tout reste donc très ouvert. Dans la vaste partie de poker politico-financière engagée avec Xi Jinping quelques mois plus tôt, Trump vient de doubler la mise, et Xi a suivi. La partie, désormais, peut soit exploser, entraînant finance et courants d’affaires mondiaux vers le trouble, soit se dégonfler. Au risque de laisser entier le problème à la racine de la crise, à savoir le protectionnisme patriotique chinois, incompatible avec des échanges mondialisés.


Corées : Trump et Kim à Singapour—Le tournant de l’histoire

A Singapour, le 11 juin encore, nul n’imaginait comment se déroulerait la rencontre entre les Présidents D. Trump et Kim Jong-un, à la tête de pays techniquement en guerre depuis 70 ans, qui se traitaient de « fous » huit mois plus tôt. Tous deux avaient depuis lors semblé changer leur fusil d’épaule –mais ils étaient aussi réputés pour leurs esprits fantasques et leur propension aux sautes d’humeur. À sortir de sa tanière, Kim prenait un risque pour sa sécurité, et un autre en promettant le démantèlement de son arsenal nucléaire, qui était une assurance-vie pour son régime ! Or ce qu’on vit le 12 juin à Singapour dans le complexe hyper sécurisé de la Sentosa, fut un jeune nord-coréen décontracté et sans complexe, et une figure amicale, presque paternelle du Président américain.

A l’issue du sommet, les hommes cosignaient une déclaration majeure pour l’avenir. Trump promettait à Kim de préparer un traité de paix, et des garanties de sécurité pour son Etat stalinien. L’annonce ne fut pas bien perçue à Séoul (que Trump avait omis d’avertir), qui répliquait qu’une telle suspension « devait faire l’objet d’une concertation préalable » !

Mais Trump ne s’arrêtait pas là et adressait à Kim une invitation à la Maison Blanche, envisageait une visite à Pyongyang et des aides à la reconstruction. Il promettait le départ des 28.000 GI’s de Corée du Sud « mais pas pour tout de suite ». Et il suspendait même « immédiatement » les manœuvres annuelles américano-sud coréennes durant « la durée des palabres ».

Mais les concessions étaient unilatérales, non réciproquées par Kim qui n’apportait qu’une promesse de rapatrier « rapidement » les restes des soldats américains morts au champ d’honneur durant la guerre de Corée. Ce faisant, Kim permettait à la presse américaine de l’accuser de reculade, et d’exprimer son opposition à Trump et sa méfiance envers le petit dictateur qui « n’a jamais tenu une seule de ses promesses »…

Il faut rappeler l’histoire et les faits, qui sont têtus. En 1994, à l’initiative de Bill Clinton qui visait un règlement de cette vieille crise, son prédécesseur Jimmy Carter s’était rendu à Pyongyang négocier un accord de démantèlement du programme nucléaire, contre une fourniture par l’Occident d’une centrale conventionnelle et d’autres aides au développement. Mais juste après ce traité historique, arrivait à la Maison Blanche George Bush Jr. À l’unisson avec un lobby ultraconservateur républicain, il décidait de casser l’accord. Pour lui, la Corée du Nord n’était qu’un maillon d’un axe du mal. Du coup, Kim Jong-il, le despote de l’époque, n’avait d’autre choix que de reprendre sa course à l’arme nucléaire, ce que son fils achevait en 2017.

Dès lors, du point de vue du « pays du matin calme », tout accord signé avec les USA suscitait la méfiance au risque d’être considéré comme un chiffon de papier. Sauf si le signataire américain sortait loin de ses bases pour démontrer sa sincérité. C’est ce qu’a fait Trump, investissant sur l’avenir. M. Pompeo, son négociateur, rencontrait ses interlocuteurs sud-coréens et chinois les 14-15 juin. En l’absence de définition commune du travail de dénucléarisation, d’un inventaire-même des entrepôts, centres logistiques et de stockage, et du nombre des bombes, le Secrétaire américain espère voir l’essentiel du décommissionnement terminé fin 2020.

Suite au sommet à Singapour, Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, contenait mal sa discrète exultation de voir s’accumuler tant d’éléments favorables à son pays. « Ne pas doutez pas, devait-il déclarer, que la Chine jouera un rôle central dans la résolution du conflit » – ce à quoi Trump répondait le 14 juin : « oui, plus tard, sans doute… Mais pas tout de suite ».

La Chine désirait être présente au sommet de Singapour, et le fut par avion interposé : Kim avait voyagé à bord d’un Boeing 747 d’Air China prêté par la Chine – un choix du jeune leader, dû au souci de montrer qu’il ne se jetait pas sous l’ombrelle américaine, mais maintenait une cauteleuse équidistance entre les deux superpuissances.

Mais la confiance n’est pas non plus démesurée vis-à-vis de Pékin. Depuis son arrivée aux affaires en 2012, Kim a fait exécuter 140 apparatchiks, parmi lesquels un oncle et un demi-frère, notoirement proches de la Chine. Les retrouvailles avec Moon Jae-in, le Président sud-coréen, le 27 avril à Panmunjom, ne laissent aucun doute sur ce que veulent les Coréens : ni les USA, ni la Chine, mais leur rapprochement national.

La Chine donc, réaliste, est prête à se contenter ici d’un rôle de « médiateur », garant de l’accord futur. Elle se réserve pour la reconstruction, dans laquelle elle vise la part du lion, étant mieux placée sur ce domaine, avec ses prix bas, ses capacités de financement et ses technologies adaptées aux besoins d’un pays où tout reste à faire. De plus, Kim s’intéresse aux « zones économiques fermées », dites « en moustiquaires », qui permettent depuis 30 ans en Chine du développement in situ sans déstabiliser le système socialiste ailleurs dans le pays. En Corée du Nord, deux zones sont sur les rangs : Wonsan, zone « touristique spéciale » où Kim veut déverser un milliard de $, et Kaesong, proche du 38e parallèle.

Finalement, Chine et Corée du Nord veulent prendre Trump au mot : « puisque l’heure est à la détente », pourquoi ne pas ajuster (lever) les sanctions ?  Et pourquoi ne pas évacuer les deux rampes de missiles anti-missiles THAAD installées près de Séoul par l’US Army—lesquelles depuis deux ans ont causé, par rétorsion chinoise, une chute des échanges avec la Corée du Sud ? Mais là aussi, la réponse de Trump, par M. Pompeo interposé, ne tarda pas à fuser : « pas de début de levée des sanctions, avant la fin complète et vérifiée du démantèlement de tout l’arsenal nucléaire nord-coréen ».


Diplomatie : SCO : Un axe Poutine—Xi Jinping

Agée de 18 ans, l’Organisation de Coopération de Shanghai (SCO), d’un formalisme un rien aride, n’attire pas les foules, faute d’y voir quelque événement notable se produire.

A l’origine, la SCO avait été conçue par la Chine et la Russie pour encadrer quatre Républiques d’Asie Centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan) et les aider à combattre les fièvres intégristes et sécessionnistes venues de Syrie et d’Afghanistan.

Cependant suite à sa 18ème session plénière à Qingdao (9-10 juin), cette alliance change d’image : le faste déployé à cette occasion par la cité portuaire du Shandong, et l’unité affichée par ses membres lui ont donné bonne figure, face à l’autre meeting du G7 près de Québec (Canada), qui s’achevait au même moment dans le tumulte sous les coups de boutoir d’un D. Trump résolu à démolir toute forme de coopération multilatérale.

« Pour l’événement, la métropole de 9 millions d’âmes avait retoqué son décor pour 2 milliards de $, sans regarder à la dépense », notait Olivier Baleix, représentant de la CCIFC à Qingdao. Il ne lui avait fallu que six mois pour faire faire peau neuve à sa marina olympique, substituant d’un coup de baguette magique un complexe commercial encore neuf (datant de 2011) par un centre de presse, futur Palais des Congrès, aux frais de Haier, le conglomérat industriel de la ville. La City de Qingdao CBD était mise en perce pour recevoir des adductions d’eau, de gaz, de fibre optique…

Au plan sécuritaire, la ville était sous haute surveillance, avec multiples points de contrôles d’identité, les habitants invités à prendre des vacances (ou à se terrer chez eux, rideaux tirés) tandis que les livreurs d’eau potable étaient forcés à cesser leur distribution durant une semaine. Le soir du gala, Qingdao s’illuminait sous les feux d’artifices à travers la baie, sous des splendeurs inédites dans son histoire.

Il faut dire que Qingdao avait la lourde tâche de recevoir les gouvernants de 40% de l’humanité et 20% du PIB mondial. Deux nouveaux membres (depuis 2017), Inde et Pakistan, 4 membres observateurs dont l’Iran, et 6 partenaires de dialogue, faisaient de la SCO un nouveau poids lourd mondial, arrimant à la Chine la quasi-totalité de l’ex-empire soviétique, du sous-continent indien, du Golfe persique et les franges de l’Europe.

Premier résultat : on a vu s’assouplir le couple Inde/Pakistan, d’ordinaire peu prêt aux concessions. Sous les regards de 26 autres pays membres ou invités, les deux pays se trouvaient soudain davantage à l’écoute. Certes, le Président indien Modi maintenait à Qingdao son rejet à la stratégie BRI des « routes de la soie ». Mais il approuve soudain les projets chinois de connectivité au couloir économique Chine-Pakistan (CPEC) via la partie pakistanaise du Cachemire, que New Delhi revendique toujours, « à condition que les projets soient inclusifs, transparents et respectueux de la souveraineté…». Face à l’Inde, la Chine de son côté s’est engagée à communiquer sur ses projets de barrages sur le Brahmapoutre, fleuve nourricier d’Asie du Sud-Est.

L’Iran, observateur, n’a pas été inclus comme membre, mais son adhésion est inéluctable : Trump est en train d’arracher l’Iran (comme d’autres) à l’attraction euro-américaine et de le jeter dans les bras de la Chine et de la Russie.  

Le temps fort de la rencontre a été l’approfondissement de l’alliance sino-russe, soudée par l’amitié personnelle de leurs leaders Poutine-Xi Jinping. Le Président chinois n’a épargné aucun effort pour montrer au monde la solidité du lien, citant Poutine comme son « meilleur ami » et lui réservant à la TV la première « médaille chinoise de l’amitié ».

Dans le passé pourtant, même dans le cadre de la SCO, Pékin n’avait soutenu Moscou ni dans sa frappe sur la Géorgie (2008), ni sur celle de la Crimée (2014), ni sur son intervention en Syrie (2015). Moscou de son côté, se méfie du plan BRI en Asie Centrale, qu’il considère toujours comme sa chasse gardée.

Ce malaise quant à l’influence chinoise sur cette région d’Asie Centrale, peut expliquer la modestie de la dotation chinoise, 4,7 milliards de $ seulement, confiés à un consortium interbancaire géré par la SCO pour des projets d’équipements. On a vu mieux…Xi donnait néanmoins rendez-vous à ses partenaires lors de la nouvelle foire BRI dont la séance inaugurale est pour novembre à Shanghai. 

Néanmoins, en bilatéral, Poutine et Xi ont signé le plus grand projet nucléaire jamais réalisé par la Chine avec le monde extérieur. Quatre centrales nucléaires de Rosatom (capacité d’1,2GW, prix de 3,62 milliards de $, modèles VVER de 3ème génération) représentent la plus grosse commande de centrales en Chine en 10 ans, et deux d’entre elles sur le site de Xudaobao (Jiangsu) vont se substituer aux projets américains d’AP1000 qui y étaient initialement pressentis. Les réacteurs seront russes, les turbines chinoises. Autant dire que sur cette filière, la Russie a le vent en poupe !

La Russie s’engage aussi à aider la Chine à maîtriser sa technologie du surgénérateur, et va lui fournir des composants nucléaires thermoélectriques conçus pour fonctionner sur la Lune, en vue d’une exploration conjointe du satellite de la Terre. L’ampleur totale potentielle de ces contrats nucléaires atteindrait 15,38 milliards de $. C’est un pas peut-être définitif, dans le partenariat nucléaire chinois.


Monde de l'entreprise : Les routiers se fâchent
Les routiers se fâchent

En mai, les grutiers se mettaient massivement en grève dans 20 provinces, dénonçant les bas salaires, les heures supplémentaires  impayées et l’irrespect de la loi. Or, les 8-10 juin, c’était au tour des camionneurs de se rebeller dans 11 provinces dont Chongqing et Shanghai, pratiquant « go-slow », klaxon, déploiement de calicots et chants de slogans !

Les routiers s’élevaient contre l’explosion des prix du diesel (+25% en un an, à 7¥/litre) et des péages,  les taxes abusives, l’anarchie réglementaire : certains transporteurs achètent des passe-droits (telles les plaques militaires) leur permettant de casser les prix. Les autres survivent en dépassant la charge autorisée.

Mais le gros de la colère va contre le groupe Manbang, issu de la fusion entre deux géants du transport routier qui créent de facto un monopole en défaveur des camionneurs. Depuis le 4 juin, leur plateforme en ligne adjuge les contrats de charge par enchères négatives — le chauffeur n’obtient la course qu’en proposant le prix le plus bas. Or, au terme d’une enquête de 2016, 71% des routiers sont « auto-entrepreneurs », propriétaires de leur semi-remorque, endettés jusqu’au cou auprès des banques, et vivant à bord tout en roulant 12h par jour, pour éviter de rater le défaut de paiement et la saisie du véhicule. Le nouveau système ultralibéral ne leur laissait donc pas le choix !

Comme pour dans le cas des grutiers, le ministère de la Sécurité publique, préparé, a évité le piège de la frappe aveugle, offrant en bord de route des cabines de repos et des repas. Mais le conflit se poursuit : nombre de camions de briseurs de grève ont été vandalisés par les manifestants. Pour désamorcer le conflit, il faudrait des discussions entre donneurs d’ordre et routiers, un accord de branche — on en est loin !

Une des leçons de cette affaire, est que les travailleurs commencent à dépasser l’anathème idéologique de l’Etat contre les syndicats libres. Ils ont pour cela un nouvel outil, WeChat, et le précédent d’autres luttes que l’Etat ne peut plus empêcher. Autre leçon : la crise commence à mordre. Tous les métiers souffrent de la raréfaction du crédit –même les villes voient se réduire leurs recettes de taxes, et doivent pourtant faire face à toujours plus de charges (retraites, santé, écoles…). D’autres mouvements sociaux couvent, comme celui des livreurs de repas. Cette crise est fâcheuse, alors que menace le conflit commercial avec les USA – il pourrait renforcer, dans l’immédiat chez Xi Jinping, la tendance à l’accommodement.


Défense : Remous sur les mers de Chine du Sud

Les tensions en mer de Chine du Sud sont un sujet récurrent de l’actualité. Le 6 juin, l’APL démontait ses missiles sur l’île Woody, en l’archipel des Paracels. Mais le 8 juin, un cliché satellite prouvait le retour de ces rampes, faisant suite au passage de deux bombardiers américains B52 en bordure de l’archipel des Spratley.

La prise des Paracels par l’APL en janvier 1975 suite à une victoire sur le Vietnam, est une des racines du sentiment anti-chinois dans ce pays. Les 10-11 juin en province de Binh Thuan (centre Vietnam) et à Ho Chi Minh, des manifestations rassemblaient des milliers de citoyens contre un projet de loi ouvrant aux investisseurs étrangers trois zones industrielles au Nord, Centre et Sud, promettant des terres pour 99 ans. Les opposants crient à l’abandon de souveraineté. 100 personnes étaient arrêtées. Il faut dire que la Chine est un vrai levier d’investissement local (en 2016, la Chine doublait ses investissements au Vietnam pour représenter 8% du total des investissements étrangers), mais l’opinion redoute cette mainmise. Le sujet est sensible : le 11 juin à Hanoi, le Parlement reporta le vote à octobre, et le Premier ministre promit de réduire la durée – à 70 ans maximum. En clair, les tensions vont demeurer… « Mais les liens d’affaires avec la Chine ne seront pas inquiétés, du fait des forts intérêts de la classe politique vietnamienne », estime le professeur Tuong Vu de l’Université de l’Oregon.

Toujours en mer de Chine du Sud, l’orgueil de la marine française, le porte-hélicoptères Dixmude, fait parler de lui : fin mai, il traversait les Spratley dans le cadre d’une mission Jeanne d’Arc 2018 passant par l’Australie et le Vietnam. Le Dixmude était suivi dans la zone par une série de corvettes et de frégates de l’APL qui lui intimaient de quitter « leurs » eaux. C’était pour maintenir le principe de la liberté de navigation dans une zone que la Chine considère en partie comme son territoire. C’était aussi pour épauler la marine américaine, et contester l’interprétation par la Chine des incursions de l’US Navy comme « acte d’expansionnisme ». Florence Parly, ministre français de la Défense, passe ainsi le message : « le fait accompli (de l’occupation des îles de mer de Chine su Sud) n’est pas un fait accepté ».

Enfin, selon les chercheurs français J.Y. Heurtebise et E.D. de Prisque, le rapprochement de Trump et de Kim Jong-un ne peut que contrarier Pékin sous l’angle maritime : si la fin des hostilités avec la Corée du Nord se confirme, Washington pourra s’opposer à temps plein à l’enracinement de l’APL sur ces îlots à 2000km de ses côtes. Et la Chine se trouvera toujours plus marginalisée !


Petit Peuple : Harbin – La libération contrariée de Wang Shoushan

Wang Shoushan, balayeur de 64 ans à Harbin, était né dans le Zhejiang, une des provinces les plus prospères du pays, dont il avait été chassé durant son enfance par la Révolution culturelle. Dans les années 60, ces tumultes avaient très vite contaminé son village, forçant l’école à fermer. Manipulé et enrôlé comme Garde Rouge, il avait alors participé au « procès populaire » de son prof, paradé avec un bonnet d’âne. Bientôt, sa brigade l’envoyait trimer en une commune populaire du Dongbei, où il devait rester jusqu’à la mort de Mao en 1976.

Lors des corvées quotidiennes, de nettoyage ou de cuisine, il se retrouvait fréquemment avec Li Hongye, une fille de son âge—ensemble, ils se débrouillaient pour échapper aux critiques et punitions, se soutenaient, et secrètement, s’aimaient. A la fin de cette période sombre, à 22 ans, ils reçurent l’autorisation de se marier. En prime, ils purent monter à Harbin,  dont elle était originaire. 

Les premières années filèrent dans l’insouciance : ils savaient se contenter de peu, et trouvaient du travail –les usines tournaient. Les soucis arrivèrent à l’aube des années ’90 : les usines d’Etat se mirent à fermer, incapables de résister à la rivalité de Shanghai et Canton. Alors, Shoushan connut le chômage…

Après des années creuses, il eut la chance qu’un copain de la mairie lui décroche un job de balayeur, mal payé mais qui lui assurait, outre 400 ¥ par mois, une mince assurance médicale. Vêtu d’un gilet municipal complété d’une casquette kaki, Shoushan balayait 12 heures par jour, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente.

En 2008 à 54 ans lui vint le vague à l’âme. La vieillesse toquait à la porte de son corps, sous forme de rhumatismes. A la maison, Hongye lui reprochait leur pauvreté : « si t’avais étudié, on s’rait déjà riches maintenant » !

Défié, Shoushan entreprit d’apprendre la langue de Shakespeare : un choix qui correspondait au désir de rattraper le temps perdu, mais aussi à un rêve d’évasion vers de nouveaux paradis lointains et anglo-saxons. Chaque lundi matin, il prenait congé, et un bus d’une heure pour suivre les cours gratuits à l’université. À la sortie, il en redemandait, en priant les étudiants avancés de corriger son accent.

Le reste de la semaine, depuis 10 ans déjà, Shoushan prend sa rue pour une vaste salle d’étude à ciel ouvert. Posant contre un poteau son balai et sa pelle, il déploie ses « outils » récupérés dans les poubelles. L’école voisine lui fournit bouts de craie, crayons cassés (qu’il retaille), cahiers aux trois-quarts griffonnés et annotés de rouge, pages de devoirs d’anglais déjà faits… Il gomme les réponses et refait les exercices. Puis il déclame les textes, tentant bravement de deviner le sens des mots, pour la plus grande joie des riverains dont il est devenu la mascotte ! Il calligraphie sur le trottoir, avec pleins et déliés, ses propres compositions en anglais. 

Le plus grand bonheur, hélas trop rare, advient lorsqu’il tombe sur un étranger. Audacieusement, il l’apostrophe en son sabir bilingue, et cela lui permet d’obtenir cinq minutes de pur anglais volé ! 

Dans ses poèmes de trottoir, Shoushan raconte avec nostalgie son pays natal : « je naquis en un village du Zhejiang, où la terre est riche, et où les 600 habitants sont merveilleux ». De la sorte, il idéalise son pays, jardin d’Eden, paradis perdu. Mais le disant en anglais, il ôte à sa complainte toute velléité de critique contre la société ou le Parti, une attitude qui n’est jamais bien vue en Chine.

« Je veux maitriser un anglais correct », crayonne-t-il encore à la craie, « notre patrie vit de grands changements, et l’anglais est une langue internationale ». Ce disant, il lève le coin du voile sur son rêve illusoire de trouver à son âge un métier mieux payé, d’accéder enfin à l’aisance et au respect, dont il a manqué. Shoushan veut prouver qu’il n’est pas « inférieur aux autres »  (自惭形秽 – zìcán xínghuì). À ces envolées littéraires, Hongye rétorque, un rien acide : « mais réveille-toi, vieux fou, c’est toi qui as fichu ta vie en l’air. C’était à 25 ans qu’il fallait réagir. Laisse tomber… Sinon, quand t’auras 80 ans, tu vas vouloir apprendre la trompette et t’époumoner devant moi, jusqu’à pousser ton dernier souffle » !

Relatant la dispute à un journaliste venu l’interviewer, Shoushan révèle son grand rêve, en un soupir : se retrouver en Angleterre, en Australie, en Amérique – n’importe où où l’on parle anglais. Là, il n’en doute pas, commencera pour lui la « vraie vie », où pourra enfin tester ses capacités linguistiques. Car sa hantise, il l’avoue bien volontiers, est d’avoir végété, fait du sur place depuis 10 ans : de demeurer un perdant, dans ses études anglaises comme dans tout ce qu’il entreprend…

Ceci explique le coup inattendu qu’il tente auprès du journaliste : « s’il vous plait, j’ai un service à vous demander… ». Et sans attendre la réponse, il lui sort anxieusement un gros portefeuille toilé, qu’il déclare avoir trouvé dans la rue l’autre jour : « Voyez, tout y est, la carte de sécurité sociale, les cartes bancaires, 900 yuans, j’ai rien touché. S’il vous plait, aidez-moi à retrouver le propriétaire » !

Dans son article le lendemain, le reporter décrit le linguiste amateur comme un héros du peuple, méritant quelques bons points de morale du Parti. Pourtant, Shoushan semble quelque peu incohérent : on ne peut pas vouloir à la fois s’enfuir de son pays, chercher refuge dans une langue étrangère, et vouloir à se faire bien voir du système en faisant montre d’une « bonne attitude ». Deux exigences qui paraissent bien inconciliables, celle de la liberté, et celle d’une sécurité médiocre, gite et couvert garanti !


Rendez-vous : Semaines du 18 juin au 1er juillet 2018
Semaines du 18 juin au 1er juillet 2018

16-18 juin, dans toute la Chine : la Fête du  端午節 Duānwǔ jié (5ème jour du 5ème mois lunaire), appelé aussi Dragon Boat Festival, avec ses fameuses courses de bateaux-dragons, et l’occasion de déguster les zòngzi (粽子), riz gluant, farci de différents ingrédients, enveloppé dans des feuilles de bambou.  

20-22 juin, Shanghai : CPHI China, Salon international des ingrédients pharmaceutiques

20-22 juin, Pékin : AIAE (Asian Int’l Industrial Automation), Salon de l’automation industrielle

20-22 juin, Shanghai, FI – Food Ingredients Asia-China, Salon international des ingrédients alimentaires

20-22 juin, Shanghai : Healthplex & Neutraceutical China, Salon et Conférence dédiés aux produits de santé naturel et à la neutraceutique

20-22 juin, Shanghai : HI China, Conférence sur les ingrédients alimentaires de santé

20-22 juin, Shanghai : ICSE China, Salon chinois de l’industrie pharmaceutique

20-22 juin, Shanghai : P-MEC China, Salon professionnel des machines et équipements pour l’industrie pharmaceutique

26-28 juin, Pékin : CIGEE & CDEE, Salon international des équipements et technologies de réseaux électriques intelligents

26-28 juin, Shanghai : BIOPH China, Salon de la pharmacologie et des biotechnologies

26-28 juin, Shanghai : INNOPACK, Salon professionnel de l’emballage des produits pharmaceutiques

26-28 juin, Shanghai : PCIM Asia, Salon et Congrès sur l’électronique de puissance, les énergies renouvelables et la gestion de l’énergie

26-29 juin, Zhengzhou : CIAAF – China International Auto Aftermaket Fair – Salon de l’auto des produits de seconde monte

26-30 juin, Pékin : CIMES, Salon international de la machine-outil

27-29 juin, Shanghai MWC – Mobile Word Congress –  Congrès mondial du GSM

28-30 juin, Canton : CINHOE, Salon international de l’alimentation et des produits issus de l’agriculture biologique

28-30 juin, Canton : IFE China, Salon international des produits alimentaires et des produits importés

28-30 juin, Canton : IHWE – International High-End Drinking Water Expo, Salon de l’industrie de l’eau potable et de source en bouteille

28 juin – 1er juillet, Nankin : Asia BIKE, Salon asiatique du vélo de trekking, de montagne, vêtements et accessoires

28 juin – 1er juillet, Nankin : Asia Outdoor Trade Show, Salon chinois des loisirs de plein air