Le Vent de la Chine Numéro 19 (2019)

du 12 au 18 mai 2019

Editorial : Une coopération qui fond comme neige au soleil

Alors que le conflit commercial transpacifique voit son dénouement reculer, David Zweig chercheur à Hong Kong, met le doigt sur l’origine de ces tensions entre Chine, Etats-Unis, et autres grands acteurs économiques. En 2013, un an après l’arrivée aux affaires du Président Xi Jinping, le 3ème Plenum envisageait de déréguler la gouvernance rigide de l’économie (plan, crédit, taxation…). Selon le plan du Premier ministre Li Keqiang, très apprécié de la Banque Mondiale, du FMI et de nombreux pays, Pékin voulait alors déléguer au marché une part plus équitable des ressources. Il visait la levée des barrières intra-provinciales (la course au grand marché unique chinois) et des monopoles, la refonte du système de santé, la refonte de la sécurité sociale, du droit foncier…

En parallèle, cependant, un autre concept sourdait de l’Académie nationale d’ingénierie : la stratégie Made in China 2025 (MIC 2025). Après consultation de 153 groupes dans 32 villes, l’académie proposait des buts radicalement distincts : le rattrapage par tous moyens du retard technologique dans 10 filières, telles microprocesseurs, nanotechnologie, véhicule électrique, aéronautique ou énergies renouvelables. Il offrait de redistribuer ces techniques et brevets à un petit nombre de groupes publics fusionnés et consolidés, un ou deux par secteur, devenus n°1 mondiaux. Pour exploiter ces technologies venues d’ailleurs, une masse inégalée de subventions serait mise à leur disposition.

Parallèlement, les grands groupes privés jusqu’alors en plein essor, devaient être sevrés de crédits.  Au bout de dix années, la Chine « usine du monde »  devait muter en une base technologique sans égale, bientôt première puissance mondiale. C’est cette stratégie qui fut finalement retenue. Elle apporta une forte croissance, au détriment du monde extérieur, mais aussi un sentiment de rejet de la part des nations spoliées : Etats-Unis, Union Européenne et autres nations industrielles, émergentes comme matures, qui préparent la défense de leurs marchés et de leurs savoir-faire.

Dans le choix du plan MIC2025, deux critères furent dominants : cette stratégie était la plus efficace pour éviter l’affaiblissement du Parti et celui des consortia publics (SOE). Cette décision entraîna aussi la croissance artificielle des années 2010 du secteur public sur le privé : 11 fusions et consolidations de SOE ont eu lieu depuis, une par secteur, dont la dernière en cours dans l’agroalimentaire, Sinograin par la COFCO.

En même temps, la Chine tentait de réinvestir les gains de cette croissance hors frontières, sous forme d’influence industrielle sur le monde en développement : à travers l’initiative BRI des nouvelles routes de la soie, en voie de déploiement sur les cinq continents, de l’équateur au continent arctique ! Ce sujet fut  abordé le 6 mai à Rovaniemi (Finlande), au sommet du Conseil Arctique réunissant  les 8 nations riveraines, USA, Canada, Danemark, Islande, Suède, Norvège,  Russie, avec d’autres pays dont la Chine, observateur depuis 2013.  

C’est que cette région inhabitée offre le vif intérêt d’être déjà presque navigable, et d’abriter 30 % des réserves gazières encore inexploitées, 13% de celles pétrolières, sans parler d’un stock halieutique immense et vierge. Pas à pas, par partenariats avec les pays nordiques, la Chine grignote les 1500 km qui la sépare de l’arctique. En 2018, elle ouvrait en Islande son labo de météo spatiale, baptisait son second brise-glace, le Xuelong 2, 100% made in China. En mars 2019, elle inaugurait son centre sino-russe de prévision météo, pour aider la navigation (encore hasardeuse) sur le nouveau Passage Nord-Ouest qui va couper 20 jours de mer sur la route Canton-Mourmansk. Quoique se méfiant des appétits de son géant voisin méridional, Moscou a besoin des titanesques investissements chinois, nécessaires à l’ouverture de la route. Elle en aura encore plus besoin à l’avenir, quand l’exploitation de ressources du Pôle Nord deviendra licite – à condition bien sûr d’y préserver ses droits et prétentions impérialistes. Avec la Chine et d’autres, la Russie veut bien partager les richesses du sous-sol et de la mer arctique, mais pas la souveraineté revendiquée sur « sa » façade du continent.

Toutefois, à Rovaniemi, un orateur dénonça agressivement les visées russes comme celles chinoises : le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo, opposé à l’avancée d’une recherche scientifique chinoise en arctique, « cheval de Troie » d’une occupation militaire par déploiement de sous-marins interposé. L’accusation de Pompeo fut tièdement suivie par un Conseil Arctique, fier des 50 années de coopération pacifique passée, et soucieux de préserver le statu-quo actuel, fondé sur la bonne volonté des nations et la préservation d’un sanctuaire naturel sans lequel notre planète perdrait le Nord.


Economie : Chine USA – L’incendie redémarre

Quelle mouche a piqué le 5 mai Donald Trump, lui faisant rallumer, par deux tweets rageurs, l’incendie commercial avec Pékin ? Trump ressortait sa vieille menace de 2018 de porter de 10% à 25% les taxes sur 200 milliards d’exportations chinoises, voire taxer au même taux les produits encore indemnes, pour 325 milliards de $. Pourtant l’avant-veille, la 10ème ronde de palabres entre le vice Premier Liu He et le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, venait de se tenir dans une atmosphère « productive » – Trump annonçait même un imminent accord « monumental ». 

Qu’est-il arrivé ? À mots couverts, le conseiller Robert Lighthizer accuse le Président Xi Jinping d’avoir dénoncé plusieurs préaccords qui avaient déjà été validés, et d’avoir ainsi fait« reculer au lieu d’avancer » les négociations d’une manière inacceptable.

Face à la menace, Pékin, suivant sa culture, courbe le dos et tient bon. Liu He se rendait le 8 mai à la dernière ronde de négociations à Washington, mais faisait savoir que si les nouvelles sanctions sont confirmées, il « répondra en nature ». Ceci, quoique la Chine ait déjà épuisé sa réserve de contre-rétorsions sur ses importations américaines…

Les autres parties, tels les pays d’Union Européenne et le FMI, appellent à la retenue, au nom de la croissance mondiale.

Mais d’abord, après six mois de dures palabres, où en est-on des acquis, tel qu’on peut les connaître, en l’absence de toute publication ?

La Chine accepterait de jusqu’à sextupler ses commandes aux USA, en gaz de schiste, en soja, en maïs ou en Boeing – cette concession devant se faire au détriment des autres fournisseurs mondiaux, sans remettre en cause le système économique chinois.

Elle accepterait la mise en place d’un système de vérification du respect des engagements mutuels, avec création de structures paritaires dans les deux pays, au niveau national et régional. L’effet pouvant être d’intégrer plus les économies et renforcer les investissements réciproques, par progression de la confiance.

Parmi les litiges non résolus, figure l’exigence américaine d’un engagement légal de la Chine, de démanteler les subventions à ses consortia publics. « Et pas seulement dans l’acier ou l’aluminium, précise M. Brilliant, directeur à l’AmCham, la Chambre de commerce américaine, mais dans un vaste rayon de secteurs ». De même, la Chine aurait renié sa promesse d’une loi nationale bannissant les transfert forcés de technologies. Xi Jinping prétendrait atteindre le résultat par modification des règlements, ce qui laisserait bien des latitudes de contournement au niveau régional. Au fond, la somme des  blocages côté chinois semble correspondre au sauvetage du cœur du programme « made in China 2025 », un des héritages les plus contestés, mais les plus défendus de Xi Jinping. Mais la nouvelle attaque de Trump change la donne : la veille encore, la rumeur prédisait un accord « anémique et cosmétique », fruit inévitable d’une trop longue attente, le président américain ayant « laissé passer l’occasion ». Toutefois si Trump remet ses gants de boxe, c’est peut-être qu’il peut se le permettre, au vu des dernières données conjoncturelles de son pays. Avec 3,6% de chômage, il obtient le taux le plus bas des 50 dernières années.

Tandis que la Chine elle, va moins bien. Ses performances à l’export baissent en mars, et son élevage porcin, le premier au monde avec 500 millions de cochons abattus par an, a perdu depuis janvier 40 millions de têtes, voire 19% du cheptel, selon le ministère de l’Agriculture, laissant fuser les prix de 50% sur les marchés—et ce n’est qu’un début. Les USA estiment à 41% la hausse des achats de porc « raised in USA ». Sauf si, obligée par la spirale des rétorsions, Pékin s’interdisait de recourir à cette source de remplacement, comme elle semble –bizarrement– commencer à le faire au départ du Canada. Il lui en coûterait cher : d’ici 2025, de source interprofessionnelle chinoise, la population voudra en consommer 55kg/habitant par an, 10% de plus qu’aujourd’hui.

Quel serait l’effet des nouvelles taxes de Trump ? L’effet direct ne serait pas si lourd, avec seulement 0,73% du PIB selon Capital Economics, ou 1,5% pour Bloomberg. Mais vont s’ajouter nombre d’autres effets négatifs. Renonçant à sa priorité de désendettement et de découragement des « mauvais » investissements, le pays devra offrir toujours plus de stimulus, tels ces 41,5 milliards de $ de crédits alloués début mai aux PME via les banques. Il y aura aussi l’alourdissement de la ponction fiscale. Puis Pékin n’aura de choix autre que laisser « filer » son renminbi à la dévaluation pour compenser les taxes : dès le 5 mai, le yuan perdait 2%. Mais ceci isolerait la Chine et l’exposerait à un orage international de contre-mesures. Enfin, cette crise va casser la bourse :  à Shanghai, l’indice perdait 5,6% le jour des tweets de Trump, signant la fin d’une période haussière depuis janvier, qui l’avait regonflé de 24%. Mais désormais, si rien ne change, Sinoinsider prédit une rechute de 20% d’ici décembre. 

Ainsi, l’Etat chinois semble déchiré entre deux attitudes extrêmes. L’une, exprimée par l’analyste Taoran, consiste à ne voir dans la stratégie baroquiste et toujours changeante de Trump, « qu’une ruse pour renforcer la pression sur la Chine » : un style de joueur de poker, qu’il convient de ne pas prendre au sérieux. Mais une telle vision des choses a pu encourager Xi Jinping et ses conseillers à bloquer des éléments de l’accord négocié – à rejeter le « bluff ».

À l’opposé cependant, on a pu observer une grande retenue de la part du leadership chinois, une volonté d’accommoder, d’éviter la confrontation. Quelques jours plus tôt, Xi Jinping faisait octroyer à la fille du président américain des droits de marque préliminaires à 16 produits (bijouterie, chaussure, machine à voter) sous sa griffe Ivanka. Mais une telle conciliation, incompatible avec la fermeté et la loi du talion, risquait de dévoiler une profonde vulnérabilité du côté chinois.


Environnement : Comme une fleur, à Yanqing

A peine le Forum BRI clôturé (25-27 avril), l’Exposition internationale de l’horticulture (中国北京世界园艺博览会) braque à nouveau les projecteurs sur la capitale chinoise, jusqu’au 7 octobre.

Pour faire sortir de la terre aride de Yanqing (à 75 km au nord-ouest de Pékin) une « ville  verte » étendue sur 502 hectares (trois fois la taille du Central Park newyorkais), le gouvernement a investi 2,9 milliards de $, somme impressionnante comparée aux 3,9 milliards de $ alloués aux JO d’hiver de 2022.  10.000 manoeuvres se sont activés jusqu’à la dernière minute pour l’inauguration le 28 avril, par le Président Xi Jinping en personne.

Plus de 110 pays et organisations internationales ont installé leur pavillon – 16 millions de visiteurs sont attendus d’ici cinq mois. A tout seigneur, tout honneur : la file d’attente sur des centaines de mètres devant le majestueux Pavillon de la Chine de 23.000 m² augure du fait que cet objectif sera atteint, notamment grâce aux écoles, tour-operators et touristes des quatre coins du pays.

Dans la tentative d’équité et de gommer les écarts de développement, chacune des 34 provinces s’est vue mettre à disposition la même surface pour son pavillon.

Inspiré par les danses de ses minorités ethniques, le jardin du Guizhou est parmi les des plus beaux, tout en courbes et terrasses fleuries de tulipiers  et différentes variétés de rhododendrons. Des arbres aux mouchoirs et hévéas donnent un peu d’ombre… Surtout, une reproduction de l’imposante cascade de Danxia apporte de la fraîcheur, tandis que deux durians géants trônent sur une roche.

En esprit bucolique, le  Hunan, province reine du bambou, pourrait lui voler la vedette, avec son pavillon inspiré de la réserve  de Wulingshan. Des massifs de fleurs digitales ornent les terrasses, tandis qu’un étang aux fleurs de lotus agrémenté d’une barque inspire la quiétude.

Au jardin du Tibet, une maison locale de torchis blanc et polychrome met en valeur un yak surdimensionné, sous le regard débonnaire des cinq derniers Présidents chinois.

Côté Hainan, le chemin entre les palmiers est pavé d’une mosaïque de coquillages, discret clin d’œil à sa condition insulaire.

Une constante parmi tous ces pavillons est l’accent mis sur les produits régionaux : thé de Pu’er du Yunnan, fruits secs du Xinjiang, thé naturellement sucré du Guangxi, huile de camélia et thé de montagne du Hunan que de jeunes bénévoles offrent à la dégustation avec le sourire. Et pour le visiteur anxieux de parfaire ses connaissances en botanique,  chaque parterre de fleurs est agrémenté d’un code QR à scanner, direction Baidu qui lui ouvre dans l’instant les arcanes de la plante concernée.

On constate donc une très forte recherche au niveau des façades de ces pavillons provinciaux, bâties pour refléter les identités diverses des provinces, et leur attachement, qui à la tradition (comme les provinces de l’Ouest), qui à la modernité – comme au Heilongjiang ou au Liaoning. A l’intérieur par contre, parterres et gazons, bouquets d’arbres et plans d’eau apparaissent un peu redondants, et sans réflexion approfondie autour du thème de l’expo, “Vivre Vert, Vivre Mieux”.

Le pavillon allemand propose tout l’inverse, et une synthèse de nombreuses techniques de fusion entre nature et vie, monde végétal, aquatique et urbain. Le pavillon de bois est structuré en une feuille d’arbre à cinq lobes, chacun bordé d’un jardin vertical à thèmes variables, herbes aromatiques, plantes mellifères d’accueil aux papillons et abeilles, bacs rotatifs ou hôtel à insectes. à l’intérieur, un atrium aux parois vertes permet d’estomper les bavardages des passants, relayés par le friselis de la brise, la chute de la pluie, le chant des oiseaux et bourdonnement des abeilles… Le pavillon entier est entouré par un « Rhin » miniature qui descend son cours des Alpes bavaroises à la mer du nord, permettant d’observer la transformation de la végétation comme des roches et sédiments. On peut encore admirer un documentaire sur la nouvelle vie ces dernières années de Essen, l’ex-complexe sidérurgique et minier de la Ruhr, découvrir des ruches redessinées pour trouver leur place sur un balcon, des étuis à lunettes en écorce d’orange, des bottes à base d’amidon de maïs…  ! Et pour clore la visite, le fameux « Biergarten » bavarois propose au visiteur assoiffé une carte de qualité.

Le pavillon français met en avant l’art de vivre : cet espace, fruit d’une initiative citoyenne et privée, voit s’agglutiner les groupes autour de ses trois boulangers produisant du matin au soir leurs croissants et leurs baguettes, qui n’ont jamais le temps de refroidir, vendus à peine sortis du four!

La Belgique elle, a les yeux au ciel avec son « nuage » signé NG-Lab, de tubes métalliques immaculés  assemblés selon le système d’ingénierie dernier cri tenségrité.  Il protège du soleil  une table ronde symbole de Bruxelles, cœur de l’Europe, et une statuette du Manneken Pis. Tout autour, se dressent les alcôves des dix provinces belges, telle celle de Liège, décorée de ses fameuses marionnettes.

Quoique tardivement ouvert pour cause de Brexit, le Pavillon britannique ne s’en révèle pas moins ludique avec ses jeux d’eau extérieurs et une façade végétalisée en forme d’Union Jack – le tout au son des cloches de Big Ben of course.

Réputé pour ses jardins zen conçus comme des tableaux, le Japon fait un sans-faute, mêlant des éléments traditionnels comme des rochers et un large bassin où nagent des dizaines de carpes Koï joyeusement multicolores. A l’intérieur du pavillon, un bonzaï de la taille d’un homme en impose, tandis que des compositions florales selon l’art nippon de l’ikebana impressionnent de raffinement.

Un des attraits de ce salon, est d’offrir plusieurs pavillons dédiés à une plante.  La pivoine (牡丹, mǔdan) a droit à une halle géante, en tant que reine des fleurs de Chine, et s’expose en un arc-en-ciel floral. Deux autres espaces détaillent les 1001 usages du bambou, et les vertus de la nourrissante pomme de terre, pas encore tout à fait acceptée du consommateur, mais promise à un immense avenir du fait de sa sobriété en eau, de son rendement à l’hectare et de ses applications multiples qui en font une alternative séduisante au riz !

Deux remarques pour conclure : chaque province de Chine, et les pays étrangers, par leurs approches si différentes du thème de l’expo, débutent un fécond dialogue, qui sera très nécessaire à ce nord chinois sevré d’eau face à la menace de réchauffement climatique. Justement, les étangs et cascades à foison, présentaient une eau souvent manquant de limpidité, et pas seulement dans les pavillons locaux – signe d’une conscience encore insuffisante de l’urgence du problème, et du besoin d’un tel dialogue.

Par Jeanne Gloanec


Politique : Les deux facettes du 4 mai

La commémoration du 100e anniversaire du mouvement du 4 mai 1919 revêtait cette année plus que d’autres, deux facettes, idéologique et vacancière.

Cent ans plus tôt, le Traité de Versailles destiné à enterrer la 1ère Guerre mondiale, cédait aux Japonais la province du Shandong, jusqu’alors protectorat allemand. C’était une maladresse mal ressentie : la Chine était bien mal récompensée, après avoir envoyé des troupes combattre aux côtés des Alliés. Le 4 mai 1919, les étudiants pékinois manifestèrent contre l’injustice, militant aussi pour l’avènement des « sciences » et de la « démocratie ». L’impact historique avait été très fort : une fibre nationaliste naissait, enrichie de ces deux concepts.  Naturellement depuis, pour les leaders successifs, l’anniversaire s’avère toujours délicat à « récupérer », sans dévier de leur ligne autoritaire. 

Pour le 80ème anniversaire en 1999, l’ancien Président Hu Jintao avertissait contre « l’occidentalisme clivant l’unité des pays socialistes ». En 2009, le China Daily tranchait : ce mouvement n’était « pas obsolète, mais non plus un évènement historique ». En 2014, le Président Xi Jinping exprimait avec la plus grande clarté le besoin de subjuguer le 95ème anniversaire, déclarant sur le campus de Beida : « la jeunesse est le temps de la maturation personnelle. Il est toutefois crucial de contrôler cette phase ».

Pour le centenaire de 2019, Xi ne tenta pas d’étouffer l’événement, au contraire : le 30 avril au Grand Palais du Peuple, il tint un discours patriotique devant 3000 édiles, militaires et étudiants-membres du Parti, appelant la jeunesse à « aimer la patrie, suivre le Parti et lui vouer leur gratitude ». Cet appel faisait point d’orgue à de récentes mesures d’encadrement des jeunes, tel un plan d’envoi massif d’étudiants dans les villages.

L’autre manière de désempoisonner la commémoration, avait été de rallonger les congés nationaux du 1er au 4 mai. Il s’agissait d’inciter à voyager et consommer. Mission accomplie ! Ils furent 195 millions à faire du tourisme, dont 57% entre 20 et 39 ans. 117.7 milliards de ¥ furent encaissés, 16,1% de plus qu’en 2018.

Evidemment, cela n’alla pas sans problème à bord des trains bondés, dont certains passagers indélicats refusèrent de se lever à l’arrêt prévu, privant leurs successeurs de leur place réservée. Ceux-ci, floués réclamèrent que les fraudeurs soient bannis des TGV. Ce qui pourrait arriver : fin 2018, la justice avait banni 5,5 millions de fraudeurs des TGV et 17,46 millions des avions, une liste noire ayant plus que triplé en 12 mois.

Le crédit social se met ainsi en place, octroyant une note de moralité à chaque citoyen, et il ne cesse de voir s’élargir son champ d’application. A Lishui (Zhejiang), un cinéma projetant Avengers : End game, dernier opus des studios Marvel, remplaça les bandes-annonces des films à venir par la liste des noms et photos de 300 lǎolài (老赖), mauvais payeurs locaux. Sur les autoroutes, les noms et plaques des chauffards défilent déjà en continu.

Le crédit social détient même sa propre chanson, « shuōdàozuòdào » (说到做到 ), « Tiens ta parole », interprétée par les stars des ados. L’observateur étranger pourra s’en étonner, mais pour l’instant, le système est plutôt bien vu par la base : sans crainte apparente des évidents risques inhérents, elle le ressent comme  un moyen efficace de discipliner les citoyens. On semble désormais dans les temps pour le déploiement complet du crédit social prévu en 2020—c’est demain !


Petit Peuple : Yueqing (Zhejiang) – L’ultime preuve d’amour (1ère partie)

En décembre 2018, dans son Zhejiang natal, Mme Chen, 33 ans, aurait pu considérer son existence comme un modèle de réussite. Elle avait Lu Jiaying, son mari plutôt bel homme, travailleur et fidèle, Huang leur fils de 11 ans, bien élevé et qui marchait bien en classe, le trois-pièces qu’ils habitaient au bord d’un canal au cœur de Yueqing, villégiature ni trop grande ni trop petite entre mer et montagne, 500.000 habitants en banlieue de Wenzhou.

Mais sa félicité était gâchée par le poison d’une impécuniosité permanente. Infirmière à l’hôpital local, Chen avait des horaires trop chargés pour faire des soins à domicile – manière de compléter son maigre salaire. Ses rares moments libres, elle les réservait à la maison pour faire le ménage, préparer les repas. Il lui fallait aussi faire répéter ses leçons au petit Huang, lui faire faire ses devoirs de maths, tout en tentant péniblement de se remémorer ses bribes de cours de 20 ans en arrière.

Quant à son mari, Lu Jiaying, instituteur dans une école privée, il était lui aussi sur occupé par la préparation de ses cours, « étant en charge d’une classe de collège. Les enfants, disait-il, réussiraient si les cours étaient bien faits, donnés toujours avec toute son énergie. Prenant très à cœur sa mission éducative, il ne supportait pas de voir dans sa classe des élèves décrocher, prendre du retard, se retrouver derniers, recalés en fin d’année : un tel résultat eût été pour lui un aveu d’échec, d’égoïsme même. Il fallait que tous réussissent, « yī   bùnéng shǎo  » (一个不能少, « pas un seul ne doit manquer »). Peu importait si pour ce faire, Lu devait s’épuiser à faire des cours de rattrapage, sans même se faire payer : les élèves étaient soit nécessiteux, soit dotés de parents astucieux qui savaient faire vibrer la corde altruiste du maître. Mais en attendant, la générosité de Lu se payait cash : on ne voyait pas toutes les semaines de la viande à table du professeur. On roulait en voiture, certes, mais dans une minable caisse à savon jaunâtre. Les téléphones portables étaient de petite marque et de seconde main. Et si petit-Huang avait sa place dans les voyages scolaires, c’était uniquement parce que son père était accompagnateur bénévole, dispensé à ce titre de payer la contribution du petit.

Mais le plus gros nuage noir sur le foyer, tenait en ces 7000 yuans de loyer en souffrance, impayé accumulé depuis un an, que l’agent immobilier venait réclamer chaque semaine. Si d’ici le « chunjie », nouvel an chinois, l’arriéré n’était pas réglé, la procédure d’expulsion serait engagée – Lu allait devoir choisir, gagner plus ou déménager. Chez San Mao Dichan (nom de l’avaricieuse compagnie), on n’avait pas vocation à subventionner les impécunieux, et moins encore (ajoutait un rien perfidement l’agent), les profs incapables de piocher dans la mine d’or qu’ils avaient devant eux. Car c’était notoire, pour peu qu’ils sachent y faire, tous les membres du corps enseignant étaient potentiellement riches.

Les reproches du créancier mettaient Chen en fureur : elle ne supportait plus le flegme avec lequel son mari les accueillait – comme s’il pouvait se permettre de faire son généreux avec la terre entière, oubliant sa famille ! Le soir de l’ultimatum, Chen attendit que son fils soit au lit pour lui faire une scène, déterminée à l’arracher à son maudit monde romantique où l’argent n’avait pas place. Lu devait séance tenante mettre fin à ses cours gratuits. Comme tous ses collègues, il devait les facturer 100 yuans de l’heure, pas un de moins ! Et pour commencer, il devait se faire porter malade à son école, et forcer ses 28 élèves à venir s’entasser chez eux à 300 yuans le week-end, pour rattraper le programme. Ils n’auraient pas le choix, s’ils voulaient passer en classe supérieure. Et Lu, avec double revenu, pourrait enfin tirer son foyer de sa mauvaise passe.

Déchiré, Lu tenta de se justifier une dernière fois. A force de maintenir ses résultats scolaires au firmament, il allait bien finir par décrocher une prime, en reconnaissance de ses performances. Une médaille nationale l’attendait, le proviseur la lui faisait miroiter depuis des lustres, avec à la clé une promotion comme directeur adjoint, à 450 yuans de plus par mois. Il suffisait d’être patient…

Chen l’interrompit d’un rire caustique, presque cruel, qui n’était pas vraiment dans sa nature – mais il faut la comprendre. À bout, elle ne voulait plus entendre parler d’autre attente jusqu’aux calendes grecques.  C’était maintenant qu’il fallait prendre ses responsabilités, devenir adulte. C’était une question d’amour, rien moins, s’écria-t-elle en verve rageuse. Qu’aimait-il le plus, sa femme et son fils, ou ses chimères ? S’il continuait à rêvasser comme depuis toujours, elle tirerait les conclusions qui s’imposeraient. Et Chen se leva pour se retirer dans la chambre, avec des allures de reine offensée.

Pour autant, la question qu’elle lui posait, était justifiée. Lu le ressentait bien – mais malgré tout, sans pouvoir lui céder. Non par orgueil machiste, mais s’il trahissait le serment intime de sa jeunesse, de demeurer toute sa vie au service de la jeunesse, de la nation, comment aurait-il pu se regarder dans le miroir ?

Entendons-nous bien : quoique furieuse, Chen vouait toujours à son époux une admiration et une fidélité admirative, autant qu’au premier jour. Mais droite et honnête vis-à-vis d’elle-même, elle devait à présent trouver réponse à sa question : si aux yeux de mari, elle comptait moins que ses idéaux issus des jeunesses communistes, il serait temps pour elle d’aller refaire sa vie ailleurs !

Sur cette scène orageuse, quel moyen Chen va-t-elle imaginer pour éteindre ses doutes, et tirer son couple de cette mauvaise passe ? On le saura dès la semaine prochaine !


Rendez-vous : Semaine du 13 au 19 mai 2019
Semaine du 13 au 19 mai 2019

13-15 mai, Shanghai : PHARMCHINA, Salon international de l’industrie pharmaceutique

13-15 mai, Shanghai : NFBE – INTERNATIONAL FOOD AND BEVERAGE EXPO, Salon international des aliments naturels et des boissons santé

14-16 mai, Shanghai : OIL CHINA – SHANGHAI, Salon chinois international de l’huile d’olive et des huiles végétales

14-16 mai, Shanghai : SIAL CHINA, Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux

14-17 mai, Shanghai : CMEF – CHINA MEDICAL EQUIPMENT FAIR / ICMD, Salon chinois international des équipements médicaux

15-17 mai, Dongying : CHINA GRTAE, Salon international des pneus et des accessoires automobiles

15-17 mai, Canton : CHINA PREFAB HOUSE, MODULAR BUILDING, MOBILE HOUSE & SPACE FAIR (PMMHF), Salon international des maisons préfabriquées, des mobil homes et espaces mobiles

15-17 mai, Canton :  ROOFTILE CHINA, Salon international des technologies de couvertures et de la tuile en terre cuite en China

15-17 mai, Canton :  STEEL BUILD, Salon international de la construction en acier et des matériaux de construction métalliques

16-18 mai, Pékin : NGV CHINA, Salon international du gaz naturel et des équipements pour stations de stockage

16-19 mai, Tianjin :  3ème World Intelligence Congress (WIC2019)

16-18 mai, Shanghai : NGV CHINA, Salon international du gaz naturel et des équipements pour stations de stockage

16-20 mai, Shenzhen : ICIF – CHINA (SHENZHEN) INTERNATIONAL CULTURAL INDUSTRIES FAIR, Salon chinois international des industries culturelles

18-20 mai, Qingdao : CAHE – CHINA ANIMAL HUSBANDRY EXHIBITION, Rencontre internationale pour les professionnels de l’élevage en Chine. Gamme complète de produits et services liés aux porcs, volailles, bovins, ovins…