Le Vent de la Chine Numéro 19 (2016)

du 22 au 28 mai 2016

Editorial : Statut d’économie de marché – La valse sur des oeufs

Par 546 voix « pour », 28 « contre » et 77 abstentions, le Parlement Européen refusa (14 mai) d’octroyer à la Chine le « statut d’économie de marché » (SEM), sans mesures compensatoires. Au contraire, il réclama le renforcement des lois contre le dumping et les subventions étrangères aux exportations vers l’Europe. C’est que le temps presse, avec l’échéance du 11 décembre, 15ème anniversaire de l’entrée de la Chine à l’OMC. Alors, au titre de la section « 15 » du Traité, tout membre de l’OMC devra cesser d’entraver les produits chinois, et devra octroyer au Céleste Empire le SEM. A ce jour, aucune puissance (Europe, Japon, Etats-Unis) ne l’a encore fait.

Pour l’instant, pour toute importation, en cas de plainte des Etats membres, la Commission vérifie si le produit entre dans l’UE à prix trop bas. Si oui, elle évalue ses coûts de production réels, non à partir des déclarations d’origine mais selon ceux d’un pays « comparable » (Inde par exemple). Puis elle fixe le montant de sa taxe compensatoire. Mais pour Wang Yi, ministre des Affaires étrangères, cette pratique doit cesser au 11 décembre – le Traité n’est pas négociable!

Bruxelles et les 28 cependant, ne l’entendent pas de cette oreille : la Chine n’a toujours rien d’une « économie de marché », avec son crédit illimité à des firmes d’Etat, souvent pour la seule défense de l’emploi et par les rivalités entre provinces. De ce fait, l’export chinois d’acier à prix insupportablement bas, a augmenté de 20% en 2015, puis de 5,7% au 1er trimestre 2016. Sur les 5 conditions de 2001 à l’octroi du SEM (tels l’abandon des subsides ou la non interférence de l’Etat dans les choix des entreprises), seule « une et demi » est remplie, selon un haut cadre européen.
D’autre part, l’octroi du SEM pénalisera les Européens du Sud plus que ceux du Nord, ces derniers ayant déjà fait une croix sur leurs industries traditionnelles. Pour l’ensemble de l’UE, les pertes d’emplois s’élèveraient de 340.000 à 3,5 millions.

Vis-à-vis de la Chine, les Etats membres aux intérêts divers, paient au prix fort leur division. Tous tentent d’attirer la manne des investissements chinois sur leur sol. Pékin sait aussi « punir » ceux qui se plaignent d’elle : quand l’UE en 2014 a sanctionné ses panneaux solaires, la Chine a initié des enquêtes antidumping contre le vin français et le polysilicone allemand. Aujourd’hui en cas de refus d’octroi du SEM, elle fait planer la menace d’un arrêt des négociations pour l’accord Chine-UE de protection des investissements.

La solution que doit présenter en juillet, J-C Juncker, Président de la Commission Européenne, semble évidente : un octroi partiel du SEM, assorti d’un nouveau bouclier anti-dumping, compatible avec le Traité d’adhésion. Ce système devra être approuvé par le Parlement et le Conseil des ministres des 28.

Trois inconnues influenceront l’issue du dossier : le vote du Brexit au Royaume-Uni, et les « pré-campagnes » d’élections en France et en Allemagne, où pèseront plus que jamais les voix d’extrême droite. 

Une chose est sûre : l’UE ne refusera pas le SEM à la Chine. Le prix à payer serait trop cher. L’UE perdrait devant le panel de l’OMC. Elle perdrait aussi en prestige et sympathie côté chinois, qui se traduirait par le gel de moultes coopérations potentielles : sur le nucléaire et les énergies renouvelables, le co-développement de l’Afrique, la paix en Syrie, la dénucléarisation en Corée du Nord, la gestion du contentieux sur la mer de Chine du Sud… Autant de dossiers dépassant de loin l’attribution  d’un simple « statut d’économie de marché ».


Politique : Xi Jinping – Le coup de torchon

Chinois comme étrangers, les médias ne tarissent pas de rumeurs autour d’un homme-énigme, toujours le même : le Président Xi Jinping.

Ainsi le 17 mai, le chef de l’Etat informait un prétoire de 150 chefs régionaux de la propagande et universitaires, d’un besoin urgent de la nation en innovations théoriques en fait de marxisme. Une recherche devrait être conduite sur un système de pensée combinant philosophie et sciences sociales au « XXIème siècle » et aux caractéristiques chinoises. Bien sûr, l’approche du XIXème Congrès d’octobre 2017 inspire cette quête. Comme ses prédécesseurs, Xi aspire à apporter son codicille idéologique à l’héritage théorique du PCC. 

Le 9 mai, Xi donnait au Quotidien du Peuple une interview « semi-anonyme » pour renforcer sa dernière campagne, celle de la réforme du « côté de l’offre », sa dernière marotte.

Le 10 mai, il lançait une  autre salve sur le sujet : deux pages du journal. Au ton combatif, elles furent publiées juste après la révélation du montant des prêts bancaires au 1er trimestre : 4600 milliards de ¥ (624 milliards d’€), plus que les 4000 milliards de ¥ (547 milliards d’€) de début 2009. Xi s’en prenait donc à des ennemis embusqués, à leur frénésie de prêts à des firmes « zombie » sans perspectives d’avenir. Il avertissait des « risques financiers systémiques » associés à cette gabegie d’Etat, et plaidait pour le retour à l’objectif, toujours ressassé mais jamais réalisé depuis 2012 : l’adaptation du parc productif à la demande, et la réduction des capacités.

Cette campagne de presse, pas par hasard, démarra suite au meeting du « Groupe central des Affaires financières et économiques » (8 mai). Xi présidait, et Li Keqiang le 1er ministre, Zhang Gaoli, vice-Premier, Liu Yunshan, le responsable de la Propagande, y assistaient. Réunion et articles auraient été préparés par Liu He, proche conseiller du Président.

Il se peut que Zhang Gaoli ait été visé par les reproches de Xi Jinping. En effet, ce vice-Premier, de l’écurie de Jiang Zemin (protégé de Zeng Qinghong son bras droit) est en charge de l’économie, tout comme Li Keqiang, mais du bord politique opposé. En mars, en marge de l’Assemblée, Zhang déclarait aux journalistes s’attendre à une sortie de crise début 2017,  « porte ouverte sur un ciel radieux » (开门红, kāi mén hóng ). Or dans son interview, Xi dénonçait l’idée et opposait à Zhang un désaveu cinglant : « nous découvrons des problèmes inattendus… résumer l’avenir à des formules telle ‘kai men hong’, c’est se borner à des perspectives simplistes ».

Zhang Gaoli, 70 ans, doit partir à la retraite en 2017. En ce sens, il devrait plutôt être perçu comme inoffensif par Xi et son camp, sauf s’il joue, avec d’autres barons conservateurs, à ouvrir grand le robinet du crédit aux firmes zombies pour empêcher leur fermeture, endettant ainsi l’Etat. Ainsi, il mettrait sciemment Xi en difficulté, se donnerait le beau rôle auprès des provinces, tout en gardant la bienheureuse certitude de ne pas avoir à gérer dans 12 mois la tempête qu’il prépare, réservant ce soin à l’ennemi politique. D’où l’intérêt pour Xi de frapper maintenant du poing sur la table, pour éviter de tomber dans le piège !

Une telle perspective éclaire alors l’avertissement aux cadres régionaux, dans ses articles, de « ne pas attendre, ni faire profil bas, ni hésiter » à entamer les fermetures d’usines. Les « fortes têtes » sont prévenues, en un autre article récent, reprenant un discours de janvier : « les conspirateurs qui sapent la gouvernance du Parti… doivent résolument être écartés » – à bon entendeur, salut !

Dans les jours qui suivirent ces publications, Li Keqiang le Premier ministre lança deux actions, dans le silence général—comme si les opposants, sonnés, laissaient faire.

Le 17 mai, la CBRC, tutelle des banques, leur ordonna de lever les entraves aux prêts aux PME privées, et de rapporter toute discrimination envers les PME.

Le 17 mai, le Conseil d’Etat, après le Conseil des Ministres, publiait un plan radical pour « dégraisser » les consortia publics. En 2016 puis en 2017, la capacité de production de charbon et d’acier devra baisser de 10% par an. Le nombre des filiales des consortia baissera de 20%, et 100 milliards de yuans seront épargnés en frais de fonctionnement ou gagnés en profitabilité. Ces dinosaures à 5 niveaux hiérarchiques, voire 9, devront se mettre à la diète pour n’en avoir plus que 3 à 4 en 2017.

Li Keqiang est l’auteur de ces mesures. Ceci peut être la preuve finale, contrairement à l’avis de certains experts, qu’il n’est pas l’adversaire visé par les diatribes de Xi. Dans ce cas, il a toutes les chances de garder son poste pour le second quinquennat.

Bien plus probable, comme on l’a vu, les adversaires sont à chercher dans les camps de Jiang (tels Zhang Gaoli et Liu Yunshan) et de Hu Jintao, tel Ling Jihua son ancien bras droit, aujourd’hui en prison pour corruption et divulgation de secrets d’Etat. De même, la Ligue de la jeunesse « tuanpai » (团派), qui fut le fief de Hu, est en train de plonger, budgets coupés et accusée d’élitisme.

Le dernier point et non le moindre, est la montée en puissance de la « clique du Zhejiang » des fidèles de Xi, ses ex-collègues de Xi durant sa carrière, autour du delta du Yangtzé.

Elle croît et embellit malgré l’interdiction faite par Xi aux cadres de former factions et cliques (团团伙伙, tuántuán huǒhuǒ), et l’adage anglais  – « faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » Mais comment faire autrement en Chine politique ? Y disposer de son réseau, est question essentielle, parfois de vie ou de mort.


Histoire : Le fantôme de la Révolution Culturelle

Le 16 mai marqua le 50ème anniversaire de la Révolution Culturelle « Wénhuà Dàgémìng » (文化大革命), initiée par Mao Zedong. Ce mouvement violent déchira la Chine de 1966 à 1976.

A l’automne de sa vie, Mao réglait ses comptes. En 1961, il avait été écarté par le Bureau Politique qui tentait de réparer les ravages de ses folies passées, de la « Campagne des 100 fleurs » (1957) au « Bond en avant » (et sa famine qui causa 30 à 80 millions de morts, 1958-1961). Mais ses pairs avaient commis l’erreur de ne pas le juger et le destituer formellement !

En 1966 survint par hasard l’occasion pour Mao de reprendre la main. À la session du Gaokao (bac), un cancre remettait copie blanche, et se justifiait par le « révisionnisme » du sujet. Mao en avait immédiatement profité pour appeler la jeunesse à se dresser contre le Parti – à « retourner le canon contre le quartier général », et l’enrôla en brigades de Gardes Rouges.

Le résultat fut dramatique. Par millions, les jeunes s’en prirent à l’ordre socialiste, fruit de 17 ans de travail de la révolution. Parents, maîtres et cadres furent paradés, coiffés de bonnets d’âne, frappés, astreints à des tâches humiliantes et épuisantes. Au total, 32 millions d’êtres furent torturés, dont 1,7 million furent exécutés, se suicidèrent ou moururent d’épuisement… Des milliards de livres furent brûlés en autodafé, rejoints par les violons, statues et peintures… Les musiciens virent leurs mains brisées. Écoles et universités fermèrent 10 ans, comme nombre d’usines, sauf celles militaires—les seules ayant encore les ingénieurs, l’énergie pour fonctionner. Temples et palais furent profanés et brûlés (6000 au Tibet), les plus chanceux étant convertis en hangars. On doit à Zhou Enlai, le sauvetage de la Cité Interdite, en y stationnant l’armée. 18 millions de « jeunes éduqués » partirent dans les campagnes.

Après 1969, la Chine dans le coma attendit la délivrance, laquelle vint en 1976, année du Dragon, après les décès de Kang Sheng (le détesté chef des services secrets), de Zhou Enlai, (respecté, mais compromis par ses atermoiements pragmatiques), et enfin de Mao. C’était la chute de la Bande des Quatre, le retour à la loi.

Ayant perdu 10 ans de croissance, la Chine avait vu sa part d’économie mondiale passer de 2% en 1966 à 1% en 1976. Le Parti sortait démembré et déconsidéré. Sa chance alors, fut le génie de Deng Xiaoping – son instinct pragmatique à lâcher du lest, à rétablir une semi-liberté productive dans les villages, à encourager l’enrichissement individuel et toutes sortes d’« expériences » pour relancer le pays. Mais la vraie raison à la survie du Parti fut l’absence d’alternative.

Après la mort de Mao, se posa la question de son évaluation. Le Timonier demeurait détesté, même du leadership, mais il en incarnait l’histoire, la légitimité. À briser sa statue, l’appareil risquait sa propre implosion. Aussi Deng, quoiqu’ayant été purgé 4 fois par Mao, lui décréta généreusement « 70% de bon, 30% de mauvais ». En 1981, le Bureau Politique le déclara « leader grand, remarquable », mais aussi responsable de la Révolution Culturelle, « catastrophe initiée et menée par lui ». Ce verdict perdura 35 ans.

En 2016, sous l’ère de Xi Jinping, Mao suscite toujours le même embarras et la même contradiction qu’en 1981—comme si rien n’avait changé. Xi ou ses thuriféraires ont repris de lui la technique du culte du leader, des campagnes de persécution tous azimuts, d’une gouvernance ultra-autoritaire. Mais en parfaite contradiction, le 16 mai, Xi qualifiait la Révolution Culturelle « d’erreur totale, tant théorique que pratique ». Le 17 mai, le Quotidien du Peuple prononcait la plus forte répudiation historique officielle : la Révolution Culturelle fut « lancée à tort par le pouvoir, puis récupérée par les clans contre-révolutionnaires, causant un désastre pour le Parti, le pays et le peuple ».

Qu’en pense la rue ? Rien, chez les citoyens de moins de 40 ans, faute d’en savoir—ou de vouloir savoir—quoique ce soit. Par contre dans les universités, les étudiants multiplient les exposés sur l’époque, les discussions de groupe, sur un argumentaire proche de celui du régime—lequel tolère ces critiques, rompant avec sa tradition de toujours éviter de braquer le projecteur sur ses échecs passés. Pourquoi cette surprenante tolérance ?

Une raison tient peut-être à cet autre drame, plus récent et encore plus interdit, le massacre de la Place Tian An Men en 1989. Or plus on a de secrets, et moins on peut les garder : à tout prendre, mieux vaut laisser une bouffée d’air libre se poser sur la Révolution Culturelle, vieille d’un demi-siècle, dont la plupart des acteurs ont rejoint leurs ancêtres…

Dernière question : quel est l’héritage de la Révolution Culturelle sur la Chine de 2016 ? Alors que les idées de l’époque n’ont pas survécu, elle a profondément influencé la « manière d’être », les attitudes citoyennes d’aujourd’hui, car il n’y a pas eu de démaoïsation, ni de débat public pour exorciser le passé.

Les stigmates demeurent, d’une époque où la seule valeur était la Révolution, et où le seul moyen de survie était d’hurler avec les loups. Il en résulte l’actuelle incivilité, omniprésente à tous niveaux dans la vie publique – du manque d’éthique dans les affaires, à l’incapacité de céder le passage sur la route… Cette attitude du citoyen présuppose qu’il ne peut compter que sur lui-même pour obtenir une place, dans un monde où il en manquera toujours.

Au positif par contre, la Révolution Culturelle a pratiqué, dans le jardin social, la « culture sur brûlis » d’une masse immense de règles de vie sclérosées. Elle a laissé l’être veuf de son passé, mais l’a aussi vivifié et enrichi d’une soif de vie. Elle est le secret de cette vitalité du Chinois, et du rebond de cette société, admirée de la terre entière. 

 


Monde de l'entreprise : Jack Ma joue à qui perd gagne
Jack Ma joue à qui perd gagne

Désaveu pour Jack Ma, PDG d’A-libaba, 1er groupe d’e-commerce mondial avec 500 milliards de $. En avril, Alibaba entrait à la IACC (International AntiCounterfeiting Coalition, de Washington), aux 250 marques de luxe, lesquelles se rebellèrent aussitôt. Gucci fit ses valises, suivi de Tiffany. Michael Kors, le plus virulent dans la protestation, accusa le patron de l’IACC de conflit d’intérêts et de faire entrer dans l’alliance « notre plus dangereux et nuisible adversaire ». Du coup, en mai, l’IACC n’avait plus qu’à se déjuger, suspendant sine die les adhésions douteuses d’Alibaba et de deux compagnies américaines.

Tout est donc à recommencer. Jack Ma a dû renoncer le 18 mai à prononcer son discours devant l’IACC. Il ne démord pas pour autant, sur l’urgence de l’associer à la lutte contre les contrefaçons. Alibaba, plaide-t-il, est le mieux placé pour combattre la pieuvre de la contrefaçon. Pour demain, il promet aussi de faire le ménage en interne : depuis le 20 mai, tout vendeur de produits de luxe chez Alibaba doit produire un certificat d’authenticité indiscutable. Déjà, le 28 avril, il négociait un accord avec la police de Putian (Fujian), une des cités de la contrefaçon, pour traquer les officines de faux médicaments, fausses chaussures de sport…

De plus, Ma en est désormais convaincu, la vente massive de produits de mauvaise qualité pas chers, c’est du passé ! Le nouveau business model doit développer « limage de marque et la diversification intérieure et internationale ».

Après Wang Jianlin, le nabab du groupe immobilier Wanda, Jack Ma négocie sa part de sponsoring de la FIFA, désespérément en quête de mécènes pour l’aider à se relever des scandales Blatter et Platini.
En bourse de Hong Kong, Jack Ma levait 260 millions de $ pour Alibaba Pictures, son réseau de vente de billets de cinéma, présent auprès de 95% des salles obscures chinoises.
Sa fortune lui ouvre des portes : le jour de son exclusion de l’IACC, il déjeunait avec B. Obama à la Maison Blanche. La semaine d’avant à Paris, il rencontrait le ministre E. Macron (qui le décore de la Légion d’honneur), après avoir ouvert un bureau dans la capitale française, et avant d’y installer –dit-on– un entrepôt. Alibaba pourrait ainsi diffuser en France les meilleurs produits chinois, et en Chine ceux de France, et dans les deux cas, garder au loin les fournisseurs douteux de produits interlopes. L’idée sous-jacente est claire : s’inventer une nouvelle image, une seconde vie – mondiale, celle-là.


Taiwan : Sirocco sur Hong Kong, et Mistral sur Taïwan

Taiwan le 20 mai, Tsai Ing-wen, Présidente du DPP indépendantiste, prenait ses fonctions de Présidente de la République. Depuis janvier, Pékin fait pression pour jauger la capacité de résistance de la leader, et pour punir l’électorat insulaire d’avoir débarqué son champion Ma Ying-jeou, du Parti KMT, pro-réunification. Le message de Pékin est clair : « la prospérité avec moi ; la crise sans moi ».  Au 1er trimestre, les échanges avec la Chine ont baissé de 11,5, à 37,5 milliards de $. Le tourisme s’érodait de 10%, avec 364.000 visiteurs du continent, pourtant fort attendus—ils achètent sur place pour 2500$ chacun en moyenne.   
Pour refouler Taiwan dans son état de paria diplomatique, Pékin lui  a repris l’ambassade en Gambie, bloqué son entrée à la Banque Asiatique d’Investissement (AIIB) et à l’OMS. Et deux jours avant le discours d’investiture, la Chine avertissait : Tsai ne devra s’en prendre qu’à elle-même en cas de tempête, si elle osait faire l’impasse sur le « consensus de 1992 » – accord verbal et vague sur une appartenance commune à « une seule Chine », non définie. Lors de son discours d’investiture, Tsai se garda de mentionner explicitement ce consensus, se bornant à reconnaître qu’en 1992, Pékin et Taipei avaient eu un « point d’entente » à ce sujet. C’était une tentative subtile de se dégager d’une situation « entre enclume et marteau », l’impatience du PCC et la sourde résistance de la population à perdre sa souveraineté de facto, au profit du grand frère voisin…

A Hong Kong aussi, le climat est à l’orage, et le tourisme baisse. C’est en partie dû un accueil maussade fait aux hordes chinoises dans ses commerces et ses rues. En fait, un clash de générations déchire la ville, entre les jeunes, tenaillés par leur affirmation identitaire, et les plus âgés, qui voient dans la mère patrie un gagne-pain. Dans ce contexte, la visite de Zhang Deqiang, le président de l’ANP, en charge de Hong Kong (17-19 mai), se déroula dans un climat aigre, en dépit de sa main tendue et de ses sourires. Ce cadre formé en Corée du Nord, passe pour un dur, auteur du mur de refus au mouvement « Occupy Central » qui paralysa la ville des semaines fin 2015. Zhang cependant, se déclare d’accord pour ouvrir un dialogue à haut niveau avec les élus d’opposition, rassurant la ville qu’elle ne perdra pas son identité… Mais sans convaincre !
Pourquoi ce tournant ? Peut-être parce que à Hong Kong, la confrontation a cessé, laissant place au désespoir, ce qui convient plus à Pékin, que des manifestations ! Peut-être aussi Zhang est atteint d’un syndrome bien connu des leaders chinois proches de la retraite : le désir de paix, de marquer l’histoire, de se faire aimer, pour une fois.


Petit Peuple : Xueshan (Gansu) – Liu Shengjia, dernier des villageois (2ème Partie)

Résumé de la 1ère Partie : En 2006, les derniers habitants de Xueshan (Gansu), ruinés par la sécheresse, acceptèrent de se replier sur la capitale provinciale, Lanzhou. Tous…sauf Liu Shengjia qui choisit de faire de la résistance et souhaita rester au village, avec sa mère malade et son cadet.

Après le départ général, la vie se réorganisa, entre les trois rescapés.
A l’aube, Liu Shengjia envoyait Xiaodi, son jeune frère, chercher de l’eau à la source lointaine pour arroser le potager. Il assurait la traite des 30 brebis et fabriquait les fromages. Une fois la corvée achevée, il menait ses bêtes paître à un ou deux kilomètres sur des pâturages maigres, cachés dans le fond d’une vallée.

Il n’y avait ni magasin, ni marché, ni échange de travail entre voisins. Mais au fil des années, à la grande surprise de Liu, la situation s’améliora. Moins agressée par un cheptel réduit de 9/10èmes, la nature reprit le dessus. Arbustes et touffes d’herbes fragrantes réapparurent timidement, puis plus sûrement à chaque printemps. Mieux nourries, les bêtes gagnèrent en poids. En fin de matinée, le frère emmenait le troupeau vers les hauteurs, tandis que Liu aux fourneaux faisait la soupe, pétrissait et enfournait la galette, alimentait et soignait sa mère impotente. Au soir, le cadet ramenait le troupeau et l’enfermait à la sécurité de l’étable.

La nuit tombait sur ses dangers invisibles mais effrayants : les chiens abandonnés, retournés à l’état sauvage, hurlaient sous leurs fenêtres, les dissuadant de sortir, faute d’un fusil pour les tenir à distance. Ayant renoncé aux cultures de céréales en terrasse, Liu occupait les terres des voisins, protégées des sangliers par les murs des courées. Parfois, il découvrait sur les chemins les saignées fraiches dans la terre, forées par les groins des sangliers en quête de racines et de tubercules. 
En 2011, sa mère décéda : ils l’enterrèrent seuls, sans prêtre ni pleureuses, fifres ni tambours, faute de pouvoir les payer. Peu après, Xiaodi sollicita son congé, et partit lui aussi pour la ville, laissant Liu Shengjia seul à ses bêtes, ses lopins et leur sépulture.

liushengjia2Liu avait donc perdu son seul aide et sa seule compagnie. Par un bizarre caprice du destin, pourtant, son mode de vie s’améliora encore. C’est qu’à travers la Chine, d’immenses étendues s’étaient vidées d’hommes : les rares qui restaient se partageaient des emplois plutôt bien payés par la province, parce qu’indispensables. L’administration des parcs et forêts lui avait confié la surveillance des bosquets de Songbai, à une heure de distance, un mi-temps à 700 yuans assorti d’une moto électrique. Il arpentait les sous-bois, détruisait les collets des braconniers, bombait d’une croix rouge les grumes à abattre, débroussaillait les ronciers contre les incendies. Le pécule régulier de cette tâche peu fatigante, était complété du produit des ventes de fromage, de laine, et des carcasses d’une dizaine de jeunes mâles par an : c’était une demi-richesse, et le sentiment agréable de la réussite, d’une petite aisance.

Il avait l’électricité, héritage du temps où le hameau survivait. Il avait hérité d’une vieille télé, d’un ordinateur – raccordé à internet, d’un réfrigérateur pour les fromages, et même un smartphone pour la vente de ses produits. Le soir pour se désennuyer, il furetait sur le net, sans trop savoir quoi chercher… Dans sa maison, il lui restait encore deux lits, un bureau, une armoire. Quand ses brebis étaient en chaleur, il téléphonait à la ferme la plus proche, pour faire venir le bélier.
Quand il avait épuisé la liste de ses tâches quotidiennes, il errait dans les ruelles chargées d’une vie de souvenirs, cherchant parmi ces ruines quelque auvent contre le soleil ou la  bruine. Le  village se dégradait rapidement : faute d’entretien, ces maisons de brique sèche s’effondraient les unes après les autres, faute d’entretien. Une fois le toit tombé, les murs suivaient après quelques années.    

Une semaine de forte pluie d’août 2012, un mur de la cour tomba, creusant de profondes lézardes dans la paroi du salon. Ce fut pour Liu, le signal de la fuite. L’orage une fois cessé, il rassembla ses cliques et ses claques, et les déménagea à 50 mètres de là, dans la demeure de l’ex-secrétaire du Parti – qu’il savait décédé, et donc définitivement désintéressé à l’avenir de cette demeure terrestre.
En se réinstallant, Liu était habité d’un sentiment de puissance indiscutable, d’un droit céleste seulement comparable à celui d’un empereur : tout le village lui appartenait. C’était une belle compensation à la trahison de ses pairs, à sa mise à l’écart de l’humanité.
Le seul domaine où il ressentait misère, était l’absence d’une femme, amante ou maman. Souvent revenait le hanter la dernière phrase de sa mère avant son dernier souffle : « Marie-toi, Shengjia, fais un enfant, perpétue notre nom ». Mais qui voudrait venir partager cette existence solitaire ? Hanté de ces considérations, il se retournait durant des heures dans son lit froid, pensant à cette inconnue imaginaire. Il finissait par sombrer dans un sommeil peuplé de fantômes et de signaux transparents, « poursuivant la quête jusque dans le rêve » (梦寐以求,mèng mèi yǐ qiú).

Dernièrement, des journalistes ont démarqué à Xueshan, curieux de rencontrer ce marginal ayant refusé les plaisirs de la ville afin d’honorer la  terre de ses ancêtres. Ils ont trouvé un homme timide, emmuré dans son silence. « Je peux rester ici le temps qu’il faut, a-t-il daigné leur dire, mais je retournerai peut-être, un jour, en société – quand le temps sera venu ». La province, dit-on, prépare une offre.


Rendez-vous : Semaine du 23 au 29 mai 2016
Semaine du 23 au 29 mai 2016

24-26 mai, Hong Kong : Vinexpo, Salon professionnel du vin et des spiritueux. L’Italie, pays à l’honneur de cette 7ème édition

24-26 mai, Shanghai : China D-Power, E-Power, Salon international du stockage et Salon international de la production d’énergie

epower24-26 mai, Shanghai : C-Power China, Salon international des véhicules écologiques à énergies nouvelles

24-26 mai, Shanghai : W-Power China, Salon international dédié à l’énergie éolienne

24-26 mai, Shenzhen, CIBF, Salon professionnel des batteries électriques

25-26 mai, Shanghai : PAYMENT Chia, Conférence sur le marché des moyens de paiement

26-27 mai, Pékin : Unconventional Gas China, Salon international et conférence pour les gaz non conventionnels et gaz de schiste

biofach26-28 mai, Shanghai : BIOFACH China, Salon et Congrès mondial des produits bio

27-30 mai, Chongqing : CWMT, Salon des machines de production

31 mai – 1er juin, Pékin : ISH & CIHE China, Salon du chauffage, ventilation et air conditionné

31 mai – 1er juin, Penglai : SITEVINITECH, Forum international du vin et des équipement vitivinicoles