Le Vent de la Chine Numéro 4 (XX)

du 31 janvier au 7 février 2015

Editorial : Valls en Chine – une rencontre au beau fixe

Au 1er ministre français Manuel Valls, les 29-31/01, Pékin réserva tous les honneurs, salué par le Président Xi Jinping, son homologue Li Keqiang et Zhang Deqiang, Président du Parlement, les trois grands édiles de la République populaire de Chine. Comme le remarqua J.P. Raffarin, l’ex-1er ministre également du voyage, «  les Chinois ont un œil sur les jeunes politiciens étrangers de talent : ils voient leur avenir et visent sur le long terme ». 

Au cours de son périple, Valls visita de nombreux sites, tels la chaîne d’Airbus A320 (Tianjin), le centre de R&D Michelin (Shanghai), le site Wangjing-Soho (Pékin), équipé par Schneider Electric. Entre France et Chine, le beau fixe régnant depuis deux ans, permettait à Valls de viser deux objectifs :
– le « rééquilibrage » des échanges, qui se faisaient en 2014 à 2,5 contre 1 en faveur de la Chine, causant un déficit français de 26 milliards d’€. L’estimant « insoutenable », Valls réclamait plus d’ouverture aux produits français. Li répondit que son pays ne souhaitait pas voir ce déséquilibre s’aggraver, et agirait pour le résorber. De bonnes paroles certes, mais aussi, 11 chantiers furent signés par de grands groupes, 
– l’ environnement. Une majorité des 11 projets signés à Pékin touchent à sa protection, par la décarbonisation de l’économie : via le nucléaire ( EDF avec CGN), les énergies renouvelables ( GDF-Suez avec SCEI, Sichuan), la pile à combustible ( Air Liquide avec SAIC) ou la création d’un parc-prairie (agence AFD avec la province du Shanxi). 

Surtout fin novembre, Paris accueillera la conférence COP 21 de l’ONU contre le réchauffement climatique. En cas d’accord, chaque nation dès 2020 devrait respecter des engagements de coupe d’émissions de CO2. A ce jour, la Chine a toujours refusé, prétendant laisser les pays « riches » fermer leurs usines. Mais les choses changent : Pékin sait qu’avec 40% des émissions mondiales, elle a atteint un niveau insupportable, même pour son peuple (1,5 million de décès par an en maladies respiratoires). Aussi depuis 2013, Pékin et Paris échangent et se préparent au COP 21 : convaincus que s’ils réussissent à créer une position commune entre Chine et Union Européenne, les Etats-Unis et le monde devront suivre.
La visite fut pour Pékin l’occasion d’ un signal discret mais essentiel : Chen Jining, le jeune (50 ans) Président de l’université Tsinghua, environnementaliste convaincu et favorable au COP 21, fut nommé « Secrétaire du Parti » au ministère de l’Environnement. Un poste qui invariablement s’accompagne de celui de ministre. Or le titulaire Zhou Shengxian (homme associé aux politiques négatives de la dernière décennie), à 65 ans, est sur le départ. 

Le dernier jour pékinois Valls, qui avait exprimé le vœu de rencontrer six intellectuels locaux sur terrain neutre (au centre culturel privé Yishu 8), vit tous ces invités se « désister » un à un. Comment faut-il comprendre cette péripétie? Bien sûr, la Chine a interdit cet échange – délicat en temps normal, et impossible au cœur de l’actuelle campagne de rectification de Xi Jinping. Mais en dévoilant un tel projet 15 jours à l’avance, peut-être Valls a-t-il forcé Pékin à réagir, ce qui lui a donné l’occasion, auprès de Li Keqiang, d’un dialogue approfondi sur les droits de l’Homme ? Un terme qui cristallise l’ambiguïté et la subtilité de la relation franco-chinoise!


Politique : La Chine après la fronde

Xi Jinping se trouverait-t-il dans les guêtres d’un Louis XIV en début de règne ? L’analogie mérite qu’on s’y arrête : entre l’auteur du « Rêve de Chine » et le Roi Soleil, entre le XVIIème siècle français et le XXIème chinois, l’histoire vient offrir une subtile série de points de comparaison. 

<p>Ainsi, avant même son arrivée au pouvoir en mars 2013, le Président Xi s’est retrouvé, à l’instar de Louis XIV, confronté à une « fronde », révolution de palais par une coalition de grands du régime déterminés à préserver leurs privilèges. Comme Louis XIV, pour se défendre, Xi a dû disparaître quelques jours, le temps de préparer la contre-attaque. Puis une fois les rênes du pouvoir fermement en main, Xi n’a eu de cesse (comme le jeune roi) de remanier police et armée pour les rendre fiables, et de bannir ou faire arrêter les princes félons, ce qui dans les deux cas, a fait régner pendant un temps un climat politique glacial. 

Interrompons la comparaison pour poursuivre l’analyse : 22 mois après l’intronisation de Xi, la Chine vit dans un brouillard épais de luttes internes. Le 24 janvier, le Politburo se réunissait une fois de plus—la fréquence de ses meetings s’accélère. C’était pour réitérer « l’autorité absolue » du PCC et les « risques et défis de sécurité nationale sans précédent ». On peut s’en étonner, après 65 ans de règne sans alternance ni partage sur cet immense pays. Mais on peut mieux comprendre, quand selon la rumeur, début janvier, de hauts cadres auraient pu échapper à l’arrestation, en opposant leurs milices privées à la police. 

Toujours plus de personnalités sont soupçonnées de corruption : chevaliers d’industrie tels Li You, (CEO de Founder) voire Jack Ma (PDG d’Alibaba), apparatchiks (Li Yuanchao, vice-Président de la République, membre du Politburo, proche de Hu Jintao), artistes (le comédien Zhao Benshan). Fait inouï : sur demande de Xi-même, Xinyou Tongxun, la firme high-tech de ses sœurs ainées (Xi An ’an, Qi Qiaoqiao), aurait été récemment fermée. 

Chengming, hebdo de Hong Kong, croit que la CCID (Commission Centrale de Discipline du Parti)s’intéresserait à Zeng Qinghong. Cet ex-bras droit de Jiang Zemin (qui avait en vain tenté de l’imposer comme son successeur), serait accusé d’un patrimoine évidemment injustifiable par son traitement de haut cadre, de 3,2 milliards de $. 

Le 25 janvier, Xi visitait à Kunming (Yunnan) le 14ème corps d’armée : visite très symbolique, car cette force avait été créée avant 1949 par Bo Yibo, père de Bo Xilai (le « prince rouge », aujourd’hui en prison). En 2012, Bo Xilai avait « rendu visite » à cette force fidèle à son père, quelques jours avant de rentrer à Pékin et d’y être appréhendé.

En marge de ces événements, refleurit dans la presse un vocabulaire suranné : le 24 janvier, Xi adjure les membres du Parti d’« adhérer au matérialisme dialectique », pour mieux « approfondir la réforme ». Ce terme de l’époque glorieuse, sert à occuper un terrain gauchiste important par les temps qui courent (cf VdlC n° 1).

Le dernier développement ne surprendra pas : au même moment, le gouvernement se lance dans un resserrement de l’internet et une frappe sur les réseaux virtuels (VPN), l’outil unique permettant d’accéder à des milliers de sites étrangers, censurés en Chine. Les fournisseurs de VPN sont frappés par des moyens techniques nouveaux—c’est un tournant dans cette bataille de l’information et de la pensée. Pour certains, l’attaque est lancée en profitant de l’approche du Nouvel an lunaire : l’économie souffre moins de l’étranglement de ses liens avec l’étranger. Il s’agirait de censurer toute révélation sur la bataille politique –la presse justifie l’offensive par « la sécurité du territoire », voire la « souveraineté de la nation ». 

D’autres actions de la même eau sont l’interdiction réitérée aux écoles et grandes écoles de tout matériau pédagogique colportant des « valeurs occidentales », ou l’obligation nouvelle à tout écrivain de s’enregistrer pour pouvoir publier sur internet sous son vrai nom, mettant ainsi un terme à la longue tradition du nom de plume, incitant implicitement les auteurs à l’autocensure.

La mesure toutefois ne fait pas l’unanimité : plusieurs intellectuels chinois, et le South China Morning Post redoutent un prix à payer par la nation pour cette politique. Dût-elle durer, elle pourrait entraîner dans la société un déficit en recherche et en études, faute d’accès aux sources extérieures. Il s’en suivrait une baisse de compétitivité des universités chinoises, et un affaiblissement technologique du pays, du type de celui qu’avait vécu la Chine au temps des Ming.

Toutes ces mesures se trouvent heureusement mitigées par la présence de 600.000 jeunes Chinois hors frontières, dans des écoles et universités d’Europe et d’Amérique notamment—y compris les enfants de l’actuelle classe dirigeante ! Protégés de cet appauvrissement voulu par leurs pères, leurs progénitures seront en état, plus tard, de réinjecter en Chine les contenus aujourd’hui bannis de la pensée occidentale.


Economie : Endettement – La Chine à petite vapeur

Le 20 janvier, quand le Conseil d’Etat publia son bilan économique annuel, le monde sut que le pays était engagé dans une ère de croissance plus faible, dite « nouveau normal », selon le 1er ministre Li Keqiang. Avec un PIB de 63,65 trillions de ¥, la croissance chinoise a ralenti à 7,4%, taux le plus bas depuis 24 ans. 

<p>L’immobilier vit l’investissement reculer de 9% et ses prix de 4,3% (dans 68 villes sur 70). Mais les ventes augmentèrent de 9% en chiffre d’affaires : les promoteurs déstockèrent pour survivre, réduisant ainsi le risque d’explosion de la bulle, et favorisant l’objectif de l’Etat d’un marché immobilier plus accessible aux masses. 

L’industrie vit ses profits chuter à 3,3%, plus bas taux depuis 2008. A 5,52 trillions de KW/h, l’électricité vit son usage progresser de 3,8% – c’est très peu. La houille, pour la 1ère fois en ce siècle, recule de 2,5%, à 3,52 milliards de tonnes (sur 11 mois). Les échanges extérieurs n’atteignirent que 3,4%, moitié de l’objectif visé, et l’inflation (signe de santé de la consommation intérieure) ne fit que 2%, quand l’objectif était 3,5%. 

Cause n°1 de l’essoufflement : l’endettement des pouvoirs locaux qui contournent depuis 10 ans les consignes d’austérité et empruntent via leurs 8000 « véhicules financiers locaux ». Leur dette, en juin 2013, fait 2900 milliards de $ et 67% de plus qu’en 2010.
Pour cet expert officiel cité par Reuters en 2014, près de 7000 milliards de $ de tels fonds avaient été investis sur 5 ans à perte. Leur remboursement doit être réalisé par roll-over d’emprunts frais : 50% de la dette nouvelle ne sert qu’à payer les intérêts des anciens, faisant frein puissant à la croissance. Pour le FMI en 2014, la dette publique fait 36% du PIB, contre 18% en 2008. Au rythme actuel, elle dépassera 52% du PIB dès 2019. 

Nonobstant, pour poursuivre le programme de décollage économique, les villes doivent continuer leur programme d’équipement. Wuhan (Hubei) investit 800 milliards de ¥ de 2012 à 2016, dans 6 lignes de métro, trois ponts suspendus sur le Yangtzé et un aéroport. 

Décidé en octobre 2014, un plan de désendettement des provinces démarre. Chacune a d’ores et déjà reçu un plafond annuel d’emprunt. Tout dépassement par les « véhicules » est soumis à permis spécial, qui ne sera accordé que rarement. Deux types de financement seront favorisés pour délester les finances locales :
– les projets sous financement central, tels les hôpitaux et les parcs ;– les équipements en BOT (Build, Operate, Transfert), typiquement pour la distribution de « commodities » urbaines et le retraitement de déchets. Confiés aux groupes publics ou privés, supposés « rentables », ils se paient sur une concession de 15 à 30 ans. 

Enfin, cette dernière provision du plan, si appliquée, fera effet sismique dans l’économie chinoise : le droit à la faillite. La province va renoncer à la pratique confortable (pour les groupes en difficulté) et ruineuse (pour le tissu social) du « repêchage » aux frais de l’Etat. 

Résultat de ce plan tel qu’attendu par la Deutsche Bank en 2015, le revenu fiscal total augmenterait d’1%, et celui des pouvoirs locaux baisserait de 2%, les ventes foncières (source de plus d’un tiers de leurs revenus) chutant de 20%.
C’est sans doute en lien avec ce plan que sont dus les deux dernières mesures financières du Conseil d’Etat. Par le biais des organes tutélaires spécialisés, il interdit aux banques (8/12) le prêt sur hypothèques à bas taux. Puis (19/01), il bannit aux banques et maisons de courtage le prêt aux comptes crédités de moins de 500.000 yuans. Ceci, afin de décourager la spéculation qui, en 12 mois, a fait fuser la bourse de Shanghai de 67%. 

Un petit signe se produit alors, indice à la fois d’une efficacité du plan, et des risques qu’il ouvrira, en cas d’une trop grande réussite : le 26/01, Yan Jiehe, à la tête de CPCG (groupe privé de génie civil ) porte plainte contre 6 pouvoirs locaux pour impayés. Ni les accusés, ni les dettes en souffrance ne sont publiés, mais Yan assure qu’au vu de la loi et du dossier, il est certain de gagner. 

L’Etat laisse faire, confirmant la volonté de forcer les provinces à changer de train de vie. A Wuhan cependant, vrombissante de grues et engins, les plans d’austérité de Pékin semblent émaner d’une autre planète et restent ignorés : plus de 1000 projets immobiliers se construisent jour et nuit, vendus à peine annoncés. « La crise, connais pas » ! 

Ce qui pose un vrai problème de cohérence entre les objectifs de l’Etat central, qui sont contradictoires :
maitriser la dette. Eviter qu’elle n’étouffe la confiance du secteur privé est un impératif absolu, sous peine de subir l’explosion d’une bulle immobilière et de tous les secteurs perclus de rivalité entre les provinces, et de capacités excédentaires. Mais l’effort sera douloureux : Wei Yao, analyste à la Société Générale, estime à –0,7% le poids de ce plan de désendettement sur le PIB.
– faire passer la population urbaine de 52,6% (fin 2012) à 60% d’ici 2020 moyennant l’accueil de 60 millions de migrants nouveaux d’ici là, est un impératif auquel le pays ne peut renoncer. Pour cela, il faudra d’autres dizaines de millions d’emplois nouveaux par an, des hôpitaux, écoles, logements, routes et aéroports. Et donc, d’autres emprunts des gouvernements régionaux et municipaux.

Comment sortir de ce cercle vicieux ? Nous présenterons et analyserons le grand plan central de redéploiement économique, au prochain numéro.


Juridique : Justice – une réforme en trompe l’œil

Le 20/01, Meng Jianzhu, patron des Affaires judiciaires (membre du Politburo) énonça devant la Commission « politique et légale » du Comité Central les instructions de Xi Jinping sur la réforme de la justice : aux « comités judiciaires » présents dans chaque tribunal, Xi ordonnait de laisser les juges instruire leurs affaires en toute indépendance. Ces juges devraient être choisis pour leur « professionnalisme, conscience politique et intégrité », et leur « loyauté envers le Parti, l’Etat et le peuple ». 

Autant de formules qui expriment l’ambiguïté du pouvoir face au système judiciaire. Depuis son arrivée à la tête du pays, Xi veut rendre aux tribunaux plus d’indépendance… mais sans toucher au monopole du Parti sur la justice ni surtout à celui de ces « comités » qui, en pratique, désignent les juges et décident des verdicts. Une source essentielle de pouvoir et de richesse.

Pourtant, au terme de cette même conférence, Zhou Qiang, Président de la Cour Suprême, ne manqua pas de s’indigner de la pratique fréquente des juges d’expulser du prétoire les avocats de la défense, il dénonça comme perversion la tendance de ces derniers de s’entendre avec l’avocat général avant le procès pour fixer le verdict d’avance. Et quand l’avocat proteste, il se retrouve chassé du tribunal par les huissiers.
Cette parodie de justice est ancienne en Chine, dénoncée par de nombreux juristes et avocats tel Zhang Sizhi, qui défendit Jiang Qing et la bande des quatre en 1979. De nos jours, le PCC émet le souhait de voir changer les choses, mais sans toucher aux fondements. De fait, les soupirs de Zhou Qiang ne changeront guère à la réalité des prétoires. 

Shenzhen au moins, la ville-laboratoire social, voit cette semaine débuter 2 innovations.
L’une est l’implantation du premier « tribunal de circuit », dont les 13 juges prêtaient serment le 28/01 (cf photo). Ils statueront sur les affaires administratives et civiles des trois provinces méridionales – Guangdong, Guangxi et Hainan – et serviront en pratique de Cour de Cassation, pour soulager la Cour Suprême.
En même temps, Qianhai, la zone économique spéciale de Shenzhen, ouvre la première cour d’assise du pays, avec jury—une pratique jusqu’alors inconnue en Chine. Une partie des jurés doit venir de Hong Kong. Toutefois, comme déclare le professeur Dong Likun, de l’Institut des affaires Hong Kong-Macao, tout dépendra du mode de désignation de ces jurés, et des pouvoirs qui leur seront conférés – tout cela reste encore à déterminer.


Hong Kong : L’heure de l’après-Occupy Central
L’heure de l’après-Occupy Central

En novembre et décembre derniers à Hong Kong, Occupy Central, au pic de l’effervescence, rassembla des foules contre la réforme électorale tronquée imposée par Pékin. Ce fut en vain : bien soutenu par le pouvoir central, C.Y. Leung, le Chief Executive tint bon. Mais les leaders socialistes ont été choqués de cette fronde : la contre-offensive se lance. Un mot d’ordre fait florès : « Hong Kong doit apprendre de Macao », l’enclave lusophone traditionnellement plus obéissante.

<p>Plusieurs leaders d’Occupy Central ont été convoqués à la police, qui leur présente des preuves de leurs fautes (cf photo). Mais ils ressortent libres : l’objectif est de faire peur, pas de ranimer la révolte. De plus, la police sait bien que la justice indépendante, ne les suivra pas.
A Pékin, le Front Uni, organe des rapports avec les forces non-communistes reçoit un nouveau chef en la personne de Mme Sun Chunlan du Politburo, qui co-gérera Hong Kong (peut-être plus souplement) avec Zhang Deqiang, Président du Parlement.
Pékin tente de diviser les élus démocrates : il fait savoir qu’à condition de lâcher la dissidence, ils pourraient être reclassés patriotes, et donc éligibles au poste suprême de Chief Executive.
Tous ces efforts du pouvoir central, sont liés aux impératifs de l’agenda : bientôt, le Legco (Parlement local) devra voter la réforme électorale made in China. S’il l’élimine, comme il semble s’y préparer (au dernier sondage, 48% de l’opinion souhaite qu’il le fasse), Pékin devra proroger l’actuel système, et renier son engagement signé avec Londres en 1984.
De son côté, la population semble loin de plier. Le 1er février, la 1ère manifestation de l’après « Occupy Central » s’élançait. 50.000 activistes étaient attendus. C’est l’indice que pour Hong Kong, le bras de fer avec Pékin ne fait que commencer : le « dos à la mer », la ville n’a rien à faire !

NB : vis-à-vis de Hong Kong, l’étranger sort de son apathie. H. Swire, ministre britannique des Affaires étrangères, tente début janvier de rencontrer le gouvernement local—qui refuse. Et le Congrès américain prépare un amendement de loi, un bilan annuel du « degré d’autonomie » réservé à Hong Kong par la Chine – la ville a de bonnes chances de devenir un thème électoral de la campagne présidentielle américaine de 2016.


Petit Peuple : Fenghua : les deux vies de Liang Jianxin (Partie 2)

Résumé de la 1ère Partie : Liang Jianxin, cadre modèle, venait de chuter dans l’enfer socialiste. Tout puissant patron de la santé de Fenghua (agglomération « urbaine » du Zhejiang), il venait d’être limogé pour corruption, condamné, suite à un procès éclair, à 8 ans de prison. Ses premiers jours derrière les barreaux, incapable de contrôler son désespoir morose, il était balloté, dans sa tête, par trois sentiments rivaux et contradictoires.

Liang Jianxin était scandalisé, pensant à tous ses collègues restés libres quand lui devait croupir. Quelle différence y avait-il entre eux et lui ?
Ils étaient tous fils de la haute, planqués sous l’aile protectrice d’un vieux papa rouge, alors que lui s’était fait seul, à l’énergie et au talent. Liang Jianxin au moins agissait pour la nation : eux roulaient en Mercedes aux bras de leurs amantes, bouffis d’orgueil et de luxe immérité. Il avait été attrapé, parce que Pékin voulait pour chaque district, un coupable pour sa campagne anti-corruption. Et c’est lui qui tombait, non comme le plus pourri, mais comme le plus facile à épingler. 

Mais en même temps, il fallait bien l’admettre, il avait de la chance dans son malheur. Les chefs, les copains ne l’avaient pas enfoncé. Au contraire, ils avaient gommé de l’accusation 90% de ses détournements, ne retenant que « 140.000 ¥ ». A bien y regarder, ils lui avaient épargné ainsi la perpétuité, ou pire encore… et n’avaient donc pas trahi les devoirs de l’amitié, loin de là—c’était le système qui péchait, pas eux ! 

Enfin une petite voix lancinante et cruelle revenait le tourmenter.
Quelle que soit la manière dont il tournait son cas, le bilan était affreux. Il n’était qu’un tricheur, abuseur, et à ce titre, légitimement puni. Au fil des années, de sa trop facile carrière il avait sombré, noyé dans l’ivresse de la toute puissance. Il avait détourné l’argent de la société, les femmes des autres, usurpé le socialisme et foulé aux pieds la promesse de sa jeunesse de marcher droit. Or, la faute ne pouvait en être imputée qu’à lui-même : et c’est pourquoi il se retrouvait pleurant sans cesse, hier au tribunal, aujourd’hui dans sa cellule, au son des ricanements à peine étouffés des autres taulards. 

Cet ultime sentiment du remords et de la conscience, l’emportait sur les deux autres. C’était le rappel bouddhiste, nécessaire pour lui faire retrouver le droit chemin, car « dans la mer des souffrances, le rivage n’est jamais loin. On le trouve rien qu’en tournant la tête » (苦海无边,回头是岸; kǔhǎiwú biān, huítóu shì’àn). Bafoué et défié dans son honneur, Liang Jianxin remettait les pendules à l’heure et voyait resurgir ses valeurs d’antan. 

Du temps où il gérait la santé à Fenghua, il avait noté l’explosion des troubles respiratoires parmi ses 3 millions d’administrés, première cause nationale de mortalité, due à la pollution. Il avait eu un sentiment d’impuissance face au fléau – priorité à l’industrie, à l’emploi, qui enrichissaient tout le monde, et lui en premier. Mais ce qui le frappait à présent, c’était l’enthousiasme que tous avaient déployé à gaspiller : on aurait pu faire la même chose avec 10 fois moins de pollution, rien qu’en y mettant un peu plus de jugeote. 

A présent, il voulait y mettre un terme, ici, et maintenant. En incorrigible administrateur, bourreau de travail et surdoué, il voulait rendre productives ses années à l’ombre : ce serait sa manière de payer sa dette.
Ici, il avait pour chance son CV : le directeur du pénitencier le connaissait bien, et lui permit quelques dispenses – subjugué qu’il était après quelques minutes, par l’extraordinaire faconde de son ex-collègue et nouveau « pensionnaire ». 

Liang put commander études et manuels techniques médicaux et de biologie. Dans sa cellule, il eut bientôt à sa disposition une planche à dessin, un ordinateur, internet, divers outils et matières premières d’expérimentation. Et il se mit à inventer, déposant pas moins de 11 brevets en quatre ans, tous liées à la santé humaine.
En 2010, il conçut un masque respirateur nasal, à l’usage de toutes ces foules, dizaines de millions de travailleurs quotidiennement astreints à des heures de trafic pendulaire entre foyer et boulot. Il miniaturisa son respirateur à quelques millimètres, composé d’un filtre, treillis de fil d’argent, et de fibres extraites du melon, mélange produisant des ions bactéricides. L’Association Nationale des Médecins recommanda la poursuite des recherches, et préconisa un soutien public pour que cet outil soit au plus vite commercialisé : une telle technique de prévention du cancer et autres pathologies respiratoires, est d’utilité publique.

Depuis 2012 d’ailleurs, à 55 ans, à la moitié de sa peine, Liang a été remis en liberté anticipée. De cette phase de sa vie, il a tiré deux leçons qu’il n’oubliera jamais, même « quand ses dents seront tombées » (mòchǐbù wàng , 没齿不忘)- trop de liberté fait trébucher l’homme, mais une fois en enfer, talent et vertu peuvent l’aider à s’en sortir!