Résumé de la 1ère Partie : Liang Jianxin, cadre modèle, venait de chuter dans l’enfer socialiste. Tout puissant patron de la santé de Fenghua (agglomération « urbaine » du Zhejiang), il venait d’être limogé pour corruption, condamné, suite à un procès éclair, à 8 ans de prison. Ses premiers jours derrière les barreaux, incapable de contrôler son désespoir morose, il était balloté, dans sa tête, par trois sentiments rivaux et contradictoires.
Liang Jianxin était scandalisé, pensant à tous ses collègues restés libres quand lui devait croupir. Quelle différence y avait-il entre eux et lui ?
Ils étaient tous fils de la haute, planqués sous l’aile protectrice d’un vieux papa rouge, alors que lui s’était fait seul, à l’énergie et au talent. Liang Jianxin au moins agissait pour la nation : eux roulaient en Mercedes aux bras de leurs amantes, bouffis d’orgueil et de luxe immérité. Il avait été attrapé, parce que Pékin voulait pour chaque district, un coupable pour sa campagne anti-corruption. Et c’est lui qui tombait, non comme le plus pourri, mais comme le plus facile à épingler.
Mais en même temps, il fallait bien l’admettre, il avait de la chance dans son malheur. Les chefs, les copains ne l’avaient pas enfoncé. Au contraire, ils avaient gommé de l’accusation 90% de ses détournements, ne retenant que « 140.000 ¥ ». A bien y regarder, ils lui avaient épargné ainsi la perpétuité, ou pire encore… et n’avaient donc pas trahi les devoirs de l’amitié, loin de là—c’était le système qui péchait, pas eux !
Enfin une petite voix lancinante et cruelle revenait le tourmenter.
Quelle que soit la manière dont il tournait son cas, le bilan était affreux. Il n’était qu’un tricheur, abuseur, et à ce titre, légitimement puni. Au fil des années, de sa trop facile carrière il avait sombré, noyé dans l’ivresse de la toute puissance. Il avait détourné l’argent de la société, les femmes des autres, usurpé le socialisme et foulé aux pieds la promesse de sa jeunesse de marcher droit. Or, la faute ne pouvait en être imputée qu’à lui-même : et c’est pourquoi il se retrouvait pleurant sans cesse, hier au tribunal, aujourd’hui dans sa cellule, au son des ricanements à peine étouffés des autres taulards.
Cet ultime sentiment du remords et de la conscience, l’emportait sur les deux autres. C’était le rappel bouddhiste, nécessaire pour lui faire retrouver le droit chemin, car « dans la mer des souffrances, le rivage n’est jamais loin. On le trouve rien qu’en tournant la tête » (苦海无边,回头是岸; kǔhǎiwú biān, huítóu shì’àn). Bafoué et défié dans son honneur, Liang Jianxin remettait les pendules à l’heure et voyait resurgir ses valeurs d’antan.
Du temps où il gérait la santé à Fenghua, il avait noté l’explosion des troubles respiratoires parmi ses 3 millions d’administrés, première cause nationale de mortalité, due à la pollution. Il avait eu un sentiment d’impuissance face au fléau – priorité à l’industrie, à l’emploi, qui enrichissaient tout le monde, et lui en premier. Mais ce qui le frappait à présent, c’était l’enthousiasme que tous avaient déployé à gaspiller : on aurait pu faire la même chose avec 10 fois moins de pollution, rien qu’en y mettant un peu plus de jugeote.
A présent, il voulait y mettre un terme, ici, et maintenant. En incorrigible administrateur, bourreau de travail et surdoué, il voulait rendre productives ses années à l’ombre : ce serait sa manière de payer sa dette.
Ici, il avait pour chance son CV : le directeur du pénitencier le connaissait bien, et lui permit quelques dispenses – subjugué qu’il était après quelques minutes, par l’extraordinaire faconde de son ex-collègue et nouveau « pensionnaire ».
Liang put commander études et manuels techniques médicaux et de biologie. Dans sa cellule, il eut bientôt à sa disposition une planche à dessin, un ordinateur, internet, divers outils et matières premières d’expérimentation. Et il se mit à inventer, déposant pas moins de 11 brevets en quatre ans, tous liées à la santé humaine.
En 2010, il conçut un masque respirateur nasal, à l’usage de toutes ces foules, dizaines de millions de travailleurs quotidiennement astreints à des heures de trafic pendulaire entre foyer et boulot. Il miniaturisa son respirateur à quelques millimètres, composé d’un filtre, treillis de fil d’argent, et de fibres extraites du melon, mélange produisant des ions bactéricides. L’Association Nationale des Médecins recommanda la poursuite des recherches, et préconisa un soutien public pour que cet outil soit au plus vite commercialisé : une telle technique de prévention du cancer et autres pathologies respiratoires, est d’utilité publique.
Depuis 2012 d’ailleurs, à 55 ans, à la moitié de sa peine, Liang a été remis en liberté anticipée. De cette phase de sa vie, il a tiré deux leçons qu’il n’oubliera jamais, même « quand ses dents seront tombées » (mòchǐbù wàng , 没齿不忘)- trop de liberté fait trébucher l’homme, mais une fois en enfer, talent et vertu peuvent l’aider à s’en sortir!
Sommaire N° 4 (XX)