Le Vent de la Chine Numéro 4

du 1 au 7 février 2010

Editorial : Football—un Plan B de la dernière chance

Google partira-partira pas? Le suspense continue. En Chine ou ailleurs, nul ne veut en sourire, vu les lourdes conséquences sur l’avenir des relations entre Chine et monde, sous l’angle de l’internet. Le groupe de Mountain View et Pékin donnent des signes de vouloir maintenir ce lien si bénéfique pour les deux parties.

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Une nouvelle affaire touche de bien plus près les Chinois. A Pékin, à l’AGS (Association Générale des sports, le ministère de facto), l’interpellation le 15/01 de Nan Yong, Président de la CFA, l’association du football chinois. Venue de Shenyang (Liaoning), une équipe de la brigade anti-mafia a passé les menottes à ce Mr Football, en charge de la Ligue et du «Onze» national. Le suivaient en prison Yang Yi-min, vice-président de la CFA et Zhang Jianqiang, patron du corps des arbitres. Limogés depuis, les trois hommes sont accusés de trucage de matchs et de trafic d’influence, lors du transfert d’un joueur et lors de négociations avec un sponsor britannique, le tout, pour des millions ¥uan de bakchich.

Nan Yong sentait le vent du boulet, suite à une petite phrase de Hu Jin-tao dès octobre 2009, qui marquait le coup d’envoi de la campagne de grand nettoyage. Des centaines de limiers experts des mondes sportifs et mafieux entendaient plus de cent joueurs, entraîneurs, sifflets noirs (arbitres véreux), présidents de clubs, cadres de la CFA. Ils en coffraient 24, dont Jia Xiuquan, ex-capitaine et entraîneur de l’équipe nationale.

La purge ne fait que débuter. Un de ses buts consiste à désigner au public, avant le chunjie, des responsables à l’échec du Onze chinois dans la qualification au Mondial d’Afrique du Sud (juin 2010), et exonérer les athlètes. Il s’agit de réconcilier le public avec cette équipe au bout du rouleau (93ième rang mondial), et lui donner une chance de remonter la pente. Liu Peng, ministre des sports évoque la création d’une ligue junior, à partir de 2200 lycées et collèges, pour régénérer le ballon rond chez les jeunes. L’enjeu est clair: trouver pour le football chinois un Plan B de la dernière chance.

Les intéressés (sportifs, jeunes) en doutent. La rafle actuelle ne garantit en rien le changement structurel qui transformerait la CFA (d’époque stalinienne, organe de contrôle des masses) en Fédération élue, autonome.

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Sur le dossier climatique, tout en affichant le « succès complet » de sa prestation à Copenhague, la Chine vit un souci, voyant se matérialiser son cauchemar, un échec du COP 15 dont UE et USA la rendent responsable.

Face à l’orage, elle fait ce qu’elle sait le mieux faire: aller de l’avant. Elle annonce une future taxe de pollution des voitures, un plan de contrôle des rejets de métaux lourds, le renforcement du filtrage des eaux usées (10Mm²) et des fumées des centrales thermiques (capacité totale de 50Mkw). Le ministère de l’environnement a interdit en 2009 pour 19MM² d’investissements, en projets polluants, et l’objectif quinquennal, d’une baisse de 20% des émissions de SO² (air) et de COD (eau), sera atteint fin 2010, dans les temps.

Enfin, dans leur «lettre d’intention» commune, émise avant le 31/01 selon leur promesse du mois dernier à Copenhague, les 4 pays du groupe BASIC (Brésil, Afrique/Sud, Inde et Chine) réitèrent leurs engagements volontaires de réduction de gaz à effet de serre. Pour la Chine, cela donne une baisse d’ici 2020 de 45% de son intensité énergétique, une hausse à 15% de sa part d’énergies renouvelables et une reforestation de 40M d’hectares et de 1,3MMm3 de masse ligneuse. Contrepartie de ces offres qui ne sont pas des coupes contraignantes, mais une atténuation de la courbe de leurs émissions brutes, les quatre pays du BASIC attendent des pays riches la tenue de leur propre promesse : 10MM$/an aux pays pauvres.

 

 


A la loupe : Canton : un premier de la classe, qui cherche sa voie

Canton affronte un problème délicat: comment relooker son modèle de croissance, insuffler aux cadres et patrons un peu du dynamisme individuel de HK, sans faire d’entorses au dirigisme autoritaire, dogme historique?

Le 29/01 s’ouvraient les sessions des parlements cantonais. La CCPPC (Conférence Consultative Politique du Peuple chinois) devait élire un nouveau Président (Huang Longyun, 58 ans, est pressenti), et l’APP (Assemblée Provinciale Populaire) donner le cap en économie et en politique. Sans surprise, l’ordre social reçoit une priorité renforcée vu la fièvre qui gagne les populations en pleine mutation sociale et technique. Exemple: la tentative d’implantation d’incinérateurs d’ordures à Likeng et Gaoming (près de Canton /Foshan), auxquels les riverains opposent de vives manifestations, ou encore les remous suite à la scandaleuse faillite de la messagerie DDS (21/01), qui gérait 10% du courrier et 70% des mandats du sud du pays. ——————————-————

Tout Canton ne parle plus que du plan du secrétaire du Parti Wang Yang qui voulait l’an passé «vider la cage et y faire entrer de nouveaux oiseaux»: délocaliser les vieilles PMI et implanter à leur place des secteurs à haute valeur ajoutée – services, High Tech. Mais le bilan de fin d’année s’est avéré le pire en 30 ans : un PIB à 9,5%, 27ème du pays, malgré les plus forts investissements publics de son histoire (100MM²). Après six mois, le pouvoir local a cédé, laissant les PMI redémarrer, au point de ne pas trouver assez d’ouvriers pour leurs besoins. Pour cette année, l’export doit gagner 10% et le PIB 9%. L’affaire laisse des traces. Presse et patrons reprochent au pouvoir d’avoir agi sans concertation ni écoute du marché. Wang Yang insiste pour relancer Canton sur de nouveaux rails (une réussite d’ici le XVIII. Congrès de 2012 serait bénéfique à sa carrière), et accuse d’obstruction ses «ronds de cuir»… ——-————————-————

Une autre chose va bouger : le centre-ville, promis aux bulldozers après le chunjie.

D’ici 2020 autour du Fleuve des Perles, les districts de Haizhu, Yuexiu et Liwan, verront 70% de leur sol (64km²) rebâti ou réhabilité moyennant 10MM² d’investissements publics/privés et le relogement de 0,6M d’habitants. Pratique rare: la mairie donne 15 jours aux habitants pour s’exprimer sur les rues et monuments à classer, afin d’éviter un centre-ville futur bétonné et sans âme, comme fréquent en ce pays. C’est une 1ère en Chine, sans doute, que de tenter de concilier l’inévitable spéculation foncière, avec la préservation de l’héritage historique et du cadre de vie des quartiers. Le tournant est palpable, par rapport au plan d’urbanisme de Canton en 2002, ignorant les suggestions de la Banque Mondiale et de l’UNDP (United Nations Development Program), qui bannissait le vélo dans ses murs pour faire de la ville un enfer du « voiture only »…

Ce plan géant immobilier succède au lifting de la ville dans la perspective des Jeux Asiatiques (12-27/11), affaire qui a rénové d’autres districts et permis l’apparition de chefs-d’oeuvre futuristes tels l’opéra de Zaha Hadid, groupe de rochers au bord du fleuve. Tant d’efforts promettant à terme de métamorphoser Canton en une des plus villes du pays où il fera le meilleur vivre.

 

 

 


Joint-venture : Grèce-Chine—l’emprunt raté

Entre Grèce et Chine cela aurait été le deal idéal. Athènes voulait restructurer sa dette, et Pékin diversifier les placements de ses 2400MM$ de réserves. La Grèce venait de vendre (25/01) pour 25MM² en bons publics à 5ans et 6,1%, et tentait à présent d’en placer autant à Pékin. Ainsi, le cabinet de Georges Papandreou espérait réduire à 3%, d’ici 2012, son déficit de 13% (lanterne rouge de l’Union Européenne).

Les choses ont vite mal tourné. La Commission Européenne a dénoncé les statistiques hellènes comme fantaisistes, diffusant une douche froide sur les acheteurs. Puis Yu Yongding, de la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales), un mentor supposé des autorités monétaires, s’est ostentatoirement porté contre l’achat de bons hellènes : « C’est à l’Union Européenne ou la Banque centrale européenne de sauver la Grèce »: scellant ainsi le sort de cette tentative, tandis que le ministre grec des finances s’enferrait dans un pauvre démenti…

L’intérêt de cet incident, est d’éclairer la passion de Pékin pour des pays pauvres et aux portes de l’Europe, telles Serbie ou Grèce. L’armateur Cosco a déjà racheté pour 3,4MM² la concession du port du Pirée. Prêter à Athènes, c’était se créer un allié votant dans les institutions de l’Union Européenne, qui n’aurait rien eu à lui refuser à l’avenir. Mais Pékin semble avoir aujourd’hui un intérêt encore plus fort que ses percées stratégiques dans le monde : la sécurité de ses réserves financières!

 

 


A la loupe : La fin des ambassades provinciales – ou bien?

Peu d’étrangers ont loisir de le voir, mais Pékin n’abrite pas moins de 5500 bureaux de représentation des villes, districts, chefs lieux et provinces, sans compter 5000 secrétariats de firmes provinciales à seule fin de guanxi (关系), relations. Le coût d’une telle infrastructure passe l’entendement : 8000 emplois pour les seules provinces -diplomates, financiers, experts, chauffeurs, tailleurs, cuisiniers, sans compter leurs familles ou amantes…

Leurs fonctions sont aussi occultes que leur présence. Elles vont de la collecte de renseignements, vitaux pour les instances provinciales, sur les nominations, règlements ou normes imminentes. Il donne aussi accès à la licence, à la réduction d’amende, ou au sursis à des milliers d’emplois, que les provinces ne pourraient obtenir depuis leur sol. Il permet enfin de caser dans la capitale des «enfants du pays», de remercier des cadres bienveillants, par des repas ou des nuitées de luxe et gratuits…

Mais face à ce réseau interlope, Pékin perd patience. Dans le cadre de sa campagne anti-corruption, le pouvoir central vient de donner six mois aux régions pour rapatrier la plupart de ces officines, avec pour seule exception celles des provinces et villes autonomes. Et encore désormais, elles feront l’objet d’une supervision rapprochée. Presque aussi important que la lutte anti-corruption, c’est aussi le lobbysme que Pékin veut réduire: ces bureaux aux mêmes intérêts ont tendance à s’unir pour mettre en échec tout projet central qui lèse leurs positions.

La presse locale doute des chances d’aboutir de cette tentative de coup de torchon. Pour une raison simple : ils constituent la parade des provinces au monopole de l’Etat jacobin sur les budgets, de la main de fer centralisatrice sur la police, et toute décision les concernant. Pour les provinces, savoir ce qui se prépare pour elles, quels types d’industrie, d’emplois sont dans le collimateur est une condition de survie, et même utile à l’intérêt, qu’elles partagent avec l’Etat, dans la stabilité sociale.

Ces bureaux ont de plus une utilité irremplaçable pour l’Etat central : ils l’aident à faire retourner chez eux leurs propres concitoyens montés à Pékin pour déposer une pétition: des millions/an, dont la capitale ne peut pas plus satisfaire la soif de justice que les instances locales, mais qu’il s’agit de rapatrier discrètement. Dernier obstacle à la fermeture de ces bureaux: les cadres provinciaux à Pékin, ont tendance invariable à protéger leur région… Enfin, si la pression de l’Etat se faisait trop forte, ces officines auraient toujours cet imparable recours pour subsister : changer de nom, d’adresse à la rigueur.

NB: l’initiative de Pékin semble annoncer des mesures inévitables mais impopulaires (taxe au carburant, doublement du coût de l’eau ou de l’énergie, nouvelles normes environnementales). Enfin, si l’on interroge les provinces sur leurs projets, concernant leurs bureaux dans la capitale, la tendance est claire: les renforcer et non les fermer. La seule solution, étant une réforme administrative déléguant plus de compétences aux provinces, et un jeu administratif assorti de plus de concertation.

 

 


Argent : Dans le cochon, tout est bon

Weinan (Shaanxi) aux 530.000 âmes paysannes s’apprête à battre le record du plus gros élevage porcin, avec son projet de parc agroalimentaire du Fleuve Jaune d’une capacité de 3 millions de têtes/an et 230.000t de viande organique haut de gamme. Coût à terme : 1MM$, dont 50% de l’étranger (dont Worldwide Resources, USA), 19% à la commune, 31% aux groupes locaux Innorich et CIIC.

Ce projet rend lilliputien des précédents Goliath, tels Fosun (Jiangxi, moins de 100M$ d’invest) ou Fu Teng (Nankin) qui espérait deux ans en arrière produire 1,8M de porcs en cinq ans. Les concentrations des 300M de fermes actuelles sont encouragées par l’Etat pour économiser l’eau, réduire la pollution, améliorer la sécurité vétérinaire et valoriser une chaîne complète de production. Ainsi, avec le méthane des excréments, le parc alimentera une turbine de 18Mkw/an, une usine d’engrais pour les filiales de fruits, légumes et fleurs. Le sang ira dans la pharmacie et les cosmétiques.

NB : en Joint venture avec les éleveurs danois, la Chine réalise le séquençage du génome du porc. Les applications d’avenir sont encore plus immenses : les coeurs, foies et autres organes d’élevage, compatibles avec l’organisme humain, pour les transplantations chirurgicales de demain.

 

 


Temps fort : TIBET – dans l’ombre du glacier, le dégel ?

Sur le front tibétain, c’est le dégel, après 15 mois. En nov. 2008, les palabres entre le PCC et les émissaires du Dalai Lama s’étaient achevés sur un désaccord complet. Pékin rejetait le mémorandum des exilés (leur offre de paix, basée sur leur concept de « voie médiane). Le statut du Tibet était « non-négociable ». Pékin n’acceptait de discuter que des conditions d’un retour du Dalai Lama.

Or les 18-20/01 se tint à Pékin un rare conclave des 300 principaux décideurs du pays, sur l’avenir du plateau, qui de manière atypique, conclut sans diatribe hostile au Dalai Lama, affirma que le Tibet était au centre des intérêts stratégiques du pays et émit une liste de mesures pour réduire le décalage de richesse entre Tibet et autres régions du pays, entre paysans (pasteurs) et citadins tibétains. Parmi celles-ci, il offrit aux transporteurs aériens chinois et étrangers des avantages fiscaux pour ouvrir de nouvelles routes vers le Toit du Monde. Il annonça une hausse des crédits jusqu’en 2020 pour plus créer d’écoles, d’hôpitaux, de projets écologiques, d’agronomie, de tourisme, de mines et de PMI. Fait notable, ce plan est offert au grand Tibet historique, incluant les zones ethniques des provinces riveraines, et non au seul Territoire autonome. Surtout Hu Jintao, qui connaît bien le plateau pour en avoir été Secrétaire du Parti, souhaitait «bâtir le Tibet selon ses propres caractéristiques»: écho curieux à Hu Yaobang qui appelait dès 1980 à Lhassa, à « 50 ans de liberté religieuse et administrative complète ». Or, ce slogan libéral avait été aboli en 1994.

Encore plus fort: les 30-31/01 à Pékin, le dialogue formel reprenait avec côté Dalai Lama, Lodi Gyari, Keltsang Gyaltsen, ses ambassadeurs itinérants. Démontrant un ton conciliant inhabituel, Pékin était prêt à réécouter les exilés lui expliquer leur «voie médiane». Que se passe-t-il donc? Tentons quelques éclairages :

[1] Barak Obama s’apprête à recevoir le Dalai Lama en février, ce qui force Pékin à rouvrir les palabres, pour ne pas apparaître comme obstructionniste.

[2] Pékin veut stopper le retour des émeutes de 2008 qui firent 200 morts. Le meilleur moyen, étant d’accorder aux Tibétains certaines de leurs demandes: l’amélioration de leur sort, un dialogue avec leur père spirituel.

[3] Sous les armes depuis 22 mois, le Tibet n’a plus connu de violences: Pékin peut croire le temps mûr pour aller de l’avant. L’économie s’est peut-être redressée («5 millions de touristes» l’an dernier), mais avec ses routes barrées, l’économie réelle du Tibet doit souffrir : pour la relancer, il faut des crédits, mais -aussi- de la confiance.

[4] De l’avis d’experts tel Robbie Barnett, aucune de ces mesures ne constitue une concession réelle. Par contre, le système a été pris de court par l’éclatement simultané en mars 2008, de 125 manifestations, symptôme d’échec d’une politique, plus que des agissements des exilés. Politique dont les causes et les effets se dupliquaient un an après au Xinjiang. D’où, pour la frange la plus libérale du régime, la conscience de la nécessité d’explorer des voies nouvelles.

[5] Pékin aurait-il en tête cet enjeu d’obtenir un concordat sur le Pays des Neiges, du temps du vivant du Dalai Lama? Y verrait-il la chance de valider son autorité sur le plateau et de prévenir que resurgisse un sentiment séparatiste, une fois disparu son père spirituel, symbole de son identité et de tous ses espoirs ? Plus que l’issue de la réunion secrète, les mois prochains permettront d’y voir plus clair.

 

 


Petit Peuple : Xuchang : la promesse tenue, 30 ans plus tard

Ce soir du 10 mars 1979 au bivouac, Guo Yimin et Li Baoliang n’en menaient pas large. Éprouvés par des journées de harcèlement, ils attendaient le lendemain leur baptême du feu, bataille sanglante dont tous ne reviendraient pas.

Deux mois plus tôt à Xuchang (Henan), ces gars de 20 ans avaient voulu servir leur patrie et s’engager dans l’armée, honneur réservé aux élites. Mais à peine sous les drapeaux, ils se retrouvaient en première ligne au Vietnam dans une opération de «punition» commandée par Deng Xiaoping, qui tournait au désastre. Coincés dans le défilé de Langsong, ils subissaient un feu nourri d’artillerie lourde depuis des hauteurs réputées infranchissables, mais que l’ennemi avait su franchir. Durant leur veillée d’armes, les deux copains s’étaient juré, si le pire devait advenir, que le survivant ramènerait au pays la dépouille du disparu.

L’attaque eut lieu la nuit du lendemain -l’ennemi profitant de sa maîtrise du terrain. Li servait une mitrailleuse lourde en position avancée, dans le peloton n°1, Guo, artilleur aussi, étant affecté au peloton n°6. Le destin voulut que Li décède d’un éclat d’obus tandis que Guo grièvement blessé, était bien incapable de s’inquiéter du sort de son ami. Il ne reprit conscience qu’en Chine, pour découvrir que son unité avait dû battre retraite, laissant ses morts sur place.

Cette réalisation fut terrible: Guo avait failli à sa promesse. Non enseveli selon les rites, Li était condamné à errer dans les limbes entre terre, ciel et enfer sans jamais trouver la paix. De retour à Xuchang, Guo tenta de, et réussit plus ou moins bien à refaire sa vie, entouré par les siens. Mais jamais ne le quitta le souvenir brûlant de sa parole trahie.

Quand en mai 2009, 30 ans plus tard sonna l’heure de sa retraite, Guo savait de longue date à quoi il consacrerait ce temps libre. Il fit imprimer des calicots à l’inscription ‘‘ Chercher le corps du martyr », avec ses coordonnées de contact. Il voyagea par des dizaines de villes, pour les suspendre dans les axes à fort passage.

Il reprit aussi contact avec son régiment, espérant retrouver des détails pour localiser le lieu du décès. Quoiqu’incapable de le satisfaire, l’unité lui fournit néanmoins des détails presque aussi précieux : une carte d’Etat major avec les positions, les mouvements et les hommes du peloton n°1, tel Zhao Dekuan, promu héros de 1ère classe… Puis durant des mois, son enquête fit du sur place -même auprès d’amicales d’anciens du Vietnam, qu’il avait contactées par internet.

En octobre 2009 enfin, le lien se présenta: un ancien lui permit de trouver Zhao Dekuan lui permettant de remonter une étape. Zhao se souvenait de deux gars qui avaient tenté de sauver Li : Xu Ping et Chen Jianguo. Il conduisit Guo jusqu’à eux, l’un à Wuhan fin octobre, l’autre le 27 novembre à Changsha où il exerçait encore sa profession de chef d’atelier en usine. De sa bouche enfin, il écouta le récit des dernières heures de Li Baoliang.

Dans la nuit d’enfer, sous l’orage de plomb, l’ordre de retraite était tombé à 21h, alors que l’ennemi n’était plus qu’à 15m -on luttait pratiquement au corps à corps. Chen portait Li blessé, quand le lieutenant lui avait ordonné: « plus le choix maintenant, sinon, c’est toi qui y passe – dépose le à terre». Sous les balles qui traçaient, il avait déposé le corps, sans mê-me savoir s’il était mort ou vivant…

Ainsi 30 ans plus tard, tous ces vieux soldats, s’étaient re-trouvés autour de Guo Yimin, pris au jeu de retrouver leur disparu. Confrontant leurs souvenirs, ils avaient complété la carte remise par le régiment, sachant désormais à quelques mètres près le site où reposait Li Baoliang.

Ils en sont là. Ils s’apprêtent à retourner au défilé de Langsong. Rien ne saura les détourner de leur mission pacifique de souvenir. Ils sont bien conscients qu’à moins d’un miracle, ils ne retrouveront rien des restes du compagnon, mais qu’importe : ensemble, ils auront fait leur deuil, posé une gerbe ou une stèle, permettant à Li Baoliang de trouver le repos.

Sur le tard, au terme d’un long chemin, Guo aura tenu la promesse à son ami d’enfance. Il pourra enfin goûter une vieillesse au calme, des nuits tranquilles : comme s’il avait passé toute sa vie à faire fortune car, comme dit l’adage, « promesse tenue vaut mille taels d’or » : 一诺千金, nuò qiān jīn !