Le Vent de la Chine Numéro 36
Le 12/11, le Conseil d’Etat a arrêté son plan de relance, prenant le monde entier de surprise voire d’admiration, y compris le monde chinois des affaires. Un plan pourtant fidèle à son style de pouvoir. Volontariste, il vise une rapidité-éclair d’exécution et une croissance future basée sur la face cachée de sa société – les oubliés du progrès, les pauvres et les paysans.
Prise de risque: les professionnels espéraient une aide de l’Etat de 1,5% du PIB de 2007 : Pékin en octroie plus du décuple, 586MM$, dont 146MM$ en crédits neufs. Une rallonge qui s’explique par le constat par le 1er ministre Wen Jiabao, d’une crise « bien plus grave que prévue ». Wen opte donc pour un remède bien plus fort que celui des USA, en proportion des PIB respectifs: 17,8% pour la Chine, 5,1% pour les USA. Mais peut-on déverser des fortunes sur le pays, sans alimenter ipso facto la fraude? Pékin parie que «oui», car les structures d’accueil existent, avec les plans sociaux et environnementaux déployés par le tandem Hu Jintao – Wen Jiabao depuis 2003 et l’assainissement de l’administration provinciale -le transfert de la gestion financière, du niveau de base à celui du canton, plus capable, plus contrôlable.
Marché intérieur : avec ses 1900MM$ de réserves, la Chine est le pays le mieux armé pour organiser la contre offensive. Elle vient donc de faire connaître une shopping list de projets, à commencer par 146MM$ sur trois ans pour la protection de l’environnement. Elle veut améliorer l’accès à l’eau potable et le recyclage des déchets en milieu rural, et la lutte anti-smog dans des bassins industriels tel le Delta des Perles. D’ici 2011, 132MM$ iront dans quatre millions d’appartements à loyer modéré (3,5M d’emplois créés). D’autres efforts énormes iront à l’énergie (10 centrales nucléaires au moins sous deux ans, dont six « AP1000 » de Westinghouse), et en chemins de fer : 88MM$ en 2009, créant 6M d’emplois, tout en utilisant 200Mt d’acier et 120Mt de ciment.
Au plan financier, Pékin supprime toute entrave au crédit, octroie 17,6MM$ de grâce de TVA et une hausse (3ème depuis l’été) des primes à l’export, au bénéfice de 28% des produits : pour assurer la survie des 42M de PME. De multiples aides aux groupes sociaux faibles voient le jour : c’est une alternative au renfort massif de la couverture sociale, auquel Pékin ne se sent pas prêt, en période d’incertitude sur les rentrées fiscales.
Vitesse: elle est essentielle pour rendre aux chômeurs un pouvoir d’achat et couper court aux pertes d’emplois. Grâce à l’étroit contact entre ses cadres et patrons, la Chine sait exécuter vite ses décisions: les crédits du plan devront partir à court terme, tels ces 14,65MM$ devant être dépensés par 11 ministères, avant février 2009, ou ces 40 chantiers d’aéroports à engager sous un an.
En concevant ce plan, la NDRC (National Development and Reform Commission) savait qu’elle pouvait compter sur deux autres atouts : l’influx actuel d’Investissement Direct Etranger(+35% cette année) et l’épargne privée, alimentant un marché intérieur au potentiel à peine entamé (22% de hausse en octobre)… De tout ceci, elle attend la création de dizaines de millions d’emplois, une relance de la demande en matières 1ères, et au moins 9% de croissance d’ici fin 2009, qui pourrait lui permettre de servir de locomotive à l’économie mondiale. En ce cas, elle pourrait compter sur une influence nouvelle, un leadership inédit sur le reste du monde
En mai, Ma Ying-jeou, nouveau Président taiwanais (KMT, pro réunification) semblait l’homme du consensus, incarnant la réconciliation avec Pékin et le maintien de la croissance, mais aussi le garant de la souveraineté de l’île. Dans les relations avec la Chine, Ma promettait d’exclure les solutions extrêmes, indépendance et réunification. Mais un semestre après, les péripéties s’enchaînent tumultueuses, dont la dernière est l’arrestation (11/11) de Chen Shui-bian, son prédécesseur indépendantiste du parti DPP, emmené menotté à la prison de Tucheng, sous le matricule 2630.
L’auteur du scénario théâtral reste dans le flou – mais son inspiration « KMT » ne laisse pas de doute. Ma a pu vouloir avertir le DPP de sa détermination à « aller jusqu’au bout », ou bien donner des gages à la Chine, de son sérieux dans la démarche de réconciliation. Le « coup » peut aussi être parti de barons du KMT, ou de juges farouches partisans de la réunification.
Dans l’affaire, la crise mondiale a joué son rôle. En tranchant dans leurs importations, les USA, protecteurs naturels de Taiwan, ont fait reculer le commerce extérieur de l’île de 8,3%, alors que la Chine est devenue son 1er partenaire commercial (40 à 50% de son PIB). Ce mauvais chiffre, quoique lui laissant encore un excédent commercial mensuel de 3MM$, est un signal d’alarme.
L’incarcération intervient sept jours après le rétablissement de liaisons aériennes normales (108 vols/semaine, vers 21 villes chinoises), postales et touristiques. Des dizaines de milliers de manifestants ne purent empêcher la visite du négociateur chinois Chen Yunlin. Entre ces deux faits, nul hasard possible. 70% de la population croit l’ex-Président coupable de détournement de fonds électoraux et délit d’initié, fraudes qui l’écartent de la vie publique. Ma en profite et fonce! Mais pour autant, la déchéance de Chen Shui-bian ne signifie pas un chèque en blanc à Ma, pour procéder au rapprochement au pas de charge avec la Chine. Du coup, la vieille méfiance refait surface entre la majorité indigène hakka et min nan et la minorité han, rêvant du retour à la «mère patrie».
Face à l’offensive du KMT, le DPP ne peut qu’appeler au «dialogue», par la voix de Tsai Ing-wen, sa nouvelle cheffe, limitée cependant par le besoin de se démarquer de l’héritage de Chen.
Ma tente de rassurer : «seuls les Taiwanais décideront de leur avenir ». Conscient d’avoir tant gagné, Pékin évite de verser de l’huile sur le feu, et interrompt pour l’heure (on peut imaginer, sur demande de Ma) toute mission nouvelle de ses cadres vers l’île. Mais le prochain pas est déjà annoncé : un traité de paix en bonne et due forme. C’est un tournant dans l’histoire, rêve d’indépendance qui s’éloigne. Un peu perdue, la population sait ce qu’elle ne veut pas, mais n’y voit pas encore clair, sur ce qu’elle veut !
CRISE – 危机
Grippe d’automne pour la croissance
« Les années d’or ont pris une fin soudaine et dramatique, des temps bien plus durs nous attendent », déclare Steven Green, l’économiste chef à la banque Standard Chartered. On ne saurait mieux dire : à 8,2% en octobre, la croissance industrielle a reculé de plus de moitié par rapport aux 17,8% atteints en mars, et des dizaines de PME ferment chaque jour. Elles étaient 67000 au 1er semestre, sacrifiées par l’incapacité des banques à leur faire crédit. Un signe fiable de recul, est l’indice Baltic Dry, mesurant l’activité du trafic maritime vraquier sur 40 routes mondiales, dont la Chine est 1er usager. De mai à début novembre, le Baltic Dry a chuté de plus du décuple, de 11.793 à 891. Autre élément qui ne trompe pas : achevée le 6/11, la foire de Canton a eu 9% de visiteurs de moins qu’en 2007 (174.562) et le volume des contrats a reculé de 17,5% (31,5MM$). Européens comme américains, les acheteurs ont exigé plus de ristournes, imposant le maintien des prix de l’an passé sans répercuter les hausses de coût de 10 à 15%, d’où marges diaphanes, ou ventes à perte. 59,2% des contrats ont requis des délais de livraison plus courts. Pour 2009, ils sont une majorité, les vendeurs s’attendant à pire. Pour compléter le tableau des dégâts en Chine, Shougang, l’aciérie de Pékin dit à qui veut l’entendre que plan d’Etat ou pas, la sidérurgie chinoise produira 20% en moins l’an prochain (en octobre, toutes les aciéries ont été dans le rouge, avec leurs entrepôts débordant d’invendus). Même tendance chez PSA à Wuhan, qui débauche 1000 intérimaires, et BP qui se désengage de son projet de ferme éolienne de 148,5Mw en Mongolie, en JV avec Goldwind, le n°1…
INVESTISSEMENTS – 投资
Firmes : qui investit encore ?
En attendant la manne du grand plan, les firmes en Chine se calfeutrent dans leurs murs, jetant des frimas sur le paysage des affaires. A quelques exceptions près !
Le cours de son titre décimé, comme ses rivaux Anhui Conch et Holcim, Lafarge semblait hésiter à poursuivre ses projets d’expansion en Chine. L’annonce des grands travaux d’Etat change tout : d’ici 2010, le n°1 mondial du ciment va gonfler sa capacité d’1/3, à 34Mt, grâce à quatre unités nouvelles, au Guizhou, au Sichuan, et ailleurs. Komatsu le fabriquant de bulldozers (17% du marché chinois) caracole devant Caterpillar (10%), Hitachi et Terex, n°3 mondial des petits engins de voirie. Avec le plan nucléaire qui s’emballe (cf édito), Dongfang Electric prend le mors aux dents. En ferroviaire, on note le sourire de China Railways (-I, et -II), suivi de celui des étrangers Kawasaki, Alstom, Bombardier et Siemens. Airbus et surtout Boeing engrangent au Salon de Zhuhai 10MM$ de commandes pour 65 avions, dont 20 A320 pour le groupe de Toulouse… L’électricien Huadian brandit son vieux projet de centrale thermique intégrée à Caofeidian, futur port de Pékin. A 7,3MM$, elle sera la plus propre de Chine, voire la plus puissante, aux quatre turbines de 1000MW « super critiques » entraînant une unité de désalinisation de l’eau de mer, un lavage des fumées pour en précipiter le dioxyde de soufre, et le recyclage des cendres en matériaux de construction.
En agro-alimentaire, un cadre réglementaire plus strict va accélérer la concentration des élevages : Yurun (Jiangsu), l’éleveur porcin anticipe le mouvement, et annonce 516M$ de crédits pour absorber la concurrence. Yurun veut sextupler sa capacité d’abattage à 2,4Mt/an, 6% du marché (de 55Mt en 2015).
En électronique, le sauvetage par Datang Telecom de SMIC, producteur de puces à façon, est en route. Maître de la plupart des brevets du TD-SCDMA (la filière nationale de téléphone sans fil), Datang verse 172M$ à son fournisseur, en échange de 16,6% de ses parts, devenant ainsi son principal actionnaire. Il n’est pas évident qu’il le fasse de bon coeur, ni que l’affaire soit en or, mais la filière nationale de 3G est en jeu, et avec elle, des dizaines de MM$ de royalties à épargner, si TD-SCDMA parvient à convaincre son propre marché : « la Chine 3G vaut bien une messe »…
Enfin, en matière bancaire, la nippone Softbank prépare un fonds de 293M$ à Shanghai, en liaison avec la mairie, pour prêter en capital à risque aux fortunes privées. Pour sa part, la Banque de Chine se porte candidate (pas la seule!) pour le rachat au Royaume-Uni d’HBOS, son homologue en difficulté. Ce qui la rendrait maître d’un beau réseau d’agences et des dizaines de milliers de comptes privés Outre Manche. Lors d’une réunion des conglomérats d’Etat, cependant, le directeur de la SASAC (State-Owned Assets Supervision and Administration Commission) tempère de telles ardeurs: « gardez vos fonds. Le temps n’est pas mûr. Bientôt, les bonnes affaires ne manqueront pas »!
Un fait majeur de la semaine en Chine, est l’éclatement d’incidents violents, selon une trame immuable – un fait divers qui dégénère, faute d’une réaction rapide et appropriée des autorités.
A Shenzhen (7/11), un motocycliste force un barrage : un policier lui jette son GSM, le fait tomber—il meurt. S’ensuit une nuit d’émeutes, voitures brûlées, pétards, commissariat lapidé… La mairie achète la paix, 20.000¥ de compensation à la veuve.
Ailleurs, des milliers de taxis se rebellent contre un système de licence inéquitable, détournant les 9/10èmes de leurs recettes. Ils dénoncent le système : un trop petit nombre de firmes en monopole, confiées en prébendes à des proches du Parti. Abus alourdi par la concurrence de clandestins: à Chongqing, Sanya (Hainan), Yongdeng (Gansu), et autres, des centaines de voitures de briseurs de grève sont brûlées. Parfois, la police arrête les meneurs, parfois elle négocie, comme à Chongqing, où le Secrétaire Bo Xilai vient en personne discuter : mais la solution se trouve alors freinée par l’absence de délégués élus parmi les chauffeurs : la Chine paie, pour son interdiction des syndicats libres.
A Jiangyan (Jiangsu), 2000 ouvriers d’une usine paralysent la ville, dénonçant l’envol de leur patron Ge Weiqing, avec dans sa valise, 100M¥ de leurs fonds de pension et de leurs salaires… L’usine était désuète, mal gérée. Contre cet abus qui se multiplie, la Cour Suprême permet aux tribunaux locaux de confisquer les passeports des chefs d’entreprises réputées en faillite.
A Malanzhuang (Hebei), la mairie se vit assiégée (11/11) par des paysans réclamant justice, projetant une voiture incen-diaire dans son hall. La mairie avait laissé le gang d’un certain Zhang San forcer les fermiers à lui vendre leur terre à vil prix, sans bouger, même après l’exécution d’un récalcitrant.
Ces cas et 10.000 autres, la plupart tus par la presse, reflètent l’angoisse du lendemain, le sentiment de la crise qui gagne du terrain. En plus des millions d’emplois perdus dans les faillites de firmes, les services qui en dépendent disparaissent : à l’heure du dépôt de bilan, on évite restaurant, coiffeur, avion, on congédie sa « a-mah » ou son « a-yi » (personnel de maison).
Sous un tel climat, abus de pouvoir et corruption deviennent inacceptables. L’Etat tente de faire un exemple çà et là. A Tianmen (Hubei), quatre vigiles en prennent pour 3 à 6 ans, pour avoir frappé à mort, en janvier, un petit patron qui les filmait en pleine rixe. A Yongshan (Yunnan), le chef de la police notoirement corrompu, est sous examen pour avoir trop richement marié sa fille… Mais ces réactions ont du mal à convaincre : les opprimés de longue date, osent toujours davantage réclamer leurs droits !
AGRICULTURE— 农业
L’ABC, sauvée des eaux
La Banque de l’agriculture (ABC), aura été la dernière à être sauvée par l’Etat -après ses trois soeurs de la ville (BdC, ICBC, CCB).
Et pour cause : il y a peu, elle était encore réputée avoir 50% de dettes, contractée à travers ses 24000 agences, en 50 ans de service de tirelire aux maires de villages et de dépannage pour les salaires des PME rurales. En décembre dernier, elle affichait 116MM$ de prêts irrécupérables, et 203,7MM$ en septembre. Selon une technique rodée, l’Etat réalise cet assainissement en quatre temps. Huijin (filiale de la China Investment Corp. CIC) vient de lui injecter 19MM$ d’argent frais et en devient copropriétaire avec le ministère des Finances (50/50). Le 18/11, l’ABC émet 1,7MM$ de bons à 7 ans sur le marché interbancaire. En même temps, d’un trait de plume, l’Etat transfère 150 à 200MM$ des prêts faillis, vers les quatre principales structures de défaisance du pays. Enfin, le passage en bourse de HK est annoncé pour « fin 2009 » – si le climat financier le permet, bien sûr. But du jeu : rouvrir au plus vite le robinet des crédits aux paysans. Immédiatement, Guo Shuqing, son Président annonce 22MM$ disponibles pour l’an prochain. Tout en précisant qu’il faudra « renforcer la gestion interne du risque ». Ce qui signifie bien choisir ses clients, et prendre son indépendance vis-à-vis des hobereaux rouges : tout un programme!
ENVIRONNEMENT – 环境
La Chine se convertit aux crédits-carbone
« Le temps n’est plus où les leaders voyaient dans le réchauffement global un moyen commode d’obtenir gratuitement les technologies des pays riches… Ils savent désormais que l’environnement des Chinois ne peut être sauvé que par eux-mêmes » : ainsi s’exprimait le 13/11, l’expert Wu Bing, au moment où l’administration des forêts annonçait un système national de plafonds d’émissions des gaz à effet de serre (GES). Lors du lancement du système, chaque province recevra un quota de crédits carbone, subdivisé entre usines et villes, à charge pour eux de limiter leurs émissions au niveau octroyé. Puis des fonds-carbone mettront en lien administration, filière forestière et banques. Suivra une bourse nationale d’échange, où les provinces à solde positif vendront leurs droits résiduels à celles «dans le rouge». Les auteurs du plan veulent faire payer aux provinces industrielles le reboisement des régions vertes de l’Ouest. Ainsi une forêt chinoise renforcée, agrandie permettra de reconvertir en oxygène bien plus du CO² émis en Chine, que les 10% actuels. L’étude de Niu Wenyuan, professeur à la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales), conclut que l’Etat a « le devoir » et «les moyens» de forcer les provinces à se plier à un tel système, dépassant les égoïsmes locaux. A en croire cette nouvelle, il en a la volonté, aussi !
Les « petits ruisseaux » des droits de l’homme
Pour sa 1ère enquête depuis sept ans, le Comité de l’ONU contre la torture, à Genève, tenta le 11/11 d’interroger la délégation chinoise. Comme réponse, elle se borna à une déclaration écrite comme quoi le pays, champion de la «tolérance zéro» serait en train d’éradiquer la pratique dans son système judiciaire. Les 31 diplomates chinois présents acceptèrent d’évoquer un seul cas de personne disparue, celui du Tibétain Gendun Choekyi Nyima, enlevé en 1995 à l’âge de 6 ans après avoir été reconnu comme réincarnation du Panchen Lama par le Dalai Lama : il «mènerait une vie normale et ne souhaiterait pas être dérangé».
Situation bloquée en apparence, donc, mais sur d’autres plans, la Chine tentent de ravauder son image. Le 4/11, Pékin promet un plan d’action pour les droits de l’homme, et sous deux ans une «amélioration des droits des citoyens » (sic), « renforçant démocratie et état de droit ». Fin octobre, de même, Fu Xianwei, président du Mouvement patriotique des églises (l’organe de contrôle de toutes les confessions en Chine) se déclare prêt à légaliser les églises au foyer, celles qui ont fait le choix de clandestinité et de non allégeance. Autant de minces concessions, qui visent peut être à adoucir la critique du rapport du Conseil des droits de l’homme, à paraître en février 2009… Dans la société, cependant, l’audace grandit : au tribunal à Chengdu, lors du procès de Chen Daojun accusé de séparatisme, l’avocat Zhu Jiuhu osa (5/11) déclarer son client innocent, du fait que « le Dalai Lama n’était pas sécessionniste ». A la tête du magazine Yanhuang Chunqiu, Du Daozheng est depuis septembre sous le coup d’un limogeage exigé par Li Changchun, le censeur national qui lui reproche trop de liberté : soutenu par sa rédaction unanime, il réussit, pour l’instant, à rester en place. A Hohhot (Mongolie Intérieure), fin octobre, Cui Fan, journaliste au quotidien local China Business Post ose traîner l’Etat en justice, après la suspension du titre pour trois mois. La plainte a peu de chances d’aboutir, mais le seul fait d’avoir été enregistrée aurait été impensable cinq ans plus tôt—comme tous les autres faits cités dans cet article, signes discrets du chemin parcouru depuis.
SOCIETE – 社会
Nouveaux temps, nouveaux maux (ou antiques!)
4M d’adolescents (10%) sont accros à l’internet. Faute de définir le mal, les autorités ne pouvaient le combattre. Le10/11, le ministère de la Santé rajoute l’«internite» à sa liste des maladies cliniques avec 5 variantes : jeux, Eros, forum, information et business en ligne. Il y aurait addiction, passées 6h/j derrière l’écran. Ses symptômes sont l’insomnie et le manque (malaise, colère) en cas de sevrage. Le ministère ne dit pas comment il compte traiter ces malades, ni s’il en éradiquera la cause, à savoir la pression des études et l’incapacité des parents à écouter leurs jeunes. Après étude de 23.640 consultations de journalistes, l’association des docteurs en médecine est formelle : 97,5% d’entre eux, sans souffrir d’un mal précis, sont en santé déplorable. Les raisons: trop de travail, tabagisme, repas au lance-pierres, absence d’exercice… Pas étonnant que le reporter chinois se plaigne plus que d’autres de stress et dépression. Un détail sur lequel les docteurs restent cois : le rôle de la censure, le surcroît de tâche qu’elle impose pour écrire en contournant la vérité, le souci de n’avoir pas pu la dire toute… Revoilà le choléra, dans l’île tropicale de Hainan. Entre le 20/10 et le 10/11, 51 cas ont été relevés au village de Danzhou, puis à l’Université de Hainan (8 cas). Les malades ont été isolés, le village puis l’établissement ont été mis 8 jours en quarantaine. Aucun décès n’est à déplorer, et la réaction sanitaire a été à la hauteur —mais il reste frappant de voir resurgir ici et maintenant ce fléau antique, qu’on eût pu croire éradiqué !
Ce week-end, le Président Hu Jintao était à Washington au G20, au chevet des circuits financiers et monétaires de la planète : une première mondiale invitant des pays émergents. Un sommet atypique aussi par son ambiance. La peur de la crise faisait reculer les égoïsmes nationaux : aucun leader ne voulait apparaître comme celui qui aurait fait obstacle à un remède à la crise. Le résultat a été un « plan d’action » unanime portant sur plusieurs outils à court ou à moyen terme, idées des Européens (N. Sarkozy, A. Merkel, G. Brown) :
– renforcer le FMI ainsi que les voix de pays comme Chine et Inde, – instituer un « collège innovant » de supervision des grandes banques, des fonds à risques, des sociétés de gradation des risques des valeurs (c’est un des outils à « exécution immédiate », devant être en place avant le 31 mars 2009, – une réglementation mondiale sur les opérations financières/boursière, – davantage de moyens financiers pour la relance.
Forte ambiguïté toutefois : G.W. Bush, l’impopulaire président sortant, refusa d’inscrire à son héritage la mort du libéralisme américain, et fit veto au principe d’un régulateur financier supranational. Et pourtant, celui-ci émerge, sous la forme du « collège innovant»… Il est vrai que ce sommet n’est que le 1er d’une longue série. Le prochain est pour avril—avec Barak Obama, l’habile grand absent, qui passe de plus en plus comme le sauveur obligatoire. L’avenir tranchera.
Dans ce Chorus, Hu Jintao, présent, fit le plein d’admiration et d’égards, comme un des seuls pays encore en croissance, et ayant produit le plan de relance le plus audacieux. Au reste, un Hu très discret, se retrancha dans une position chinoise traditionnelle bien connue : « c’est aux pays riches de régler ce problème dont ils sont responsables »…
Hu Jintao n’a pas rencontré le futur 44ème président des USA. Ils s’étaient toutefois parlé le 8/11 par téléphone, histoire de faire connaissance et, pour Hu, de tenter de désamorcer les promesses de protectionnisme anti-chinois proférées durant sa campagne. Pour la Chine entière, cet homme est un mystère, homme de minorité ethnique, parti de rien et ayant gravi seul les échelons de la politique américaine jusqu’au pouvoir suprême. Mais sur le fond, la saga Obama ne l’impressionne guère – à moins qu’à l’avenir, il ne réussisse à tirer l’Amérique de sa crise de confiance… La Chine jugera Obama sur pièce !
NB : Sarkozy s’e dit prêt à voir le Dalai Lama le 6/12 à Gdansk -il l’avait évité en août à Paris. Pékin affirme que « la relation en souffrira » : bras de fer !
Ridée comme une pomme, Huang Jixian n’était que stupéfaction ce 18/10, jour de marché ensoleillé à Junlian (Sichuan) : Zhang Yuming, ami d’enfance, lui faisait la plus grande surprise de sa vie. 60 ans en arrière, en ce terrible hiver 1948, les greniers étaient vides, contrairement aux montagnes qui grouillaient de bandits. Agée de 17 ans, Jixian venait de prêter à Yuming 330kg de millet, sa seule richesse, que son père lui donnait en dot pour son mariage en mai. Le jeune homme les lui avait demandés, pour se lancer dans un commerce à la « Perrette et le pot-au-lait». L’argent du millet paierait des oeufs, des arachides qu’il irait vendre au marché de Yibin, dont il tirerait un stock de sel, denrée rare à Xiao’er, sa vallée natale…En une 20aine de ces rotations, il gagnerait assez pour rendre au printemps les 300kg de grain, et 200 de plus -intérêt et principal.
Mais la vie est pleine d’aléas : au détour d’une forêt, il fut bientôt aux mains de malfrats de grand chemin, qui le soulagèrent séance tenante de son maigre matériel – adieu, oeufs, cacahuètes, sel, fortune ! Le jeune homme malchanceux n’avait plus qu’à se présenter les mains vides devant Jixian et son père qui, grands seigneurs, le tinrent quitte de sa dette…
Puis la terre entière s’embrasa. Vint la révolution, la guerre. Comme tant d’autres, Yuming s’engagea dans l’armée, puis au Parti, mi par espoir, mi pour se nourrir. Il fit carrière classique, comme cadre humble et vertueux: maire de village, préfet cantonal, directeur de l’unité de travail des légumes, avant de prendre sa retraite en 1982. La pension était famélique, 49,5¥ par mois, pour 10 personnes à charge. Mais depuis bien longtemps, Yuming avait en tête un autre souci : retrouver Jixian, rembourser l’emprunt. A plusieurs reprises, il lança ses subordonnés, ses enfants à sa recherche. En vain : toutes les pistes se perdaient dans la nature. Il se résignait et remettait au lendemain.
Jusqu’à 2007, où se produisit le signe du ciel, l’arrachant à sa torpeur. L’hôpital lui diagnostiqua un cancer de l’oesophage. Un miracle des décoctions et des aiguilles le remit sur pied : c’était l’ultime chance, il n’en était que trop conscient. Avec l’énergie du désespoir, il se remit en campagne, posant autour de lui sa question radoteuse, sa lubie. Et à l’été, la chance tourna : un quidam se rappela, Jixian était mariée à Zhang Zhongwei, comptable pensionné, à Junlian. Le lendemain avec un neveu, il partit pour la ville, dernière étape, dernière bataille. Dans la rue animée par le marché, ils demandèrent leur chemin à 1000 personnes. De fil en aiguille, ils sonnèrent à la porte de la mythique prêteuse, jouvencelle de 77 ans. Quand elle ouvrit, d’un geste d’oracle ou de prêtre, il lui remit 500¥ -un par kilo de millet, ainsi qu’une lettre de remerciements. Joyeuse, mais paralysée, Jixian se devait de refuser, selon les convenances. Mais Yuming lui remontra qu’il avait failli passer dans l’autre monde endetté et donc déshonoré. Sauf à lui ôter le sens de toute sa vie, Jixian n’avait pas le choix – le rouge aux joues, le chaud au coeur, elle prit l’argent qui lui brûlait les doigts. A cet instant précis, Yuming sentit le soulagement d’avoir posé son fardeau (如释重负 rú shì zhòng fù). 60 ans d’endettement prenaient fin : telle la victoire, en chantant, ils lui ouvraient la barrière, vers un au-delà digne et apaisé.
17-18 nov, Pékin : ISFE, Salon int’l fournitures de sport
18-21 nov, Pékin : MICONEX, Salon de l’automation
19-25 nov, Canton : Salon de l’automobile
21-22 nov, Canton : China Sign Fair, publicité, media
22-23 nov, Pérou : la Chine au Sommet de l’APEC