Le Vent de la Chine Numéro 29

du 17 au 23 septembre 2006

Editorial : Vers un ‘écosystème digital’

A Pékin les 10-11/9, le World Economic Forum, Gotha de la finance et de l’industrie chinoise et étrangère, et leurs ministres, débattit d’un sujet encore dans les langes, l’«écosystème digital», terme qui recouvre la convergence du téléphone mobile, du PC, de la TV et de l’internet, ainsi que la jungle de services qui en surgit sur le téléphone portable : envoi et réception de son et de photos, e-mail et SMS, paiement en ligne, lecture de codes-barre.

De cette nouvelle frontière, la Chine s’avère vorace : rien que chez China Mobile, n°1 national (278M d’abonnés, sur les 400M du pays), en 6 mois, les cinq rengaines les plus en vogue ont été téléchargées (avec paiement des droits d’auteur) 35M de fois, succès phénoménal! 

Cet écosystème digital chinois s’avère aussi une Mecque de la publicité interactive, qui permet à l’annonceur de cerner le profil de l’usager et l’aide à faire mûrir sa demande. Selon Maurice Levy, PDG de Publicis, l’interactivité «fait muter la pub en information». Très courtisé par les annonceurs, l’écosystème digital sera dès 2009 le second support publicitaire, devant les journaux, derrière la TV. Cette année, il engrangera 600M$ de recettes contre 50M en 2001. Seule absence -insolite- au tableau: celle de la banque, sans doute pénalisée par le retard de la carte de crédit, qui ne tient que 3% du marché,!

Si le public se jette sur ce marché, les professionnels de l’audio-visuel aussi, tel China Mobile dont le Président Wang Jianzhou annonce 35% de hausse du trafic vocal en 2005, et investit 8,3MM² cette année (+16%) dans le réseau « 2G » -en attendant le « 3G » qui ne touchera, l’an prochain pour commencer, qu’une poignée de villes. China Mobile a déjà racheté les droits de retransmission de Phoenix TV, la chaîne Hongkongaise…

Sur son cours tumultueux, cette « digitalisation» du paysage social chinois trouve cependant trois écueils :

[1] le piratage par une jeunesse inconsciente du préjudice causé ;

[2] la censure – les 50.000 policiers de l’internet et les firewalls- qui devrait inhiber les créateurs de services, et la confiance de l’usager ; et

[3] la faiblesse de la régulation : Yahoo! China est poursuivi en justice (13/9) par une fédération contre les logiciels espion, pour usage de programmes furtifs (pub-spam, info volée aux usagers)…: dérive  illégale, mais très lucrative !

Enfin, selon le PDG de Publicis, l’important est ailleurs: il se trouve dans la capacité permanente du public à étonner, dans sa vitalité. Des centaines de milliers de blogs surgissent, vidéos, textes, photos s’échangent : cette société s’exprime, librement, malgré (ou peut-être « contre, grâce à ») la censure : l’écosystème digital l’aide à passer à l’âge adulte !

 


A la loupe : Chine Nouvelle reprend son bien

Chine Nouvelle (Xinhua), l’agence de presse nationale interdit soudain (10/9) aux agences mondiales de diffuser leurs services en Chine, et rétablit son  monopole écorné 10 ans plus tôt : depuis les années ’90, AFP, Reuters, AFX, Interfax ou Bloomberg vendaient leurs produits à quelques gros clients tels banques ou assurances, pour un marché évalué à 100M$.

Raison alléguée au coup de barre : un risque d’atteinte à «la sécurité», «la stabilité» voire «l’honneur» du pays. Désormais, ils doivent soumettre leur prose à Xinhua, qui donnera ou non le feu vert, pour une vente indirecte, uniquement via un agent Xinhua.

Sans délai, Union Européenne et USA ont dénoncé ce nouveau litige, qui porte sur une valeur fondamentale. Bizarrement, l’annonce arrive durant un voyage européen du 1er ministre Wen Jiabao, qui le força à se justifier face à ses homologues, lors de ses étapes à Londres et à Berlin. Discipliné, Wen défendit la mesure, qui « ne change rien à la politique d’ouverture »…

Sur le fond, on voit une convergence d’intérêts entre Xinhua (qui espère reprendre l’essentiel de ce marché lucratif et en vive croissance) et l’Etat qui poursuit son recadrage des media. Avant l’été, un projet de loi proposait de mettre à l’amende toute information non validée, sur les calamités. Août voyait se conclure trois procès de journalistes ou dissident, avec peines de prison, pour divulgation d’information. Enfin le 12/9, les tribunaux étaient astreints à déléguer (sous peine de poursuite!) leurs informations à des porte-parole.

La reprise en main coïncide avec la 3ème année du Président Hu Jintao, par ailleurs en pleine campagne de reprise du fief shanghaïen à Jiang Zemin (VdlC n°27, 28). Elle intervient deux ans avant les Jeux Olympiques, comme pour assécher à l’avance toute source de dissidence.

NB : La crise de Xinhua éclaire une contradiction structurelle, chez cette institution à la fois juge et partie de son secteur. Pour autant, son offensive n’éteint pas la raison qui permit aux étrangères de percer en Chine dix ans plus tôt : plus que le lobbysme, ce fut la demande du marché en info indépendante. Ce qui explique la précision par la tutelle en dernière minute (14/9): le droit pour Xinhua de réguler ses concurrents, est « transitoire », un ministère va bientôt prendre le relais!

 

 


Joint-venture : Dell contre Lenovo, la grande bataille du laptop

— Après 10 ans de grimpe endiablée (l’ayant fait croître de 500M$ à 54MM$), Dell, 25ème fortune mondiale subit un freinage sec, avec une chute de profit de 51% et le rappel de 4,1M de batteries Sony accusées de surchauffe.

C’est le moment que choisit Lenovo, n°3 mondial (7,7% du marché, 35% en Chine) pour annoncer une coupe de ses prix, dans l’espoir d’enrayer l’avancée de l’américain sur son marché chinois, +31% au 1er semestre.

En fait, Lenovo n’a guère de choix, et suit Dell et HP qui ont déjà baissé les prix, sachant que Lenovo, depuis son rachat d’IBM l’an passé, a vu ses marges fondre de 5 à 1%. Lenovo a du mal à intégrer sa nouvelle filiale, et s’est vu sortir de l’index Hang Seng des valeurs technologiques (11/09)… Il compte financer sa guerre des prix sur les 1000 jobs dégraissés en mars (250M$ épargnés). Mais disent les experts, «Le-novo ne pourra maintenir cet effort », vu que seul son fief national est réellement profitable.

NB : sur ce marché troublé, au 1er semestre, le cours moyen du laptop a baissé de 15% : pas une bonne période pour regarnir sa caisse !

— En JV avec BAIC («Beijing Jeep»), sur le tard, DaimlerChrysler va construire à Pékin 25.000 Mercedes «E» et «C» par an, sans compter des modèles Chrysler et Mitsubishi.

D’une capacité de 105.000 unités à terme, l’usine coûtera 1,5MM² : c’est le prix pour rivaliser avec Audi et BMW sur le marché haut de gamme, en combinant import et production locale. Avec 4% de ce segment du luxe, Daimler traîne derrière Audi (48%) et BMW (15%). Sous trois ans, le groupe compte presque tripler ses ventes, de 150.000 à 400.000 !


A la loupe : Chine — H²0 mon amour

Pékin accueillit le 5e Forum mondial de l’eau (10-14/9) au moment où dans le Hunan, 80.000 riverains de la Xinqiang voyaient leurs robinets coupés suite aux rejets à l’arsenic (205m3 tous les mois)… Sur ordre de Pékin, les deux usines coupables (chimie, métaux non-ferreux) furent fermées, les patrons coffrés!

Hélas, ce type d’accident est «banal», arrivant tous les trois jours, du fait du positionnement de la plupart des usines chimiques sur les cours d’eau -10.000 usines sur le Yangtzé, 4000 sur le Fleuve Jaune… Aussi ce Congrès était l’occasion symbolique d’un appel au secours aux 2000 experts et industriels du monde, pour l’aider à nettoyer le miasme délétère !

Le mal est bien connu : l’eau chinoise est rare (7% de la ressource, pour 23% de l’humanité), mal répartie entre un sud abondant et un nord aride, et gaspillée par une tradition de gratuité socialiste, «eau-sans-valeur».  Aussi 90% des cours sont gravement pollués par 20 MMm3 d’effluents/an, et 300M de paysans privés d’eau potable ou d’irrigation vivent aux franges de la misère, dans un état de santé précaire.

Depuis 5 ans, les étrangers sont bienvenus : parmi les 400 villes en manque, le Français Veolia Water va reprendre 2 à 3 réseaux/an et dépanner ainsi 3 à 6M d’âmes. Suez (France) vient d’obtenir la concession de Changshu (Jiangsu), évaluée à 1MM² sur 30 ans.

Pour rattraper son retard, l’Etat chinois compte payer 125MM$ d’ici 2011, dont 41MM$ en centrales de retraitement, d’autres en réfection des réseaux, pour réduire les pertes. Il lui faudra 30 ans, pour porter l’eau à son vrai prix sans causer -trop- d’émeutes.

 Jusqu’à 3% du débit du Yangtzé sera détourné vers le Fleuve Jaune, moyennant 3 canaux pharaoniques et 60MM$ (voire 100MM$) de frais.

Mais pour la 1ère fois, les scientifiques du Sichuan récusent le projet, « plus risqué que le barrage des Trois Gorges.

A terme», disent-ils, «pomper 17MMm3/an d’un plateau tibétain dont les glaciers fondent n’est pas soutenable».

NB : C’est le vieux conflit chinois entre savants et technocrates, pour planifier l’infrastructure. Les savants voient les risques, et les technocrates, la chance de passer directement à la technologie la plus neuve, hériter d’une filière payée par l’étranger! 

 

 


Argent : Industrie du mariage,coup de barre pour la corde au cou

190.000 yuans, tel est le budget qu’un couple de Shanghai ou de Tianjin est prêt à débourser pour se marier avec style -obligation imprescriptible pour les familles, une fois dans la vie…

Tout y passe : de la rénovation et l’équipement du home sweet home, à l’achat/location de la robe blanche et du smoking (blanc cassé), le cortège auto, en passant par le banquet (centaines d’invités, 13 à 15 mets), et la Lune de miel.

En plein essor, l’industrie du mariage fleurit, avec 600 agences rien qu’à Pékin, débordées par la demande, et toujours en quête de concepts excentriques -cérémonies en Montgolfière, sous l’eau…

Toutefois, la tradition (robe rouge, chaise à porteur et mirliton) se défend. Des 120.000 bans publiés à Pékin en 2006, plus la moitié respecteront les conventions, consulteront un géomancien pour choisir la date au meilleur fengshui -风水, «vent et eau, énergie propice. Seul «hic» à cette mode: pour la face des parents, elle endette les jeunes pour longtemps, sans correspondre à leur voeu profond.

— Le port de Caofeidian naît en mer de Bohai à 225km de Pékin, avec 25MM$ d’investissement d’ici 2010.  

C’est une pièce maîtresse du 11eme Plan (2006-2010) et un des rares à porter l’estampille du pouvoir central, via la SDIC, (State Development and Investment Corporation), bras financier du Conseil d’Etat dans 173 ports. Il doit son existence à sa profondeur naturelle 36m, assez pour accueillir sans dragage des navires de 300.000TJB, économisant 20% du coût de transport. Ce port a aussi un métier prédestiné, une nouvelle route maritime, du charbon du nord et de l’ouest vers le sud, pour une capacité de 200Mt à terme.

Caofeidian concentrera aussi tous les métiers des ports en eau profonde, transformant les pondéreux importés :

[1] 76 appontements dont 2 de 250.000t,  

[2] en JV avec celle de Tangshan, l’aciérie Shougang, déménagée de la capitale à temps pour les JO, sur 4,2km² récupérés de la mer ;

[3] une raffinerie de pétrole (10Mt) et de craquage d’éthylène (1Mt);

[4] un terminal GNL,

[5] assorti d’une centrale thermique (4600Mw),

[6] une unité de désalinisation de l’eau de mer. Sans compter tout ce qui s’y greffera…    

 

 

 


Pol : Justice – Zibo, justice à l’ordinateur

— Avec toute l’Union Européenne, le Royaume-Uni a signé au siècle dernier le protocole de Kyoto, qui lui impose une coupe dans ses rejets de gaz à effet de serre.

Or 10 ans après, elle n’y parvient pas -elle n’est pas la seule. Elle est donc astreinte par ce système au rachat de droits d’émission! Ce que fait Centrica (British Gas), achetant en Chine (11/09) 593M² de crédits d’émission, à travers le CCC, fonds d’investissement écologique soutenu par Centrica, Morgan Stanley et Deutsche Bank.

Vendeur : le groupe Juhai (Zhejiang) s’équipera de fours pour détruire son gaz rare hfc23 au lieu de le rejeter. Economie pour la planète : 29.5Mt de CO². L’Espagnol Endesa lui aussi annonce (13/09) le rachat de droits pour 2,7Mt de C0² à Huaneng, au titre de 3 centrales éoliennes, et à Jiuquan, sur une centrale à houille blanche. 

NB : La Chine a ratifié Kyoto en 1998, mais sans promesse de réduction (en tant que pays en voie de développement) : elle vit ainsi dans le meilleur des mondes, polluant lourdement, et recevant l’argent de dépollution des pays riches. Ce privilège est mal vu de certains signataires de Kyoto, qui parlent d’en sortir. Aussi, la Chine prépare l’imposition du mécanisme en interne dès 2007, à ses centrales, (cf VdlC 27) : 1er pas vers un engagement de réduction !

— Paralysée par l’explosion des affaires pénales et le déficit en magistrats, la justice chinoise a commandité un système de jugement informatisé

La société Boya-Yingjie (Pékin) a créé un logiciel de sentences, testé depuis deux ans à la cour de Zibo (Shandong) où il a émis plus de 1500 peines de prison pour plus de 100 délits allant du vol au meurtre en passant par le viol.

Grâce à sa base de données des lois et de la jurisprudence, la calculette à verdict propose une peine -mais l’humain garde le dernier mot. Avantage évident : le système peut supplanter le juge ignare et/ou soudoyé. La presse locale accueille ce projet avec malaise -tout comme des juristes qui craignent l’effet big brother, et l’inaptitude de la machine à percevoir la composante humaine -la compassion.

Ce qui n’empêche à présent l’expérience d’être étendue à d’autres tribunaux à travers l’empire. Un exemple de plus de l’absence de craintes moralistes, et du pragmatisme de cette Chine qui explore sans état d’âme des techniques et  territoires vierges, que d’autres pays n’osent pas approcher !

— Après leur demande en mars d’un dialogue avec la Chine sur leur litige en matière de pièces auto importées, Union Européenne, USA et Canada passent à la seconde étape et déposent  (15/09) une plainte conjointe auprès de l’OMC (l’organisation mondiale du commerce).

Depuis 2005, la Chine taxe de 25% les véhicules faits de plus de 60% (en valeur) de pièces étrangères. Pour l’Occident, il s’agit d’une barrière inéquitable à un marché de 15MM² où ses firmes sont captives, ayant investi des dizaines de MM$, pour se retrouver handicapées face aux marques locales.

La plainte sera traitée le 28/09 à l’organe de résolution des conflits : ce sera une première, concernant la Chine. De veto en procédures dilatoires, Pékin peut gagner 18 mois, avant de faire face à des sanctions commerciales-ou bien transiger. Avec 3,15 MM² d’import de pièces en Chine, l’Union Européenne est la plus touchée. Pékin a offert une période transitoire de 2 ans et repoussé certaines taxes à juillet 2008 : «Copie à revoir !», répond le bloc de l’Ouest.      

— Les éoliennes mettent le spinnaker en Chine.  

Gamesa (Espagne), un leader mondial, annonce (13/09) un contrat record, 601 éoliennes à Longyuan Electric (Groupe Guodian), à installer à travers le pays, pour une capacité de 511Mw et 240M² d’investissement.

Le lendemain, le groupe de Vitoria inaugure à Tianjin sa 1ère usine, propriété à 100%. Pékin commande aussi à «l‘étranger» un parc à éoliennes d’une capacité de 200Mw dans le Hebei pour 158M², signé Hong Kong Construction Holdings : marquant la volonté chinoise d’assurer 15% de son électricité en énergies renouvelables d’ici 2010 !

 

 


Temps fort : Fusions et acquisitions – un palier, plutôt qu’un blocage !

Le 14/9 parut un règlement gelant toute création de nouvelles agences de courtage, et rachat de ces maisons par l’étranger. Le 11/9 avait vu naître des règles pour débusquer les caisses noires retournant au pays, déguisées en capitaux étrangers. Pour racheter des firmes d’Etat, il leur faudra le permis du ministère du commerce -les étrangers y étaient déjà astreints depuis août…

D’autres entraves veulent brider la percée étrangère dans la distribution, l’e-commerce, la banque… Mais elles sont peu coordonnées, peu nuisantes : elles n’ont pas empêché Telstra de reprendre SouFun (cf VdlC n°28), n’empêcheront pas Citibank ou  Société Générale d’acquérir la Guangdong Development Bank

Ce resserrage semble dû à la lutte anti-surchauffe, à celle contre les dérapages sociaux, et peut-être surtout au vide juridique. Face à ce flux nouveau et impétueux de repreneurs étrangers, Pékin est coincé entre obligations OMC et opinion cocardière : 23MM$ en fusions et acquisitions en 2005, le double de 2004. Aussi, on freine: de janvier à août, seuls 10MM$ sont rentrés en F&A et le rachat de Xugong par Carlysle (375M$) traîne depuis 1 an, bloqué par la prétention du rival Sany, de barrer le deal au nom de l’«intérêt national»!

A l’avenir, en plus des règlements à l’étude, deux structures sont envisagées :

[1] le Comité du travail financier éclairerait la zone d’ombre entre les branches banque, assurance et bourse des groupes, et [2]  un «Comité des investissements étrangers» calqué sur le modèle américain, veillerait à l’innocuité des rachats d’Outre-mer.

Enfin, Wang Zhile, patron d’un centre de recherche sur les multinationales, conclut : «les étrangers ne doivent pas craindre un demi-tour de l’Etat»:pour attirer les 37,5 MM$ nécessaires au renflouage des 400.000 Entreprises d’Etat dans la tourmente, la Chine n’a pas d’alternative

 


Petit Peuple : Chongqing – Sun et Lulu, bénis des Dieux !

Les lieux communs sur la jeunesse chinoise, sa discipline, sa naïveté ou son ardeur au travail, éclipsent un aspect essentiel chez ces Chinois à peine tirés de l’adolescence : une faible confiance en autrui, fruit d’années à vau-l’eau, seuls et incompris des parents et des maîtres.

C’est le cas de Sun Hao, cuisinier (30 ans), et  de  Lulu, vendeuse (20 ans), couple aléatoire. Pas la peine, chez eux, d’aller chercher des bonnes manières, du beau langage: ils sont frustes et jaloux, mesquins. Mais ils portent aussi en eux, bien reconnaissable, la trace de leur culture millénaire !

Nous les découvrons ce 27/8, dans un commissariat de Chongqing (coeur du Sichuan), vivant à ce qu’il semble, les  dernières minutes d’une passion échevelée, mais finalement décevante. Quelques semaines avant, ils s’étaient rencontrés dans une boîte, séduits, juré amour éternel.

Mais cet amour n’avait pas guéri Lulu de sa rage de courir les garçons : il en résulta des cris et des horions. Rancunier, Sun réclamait le retour des 800¥ prêtés pour une visite médicale. Lulu refusait – cette compromission aurait signifié la fin de leur aventure. Alors, furieux, il avait traîné la traînée au poste de police !

Mais quand le planton vérifie leurs identités, coup de théâtre! Sun ne s’ appelle pas Sun, mais Li.  Lulu ne s’appelle pas Zhang mais Chen ! L’un et l’autre s’observent : la colère cède à la perplexité, à l’accord tacite (xin zhao bu xuan, 心照不宣, les coeurs à l’unisson, se taisent) : calme instantané, on laisse tomber, on s’en va !

Dehors, on s’explique : la 1ère nuit, Li et Chen faisaient l’un et l’autre un « trip » à l’extsasy, et pour se protéger, s’étaient présentés sous des faux noms. Au poste, ils découvrent qu’ils ont eu ensemble ce réflexe : c’est un signe du ciel, de ceux qui ne se discutent pas ! Rompant leur solitude de toute leur vie, les Dieux leur signifient leur présence, leur disent qu’ils pensent à eux et dirigent leurs pas. Ils donc voués l’un à l’autre! Dans ces conditions, « on efface tout, et on recommence » !