Le Vent de la Chine Numéro 38

du 22 au 28 novembre 2004

Editorial : Chine-Japon, intempérie !

L’histoire commence le 10/11, comme un film à suspense: à 300km au Nord-Nord-Ouest de l’île Miyako, un sous-marin nucléaire chinois est pris en chasse par une marine nippone, sans doute renseignée par les US qui l’avaient détecté au large de Guam. Quoique ce bâtiment ne soit resté que 2h dans ses eaux, le Japon orchestre 48h de poursuites à grand spectacle, puis exige des excuses.

Réponse de la Chine, 8 jours après (15/11), le vice-ministre des affaires étrangères Wu Dawei a bel et bien présenté ses «regrets», et expliqué l’incursion comme une «erreur ». Tokyo se satisfait de cette parole— l’incident est clos !

Mais les relations entre les deux géants asiatiques ont subi un nouveau record de froid. L’incident survient après l’échec de palabres autour de l’exploration pétrolière chinoise sur une zone revendiquée par Tokyo. Un peu partout, Chine et Japon s’affrontent pour le contrôle de l’or noir – nerf de la croissance à l’avenir!

Depuis le milieu des années ‘90, les deux pays se disputent aussi l’archipel Diaoyu/Senkaku. Le contrôle de ces eaux serait vital en cas de siège de Taiwan, non loin d’Okinawa, base de la VI. Flotte (aéronavale) américaine !

Pour l’expert américain Alan Dupont, le clash était obligé : «de nos jours, c’est la 1ère fois que Japon et Chine sont puissants ensemble!»

L’incapacité du Mikado à reconnaître ses massacres des années ’30 (Mandchourie, Nankin) n’arrange rien. Les visites annuelles du 1er Min. Koizumi au tombeau d’un criminel de guerre, hérissent la Chine et l’Asie : spectres encombrants mais imprescriptibles, chez ces peuples qui pratiquent le culte des ancêtres, tant que survivra un seul des vieillards témoins de cette ère.

Ces pays si complémentaires ne bougent pas, car ils savent que leurs sorts sont liés: en 2003, les échanges atteignent 130MM$ (+30%), et 136MM$ dès oct. 2004! En fait,

c’est à cause de la bonne santé de leur commerce,  que ces empires «du Soleil» et «du Ciel» restent passifs, devant l’hostilité mon-tante de leurs opinions : jeu risqué, dont rien ne dit qu’ils en aient indéfiniment les moyens!

Face à ce dilemme, l’excuse de Pékin et l’ annonce par Koizumi (16/11) d’une rencontre avec Hu Jintao lors du sommet de l’APEC à Santiago  (Chili, 21/11) , constituent -peut-être- des craquelures dans des cuirasses cocardières, qui sont insoutenables à l’avenir !

 


A la loupe : Ouragan salvateur sur la banque

Initialement prévue pour fin 2004, l’entrée en bourse de la Banque de Chine (BdC) et de la Banque de la construction (CCB) est reportée, et la réforme bancaire marque le pas! Alors, «prenant le taureau par les cornes», 2 banques aux antipodes se rejoignent, par une mesure identique de grand nettoyage !

La BdC promulgue la dissolution de son personnel, sauf l’aréopage de 10 leaders. 11.600 agences congédieront 230.000 ronds de cuir, les réengageront après étude de leurs états de service, et réorganisation.

Les repris gagneront au change, avec la nouvelle grille de primes et salaires, encourageant la performance. Mais des charrettes de cadres seront débarquées. La tempête durera 9 mois.

NB : le pétrolier CNOOC avait déjà usé l’an passé du même révolutionnaire procédé! 

Pendant ce temps, le financier californien Newbridge fait souffler l’ouragan sur sa banque de Shenzhen, acquise en mai, 145M$, pour près de 18% des parts. Sur les 15 directeurs, seuls 4 ont survécu à la faux des repreneurs. Même Chairman et Président passent à la trappe.

Environ la moitié des nouveaux visages sont des étrangers, cadres de Newbridge ou issus d’autres grands noms de la finance mondiale tels IFC, Morgan Stanley, Lehman Brothers, ou Bankers Trust. Par ce remède de cheval à la plus petites des banques chinoises en bourse, Newbridge se donnerait cinq ans pour la porter à son zénith, avant de revendre ses parts – comme elle vient de le faire pour la Korea 1st Bank, trois fois le prix d’achat! Le nouveau Conseil d’Administration doit être avalisé en Assemblée Générale, le 13/12.

Qu’on ne s’y trompe pas : cet « ouragan » ne s’est fait qu’au terme de 16 mois de palabres entre Newbridge et les tutelles nationales: après la Commission de régulation bancaire, (CBRC), la SASAC – la State-Owned Assets Supervision and Admistration commission, donne à son tour sa bénédiction à  cette brèche osée dans la grande muraille bancaire qui, si elle réussit, aboutira à un outil nouveau pour regénérer les banques

 


Joint-venture : Friches industriellelles – Dongbei rachète RDA

SMTL (Shenyang, Liaoning) pense avoir fait une excellente affaire en rachetant 9,7M$ le saxon Schiess AG, failli depuis le mois d’août. La moitié des 235 employés seront repris.

L’intérêt de la nouvelle, est la tendance des firmes montantes chinoises, à chercher des implantations à l’intérieur de l’Union Européenne. Moins pour la technologie ou le management (cette vénérable firme de l’ex-RDA, vieille de 140 ans, en ruine, a peu à offrir sous cet aspect), que pour  le marché, les aides nationales ou communautaires, et la marque! A 2heures de Berlin, Schiess servira de labo de R&D au géant du Liaoning, tandis que l’usine a déjà redémarré, avec 7M$ de contrats européens et russes. SMTL lui-même monte en flèche. Ses ventes record de l’an passé, à 157M$, doivent tripler en 2004 à 483M$ : du rarement vu, dans le Dongbei!

— Pour reprendre Noranda, un des leaders mondiaux du zinc et du nickel (cf VdlC n°36), Minmetals, le consortium public minéralier a trop attendu, et trop peu offert.

Après 7 semaines d’attente, le groupe de Toronto s’est impatienté. Minmetals offrait une “petite prime” sur l’évaluation de départ de 5,29MM$, et prétendait se séparer de la branche alu, hors de son métier. Le délai d’exclusivité épuisé, d’autres candidats à la reprise peuvent se manifester. Mais Minmetals ne s’avoue pas vaincu, et reste en lice. Le  monopole chinois manquant d’expérience, a eu du mal à trouver les crédits et les accords internes pour réagir assez rapidement.

Mais c’est un 1er pas, et qu’il réussisse ou non, il y en aura d’autres !

— Nouvelle méthode empirique concoctée par la SAFE, l’Administration d’Etat des devises étrangères, pour permettre la sortie de Chine des devises captives (514,5MM$, +80% en 12 mois), sans relâcher le contrôle du marché des changes.  Au 1er  décembre, les patrimoines d’héritage, comme ceux des émigrants, jouiront de la liberté conditionnelle de quitter le territoire (convertis en devise). Mais bien sûr, pas sans entraves: une  tranche de 19.000€ sera suivie 12 mois plus tard de la moitié du reste, la 2de moitié rejoignant 2 ans après.

Sans en avoir l’air, cette recette de famille devrait permettre la sortie de centaines de millions voire de milliards d’€. La Chine en a bien besoin, pour détendre la pression à la réévaluation de son RMB!

 

 

 


A la loupe : Les habits neufs du piratage

La contrefaçon alimente 3-5 millions de jobs chinois et  (dit l’administration française) 8% du PIB.

Depuis l’entrée à l’OMC, la plaie ne s’est pas cicatrisée – forçant le Bureau US des Patentes et Droits de marque à détacher à Pékin un de ses juristes.

En effet, les faussaires locaux potassent leur droit. Selon un récent rapport de l’American Chamber of Commerce, le piratage joue du vide juridique pour dépouiller les détenteurs de leur propriété dans le pays. Il suffit de déposer, avant l’auteur étranger, son brevet et ses marques. Ainsi, quand l’industriel exporte en Chine, à moins d’avoir pris la précaution de déposer son produit innovant, il peut le voir bloqué à la frontière, ou se voir traîné en justice par des firmes locales/régionales l’accusant d’avoir piraté leur bien—c’est ce qui est arrivé à Lacoste.

Si l’étranger décide d’attaquer les pirates de son bien, la loi leur accorde 2 appels, et vu les lenteurs de la justice, le produit à cycle de vie court (par ex. en informatique, logiciels, puces électroniques) sera obsolète avant d’avoir pu terrasser sa concurrence déloyale. Un autre problème relevé, est la modicité (volontaire) des amendes, souvent plafonnées à 50.000€, risque aisément digérable par les pirates.

D’autres méthodes s’inspirent de la planification stalinienne d’antan : tel industriel (TV, lecteur de DVD) désireux d’échapper aux «royalties» dues au propriétaire, fait produire en différentes villes les sous-ensembles. L’assemblage se fait vite, sans stockage, annihilant les risques de saisie, et de poursuites pour les sous-traitants !

Seule bonne nouvelle : dans le cadre de l’accord ADPIC de l’OMC, la Chine vient d’autoriser la saisie aux frontières de tout produit douteux, entrant ou sortant, sur demande « en référé » de la firme lésée, même si celle-ci n’a pas préalablement déposé (c’est la nouveauté) son produit, sa marque et ses brevets auprès des douanes. C’est un (tout petit) pas vers l’assagissement de ce tumultueux corps productif du Céleste Empire!

La solution ultime, étant l’émergence de groupes chinois, auteurs de leurs produits propres, capables d’éduquer le secteur et faire leur police !

 


Argent : Canton s’adjuge la plus haute tour du monde

— Premier transporteur aérien chinois, China Southern  poursuit sa course à la qualité internationale, en renforçant (12/11) sa flotte de 33%, à 216 appareils moyennant rachat de Northern Airlines et Xinjiang Airlines, compagnies régionales (1,58MM€), en plus des cinq déjà sous son contrôle.

Au départ d’Urumqi (Xinjiang), il étoffe ses lignes vers le Centre-Ouest, l’Asie Centrale, l’Europe et le Moyen Orient, et depuis Shenyang (Northern), vers la Corée et le Japon. Désormais, il détient 360 routes dont 260 intérieures (2900 vols/semaine).

En outre, il (17/11) intègre son club Sky Pearl (2,5M d’adhérents et +700/j) à Fréquence Plus d’Air France : sauf ceux vers Paris, tous ses vols offrent les miles et les billets gratuits du club d’Air France. L’accord sera bientôt étendu au réseau de Sky Team (intégrant Korean Air., Delta, etc). Tout ceci permettra à China Southern, pour son entrée en bourse, une hausse de la recette, jusqu’au doublement, à 1MM$!            

— Roi des thés et jus en carton dans les années ‘90, le Cantonais Jianlibao est la nouvelle victime de la coupe du crédit, qui prend à la gorge nombre de compagnies privées aux ambitions trop hautes.

Propriété à 90% de Sanshui Zhengtian (Canton, 58%) et de Casa Asia, Jianlibao était en pourparler de reprise avec le taiwanais President, prêt à payer 100M$ pour une majorité des parts. Puis la politique s’en est mêlée : 10 jours de tapis vert à la baguette ont conduit Jianlibao dans l’escarcelle de Huizhong Tianheng, compagnie pékinoise d’investissement. Resté secret, le montant de la transaction est certainement en-deçà de l’offre insulaire : prix à payer pour rester “dans la famille”!

— Parmi les 4000 projets publics gelés sur ordre suprême, l’immobilier est en bonne place.

A Pé-kin par ex., le mois d’août voyait la vente de 78 résidences, contre 140 en moyenne les mois précédents. Mais les promoteurs s’y retrouvent largement, grâce à la flambée spéculative.

Capital Land, le n°1 en ville, annonce sur 3 trimestres, des ventes de 184M€, +75%. Au moins, à Pékin, la règle du gel de projets extravagants s’applique t’elle.

Par contraste, Guangzhou choisit ce moment pour poser –en décembre- la “1ère pierre” de la plus haute tour du monde. Pour son ouverture en 2008, sa tour de la TV fera 580/600m de haut, sur une surface de 85.000m².

Sur les 13 bureaux d’architectes inscrits au concours, trois restent en lice : Arup (GB), Architecture Studio (France) et LWHW (Allemagne). Il en coûtera 180M$ – y-compris l’expropriation de 200 familles!

 

 


Pol : Santiago du Chili – l’APEC en quête d’âme

— Les 20 et 21, les “princes” du pourtour Pacifique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique se trouvaient à Santiago du Chili, au Sommet informel de l’APEC, coopération économique de la zone Pacifique, qui n’en finit pas de se chercher, dans la confusion des distances et des intérêts divergents.

G.W. Bush prétendit avoir trouvé un “front” asiatique pour exiger la fin du programme de bombes atomiques en Corée du Nord, la Chine exigea que les US redressent leur US$, Bush exigea que la Chine sorte son RMB de la zone US$, Hu  Jintao annonça l’ouverture de négociation d’ALE (accord de libre échange) avec la Nouvelle Zélande et le Chili.

Enfin, Bush et Hu s’invitèrent mutuellement dans leur pays, invitations que tous deux refusèrent à l’unisson!

— On évoque la énième tentative de ban de Shougang, les aciéries de Pékin, du périmètre urbain.

En terme de qualité de l’air, l’année fut pire pour la métropole, avec 40 jours de déficit sur l’objectif de 227 jours au soleil. Cet automne a renforcé l’abonnement au smog, avec ses lots de troubles respiratoires. De loin le 1er pollueur, Shougang, à Mentougou (à 7km du centre), doit à sa position au creux de montagnes, de ne pouvoir évacuer ses nuées létales ailleurs que vers la ville.

Tout en se battant pour garder sa place (mine d’or, marché captif), le groupe a dû réduire sa production de 10 à 6Mt/an, et 4Mt à l’horizon de 2008 pour les JO, tout en promettant de faire place nette pour 2012.

Mais le 15/11, Ji Lin le vice-maire et Wang Jirong, n°2 à la SEPA visitaient le site. Alors, des propos inouïs jusqu’alors ont été tenus: “Shougang doit partir, le plus tôt sera le mieux!” Shougang objecte ses 100.000 emplois et 200M$ d’impôts/an qui seront perdus.

Ses meilleurs atouts, il les garde dans la manche : ses “amis” très haut dans l’appareil et sa tradition révolutionnaire, (sa symbolique prolétaire), cuirasses face auxquelles “les santés de 10M d’âmes” dont s’inquiète le n°2 de la SEPA, pèsent encore peu.

 

 


Temps fort : Amérique Latine : la Chine de Hu redéploie sa voilure !

En tournée  à travers 4 pays d’Amérique latine et Amérique centrale, Hu Jintao, annonça un déluge d’investissements, 100MM$ sur dix ans, rien moins : tournant dans les relations mondiales, qui mérite qu’on y réfléchisse!

20MM$ furent promis à l’Argentine, dont 8MM$ en chemins de fer, 6MM en infrastructures, 5MM$ en exploration/exploitation pétrolière, 610M$ en télécoms, dont un réseau satellitaire.

Le Brésil obtient un marché de viande bovine de 600M$/an, dix commandes d’avions Embraer, et 5 à 7MM$ d’investissements.

Pour  la 1ère fois, la Chine va investir hors de chez elle. Choix rarissime dans l’histoire d’un pays en voie de développement -mais elle en aura pour son argent! Les fonds viendront de l’Etat ET des firmes, publiques ET privées. Surgis du néant, ses groupes industriels poursuivront leur expansion dans et hors de Chine. Par ex., New World (immobilier, Pékin, n°1 mondial) va construire en Argentine 300.000 logis au prix le plus bas.

Se posant en puissance qui sacrifie des privilèges aux pays en voie de développement. La Chine s’apprête à exiger des autres, la pareille, lors du prochain round de l’OMC -tel le démantèlement de la Grande muraille verte de l’Union Européenne. Elle estompe aussi son image d’investisseur parfois rude: ses routes et ports latinos lui apporteront bien pétrole et minerai, mais le chèque qu’elle brandit va aussi soulager aussi, en télécom, logis, emplois etc, la crise de sous investissement d’un continent sinistré

Avec sa tradition «anti-yankee», le Cône Sud saisira sans peine cette main tendue du bout du monde, lui offrant une chance de redépart et un redéploiement d’allégeances : on assiste peut-être à un basculement d’alliances, au profit de la Chine, au détriment d’USA, enferrés dans leur croisade antiterroriste!

 


Petit Peuple : Simao – un Céleste Père Fouettard !

— Inconnue en Occident, la maladie de la 心病 xinbing (angoisse) frappa en octobre Laowang, portier au Bureau des Finances de Simao (Yunnan).

Alors qu’il passait un soir à la maternelle chercher son petit Xiaohu, il entendit ses pleurs. Franchissant le porche en hâte, il vit un grand escogriffe de 6 ans qui le battait comme plâtre! Son sang ne fit qu’un tour : il se jeta pour les séparer. Sourd aux reproches, l’autre poursuivit ses coups, puis fâché qu’on ose s’immiscer dans ses plaisirs, planta un pied vicieux dans le tibia du vieux, qui répliqua d’une gifle très classique, dont la résonance fit venir les larmes aux yeux du butor ébranlé.

Intervint alors une obèse chargée d’ans : “tu frappes mon héritier, sans savoir à qui tu t’attaques! Prends garde! Il t’en cuira!” D’emblée alarmé, Laowang le fut plus encore quand il sut l’identité de la vieille: la digne épouse de Directeur Wu, chef du bureau des Finances -dont dépendaient le jardin d’enfants, lui-même et la moitié de la ville!

毛骨悚然 mao gu song ran, les poils dressés d’épouvante sur les os, il s’évanouit, pour ne reprendre connaissance qu’à l’hôpital… Par bonheur, ses soucis furent brefs : à l’heure des visites le surlendemain, se présenta un homme âgé, au port altier, aux cheveux blancs : Directeur Wu en personne, un cabas de cadeaux (fruits, gnôle, tabac) en main, qui le remercia d’avoir corrigé son petit démon. “Depuis”, révéla-t-il, “au moindre caprice, il suffit pour le calmer, de brandir le spectre de Laowang” ! Ainsi promu Céleste Père Fouettard et nanti d’une discrète promesse d’augmentation, Laowang sortit guéri, le jour-même!

 

 

 

 


Rendez-vous : Pékin – salon des pratiques loyales des firmes

—  21-26 nov: Pékin: Forum des pratiques loyales des entreprises chinoises

—     24-27 nov, Pékin: Foire matériaux ‘verts’ de construction

28nov, Vientiane (Laos) : 8e sommet de Asean + Chine