Le Vent de la Chine Numéro 31

du 24 septembre au 30 septembre 2000

Editorial : Le pétrole refait des siennes!

Pour la 7ème fois depuis janvier, l’or noir flambe en Chine : +3% (18/9) et 3,28Y/l. à la pompe. Sinopec et Petrochina n’en sont pas plus populaires, ayant quadruplé leurs profits, à 4,9 MM$ (janvier – août), aux frais du chinois.

Malchance : le pays doit presque doubler ses imports (à 60Mt), pour 8MM$ de plus qu’en 1999, l’équivalent de 0,8 % du PNB – qui franchira cette année la barre des 1000MM$!

Pour assurer les imports futurs, deux écoles s’affrontent, toutes fondées sur des achats en période de cours bas : celle du stockage et celle des marchés à terme où 50% des imports seraient confiés à des groupes de trading, hors Etat!

Le rodéo de l’or noir commence à inquiéter. La Bourse de Hong Kong a chuté (19/9) de 4%.

La Banque Mondiale (BM), tout comme l’Asia Development Bank (ADB), craint une « onde de choc » asiatique, si le baril se maintenait au dessus des 35$!

Rien de tout ceci, ne fait l’affaire d’une croissance chinoise (+8,2% au 1er semestre) nourrie (pour 1/3, selon Lehman Bros) aux investissements publics de 135MM$ depuis janvier soit +13%, surtout dans l’Ouest (+100%  en août, au Xinjiang /Guizhou) et dans les infrastructures (22MM$ en août, +13%), mais reposant surtout (aux 2/3, estimation Lehman), sur l’exportation.

Or, celle ci commence à caler : +27% en août, après des mois dépassant les 30%.

Autre symptôme net, deux indicateurs restent en panne : les investissements industriels (-0,9% en janvier – juillet) et la consommation : 63% des chinois ne croient pas que « maintenant soit le moment de dépenser« . Tandis que la guerre des prix, hier cantonnée à l’auto ou à l’électroménager, gagne le secteur du mobilier!

Voilà pourquoi la Chine, dont le pouvoir de financement touche à sa fin (elle empruntera, d’ici décembre, 18MM$, en bons), veut passer le relais à l’industrie (surtout) privée, en position d’emprunter après 10 ans de croissance à pas de géant.

D’où le projet imminent de la State Development Planning Commission (SDPC), de dérégulation des obligations industrielles. Contrôles, taux, plafond seront allégés ou laissés à la loi du marché. Les groupes (surtout ceux barrés en bourse) devraient décupler leurs émissions, aujourd’hui limitées à 1,2MM$/an, face aux 48MM$ des bons levés par l’État. Lequel, pour la 1ère fois, veut bien partager la prébende des bas de laine !

 


A la loupe : 20 ème anniversaire pour le planning familial!

Ce lundi, la politique de l’enfant unique fête ses vingt ans. Par cette règle autoritaire (un enfant par couple, voire deux à la campagne), la Chine estime avoir « épargné » 300M de bouches en 20 ans. Chiffre à vérifier (c’est le but du recensement qui commence dans un mois) : d’autres données très sérieuses parlent de 25M de naissances /an, 5M de plus que le chiffre officiel…

Le dérapage vient des 850M de gens des campagnes.

La tradition nataliste confucéenne y reste forte. Sécurité Sociale et retraites y sont plus faibles, tout comme les contrôles : , tian gao huangdi yuan, « le ciel est haut et l’empereur est loin ». Au contraire, l’administration pléthorique doit souvent, pour survivre, « fermer les yeux« , afin de prélever ses taxes (illégales) sur les enfants « au noir« !

Effet de cette politique : la Chine compte 54,6M de « petits dragons », sur qui se reportent la tendresse et l’argent de toute la grande famille. La pression d’une école anachronique et l’absence de dialogue entre générations favorisent l’explosion de violence en milieu adolescent.

Se pose enfin le problème unique au monde, des naissances sélectives (120 à 130 garçons pour 100 filles), de la discrimination de ces dernières et – le paradoxe n’est qu’apparent – de leur succès scolaire éclatant (effet « naturel » de surcompensation).

Ce bilan mitigé annonçant, apparemment, la mutation sociale vers une structure matriarcale : plus éduquée, plus recherchée, la femme chinoise pourrait devenir la valeur de l’avenir!


Joint-venture : JO – le bras de fer, Coke contre Pepsi

• Deux « athlètes » poursuivent à Shanghai les Jeux Olympiques de Sydney, en un féroce coude à coude : n°1 en Chine (30% du marché), Coke a pris la tête en payant depuis 1995, 100M$ pour le monopole mondial de la boisson olympique.

Il l’exploite en inondant la grande chaîne locale (rebaptisée « Radio-Coca« ), de 21 h de direct et tables rondes, tout en incrustant son logo sur les « direct Sydney » de TV-Shanghai.

Pepsi n’est pas en reste, ayant financé 8 h 30 de programmes sur Radio-Est, la chaîne concurrente), et recruté une pléiade de chanteurs et paroliers pour commettre une rengaine sur les champions chinois « des olympiades passées« . Multidiffusée sur MTV, elle attire le regard sourcilleux des avocats de Coca – prêts à sortir leurs griffes à tout moment, en cas d’intrusion dans le monopole de leur client!

• En retirant son offre (15/9) de reprise de Daewoo pour 6,9MM$, Ford renonçait à deux Joint ventures du groupe coréen dans le Shandong, de 940M$, et à la chance de lutter immédiatement à armes égales en Chine avec son concurrent, General Motors.

Il lui reste son investissement propre sur le sol chinois, sa Joint venture pour 80M$ (50/50%) avec Changan (Chongqing). Dotée depuis juillet de sa licence, elle produira, dès janvier 2003, 50.000 Fiesta /an, et 100.000 à pleine capacité.

NB : Daewoo, comme ses deux Joint venture, reste « à remettre » : le n°2 mondial n’a peut-être pas dit son dernier mot – si le coréen en virtuelle faillite, accepte une baisse du prix!

 


A la loupe : Chine – USA : une étape franchie

Suivant les Représentants en mai, le Sénat américain a octroyé définitivement à la Chine (19/9) le privilège de "relations commerciales normales". Non sans bon sens, Charlene Barshefsky, "ministre" américain du Commerce extérieur, a qualifié ce vote de "temps le plus fort dans les relations bilatérales, depuis la visite de Nixon en 1972".

L’immense majorité en faveur (83/15), aura déçu les adversaires (syndicaux et démocratiques) du resserrement des liens "mondialistes". A la Chine, elle porte le signal longtemps attendu, d’une reconnaissance comme partenaire, commercial d’abord, mais pas seulement.

La Chine peut oublier la plainte de Lu Xun, le grand homme de lettres du XX siècle : "le chinois… passe trop de temps à se voir alternativement inférieur et supérieur au reste du monde…"

C’est aussi bien sûr, la levée du dernier obstacle à une entrée à un OMC "au complet". D’ici 2005, les produits industriels importés en Chine verront leurs droits baisser, en moyenne, de 25 à 9%. Le pays fait un "saut dans l’inconnu" en ouvrant, fût ce partiellement, son secteur naissant des télécoms, de la finance et des services aux poids lourds européens ou yankees. Non compétitive, percluse d’aides, son agriculture souffrira (+2MM$ d’exportations américaines prévus en 2005).

Par contre, les Etats-Unis s’attendent à la perte de 10 à 15M d’emplois américains, et à un nouvel envol du déficit budgétaire bilatéral (68MM$ en 1999).

Reste, aux irréductibles adversaires de l’adhésion chinoise, l’espoir que Pékin présente, sur l’entrée au club marchand de Taiwan (virtuellement acquise), des exigences politiques de dernière minute, inacceptables à ses partenaires. Vu les années et les efforts déployés par la Chine pour réaliser ce rêve, les chances d’un tel report apparaissent minimes.


Argent : Bourse – trois ans pour un retour au monde

• Par expert interposé, la China Securities Regulatory Commission (CSRC) dévoile un scénario rapide (trois ans), pour conformer la bourse chinoise à la pratique mondiale :

[1] mi-2001, apparaîtra un indice commun des 200 titres "A" les plus échangés aux bourses de Shanghai/Shenzhen, premier pas vers leur fusion;

[2] mi-2002, démarrera le China Tracker Fund (inspiré de Hong Kong), fond mutuel de Entreprise d’Etat, suivi de produits financiers similaires, permettant à Pékin d’écouler jusqu’à 30% de ses parts dans le secteur public;

[3] début 2003, des "investisseurs étrangers institutionnels qualifiés" (selon le concept Qualified Foreign Institutional Investors ou QFII, inspiré de Taiwan) accéderont au marché "A", donnant le signal de la fusion des parts "A" et "B".

NB : l’émission et la souscription de compagnies étrangères sont aussi prévues (Bank of China International ou BoCI, de Hong Kong, filiale de Bank of China (BoC), pourrait très bientôt souscrire à Shanghai).

• Appelé à remplacer un outil saturé (13M de passagers en 2000), vieux de 70 ans, le futur aéroport de Canton – Baiyun donne lieu à une première nationale : sa gestion scindée en deux compagnies.

Bayun International Airport se limitera à l’administration de l’outil qui en 2010, traitera 80M de voyageurs et 1Mt de fret/an. Baiyun Joint Stock, fondée le 18/9, reprend les opérations commerciales : cofinancer les 2,4 MM$ d’investissements, adjuger les concessions, duty free, catering, hôtels, louer aux compagnies aériennes emplacements et bureaux…

• Nous l’annoncions début septembre (cf VdlC n°28/V), comme résultante de la guerre des prix : la concentration de l’industrie légère, surtout de l‘électroménager, est en cours. La semaine passée en a donné un exemple, avec la fusion, préparée depuis un an, de deux groupes shandongais, le n°4 national de la télévision et du climatiseur, et le n°5 de l’ordinateur.

Hisense (Qingdao), au chiffre d’affaires de 11MMY (10.000 employés), épouse Langchao (Jinan), 2MMY. A en croire un journal pékinois, le nouveau conglomérat dépasserait Legend et Changhong, leaders respectifs du PC et de la télévision.

 


Pol : Pékin – Vatican : ire, et dialogue

• Pour Pékin, l’annonce par le Vatican d’une canonisation le 1er octobre (fête nationale) de 120 martyrs chinois (même d’avant la libération de 1949) apparaît comme une provocation : «cet acte (…) intolérable heurte extrêmement (…) la dignité du peuple chinois». Rome, de son côté, déplore l’arrestation de Zeng Jingmu, évêque de l’ombre pour le Jiangxi (81 ans, dont 30 passés en geôle).

Ces expressions d’impatience n’empêchent pas le dialogue : les 17-20/09, Monseigneur Roger Etchegaray, Cardinal légat du Pape, à Pékin et Shanghai, rencontrait Jin Luxian, l’Evêque du Diocèse officiel.

• Depuis son investiture le 20/05, Chen Shuibian, Président de Taiwan, suit vis à vis de la Chine une ligne qui pourrait être : « négocier sans rien céder, et garder l’initiative. » Dans un nouvel appel (15/09), il offre, avant décembre la réouverture des trois liens directs avec la Chine (liberté de passage des personnes, du fret, des télécommunications). Sans conditions, si ce n’est que « la partie chinoise communiste« , comme Taipei, fasse un effort.

Pékin également, semble enclin à la modération : si elle a invité à son Sommet Sino-africain (10-12/10) les huit alliés régionaux de Taiwan, elle s’est engagée à ne pas tenter, à l’occasion, de les faire « changer de Chine« .

• D’avril à septembre, la campagne nationale contre la traite aura permis de libérer plus de 110.000 femmes et 13.000 enfants : bilan remarquable, par rapport aux libérations de routine, portant invariablement sur quelques dizaines de cas.

Ce que cette opération explicite, est la floraison du kidnapping en milieu rural, et de la pénurie de femmes, suite à l’infanticide féminin (voir page « Une »). Passée la puberté, les jeunes des campagnes n’ont souvent que le choix entre l’achat d’une compagne, et l’exutoire de la prostitution. Deux marchés ciblés des gangs de la traite, dont l’activité ne peut que croître à l’avenir.

• La plus grosse prise d’ « ice » (métamphétamines) de l’histoire de l’humanité vient d’être réalisée à Hong Kong (17/9) : 17t, d’une valeur estimée de 644M$. Assez pour assouvir les besoins en cette drogue, à Hong Kong, pendant deux siècles.

En coopération avec la police chinoise, la rafle a abouti à l’arrestation de 40 malfaiteurs (dont 20 Hongkongais) entre la Région Administrative Spéciale, Shenzhen et le Hubei.


Temps fort : L’introuvable réforme politique!

Depuis le sommet de Beidaihe en août, plane le nuage d’une réforme politique, suite à trois ans consacrés par Jiang au contrôle des rênes du Parti Communiste Chinois, voire à l’élimination de rivalités potentielles.

Quatre proches du Président (Wen Jiabao, Hu Jintao, Tian Zengpei, Li Changchun), doivent se partager la relève d’ici 2002 : quel meilleur moment pour amorcer cette réforme, en s’inspirant des nouveautés idéologiques d’un communisme est-européen recyclé au moule social-démocrate?

Des bribes de réforme émergent.

[1]Tenant une parole vieille de trois ans, Zhu Rongji ferme 8 Bureaux d’Etat, ex-tutelles des filières industrielles (pétrole, métal etc.). Le message est clair : les temps sont mûrs pour les Entreprises d’Etat, pour vivre (ou mourir) sans l’Etat!

[2]Les recours contre l’administration entrent dans les moeurs : en 1999, 100.000 citoyens, ont attaqué mairies, universités, police) – 40.000 ont eu gain de cause…

A présent, parviennent des sons contradictoires : Jiang serait défavorable à ce que son successeur 1er Secrétaire, en 2002, cumule (comme lui) plusieurs mandats. Mais on le dépeint par ailleurs, tenté de lui confier la tête de l’Assemblée Nationale Populaire. Un tel  cumul, inédit au sommet, des deux sources de pouvoir ("civil", et du Parti) renforcerait le processus décisionnel, mais réduirait la marge d’action du Parlement, renvoyant aux chimères le rêve de son dernier Président, Qiao Shi,de le voir exercer un rôle de contrôle de l’exécutif

Ce que tout cela peut signifier : les rapports de force changent vite. La rentrée politique n’a pas été sereine. Les affaires de corruption à rallonge, surtout, font des vagues. La dernière (22/9), dans le Guangdong, entre Shantou et Chaoyang, occupe 1000 enquêteurs et porterait sur 5MM$… A la veille du Plenum du Comité Central, l’unité du Parti, condition sine qua non à toute réforme politique, n’est plus acquise!