Le Vent de la Chine Numéro 23

du 21 au 27 juin 1998

Editorial : Dans l’oeil du typhon

Cette expression de J. Conrad, décrivant le calme d’un navire en mer d’huile, entouré à quelques encablures par des tornades dévastatrices, semble bien convenir à la Chine de cette semaine, au plan économique -d’autant que « typhon » vient du mandarin ( taifeng = ouragan). Sur ce thème, 4 mots:

[1] L’aveu de « dépression »: faisant suite à la nouvelle tempête sur les monnaies et bourses d’Asie depuis 15 jours, les sphères institutionnelles ne cherchent plus à éviter le mot. J.Michel Severino, directeur régional à la Banque Mondiale, déclare qu’une 1ère  phase de la crise asiatique s’achève, pour laisser place à une dépression, qui pourrait durer, si l’on n’y prend garde.

Tung Chee Hwa, gouverneur de HongKong, parle de « 2 à 3 ans ». La même Banque Mondiale calcule que les pays les plus touchés d’ASE ont perdu en fuite de capitaux, 80% de leur Produit National Brut (PNB) annuel, et 50% de leurs échanges régionaux.

[2] Le « coup de maître » chinois: après la plongée lundi 15 du yen japonais (atteignant 146/1USD, contre 130/1 il y a quelques mois), HongKong suivait (-5,7% dans la journée), ainsi que toute l’Asie, y compris Shanghai et Shenzhen (-2,5% en moyenne sur les « B-shares », mardi).

C’est alors que Dai Xianglong, gouverneur de la Banque Populaire de Chine (BPdC), déplore à voix haute le lourd prix à payer pour la Chine, du fait du laisser-aller nippon. Un vice-ministre du Commerce extérieur enfonce le clou, devant Reuters: « si le changement de taux… exerce une (trop) forte pression sur (nos) exportations, alors, je crains que la question … d’un ajustement monétaire ne doive être mise à l’ordre du jour ».

Le message a été reçu 5/5: au Groupe des 7, et aux Etats Unis, dont il critiquait implicitement l’inaction: le Groupe des 7 se réunit ce week-end (après bouclage de cette édition), et jeudi, Washington injectait 6MMUSD en soutien du yen, qui remontait immédiatement à 137/1, suivi par toute l’Asie. Dès lors, le vice ministre démentait publiquement ses propos: ainsi la Chine avait imposé la défense du yen, et renforcé son image de pays «responsable» au plan monétaire -tout en laissant à d’autres l’essentiel de la charge de cette défense.

Quelques signaux d’alarme: ce succès ne dissipe pas plusieurs nuages sombres au ciel économique chinois: de janvier à mai, l’invest étranger (effectif) a baissé, par rapport à la même période en 1997, de 1,45%, et le nombre des JV créées, de 7,33% (avec 7308 établissements). En mai 1998, avec 14,93MMUSD, l’export a baissé de 1,5% (et non sur la période janvier-mai, comme annoncé par erreur dans notre N° 22- le VDLC est désolé), tandis que l’import régressait de 3,8%, à 11,29MM USD. De janvier à avril, les prix de détail ont baissé de 2,7%, victimes d’une guerre des prix : à travers le pays, 285 grandes surfaces ont perdu (jan-avril) 8,8% de leurs profits avant taxes, malgré une hausse des ventes de 6,1%.

Du coup, l’Etat perd des rentrées fiscales : de janvier à mai, le retard d’encaissement est de 4,1% pour les taxes industrielles et commerciales, et de 7,6% pour la TVA et la taxe à la consommation : avec 304,56 MMY, ces recettes ont progressé (+7,9%) moins que prévu. Ce, au moment où l’Etat doit faire face à des dépenses redoublées d’infrastructures!

Après la trêve imposée du 4 juin, les mouvements sociaux reprennent de plus belle dans les usines, malgré la prudence des media qui s’abstiennent désormais d’aborder ce sujet brûlant.

Le 16 à Wuhan (Hubei), 100 à 200 retraités de l’usine Métallurgique N°1 manifestent, réclamant leur dû. Le même jour, à Suining (Sichuan),  autant d’ouvriers licenciés bloquent 2 h. la circulation, protestant contre une coupe de leur prime de chômage, de 100 à 40Y/mois. Depuis Pékin, consigne aurait été passée, de ralentir la réforme (les coupes sombres d’emplois) dans les Entreprises d’Etat et administrations en province.

Signes rassurants: malgré tout, dans ce marasme, quelques indicateurs diaphanes suggèrent un vent de reprise.

Ainsi, l’investissement étranger «contracté» (les intentions à un semestre) de janvier à mai, ont progresssé de 3,46%, à 17,5MMUSD. Les investissements d’infrastructures dans la période (l’effort de l’État pour soutenir la relance), ont monté de 12,7% (2,4% de plus qu’au 1er trimestre), atteignant 48,27 MMUSD.

Les ventes au détail ont légèrement repris, à l’instar des prêts bancaires. Avec 20,26 MMUSD, la production industrielle en mai 1998, a augmenté de 8% (sur 12 mois) soit 0,8% de mieux qu’en avril 1998.

Ces indicateurs, selon les experts, traduisent les 1ers effets de mesures de relance opérées à partir de mars, et qui devraient donner à plein durant le 2d semestre. Tout ceci, moyennant un paramètre essentiel: le soutien politique à Zhu Rongji, à ce moment de faiblesse où la ré forme structurelle,douloureuse et impopulaire, se heurte à une tempête imprévue venue de l’extérieur. Mais l’équipe au pouvoir a donné ces derniers mois, assez de preuve de la solidité de sa cohésion-elle n’a, à vrai dire, pas le choix!

 


Joint-venture : Piratage pharmaceutique : Eli Lilly débouté

• Michel Crépeau, maire de la Rochelle revient de Baotou (Mongolie Int.), où il voudrait créer une synergie basée sur les terres rares mongoles, avec les industries rocailleuses, Rhodia en tête.

• Ouverture le 15 de la 9.foire de Harbin, visitée dès le 1er jour par 5300 étrangers dont 2/3 de russes et ex-soviétiques. De Heilongjiang à Sibérie, les échanges progressent (300MUSD sur 4 mois, contre 750M en 1996), limités par l’absence de biens russes prisés en Chine, et la faiblesse russe en devises.

• Le géant pharmaceutique US Eli Lilly débouté à Pékin, dans sa plainte contre le piratage de son anti-dépresseur« Prozac ». Criant à l’infraction au droit international, E.L. compte faire appel.

• 3300 scanners servent, dans les hôpitaux chinois. Le problème est qu’au prix (neuf) de 500000 USD, bien des centres peu riches cèdent à la tentation de les acheter d’occasion, en fin de cycle. Ceci a dicté à Shenyang Neu Alpine, en Chine, sa stratégie de vente: [1] Obtenir l’interdiction (imminente, par l’Office pharmacie national) d’import des scanners périmés;

[2] Offrir une « reprise » (la vente d’appareils neufs, avec rabais de 6000 à 24000USD, après la destruction de ces « vieux clous ».

• Le 5 juillet, l’aéroport de Shek Lap Kok à HongKong remplace celui de Kaitak. A cette occasion, une 1ère mondiale: le vol polaire New York – HongKong par Cathay Pac. En 15 h, épargnant 5 heures de vol aux échines des passagers. Air Canada suivra la même route, avec la ligne Toronto – HongKong.

 


Argent : Bientôt une seconde banque privée

• « Orient », le consortium privé de Harbin (Heilongjiang), sollicite la licence pour opérer la seconde banque privée du pays, après Minsheng. Orient, en 1997, disposait d’un capital d’1,48MMY, pour un profit net de 131,5MY. Marché n°1 de la banque envisagée : le secteur privé, qui compte pour 20% du Produit National Brut (PNB) (puis 30 à 40% d’ici 2003).

• Après Kaiyuan, Jintai et Xinhua, Anxin voit le jour, 4ème fonds mutuel d’investissement en Chine. Anxin est le 1er  fonds créé par des Cies régionales. 1,94MM de titres mis en vente. Durant 15 ans, la gestion du fonds ira au groupe Hua’an(un des 3 fondateurs), et son dépôt à la banque ICBC.

• Waigaoqiao Shipyards, le plus grand chantier naval chinois, en construction à Pudong, aura en 2001 une capacité de produit de 1,8Mt, proche de l’actuelle capacité nationale globale. Spécialité future: les gros tonnages, que la Chine ne peut encore rentablement produire. Seule ombre au tableau: l’absence de crédits. Waigaoqiao cherche du côté des banques japonaises (pas forcément au meilleur moment!)130MUSD, sur les 566MUSD du coût total du projet.

• La Banque de Chine (BdC) va prêter, sous 3 ans, pour 850M USD à Xiamen Airlines, pour augmenter sa flotte; l’Eximbank va fournir, sur 3 ans, pour 480 MUSD à 2 chantiers navals de Dalian (Liaoning), pour l’export de leurs navires et la quête de nouveaux marchés; la Banque Nationale du Développement (SDB) (une des trois banques « à thème » du pays) enfin, va prêter 12,8MMUSD dans l’année, en projets d’infrastructures, environnement, irrigation, télécoms etc.

• 1er  coup de pioche pour la ligne chemin de fer Neijiang (Sichuan)-Kunming (Yunnan), 871km, pour un investissement d’1,3MM USD. Le train inaugural sifflera en 2002.

• Zhengzhou, capitale du Henan, devient la métropole intérieure, la mieux connectée à l’étranger par voie des airs, avec3 lignes ouvertes d’un coup : une vers Moscou, une vers Macao-Taibei, une vers HongKong.

• Les fruits de mer, en Chine, sont une affaire qui marche (contrairement à la pêche, qui décline faute de ressource) : Rongcheng, Shandong, a créé sur 30000ha 18 fermes à fruits de mer et 34 à ormeaux (abalone), qui lui valent une récolte annuel le de 380000t, et une croissance en flèche.

 


Pol : La fin des voitures de fonction

• Réforme administrative: les fonctionnaires perdront leur voiture de fonction, remplacée par une subvention à l’achat du véhicule personnel. Economie pour l’Etat, de l’entretien et de l’assurance du véhicule, et gain en transparence sur le revenu réel du fonctionnaire.

• « Guider correctement l’opinion, énoncer activement la ligne et les politiques du Parti » (Jiang Zemin)… « Donner une large publicité aux réformes, réfléchir les désirs et sentiments du peuple » (Li Peng)… « Maintenir le bon cap, se montrer créatif » (Li Ruihuan): voici quelques des perles de culture, offertes par les leaders nationaux au Quotidien du Peuple, organe du Parti, pour son 50ème anniversaire le 15 juin.

• Les banques commerciales ont reçu l’ordre de baisser leurs taux d’intérêt en devises d’1/8 de point (soit pour 1 an, en USD, 4,875%). Geste interprété comme prélude à une 5ème baisse du taux sur le yuan!

• Parmi les multiples gestes pour plaire à la Maison Blanche, à la veille de l’arrivée de Bill Clinton: un « set » de règlements de contrôle de l’exploitation pacifique des exports nucléaires chinois; et le renforcement de la chasse aux producteurs ou vendeurs de CD pirates dans Pékin (prime de dénonciation de 60000USD)


Temps fort : PÉTROLE : UN NOUVEAU CHEVAL DE BATAILLE

La Chine pétrolière se restructure: Sinopec et Compagnie Nationale Pétrolière (CNPC), ses deux mastodontes socialistes (l’un, maître de la pétrochimie, l’autre, de la prospection/exploitation), échangent gisements et actifs, de manière à constituer des territoires homogènes (Nord/Ouest, 12 provinces pour Compagnie Nationale Pétrolière (CNPC), Sud-est, 19 provinces pour Sinopec), et briser leurs monopoles pour suivre à 2 la concurrence mondiale.

Il a fallu des années et l’arbitrage de Zhu Rongji pour parvenir à ce concept, éliminant 2 autres modèles possibles: le démantèlement de Sinopec et Compagnie Nationale Pétrolière (CNPC) au profit d’entités régionales (tel Ceupec, géant pétro textile au capital d’1,45MMUSD, créé à Nankin en novembre 1997) et la fusion en un monolithe national.

Victimes de ce choix: 40 raffineries locales, constituant 15% de la capacité nationale, devront disparaître (trop petites et vieilles) sauf les plus performantes, telle une poignée de raffineries côtières à racheter par la China National Off-shore Oil Corporation (CNOOC) (le monopole off shore, non concerné par ce deal), ou Binzhou, groupe chimique du Shandong suffisamment fort et spécialisé pour tenir sur le nouveau marché.

Ce choix d’adaptation aux règles d’un marché mondial très compétitif, est imposé par deux urgences:

[1] La pétrochimie, qui avait fait 7,5MMY de profit en 1997, a déjà perdu 2,8MMY cette année;

[2] Pour accéder au bien-être de la Corée Sud d’ici 2015, il faudrait à la Chine quelques 4MM TEC. Elle n’en produisait aux dernières nouvelles (1996) qu’un peu plus du quart, dont les ¾ en charbon, catastrophe écologique et médiocre produit de base industriel. Ce qui situe l’ampleur du défi, pour un secteur « or noir » chinois restructuré et combatif.


Petit Peuple : Un contrat anarcho-fouriériste

• Pékin poursuit un programme de restauration d’édifices historiques (pour le tourisme, voire pour fidéliser des populations turbulentes): démarrage du chantier du monastère tibétain de Wu Dang  (Baotou, Mongolie int.), et de la mosquée de Fuzhou (d’époque Song, 1009), point d’arrivée de la route de la soie. Les restaurateurs voudraient aussi remonter les ruines de l’ancien Palais d’été pékinois. C’est compté sans les paysans (qui y ont infiltré leurs villages, et qui y cultivent), et surtout sans les officines du Parti désireuses de garder la preuve indélébile des brutalités de la soldatesque franco-britannique, qui incendia en 1860 ce bijou baroque bâti par les Jésuites.

• Zeng, maire, Yang, l’adjoint, Yuan, Secrétaire du Parti, et Lin, patron d’usine, tenaient Yang chun (ouest de Canton) sous leur coupe. Plus maintenant : Lin et Yang sont sous les verrous, pour tentative d’assassinat. Zeng.Yuan lui, passe au tribunal pour avoir empoché 190000Y en échanges d’emplois municipaux. Lin est aussi accusé d’avoir détourné 1MY de son entreprise. S’il avait eu vent de la tentative de meurtre contre lui, (due à une rivalité d’affaires), le maire aurait sans doute évité de se plaindre : ayant été lui-même installé à son poste par Yuan-le douteux secrétaire. Lin et Yang sont tombés dans la « souricière » tendue au domicile du tueur recruté, à qui  venaient payer sa prime, et que la police venait d’arrêter pour une autre affaire crapuleuse. A quand les élections?

• Nankin ne parle que de ce contrat familial passé entre Li Jiang, étudiant en biologie, et ses parents: ceux ci payant à celui là ses études, qu’il remboursera, une fois solvable. Les parents n’ont pas de besoins, le père étant ingénieur et la mère professeur d’anglais en fac. Ils le font pour le principe. La mère étant disciple des méthodes éducatives de choc nord-américaines. Depuis le plus jeune âge, Li Jiang est dressé à l’autonomie, à 10 ans, il allait se faire soigner seul à l’hôpital. Les critiques observent que Li, avec ce carcan (il lui faudra rembourser, au départ dans la vie, 50000Y), ne pourra pas se marier. Les parents eux, ont « confiance dans le génie de leur fils », et sont fiers de leur réalisation, anachronique- d’un utopisme anarchie fouriériste, où les rapports familiaux sont ramenés à un contrat social.

 

 


Rendez-vous : Ce samedi : Bill Clinton, place Tian An Men

• 23-30 juin, Pékin Automobile China 1998

• 24-26 juin, Shanghai, Salon international de l’Electronique, des télécoms et du portable

• 2-7 juillet, Foire de Canton

• 27 juin, Pékin : arrivée de Bill Clinton, pour un Sommet politique, qui rechercherait des solutions aux trois crises du semestre qui          s’achève: l’offensive irakienne, les tests nucléaires indo-pakistanais, la crise monétaire d’Asie du sud Est.

• Vers le 8 juillet, Pékin : Dominique Strauss-Kahn, Ministre français économie et finance. (préparation visite L. Jospin, septembre).