Le Vent de la Chine Numéro 29

du 11 au 17 septembre 2011

Editorial : Auto : la « E-voiture » sous les fourches caudines chinoises

Premier producteur auto mondial (17M d’unités en 2010), la Chine se distingue par une forte directivité de l’Etat – mais pas toujours dans les mêmes directions.

En 2010 encore, l’Etat subventionnait les ventes dans le monde rural. Puis en janvier, la prime était abolie. à présent, le nouveau mot d’ordre semble être «halte aux gros volumes, sus à la qualité». Cet été, le Président Hu Jintao instruisait Guangzhou Auto de renforcer la technologie de ses modèles. L’objectif est de porter les marques locales à un niveau de qualité mondial et le faire sur un marché encore neuf et à prendre: la voiture électrique. Un simple détail permet de réaliser le sérieux absolu de la démarche : l’export de « E-voitures » vers les USA est banni pour cinq ans, dans l’attente d’une montée en qualité.

Lors d’un forum sous l’égide des ministères concernés (4-5/09, Tianjin) Su Bo, n°2 du MIIT (Ministère des Industries et des technologies de l’Information) présentait aux constructeurs les perspectives de ventes pour 2011. Celles-ci devraient plafonner à 19millions, soit 3 à 5% de hausse, coupant net la «chevauchée fantastique » de 2010 (+33%).

Le Conseil d’Etat réagit en urgence, car il s’agit de forcer un changement systémique. En 2030, la Chine pense atteindre 375millions de voitures, et 70% à énergies nouvelles.

Dans l’immédiat, d’ici 2013, la production va quasi doubler, à 31millions de voitures, mais presque toutes à motorisation conventionnelle, ce qui révèle cruellement son inadéquation aux objectifs gouvernementaux chinois.

Malgré des normes sévères, les gaz d’échappement causaient en 2007, selon la Banque Mondiale, entre 0,3 et 0,4millions de morts/an. En dépit d’une répression accrue de l’ivresse au volant et des excès de vitesse, le nombre des morts sur la route explose -  « 63.000 » en 2010, selon le Ministère de la sécurité publique, plus proche de 200.000, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Le chiffre global des accidents étant de 3,9millions (+36%). Un coût social insupportable ! La qualité de voitures locales est aussi en cause, telle la QQ (Chery) aux tôles «papier à cigarette».

Enfin ces milliers d’immatriculations par jour pèsent sur l’import de pétrole. Pour Pékin, qui finance à 50% le carburant, se profile pour l’avenir, un «tonneau des Danaïdes» budgétaire.

Si les villes sont aveugles à ces dégâts, c’est grâce aux formidables retombées du secteur auto : les millions d’emplois directs (garages, assurances) et ceux tirés de la mobilité (tourisme, hypermarché, emploi pendulaire).

Pour réduire l’appétit chinois en voitures, l’Etat dispose de divers leviers : la fin définitive des primes; la généralisation des quotas de plaques (à Pékin, en 2011, baisse de 80% du quota 2010) ; des normes contraignantes d’ici 2015 ; des subventions pour voitures peu gourmandes, annoncées à Tianjin par Xiang Dihai (Directeur du développement éco au ministère des Finances).

Le plan «voitures à énergies nouvelles» n’est pas encore sorti mais a été pré-dévoilé aux constructeurs.

Il vise à forcer le transfert d’au moins une des trois technologies des nouvelles énergies (cellulaire, hybride et électrique) : celle des moteurs, de l’électronique et du stockage (batterie ou réservoir à hydrogène). A cette condition, la voiture étrangère bénéficierait de la prime à l’achat de 19 300 $, ce qui réduirait de presque 50% le prix de la Volt, que General Motors veut exporter d’ici décembre.

Inévitablement, les étrangers réagissent en ordre dispersé, selon leur avancement dans la recherche. GM discute. Ford se dit d’accord. PSA attend. Nissan prétend refuser, mais prépare une tout-électrique pour 2015 sous la marque du partenaire DongFeng.

Ce coup de force chinois ne va pas de soi pour ces groupes, ayant misé une bonne part de l’avenir dans les énergies nouvelles, et pour les Etats, aux abois devant la crise, prêts à défendre bec et ongles ce qui leur reste d’emplois industriels. En appliquant encore cette stratégie qui lui a si bien réussi en aéronautique ou en TGV, Pékin pourrait sous-estimer la capacité d’autodéfense des détenteurs des technologies.

Les juristes étrangers semblent unanimes, à croire que ce plan chinois de type « fourches caudines » viole l’Organisation mondiale du commerce (OMC). D’où un risque de désaveu et de mesures de rétorsions des pays lésés. Pour cette raison sans doute, Pékin attend la fin du mois avant de franchir le Rubicon – ou non.

Ailleurs, Etats et constructeurs retiennent leur souffle.


Environnement : Protocole de Kyoto—en grand péril

L’événement n’est pas encore là, mais il se rapproche, sous la meule du temps diplomatique.

A Durban (Afrique du Sud, 28/11-9/12) à la CoP17, les nations négocieront le renouvellement du protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique. Et les 4-6 juin 2012 à Rio (Brésil) se tiendra la conférence Rio-plus20 de développement durable, offrant un Fonds aux pays démunis pour faciliter leur mutation industrielle. Egalement, de nouvelles règles du jeu doivent leur permettre d’accéder aux technologies d’énergies nouvelles, de renforcer la «soutenabilité» des villes. Si tous les pays s’entendent sur les objectifs, ces deux grands axes de la future croissance semblent creuser une faille entre pays développés et PVD : une divergence de vision et de stratégie. Le 06/09 à Pékin, l’ambassadeur Correa do Lago, chef négociateur du Brésil, brossait sur le sujet un tableau tiers-mondiste sans illusion.

«Outil brillant» de décarbonisation économique mondiale, le protocole de Kyoto verra à Durban sa dernière chance de survie au-delà de 2012.

Les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) accusent les Occidentaux de faire le forcing pour obtenir un nouveau contrat hors-sujet, «pas dans la logique de la négociation».

Il faut savoir que Kyoto impose aux pays riches -à eux seuls- des quotas contraignants d’émissions de CO², et à ceux qui les dépasse, un rachat de droits aux pays pauvres, dont ces derniers disposent en restreignant volontairement leurs émissions. Or les USA n’ont pas ratifié Kyoto (1ère distorsion), et pour le renouvellement, ils exigent que la Chine (passée depuis, 1 er pollueur mondial) et autres émergents reçoivent à leur tour des quotas, même symboliques. Mais les jeunes puissances industrielles jugent irrecevable une telle position, soutenue par l’Union Européenne, le Canada et le Japon. En outre, l’Ouest redonne, de plus en plus, la priorité à l’emploi sur l’environnement : en juin, Obama a même aboli la législation américaine sur les émissions de gaz à effet de serre…

L’Union Européenne de son côté s’est engagée dans la voie dangereuse d’imposer à tous transporteurs aériens dans ses airs des quotas d’émissions, très contestés par le reste du monde.

En somme, tous les ingrédients sont réunis pour un désastre à Durban, dont on voit mal comment la stratégie contre le changement climatique pourra se relever.

Tout n’est pas négatif, dit Correa. Même si chaque Etat ou région défend ses intérêts, des progrès «fantastiques» ont été engrangés en 20 ans. Le danger du réchauffement global est reconnu et accepté, et la science s’est invitée partout dans le débat, comme le prouve le cas des CFC (Chlorofluorocarbone) à 95% éradiqués par l’action mondiale. Le problème est que la lutte anti-effet de serre coûte beaucoup plus cher, prix que les politiciens n’osent pas demander à leurs électeurs.

Reste donc la tentation qui s’insinue aujourd’hui dans les chancelleries: remplacer la «mitigation» (à savoir la décarbonisation concertée de l’économie planétaire et la chasse au «gaspillage» de consommation) par l’«adaptation» au réchauffement, investissement typiquement national. Mais, prévient Correa, cette solution est illusoire : l’effet de serre n’a pas de frontières. Electoralement payant à court terme (car l’argent est dépensé « chez nous, pour nous »), ce budget de défense climatique sera toujours plus lourd et toujours plus inefficace. Au final, il débouchera quand même sur la mitigation -l’obligation pour tous de mettre tous leurs moyens de décarbonisation en commun, face au compte à rebours de la hausse de température.


Environnement : Mer de Bohai—Haro sur ConocoPhillips

Après 3 mois de marée noire sur 5500 km² en Mer de Bohai, le scandale ConocoPhillips (CP) fait toujours grand bruit, renforcé par la vulnérabilité du groupe américain – les pétroliers locaux sont moins attaquables dans la presse.

Sur injonction du Conseil d’Etat (cf VdlC n°28), le groupe texan a suspendu la production sur le site Penglai 19-3, des 231 têtes de forage. Pour le rouvrir, un rapport d’impact environnemental de CP devra avoir été approuvé par la tutelle SOA (State Oceanic Administration). Pour montrer sa bonne foi, CP a présenté ses excuses pour les incidents à répétition et annoncé la création d’un fonds (encore non quantifié) destiné à l’environnement de la baie.

Penglai 19-3 produisait 8,4Mt de brut/an (20% de toute la baie) : manque à gagner qui fait perdre à Cnooc, son copropriétaire, 11% en bourse de Hong Kong (5-7/09).

Le Conseil d’Etat lui, lance « une enquête minutieuse sur les responsabilités », menaçant les responsables de sanctions «selon la loi». Il demande aussi que la construction de nouvelles usines le long de la baie soit suspendue afin de protéger cette région déjà largement affectée.

Selon un avocat et plusieurs experts, le Conseil d’Etat aurait pu être plus ferme. Dans une démarche opportuniste, ils réclament contre ConocoPhillips l’ouverture d’une enquête criminelle, l’accusant d’avoir longtemps, sciemment, dissimulé la gravité de ses actes.


Société : Henan- dans la charité, le torchon brûle

En Chine, les organisations caritatives poursuivent leur course à la croissance. En 2009, la Fédération Caritative de Chine recevait 4,64MM¥ et 6MM¥ en 2010 (+29%). Un essor qui n’empêche pas un certain malaise. En juin, un scandale éclaboussait la Croix Rouge (cf VdlC n°25).

A présent, éclate le cas de la Fondation Soong Ching Ling du Henan (HSCL). Avec 3  milliards de ¥ d’actifs fin 2010, HSCL est l’organisation caritative la plus riche du pays, qui en compte 2.270 – un patrimoine triple de celui de la Croix Rouge.

Fort succès, mais qui cache des fraudes anciennes. En 2005, la province constate que HSCL agit comme une banque, empruntant avec intérêt et prêtant à des firmes, à un taux supérieur (12,5%) à celui légal. Une fois remboursé, le capital est classé «donation» (hors taxe !) et l’intérêt «subside». Magnanimes, les fiscalistes de Zhengzhou donnent alors 3 ans à HSCL pour se régulariser—ce qu’elle fait… mais en transférant un certain appel de capital vers son programme «Santé sociale», assurance-santé pour pauvres, en JV avec des organes locaux. La légalité est violée : 335.000 clients sont couverts moyennant 10.000¥ de « dons remboursables » par an – 65.000 autres, vrais pauvres, l’étant à faible prix.

Les prêts aux firmes (immobilier, acier, internet, commerce) étaient l’affaire de HSCL-Invest, filiale créée en 2001. Ses investisseurs étaient cadres de HSCL mais aussi actionnaires majoritaires de ces firmes (selon Caixing et Nanfang Zhoumou) : la boucle est bouclée !

En 2005, quand le Henan débusquait ses activités usurières, HSCL-Invest était si peu inquiète qu’elle fonda sa société immobilière, Song Foundation Tongji et se mit à développer des terrains. Pour la vitrine, HSCL annonçait la construction d’un Centre aéré de 148.000 m² au coût de 800 M¥. Mais en 2007, le projet avait réduit à 60.000m², et en 2011, à 30.000m². La fonte en peau de chagrin était expliquée par une «impécuniosité». Mais les 120.000m² perdus pour le Centre, passaient dans une résidence de luxe presque achevée, devant rapporter 2MM¥…

HSCL aurait pu continuer longtemps. Elle prenait toujours soin d’associer à ses projets d’autres organes, capables de la défendre en cas de pépin. Mais en 2010, elle eut l’imprudence d’attaquer un groupe en défaut de paiement, incapable de rembourser 1,25M$ sur trois mois (+250.000$ d’intérêts). Arguant de l’illégalité du prêt, le juge la débouta, et tout l’écheveau se déroula.

Selon le règlement, toute donation devait être investie dans des oeuvres, à 70% min., sous 1 an. Or sur les 1MM¥ ratissés en 2010, HSCL avait prêté 90%, conservant le reste, et n’investissant en social que 23% de son revenu brut de 2009… On était loin du compte et la Fondation nationale Soong Ching Ling, à Pékin, a pris ses distances, niant tout lien avec HSCL.

NB : Le problème est lié au monopole des fondations d’ Etat sur les collectes de fonds. En l’absence de cadre légal et de contrôles stricts, ceci aboutit à des géants de la charité, paralysés et corrompus. Cet été, conscient du problème, l’Etat fait un petit pas vers la voie qu’il n’aime pas : légaliser les petites ONG, telle la One Foundation de l’acteur Jet Li (HK).

Enfin, que tout ceci ne fasse pas croire que les Chinois ne soient pas sensibles à la détresse : depuis 2009, Li Laofa, à Zhengzhou, purifie des centaines de litres d’eau/jour, les conditionne et les livre gracieusement aux migrants de la ville – attendant le droit de collecte, pour pouvoir étendre l’action aux provinces voisines…


Argent : Milliardaires 2011—un bon cru !

Pour appartenir aux 1000 plus riches Chinois cette année, dit Hurun, l’agence de R. Hoogewerf, il fallait posséder 310millions de US$ : un tiers de plus qu’en 2010, et le double de 2009 (150millions de US$).

Quant aux 50 plus riches, leur bas de laine moyen frisait le milliard (924millions de US$), tandis que 960000 avaient accumulé plus de 1,56millions de US$ – base solide pour poursuivre l’escalade de la pyramide des ploutocrates.

Avec 11milliards de US$ le nouvel empereur est Liang Wengen, PDG de Sany, 1er producteur local d’engins de chantier, qui s’apprête à lever 3,4milliards de US$ en bourse de Hong Kong.

Il supplante Zong Qinghou du groupe alimentaire Wahaha (10,7milliard de US$) et Robin Li, PDG du groupe internet Baidu (8,8milliards de US$, à 43 ans).

La plus jeune des 10 est Yang Huiyan (30 ans!), 1ère actionnaire de Country Garden, groupe immobilier.

Le grand absent est Wang Chuanfu, fondateur des autos BYD. N°1 en 2009, mais ayant fait de mauvaises affaires —il a maigri jusqu’à ne peser que 4,6milliards de US$. Mais il pourrait se refaire, si le plan « E-auto » de l’Etat réussit (cf p1).

L’immobilier reste donc le moteur de la fortune, avec quatre promoteurs dans la liste du Top 10, et 29 dans celle du Top 50.

Peut-être pas pour toujours : le plan anti-inflation et anti-spéculation de l’Etat pourrait amener une diversification des raisons sociales des magnats.

Enfin, le très riche chinois se distingue toujours de ses homologues occidentaux (même nippons) par l’âge : sa moyenne est 51 ans, il a quitté l’administration à 33, et fait son investissement gagnant à 37.


Société : Mao, le fantôme de la révolution

Le 09/09 en Chine, marqua le 35ème anniversaire de la mort de Mao Zedong, père fondateur du régime dont l’ ombre plane encore partout sur le pays. Malgré ce poids écrasant, le jour fut fêté par un Parti faisant profil bas, comme soucieux de ne pas «remuer tout cela». Mais sur le fond, deux générations plus tard, que reste-t-il du personnage craint et adoré à la fois ? De son oeuvre ?

En bas des marches dans Dazhalan, coeur du vieux Pékin, le souterrain est malodorant, délité. Du réseau anti-nucléaire creusé à la pioche de ’69 à ’79, ne restent que des meubles pourris, une carcasse de vélo, de l’eau au sol… 300.000 habitants auraient pu y survivre quelques mois. Le Timonier croyait à une 3ème guerre mondiale sur son sol- qui n’arriva jamais, mais qui coûta à une génération 10 ans de ses WEnd… Le Pékin de surface lui aussi, a souffert du grand chambardement. Aux années ’80, l’architecture restait basse, cours carrées (cloisonnées et surpeuplée) immeubles à 4 ou 5 étages de brique. Quoique grouillantes de cyclistes en vestes Mao fatiguées, ses rues ne bruissaient que du chuintement des pneus. Fort contraste avec les artères vociférantes d’à présent, aux boutiques multicolores, à la débauche d’éclairage, aux tours à 15 ou 30 étages.

Sur le leader historique lui-même, les jeunes sont partagés : la plupart l’ignorent, comme toute chose politique. Mais certains en cultivent la nostalgie, comme d’une ère qui refusait injustice sociale et richesse, et où l’argent n’achetait pas tout. Ceux-là collectionnent les bibelots de la «Maolâtrie» d’hier : petits livres rouges, mugs en porcelaine ou en fonte émaillée, posters et badges.

Repensant à l’époque de leurs 20 ans, les vieux restent déchirés entre leurs souvenirs contradictoires. Ils renoncent à témoigner (hélas!), sur la violence dont ils furent tour à tour acteurs manipulés et victimes. Mais cela ne les empêche pas de se rassembler le soir dans les parcs, pour entonner les chants révolutionnaires et ressentir encore la ferveur de l’époque et son aspect «grandes vacances», avec un emploi pénard dans la « danwei » (unité de travail), bien loin de la frénésie stressée de l’an 2011.

Avec la danwei, ont disparu les bonbons gratuits du socialisme historique : le centre de vacances, le logis (3¥/mois), la ration mensuelle d’huile, d’oeufs, viande et farine, l’école et la santé frustes (grâce à l’instit, au médecin aux pieds nus). Seul le vélo reste, même plus présent qu’hier (à 1,5 voire 2/habitant), mais détrôné par la voiture.

La convivialité en sort bouleversée. 30 ans en arrière, on vivait en famille, avec les voisins- en prenant soin de tenir sa langue. Passé 18h, on était chez soi. A présent le soir, les jeunes sont dans le métro, les bars et karaokés jusqu’à tard – causant entre eux ou pendus à leur GSM. Avec les parents désormais, on n’a plus grand-chose à se dire. Autre monde.

Ce qui reste de plus fort du maoïsme, en est le moins visible : la censure, où se déversent des milliards de US$ en systèmes importés et en salaires de millions d’agents, pour préserver le monopole sur l’information et l’opinion. Avec ses 80M de membres plutôt jeunes et éduqués, le Parti garde son pouvoir de pression, tant sur les églises, l’école, le planning familial, que sur les rassemblements de pêcheurs à la ligne.

Avec des succès inégaux, Hu Jintao, peut-être le plus «maoïste» des leaders depuis 20 ans, a veillé tout au long de son règne à rééquilibrer les chances du monde rural face à la ville. Il a fermement arrimé l’armée au Parti en promouvant de jeunes officiers d’active des trois armées (terre, mer, air) : sur les 39 généraux promus par Hu Jintao, depuis 2004, 19 étaient des commissaires politiques. Indice que quelque part, l’héritage de Mao demeure vivace – le pouvoir reste « au bout du fusil » !


Petit Peuple : Shenzhen, le baiser de la vie

Le 11/06 à Shenzhen, Liu Wenxiu, serveuse au Taipan Boutique-Hôtel, prenait selon son habitude, sa pause de 15h sur la passerelle surélevée entourant le carrefour de l’avenue du Peuple.

Ce jour-là, notre serveuse (petite  fourmi parmi des millions d’autres émigrés du Henan ou Hunan, cherchant fortune dans l’Eldorado chinois), détecta quelque chose d’anormal.  D’habitude bondé de badauds et vendeurs tibétains, l’anneau de béton était vide sur une 30aine de mètres, barré par un ruban de nylon fluo derrière lequel vibrait un essaim bleu et rouge de policiers et pompiers casqués.

Un pied dans le vide à 10m du sol, un jeune homme se retenait d’une main à la balustrade, agrippant un poignard de l’autre- comme pour en rajouter à l’aspect dramatique du moment-, tandis que derrière le ruban et en bas, s’agglutinait la faune humaine, dans une attraction morbide.

C’est là que Wenxiu eut la réaction géniale. Furieuse de la passivité hypocrite de ces bonnes gens (qui pour la plupart, attendaient avidement le terrible final), elle décida sur le champ que Ququan (appelons ainsi le désespéré) était son «frère», dont elle empêcherait le sacrifice. Jouant des coudes, elle franchit le barrage, prétextant être son «petit miel» (sa copine) et la cause de tout ce désordre—ils s’étaient disputés. A tout hasard, les policiers la laissèrent passer, flanquée d’une assistante sociale…

Dans la foule, Liu venait déjà d’entendre, répétée, l’histoire de Ququan : pianotant sur leurs iPhones, des gens trouvaient via twitter des témoins pour en accumuler des bribes.

Une fois face à face,  l’intensité de son regard, de son écoute furent telles qu’une simple question suffit à libérer le flot de complaintes du garçon -à 16 ans, Ququan en avait déjà vécu des vertes et des pas mûres. En 2008, sa mère mourait de maladie. Le père se remettait avec une femme qui, prenant Ququan en grippe, en faisait son souffre-douleur. La mégère finit par se sauver, les soulageant de sa présence et au passage, des économies du ménage. Les deux hommes n’avaient plus pour survivre, que des jobs misérables. En plein désespoir, Ququan craquait, il voulait en finir.

Alors au pauvre gars, Wenxiu lui montre son poignet aux plaies encore fraîches : «regarde, fait-elle, j’en suis passée par là moi aussi». Et elle lui raconte sa jeunesse à Benbu (Anhui), les querelles incessantes des parents qui l’arrachèrent à l’école pour la placer, sous-qualifiée, au travail et soutenir la grande soeur sourde-muette ; ses multiples tentatives de suicide au cutter, à la corde, au grand saut. « J’veux pas te sauver la vie, conclut-elle, mais tu fais une connerie, parce qu’après l’orage, vient toujours le beau temps ».

En guise de conclusion, elle profite de sa confusion pour lui coller un baiser langoureux ! Médusé, par reflexe, il l’enlace à son tour de sa main tenant toujours le poignard, ferme les yeux d’extase. Quatre pompiers à l’affût, en profitent alors pour lui sauter dessus…

Fin du 1er acte.

De retour à l’hôtel,-en retard sur sa pause, disputée par le chef-, il ne fallut qu’ une demi-heure à la police pour la rappeler sur son mobile: Ququan refusait de parler à toute autre qu’elle. Ce qu’ils firent donc, par téléphone. Elle lui promit de le rappeler quand tout se serait calmé, pour «l’encourager vers une vie meilleure» –et même plus, si affinités !

Fin de l’acte 2.

Pour illustrer l’aventure, 2 proverbes viennent à l’esprit, tous deux pertinents : 

qíng j í shēng zhì (情急生智, « du désespoir jaillit l’invention ») évoque l’astuce instinctive pour flouer la police, puis prévenir le suicide

X īn zhēn zhá (心如针扎, «  sentir une aiguille en son coeur »), désigne le coup de foudre.

Les deux expressions rendent bien compte de l’aventure, tout en respectant son halo de mystère : Wenxiu a-t-elle agi par amour altruiste de la vie, ou par attirance du garçon ?


Rendez-vous : A Shanghai, le rendez-vous de la rentrée – L’Expat Show
A Shanghai, le rendez-vous de la rentrée – L’Expat Show

14-16 sept, Pékin : Automotive Testing China Expo

14-16 septembre, Pékin : CIOF, Salon int’l de l’Optique

14-18 septembre, Shanghai Art Fair

16-18 septembre, Shanghai : Expat Show

17-19 septembre, Pékin : China Int’l Pipeline Expo