Le Vent de la Chine Numéro 40 (2019)

du 2 au 15 décembre 2019

Editorial : La Chine, leader climatique à la hauteur ?

La COP25 devait avoir lieu à Santiago, mais ce sera finalement Madrid qui l’accueillera (2 au 13 décembre) avec ses 25 000 diplomates, scientifiques et ONG venus de 196 pays. L’enjeu majeur de ce sommet sera de mettre en œuvre l’Accord de Paris signé en 2015, dont l’objectif est de contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Or, selon différents rapports, c’est mal parti, surtout que les Etats-Unis s’apprêtent à quitter le navire… Il est utile de rappeler que lors de la COP21, le défi premier était de faire monter tout le monde à bord, même avec de modestes objectifs au départ, qui seraient ensuite cycliquement révisés. Dès lors, chaque état doit préparer pour 2020 des promesses plus ambitieuses que celles de 2015.

Le pays de Xi Jinping a exprimé son désir de prendre la tête de ce combat contre le réchauffement climatique. Mais la triple casquette chinoise pourrait lui jouer des tours. Les pays développés considèrent que la Chine,  premier pays émetteur de gaz à effet de serre  et seconde économie globale, devrait contribuer, à partir de 2020, au Fonds vert pour le climat qui devrait être doté de 100 milliards de $ annuels. En guise de réponse, le vice-Ministre de l’Environnement et nouveau représentant spécial de la Chine pour le climat, Zhao Yingmin rappelait le 27 novembre qu’en tant que plus large pays en développement, la Chine doit également « faire face à ses propres défis nationaux, dont la lutte contre la pauvreté et la réhabilitation de l’environnement ». Zhao en profitait pour rejeter la proposition de l’Union européenne d’une taxe carbone aux frontières, qui impacterait les produits des pays n’ayant pas pris les mesures climatiques adéquates. Pour le gouvernement chinois, cette mesure porterait préjudice aux efforts internationaux et irait à l’encontre de l’Accord de Paris : au vu de leur longue histoire industrielle, les pays riches et développés devraient assumer une responsabilité plus grande dans la réduction des émissions de CO2.

Selon Zhao Yingmin, l’autre question majeure à Madrid sera celle d’un marché international de quotas carbone. La Chine avait annoncé le sien dès 2017, mais le projet enchaîne les difficultés. Il devrait néanmoins voir le jour l’année prochaine.

En parallèle, un récent rapport de Global Energy Monitor soulignait qu’entre janvier 2018 et juin 2019, les ouvertures chinoises de centrales à charbon ont dépassé les fermetures dans le reste du monde. Les autres pays ont réduit leur capacité de 8 GW, tandis que la Chine l’a augmenté de 42,9 GW. Cette dernière serait d’ailleurs en train de construire (ou aurait temporairement suspendu pour cause de surcapacités) pour 147GW de centrales à charbon. Elle finance aussi un quart de tous les projets houillers dans le reste du monde, en Afrique du Sud, Pakistan et Bangladesh notamment. Pour le leader mondial dans le solaire et l’éolien, cela fait désordre…

Avec un tel appétit pour le charbon, la Chine donne l’impression de revenir sur ses engagements. Ce n’est pourtant pas le cas : ces capacités supplémentaires étaient déjà planifiées dans son 13ème plan quinquennal (2016-2020), et la Chine ne s’était en aucun cas engagée à y renoncer. Ainsi, le nombre de centrales à charbon risque de continuer à croître les années à venir, mais à un rythme plus lent. La part du charbon dans le mix énergétique est donc en train d’être réduite, au fur et à mesure que la fraction des autres sources d’énergie augmente elle aussi, notamment celle du gaz et des renouvelables. A Paris, la Chine a promis que ses émissions arriveraient à un pic d’ici 2030, et de porter à 20% la part des sources d’énergies non fossiles dans son mix énergétique. Et elle est optimiste : le 27 novembre, elle annonçait avoir atteint en avance son objectif de réduction des émissions de CO2 en 2020, et que la part des énergies non fossiles était désormais de 14,3%. Alors, s’engagera-t-elle à un objectif plus ambitieux lors de la COP25 ? Un débat public fait cruellement défaut à ce sujet. Toutefois, un influent think tank gouvernemental chinois (CCICED) appelait son pays, en juin, à programmer son pic d’émissions dès 2025, et à augmenter sa part des énergies non fossiles en 2030 à 25%. Mais nombreux doutent que la Chine soit réellement prête à accentuer ses efforts climatiques, dans un contexte de ralentissement de la croissance et d’incertitude économique causée notamment par le conflit commercial avec les Etats-Unis. Dans ces conditions, le gouvernement saura-t-il résister aux sirènes du lobby du charbon ? La réponse se trouvera sans aucun doute dans le 14ème plan quinquennal (2021-2025) dont l’élaboration a déjà débuté. Fin du suspense, courant 2020.


Hong Kong : Une majorité pas si silencieuse

Le 24 novembre, Hong Kong renouait avec le calme le temps d’une journée, et pas n’importe laquelle : celle des élections de district. Après une participation record de 2,9 millions de personnes (soit 71,2%, contre 47% lors du dernier scrutin en 2015), les candidats pro-démocratie recueillaient 55% des votes, remportant 392 des 452 sièges. Ils raflaient ainsi aux pro-Pékin 17 des 18 conseils de district qu’ils détenaient jusqu’alors intégralement. Le résultat de ces élections locales, au goût de référendum politique, sonnait comme un désaveu cinglant pour le gouvernement de Carrie Lam.

La veille des élections, à Pékin, la propagande avait déjà envoyé aux rédactions des organes de presse officiels, les communiqués devant célébrer la victoire du camp pro-Pékin, porté par une « majorité hongkongaise silencieuse, exaspérée par les violences terroristes du mouvement pro-indépendance ». Le réveil se fit donc dans la confusion le 25 novembre, lorsqu’il fallut annoncer la victoire des démocrates… Cette anecdote révèle un problème sous-jacent : à nouveau, l’opinion hongkongaise a été mal évaluée par Pékin, malgré le dernier sondage annonçant trois jours plus tôt que 83,3% des Hongkongais considéraient le gouvernement largement responsable de l’escalade de la violence, tandis que 72,9% pointaient du doigt la police. Au début de la crise en juin, le gouvernement central blâmait déjà ses canaux d’information pour ne pas avoir senti le vent tourner. Pourquoi ces erreurs de jugement à répétition ? Différentes raisons peuvent être invoquées : l’intolérance envers les opinions divergentes, des informateurs n’accordant leur attention qu’aux voix loyales à Pékin, et un bureau de liaison à Hong Kong chargé de faire le bilan de son propre travail – ce qui pourrait expliquer cette fâcheuse tendance à se voiler la face… Ce constat est inquiétant et ne pose pas des bases saines pour une bonne résolution du conflit.

Paradoxalement, les résultats de ces élections sont la première opportunité tangible de sortie de crise depuis bien des semaines, et chacun y a sa part à jouer.

Pour les nouveaux élus de la mouvance démocrate, même si ces conseils de district sont des entités purement consultatives, cette victoire va leur assurer 117 des 1200 sièges au comité électoral qui, lui, participera à la nomination du prochain chief executive programmée en 2022. Une minorité certes, mais qui pourrait rebattre les cartes : certains tycoons (comme Li Ka-shing), eux aussi membres du Comité électoral, sont en froid avec Pékin qui leur impute une part de responsabilité dans cette crise. Cependant, le véritable enjeu pour les pro-démocrates est de s’organiser en vue des élections du Conseil législatif (le Legco) en septembre 2020. D’ici là, il faudra que le camp travaille à des propositions de réformes respectant « un pays », tout en protégeant les « deux systèmes », seule chance que toute négociation soit tolérée. En attendant, les élus, jeunes et sans expérience pour la plupart, devront faire leurs preuves, et chacun de leurs actes sera scruté par l’opposition.

Dans le camp pro-Pékin, la défaite infligée est largement attribuée à son impopulaire Cheffe de l’exécutif Carrie Lam, n’ayant jamais su (ré)agir en temps et en heure. Sa réponse sera donc de la première importance, et pourtant, elle n’a fait aucune annonce majeure depuis le dépouillement des bulletins… Ce scrutin tire pourtant la sonnette d’alarme : après six mois de crise, il est grand temps de prendre en compte les revendications politiques de sa population. Et des embryons de mesures économiques déjà annonçées ne suffiront pas. Alors quelles sont les options de Mme Lam ? Elle pourrait remanier son cabinet, ou alors ordonner une enquête indépendante sur les violences policières, bien qu’elle ait toujours affirmé qu’elle ne le ferait uniquement si le public était mécontent des conclusions rendues par l’IPCC (commission indépendante d’examen des plaintes concernant la police) en fin d’année. Cela dit, un retour des violences est à craindre si Mme Lam continue à pratiquer la politique de l’autruche. A moins qu’elle ne table sur la lassitude du mouvement – un pari dangereux… En tout cas son inflexibilité a balayé tous les efforts du camp pro-establishement depuis 20 ans pour se faire accepter de la rue. L’attitude de Carrie Lam divise aussi les élus conservateurs,  certains craignant d’être entraînés dans sa chute. Pékin aurait déjà envisagé de destituer la cheffe de l’exécutif, mais sa rencontre début novembre avec Xi Jinping suggérait qu’elle a encore toute la confiance du Président – du moins publiquement.

Le gouvernement central lui, observe la région administrative spéciale depuis sa Bauhinia villa aux abords de Shenzhen. Pour lui, l’heure est peut-être venue de réajuster sa stratégie. Il aurait tout intérêt à rechercher l’accommodement, du moins à court terme… Ren Yi, influent chroniqueur chinois, n’est pas de cet avis. Selon lui, en votant ainsi, les électeurs hongkongais auraient ouvert une boîte de Pandore : désormais, plus la ville rejettera la souveraineté chinoise, moins elle pourra sauvegarder son autonomie, pouvant même la perdre avant 2047.

Enfin, un dernier acteur s’invite dans le débat : outre-Pacifique, le Sénat américain approuvait le 20 novembre à la quasi-unanimité une loi visant à conditionner le statut économique spécial de la RAS, à un examen annuel du degré d’autonomie des autorités locales. Après avoir hésité quelques jours, le Président Trump signait finalement cet acte, moins par conviction que par contrainte : deux tiers des votes du Congrès auraient outrepassé un veto du Président. Malgré les menaces de représailles chinoises, le locataire de la Maison Blanche n’avait donc pas tellement le choix. Toutefois, il laissait entendre qu’il pourrait contrôler l’application de cette loi, si Xi Jinping lui accordait le mini-deal tant attendu. Les négociations commerciales seraient donc toujours sur les rails. De plus, Pékin n’a pas tellement les moyens de répliquer, si ce n’est de ralentir les palabres, pourquoi pas jusqu’à l’année prochaine. Sous cette lumière, la situation à Hong Kong n’est donc qu’un pion de plus dans le conflit qui oppose les USA et la Chine.


Xinjiang : Papiers et câbles

Le 16 novembre, le New York Times publiait les « Xinjiang Papers », 403 pages de discours, mémos et autres rapports confidentiels sur la politique répressive du régime chinois à l’encontre de sa minorité ouïghoure  du territoire autonome. Une semaine plus tard, c’était le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ, à l’origine des « Panama Papers » en 2016) qui révélait à son tour d’autres documents internes ayant trait aux camps d’internement installés au Xinjiang. Ces « China Cables » dévoilent un manuel de 2017, usant d’un double langage en qualifiant les détenus « d’étudiants », listant les critères nécessaires à « l’obtention de son diplôme », ou expliquant comment gérer l’éloignement avec les proches durant cette « formation professionnelle ». Les documents mis au grand jour expliquent également comment prévenir les évasions, garder l’existence de ces camps secrète, ou endoctriner leurs pensionnaires… Surtout, ils donnent des détails inédits sur le système de contrôle social mis en place au Xinjiang : une plateforme nommée « IJOP » centralise des masses de données sur la population et attribue à chaque individu un nombre de points en fonction de critères définis. Ainsi, il suffit de porter le voile ou la barbe, aller à la mosquée, ne pas boire d’alcool ou avoir voyagé à l’étranger pour être considéré comme « extrémiste » par le cerveau artificiel. Le résultat obtenu définit ceux qui seront envoyés dans ces camps, en prévention d’une potentielle activité considérée comme criminelle. Des révélations majeures donc, qui confirment la nature arbitraire et extrajudiciaire de ces détentions.

Pour sa défense, le régime justifie l’existence des camps en vantant leur efficacité dans la lutte contre l’extrémisme religieux et le terrorisme : « aucun attentat n’a eu lieu au Xinjiang ces trois dernières années ». Le porte-parole du gouvernement chinois avertit les puissances étrangères malveillantes que la situation au Xinjiang est une affaire « purement chinoise ». Quant à ces documents, « sortis de leur contexte », ce sont des « fake news », ajoutait l’ambassadeur Liu Xiaoming à Londres.

Le sujet est toutefois extrêmement sensible, puisque ces écrits mentionnent directement un discours du Président Xi Jinping, prononcé après l’attentat suicide dans une gare d’Urumqi le 30 avril 2014 (3 morts, 79 blessés), quelques heures seulement après sa première visite officielle dans le territoire autonome. Xi intimait alors l’ordre aux cadres locaux d’être « beaucoup plus durs » et « sans aucune pitié » dans cette « guerre contre la terreur ». Par la suite, des extraits de ce discours auraient été distribués aux autorités locales pour leur rappeler leur mission.

Étonnamment, les méthodes fortes du Président prennent le contre-pied de celles préconisées par son propre père, Xi Zhongxun. Celui-ci, en charge d’un vaste territoire incluant le Xinjiang dès les années 50, appelait alors à promouvoir des leaders issus des minorités et refusait de considérer les coutumes ethniques ou religieuses comme des traditions arriérées ou féodales. En 1981, il ordonnait même de résoudre pacifiquement un soulèvement pro-indépendantiste ouïghour à Kashgar (Jiashi). Mais, peu après avoir quitté ses fonctions, une série de manifestations au Tibet et au Xinjiang convainquirent ses successeurs que l’attitude modérée de Xi Zhongxun avait été une erreur. Une leçon qu’a bien retenue Xi-fils.

Le responsable haut placé au sein du gouvernement chinois à l’origine des « Xinjiang Papers », espère ainsi que « Xi Jinping et ses proches conseillers n’échappent pas à leur culpabilité face au reste du monde ». La répression actuelle des Ouïghours est donc loin de faire l’unanimité au sein du leadership. Même si, pour les cadres, le simple fait d’exprimer une objection peut les mettre en danger, tous n’appliquent pas aveuglément les consignes données. En témoignent les 12 000 membres du Parti au Xinjiang, sanctionnés en 2017 pour avoir failli « dans le combat contre le séparatisme ». Parmi eux, se trouvent des fonctionnaires ouïghours, accusés de montrer « deux visages » (l’un au service du Parti, l’autre servant les intérêts de leur minorité), mais pas seulement : dans les documents, est cité le cas de Wang Zhongzhi. Ce cadre Han, d’un district proche de Kashgar, aurait osé affirmer que la concentration de masse des Ouïghours était économiquement contre-productive et n’allait qu’aggraver les tensions interethniques. Suite à quoi, il aurait relâché 7 000 des 20 000 détenus dans son district. Plus tard, l’enquête interne l’accusera d’avoir « refusé d’arrêter tous ceux qui devaient l’être » et le condamnera, malgré ses 15 pages d’autocritique.

La Chine a longtemps nié l’existence de ces camps d’internement au Xinjiang. Ce n’est qu’il y a un an, confrontée à des preuves irréfutables, qu’elle reconnaissait finalement avoir mis en place ces « camps de formation professionnelle ». Est-il envisageable que face à l’accumulation de témoignages, documents, photos satellites, vidéos, la Chine fasse marche arrière ? Pour cela, la communauté internationale devrait hausser le ton. Une mission mal engagée à l’ONU, où la Chine s’est offert un fort soutien diplomatique. Fin octobre à New-York, deux coalitions s’opposaient sur la situation au Xinjiang : l’une menée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis, suivis par 21 autres États (dont le Canada, l’Allemagne, la Belgique, la France, la Nouvelle-Zélande et le Japon), appelant Pékin à respecter ses engagements internationaux pour la liberté de religion. Elle fut sitôt contrée par une autre, sous la houlette de la Biélorussie et 53 pays musulmans, africains, micro nations, adhérents à l’initiative BRI (dont le Pakistan, la Russie, l’Égypte, la République démocratique du Congo ou la Serbie) vantant les résultats chinois dans la lutte anti-terroriste. Force est de constater que les supporteurs rassemblés derrière la Chine sont encore plus nombreux que lors d’une première prise de bec sur le sujet en juillet dernier à Genève (37 pays contre 22). Mais un acteur de poids pourrait peut-être changer la donne : les Etats-Unis, dont le département du Commerce a déjà mis sur liste noire 28 entitées et compagnies chinoises impliquées dans la surveillance et la répression au Xinjiang, ainsi que plusieurs dirigeants du territoire. A l’instar de Hong Kong, une autre loi sur la situation des droits de l’Homme au Xinjiang, déjà approuvée par le Sénat, pourrait arriver sur le bureau du Président Trump. Sera-t-il enclin à augmenter la pression en soutenant cette loi ?


Religion : Le Pape sur les traces de Matteo Ricci ?

Le 22 septembre 2018, le Vatican et Pékin signaient un accord très attendu portant sur la nomination des évêques. C’était le premier signe concret d’un rapprochement entre les deux Etats qui n’entretiennent plus de relations diplomatiques depuis 1951. Ce concordat, n’abordant pas la question de la lecture des lettres pastorales ou de la gestion des biens de l’église, était le fruit d’une relation personnelle cultivée entre le Pape François et le Président Xi Jinping, tous deux entrés en fonction en 2013. Quoique non publié, l’arrangement stipulait que les sept évêques issus de l’Eglise catholique officielle, nommés par Pékin, seraient reconnus par le Saint-Siège. Pour sa part, Pékin devait accepter les prélats de l’Eglise « de l’ombre », nommés par le Vatican. Comme on pouvait s’y attendre, dans les diocèses chinois, la mise en pratique de cet accord rencontre des résistances. Selon l’interprétation chinoise, s’il n’y a plus qu’une seule Eglise catholique, les deux communautés, officielle et de l’ombre, doivent fusionner. Or par manque de confiance, nombre de paroisses s’y refusent…

Ces difficultés ne refroidissent pas le Saint-Père. Survolant l’espace aérien chinois le 26 novembre, de retour du Japon, le souverain pontife renouvelait son appel : « j’aimerais vraiment venir à Pékin, j’adore la Chine ». La réponse du ministère des Affaires étrangères chinois était toute aussi chaleureuse : « la Chine apprécie la convivialité du Pape, et sa bonne volonté ». Une rencontre entre les deux leaders, en Chine ou dans un lieu neutre, serait à marquer d’une pierre blanche, car ce désir de visite dans l’Empire du Milieu existe depuis 1177 par la voix du Pape Alexandre III…

Mais pourquoi le Pape François tient-il tant à approfondir ses relations avec la Chine ? D’abord, ce serait une manière de se rapprocher de ses fidèles. Au bas mot, les catholiques seraient 12 millions dans le pays, partagés entre les deux communautés. De plus, le Saint-Père part du principe qu’il n’obtiendra rien s’il attend que la Chine garantisse la liberté de culte. Malgré le risque de lâchage par sa base, le Pape considére que toute avancée est bonne à prendre et sera bénéfique à long terme. Cependant, ce point de vue est loin de faire l’unanimité au sein de l’Eglise. En effet, la chrétienté est sous haute surveillance en Chine depuis la campagne de « sinisation » des religions lancée par Xi Jinping en 2015. Depuis, les catholiques de l’ombre sont victimes de harcèlement, d’arrestations. Croix faîtières et églises sont abattues, et les portraits de Jésus sont remplacés par ceux du Président chinois. Les autres confessions ne sont pas épargnées, notamment au Xinjiang et au Ningxia, tandis qu’au Tibet, Pékin vise à imposer, le moment venu, son propre choix de réincarnation du Dalaï-lama. Face à ces brimades, le Saint-Siège ne se fait pas d’illusion :  de tels risques sont inhérents à la mission pastorale…

La question inverse se pose : pourquoi Xi Jinping est-il favorable à ce rapprochement avec le Vatican ? Ainsi, il regagne un certain contrôle sur les fidèles de l’ombre, et s’assure que l’autorité du Parti est pleinement respectée au sein des lieux de culte. Confiant en sa capacité à contrôler les religions et son opinion publique, le régime ne craint pas qu’une visite papale n’aboutisse à une vague de conversions dans le pays. Ce serait également un joli coup médiatique sur la scène internationale.

Par contre, Taiwan pourrait devenir une victime collatérale à terme, car la Chine imposera évidemment au Vatican la rupture de ses liens avec l’île – une stratégie que la Chine poursuit pleinement ces derniers mois dans le but de confisquer à l’île ses derniers alliés. Afin de pallier aux conséquences de cette rupture inéluctable, le Pape François, selon la rumeur, préparerait un nouveau lien diplomatique pour le moins original avec l’île de Formose : par l’entremise de l’Ordre de Malte, qui offre à Rome l’avantage précieux d’être à la fois chrétien (lié au Vatican) et souverain.


Petit Peuple : Nanning (Guangxi) – Qin Youhui ou le meurtre introuvable (2ème partie)

Qin Youhui, le promoteur immobilier, a payé 2 millions de yuans à Sun pour faire éliminer le gênant Wei Wuming. Mais Sun préféra déléguer la tâche pour la moitié de la somme. Deux intermédiaires plus tard, Wang se voit proposer le contrat pour 250 000 yuans.

Au fil de la conversation avec son beau-frère, Wang devina qu’il n’était pas le premier à s’être vu proposer de l’argent pour trucider le pékin. Il se dit qu’il lui suffirait, lui aussi, de refourguer le contrat une fois Hu repartit. Et c’est ainsi qu’il s’en alla voir Ling Xingsi, un pauvre diable du village qui vivait la plupart du temps des aumônes qu’il implorait à l’orée du hameau, devant le monastère. Sans se faire prier, Ling accepta le contrat et les 125 000 yuans de prime proposés.

Pendant ce temps, chaque quinzaine, Qin le commanditaire allait exploser d’exaspération chez Sun, réclamant la mise en œuvre de leur accord. Les réprimandes se répercutaient alors jusqu’à Ling qui, stoïque, ne répondait rien. En effet, le pauvre bougre s’était mis à cogiter sur cette mission qu’il avait si imprudemment acceptée : en tant que fervent bouddhiste, il ne pouvait se résoudre à commettre une telle infraction à ses principes.

Finalement, c’est en avril 2014, six mois après la commande criminelle initiale, qu’il passa enfin à l’action. De sa plus belle plume, il écrivit à Wei pour lui proposer une rencontre, une semaine plus tard, dans le seul lieu qu’il connaissait à Nanning : un café sur la rue principale. Il s’agissait, lui expliquait-il, d’une « affaire de la plus haute importance ». Intrigué, Wei accepta le rendez-vous par retour de courrier.

Le jour venu, Ling expliqua à l’homme d’affaires les ennuis dans lesquels tous deux se trouvaient, l’un étant supposé éliminer l’autre. « Je ne pourrais jamais te tuer, encore moins pour 125 000 yuans, le rassura-t-il maladroitement. Mais dénoncer l’affaire à la police n’est pas non plus envisageable, car Qin engagerait un autre tueur pour nous éliminer tous les deux. Non, la seule solution est que nous coopérions ». Ling lui expliqua alors son plan en détail. Il s’agirait de mettre en scène l’assassinat de Wei : il lui attacherait les mains dans le dos, le bâillonnerait et disperserait un peu de sauce tomate sur ses habits pour qu’il ait l’air d’avoir succombé sous les coups. Ling enverrait alors la photo de la scène à son financeur pendant que Wei irait se cacher chez un ami, le temps que l’affaire se calme.

Sentant qu’il n’avait pas d’autre choix, et après avoir mis sa femme dans la confidence, l’entrepreneur accepta de se prêter à cette mascarade. Ling envoya alors avec la photo, le récit détaillé de la pseudo exécution à Wang qui, soulagé que l’affaire soit enfin réglée, la retransmit immédiatement à Hu, qui l’envoya à Zhu, qui la donna à Sun, qui la montra à Qin Youhui, le tout en l’espace de quelques heures.

Mais, pour Qin, le plaisir de la vengeance accomplie ne dura pas longtemps. Dix jours plus tard, Wei, estimant que la plaisanterie avait assez duré, sortit de sa cachette. Ayant réalisé qu’il n’avait pas grand-chose à craindre de tels amateurs, il se rendit directement au commissariat pour y déposer plainte. Dès les premières phrases, les deux inspecteurs qui reçurent sa déposition échangèrent un lourd regard, qui en disait long. On avait là en effet un crime qui restait à commettre et cinq assassins d’opérette qui semblaient faire grève du zèle : il allait falloir beaucoup de patience et d’efforts (滴水穿石, dī shuǐ chuān shí) pour démêler cette affaire et espérer obtenir des aveux …

Les limiers se mirent alors à l’ouvrage et convoquèrent le commanditaire du meurtre et ses hommes de main. Tous, bien sûr, nièrent en bloc, sauf le dernier, Ling, qui se savait de toute façon incriminé par celui qu’il avait épargné. A force de recoupements, les enquêteurs réussirent au bout de quelques mois à reconstituer à peu près les responsabilités de chacun des mis en cause. En 2016, le tribunal prononça pourtant un non-lieu. Cette décision rarissime dans les annales de la justice chinoise trahissait le désarroi du magistrat : le dossier était simplement trop vide de substance pour lui permettre de statuer.

Dans la presse et sur la toile, l’affaire fit grand bruit. Alors qu’en Chine, 99% des crimes se terminent sur une condamnation, cette affaire était embarrassante pour l’appareil judiciaire socialiste. Depuis Pékin, le procureur suprême fit donc appel lui-même de la décision. Les protagonistes furent réinterrogés, et le 17 octobre 2019, ils furent jugés coupables, « leurs agissements constituant un crime d’homicide intentionnel ». Qin en prit pour cinq ans à l’ombre, quant aux autres, ils se partagèrent un total de 12 ans et un mois à purger. Compte tenu du fait que c’était son action qui avait permis d’éventer toute l’affaire, Ling le vagabond, écopa de la plus courte peine (2 ans et demi) et, au vu des mois déjà passés derrière les barreaux, il fut libéré dans la foulée.

De ce qu’il restait de son pactole, Ling fit un généreux don au prieur de son monastère, certainement pour se racheter une bonne conscience, mais aussi pour bénir sa nouvelle vie qui commençait : car avec le restant de la somme, Ling venait enfin de réaliser son rêve d’ouvrir sa propre quincaillerie dans une petite rue commerçante de Nanning.


Rendez-vous : Semaines du 2 au 29 décembre
Semaines du 2 au 29 décembre

2 – 3 décembre, Shanghai : GDMS – Global Digital Marketing Summit, Sommet international du marketing digital

3 – 6 décembre, Shanghai : AUTOMECHANIKA, Salon professionnel international chinois des pièces détachées et accessoires pour l’industrie automotive, des équipements pour garages et stations-services

3 – 6 décembre, Shanghai : LABELEXPO ASIA, Salon international de l’industrie de l’impression et de l’emballage

3 – 6 décembre, Shanghai : MARINTEC CHINA, Salon international et conférence sur l’industrie maritime

4 – 6 décembre, Pékin : WATERTECH, Salon international du traitement de l’eau

5 – 8 décembre, Canton : Guangzhou Design Week, Salon du design, de l’architecture et de la decoration d’intérieur

11 – 13 décembre, Shanghai : DOMOTEX/CHINAFLOOR, Salon professionnel international du revêtement de sol

12 – 14 décembre, Canton : Hi & Fi , Salon de la santé, de la nutrition et des aliments nutraceutiques

13 – 15 décembre, Shanghai : Shanghai International Money Fair, Rendez-vous annuel de l’industrie chinoise de la finance

19 – 21 décembre, Shenzhen : ELEXCON, Salon chinois de la haute technologie