Le Vent de la Chine Numéro 36 (2024)

du 25 novembre au 1 décembre 2024

Editorial : L’ « économie de basse altitude », nouvelle priorité de Pékin
L’ « économie de basse altitude », nouvelle priorité de Pékin

Imaginez un futur pas si lointain où le ciel serait sillonné de taxis volants survolant les bouchons et où vos achats sur internet seraient livrés par drones sur votre balcon en un temps record. Ce ne sera bientôt plus de la science-fiction dans les villes chinoises, qui cherchent par tous les moyens à développer la mobilité aérienne en dessous des 1 000 mètres d’altitude, afin de transporter sur de courtes distances du matériel, des passagers ou des touristes.

Ce concept, également appelé « économie de basse altitude » (低空经济, dīkōng jīngjì), a été officialisé pour la première fois par le gouvernement chinois en 2021, puis a été désigné comme « priorité économique majeure » en décembre 2023. Selon les estimations de l’Administration de l’aviation civile (CAAC), le marché représentera 2 000 milliards de yuans (280 milliards de $) en 2030, contre 500 milliards de yuans (70 milliards de $) en 2023.

Jusqu’à présent, les drones s’étaient particulièrement illustrés dans les campagnes, où ils permettaient aux agriculteurs de surveiller leurs troupeaux ou de pulvériser des pesticides et des engrais sur leurs champs. Mais aujourd’hui, ce sont leurs cousins « urbains » à cockpit qui sont à la mode : les véhicules électriques à décollage et atterrissage vertical (acronyme en anglais, « eVTOL »). Ces aéronefs présentent l’avantage d’être moins polluants et plus silencieux que les hélicoptères « classiques », en plus d’être moins onéreux.

Et chacun y va de son initiative. En février dernier, le premier vol de démonstration de taxi aérien électrique interurbain au monde a été effectué entre les villes de Shenzhen et Zhuhai, pour une durée de voyage de 20 minutes au lieu de 2 heures par voie terrestre. En avril, l’entreprise EHang cotée au Nasdaq – a obtenu de la CAAC, le premier certificat national de production pour son « EH 216-S », véhicule autonome qui peut embarquer deux passagers et filer à 130 km/heure avec une autonomie de 25 minutes et une portée de 35 km. En août, c’est Meituan qui envoyait ses premiers drones à la rescousse des touristes souffrant de la chaleur sur la Grande Muraille (cf publicité). Enfin, en septembre, c’est Shanghai qui a donné son feu vert à un service de taxi volant entre sa nouvelle zone de Pudong et la ville voisine de Haining.

C’est un revirement assez impressionnant lorsqu’on sait que l’espace aérien chinois était encore jusqu’à hier strictement contrôlé par l’armée, avec des autorisations pour des déplacements privés difficiles à obtenir sans fournir un plan de vol longtemps à l’avance et un statut juridique des vols de drones plutôt flou.

Cela a changé rapidement au cours de l’année dernière, lorsque la CAAC a publié des directives désignant l’espace aérien sous 300 mètres (où les drones évoluent généralement), comme « sans restriction », sauf dans les zones proches des aéroports.

En parallèle, ce mois-ci, l’organe de planification de l’économie (NDRC) a créé un département spécialement chargé de coordonner les politiques du secteur, tandis que six grandes villes ont été désignées comme zones pilotes pour les « eVTOL » : Chengdu, Chongqing, Suzhou, Hangzhou, Hefei et bien sûr, Shenzhen.

C’est en effet la « Silicon Valley chinoise » qui est sans doute la plus avancée en matière de « mobilité aérienne urbaine », étant la terre d’accueil du leader mondial des drones civils, DJI, mais aussi de 1500 autres sociétés évoluant dans ce domaine. Consciente de cet atout, Shenzhen a dévoilé en décembre 2023 un plan ambitieux pour développer la filière, couplée à une politique de subventions tous azimuts (environ 200 millions de yuans par an). Ainsi, la ville prévoit d’établir plus de 200 couloirs aériens et de construire plus de 600 mini-aéroports d’ici à 2025, tandis que le nombre de vols à basse altitude dépassera le million par an. Elle va également construire plus de 8 000 nouvelles stations 5G pour améliorer la couverture réseau sous les 600 mètres. Nul doute que l’initiative fera des émules dans d’autres villes chinoises…

Bien sûr, la Chine n’est pas la seule à se lancer dans cette course sous les nuages. Les leaders de l’aéronautique, Airbus et Boeing, les champions des VTC et du e-commerce, Uber et Amazon, ainsi qu’une myriade de PME en Europe et aux Etats-Unis, sont aussi sur les rangs.

Cependant, certains experts avancent que les entreprises chinoises sont bien positionnées pour briller dans ce domaine. En effet, EHang, Xpeng, ZeroTech et consorts pourront s’appuyer sur une solide base industrielle, un savoir-faire indéniable glané par les constructeurs chinois de véhicules électriques dans les batteries notamment, mais aussi sur une politique volontariste de l’Etat qui compte bien créer une chaîne d’approvisionnement 100% chinoise pour cette nouvelle filière aéronautique, allant des matériaux aux logiciels pour les vols automatisés.

C’est donc en quelque sorte un nouveau « bond en avant » que la Chine prépare, misant tout sur les drones de transport électriques et délaissant les hélicoptères. Elle avait utilisé la même stratégie dans l’automobile en passant directement à l’électrique, sans s’attarder sur les moteurs thermiques… Il faudra néanmoins attendre encore un peu pour voir ces drôles d’oiseaux entrer en service commercial à une large échelle, probablement pas avant 2035.