Le Vent de la Chine Numéro 20-21 (2017) Spécial Initiative Belt & Road

du 21 mai au 3 juin 2017

Editorial : Le visage de la Chine de demain

De décennie en décennie, la société chinoise, protéiforme, évolue en permanence. Il en va de même pour sa jeunesse.

A quoi ressemble intérieurement le Chinois de la dernière génération, celui né après l’an 2000, un smartphone à la main  ?

Son aîné des années ‘80 est opiniâtre et discipliné, déterminé à tout  sacrifier pour s’en sortir.
Le jeune né dans les années ‘90,  « enfant roi », est indolent, supportant mal la contradiction faute d’avoir été formé au dialogue et au travail d’équipe. Il est aussi matérialiste, privilégiant l’argent aux rapports humains.

Mais aujourd’hui, par rapport à cette génération Y (1980-1999), l’ado chinois prend un autre visage. Un récent sondage du Centre de recherche sur la jeunesse et l’enfance chinoise auprès de 9320 jeunes dans 10 provinces, dresse un portrait bien différent, avec un « jeu de cartes des valeurs » entièrement rebattu.

Qu’est-ce qui compte le plus dans la vie de ces ados chinois ? En 2005, 54% répondaient « une famille heureuse ». 10 ans plus tard, cette cohorte a augmenté de 5%.

La seconde valeur suprême est « l’amitié », selon 40% des ados en 2005 et 47% en 2015.

À l’inverse, des valeurs telles « contribution à la société » ou « succès professionnel » reculent. Pour les sociologues, cette évolution suit étroitement celle du marché du travail. Dans les années ‘90 sous Zhu Rongji, l’heure était aux réformes incessantes de l’économie de marché –la jeunesse courait vers la carrière, et en tirait récompense salariale, exacerbée par son dynamisme productiviste. Aujourd’hui sous un cadre plus mature, le jeune réalise que cette course au profit, en plus de se charger d’obstacles, ne peut plus porter le sens de la vie. La réalisation de soi, désormais, passe dans les relations interpersonnelles – et le bonheur.

Le Chinois de demain se veut moins « collectif » et plus « individualiste » : seulement 44,5% de ces jeunes sont prêts à sacrifier leur intérêt privé pour l’honneur de leur classe ou de leur collège/lycée—contre 85% qui se déclarent « prêts à travailler dur pour leur propre  entreprise, ou leur pays ». 

Le palmarès des vertus est donc  chamboulé : « l’humilité » qui occupait la 6ème place en 2005, passe au 3ème rang, reléguant des concepts si importants hier, telle « la piété filiale ». La jeunesse de la génération Z ne supporte plus « l’arrogance »—qu’elle voit trop chez certains fils de riches. La « bravoure » et « l’ardeur au travail », également, prennent des rides, relayés par la « responsabilité » et la « coopération ». Autrement dit, gagnent en puissance la confiance en soi et l’attente d’un travail en équipe —des valeurs refondatrices de la Chine de demain.

Selon l’agence pékinoise Boldmoves, le succès, pour les jeunes d’aujourd’hui, consiste à avoir fait une bonne école, être autonome financièrement, et pouvoir faire ce qu’on veut dans la  vie, comme voyager, puis avoir les moyens de payer pour l’éducation de ses futurs enfants et prendre en charge ses vieux parents ! 

70% des jeunes de ce siècle veulent maintenant faire passer « l’environnement » avant « l’économie », et cette conscience « verte » est plus forte dans les campagnes. Enfin, le « patriotisme » lui, reste une valeur inébranlable : près de 93% des jeunes sont fiers d’être Chinois, et 90% satisfaits d’habiter leur pays. Ce qui n’empêche 700.000 d’entre eux d’aller étudier à l’étranger, dont un tiers aux Etats-Unis, qui demeure pour tous le « meiguo » (美国), le beau pays. Ceci, à son tour, explique l’insistance du régime à faire barrage  aux « valeurs occidentales » dans les écoles chinoises.


Investissements : Le monde selon l’initiative « Routes de la soie »

Aucun doute, ce premier Sommet « Belt & Road Initiative » (BRI ou « One Belt, One Road »—OBOR), à Pékin les 14-15 mai, restera dans les mémoires, avec ses rendez-vous mondialistes préparés de longue date, entre village olympique et villégiature luxueuse du lac Yanqi.

Le régime avait travaillé dur, et ouvert sa bourse sans compter pour assurer le succès Pékin promit 124 milliards de $ de fonds frais, à distribuer à travers son Fonds Routes de la Soie, sa Banque Asiatique d’Investissements en Infrastructures (AIIB), ses banques politiques CDB et Exim Bank, ainsi que ses banques commerciales. Il y avait de quoi attirer du monde : 68 pays furent présents, 29 chefs d’Etat et de gouvernement, et 270 MOU (déclarations d’intention) furent enregistrés avec la Terre entière.

Les contrats…

Dans la jungle des préaccords paraphés, figuraient une coopération nucléaire civile avec la Thaïlande (prélude à des ventes de centrales), une autre de gestion de l’eau en Malaisie, et le financement du TGV Jakarta-Bandung en Indonésie.

Ce dernier peut apparaître l’archétype des projets BRI : le crédit est abondant, à taux défiant toute concurrence et sans contrepartie d’une garantie de l’Etat indonésien. La CDB avance 75% des 5,29 milliards de $ du projet, remboursable en 40 ans avec 10 ans de grâce, dont 60% à 2% de taux d’intérêt, le reste à 3,4%.

Les premiers bénéficiaires de ces largesses sont 47 consortia publics chinois qui ont reçu en pâture 1676 chantiers BRI. Le seul groupe CCCG (géant du génie civil) empoche 40 milliards de $ pour bâtir 10.320 km de routes, 95 ports en eau profonde, 10 aéroports, 152 ponts, 2080 tronçons de voies ferrées. La banque ICBC a déjà prêté 67 milliards de $ – c’est toutefois bien moins que les banques politiques qui elles, exécutent leurs prêts suivant les ordres de l’Etat, sans se préoccuper en premier lieu de la viabilité des projets.

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Les quatre objectifs de l’Initiative Belt & Road

Selon des sources confidentielles, l’équipe rapprochée de Xi Jinping, avec cette initiative « BRI », produit un chantier très réfléchi et cohérent, qui intègre et réconcilie les thèses mondialistes de la Chine et son ambition de puissance d’un hinterland sur le continent asiatique. Quatre objectifs peuvent lui être attribués :

1°) Il s’agit d’abord d’impliquer la Chine dans les affaires du mondeElle le fait dans deux domaines, avec deux outils spécifiques : l’AIIB (banque d’investissement en infrastructures en Asie), dans l’univers financier, et « une ceinture (terrestre) une route (maritime) » dans le monde international de l’industrie et des services.

2°) L’initiative BRI a aussi pour objet au plan intérieur, de renforcer le prestige personnel de Xi Jinping, sa marge de manœuvre lors du XIX Congrès d’octobre, afin d’en obtenir suffisamment de pouvoirs pour amplifier sa marge de manœuvre durant son second quinquennat.

3°) Par ces prêts non destinés à être remboursés mais à être indéfiniment reconduits, ces infrastructures, en besoin de maintenance et de management (entretien, sécurité…), créeront chez les pays bénéficiaires un lien permanent de dépendance.

4°) L’initiative BRI va aussi servir à écouler les stocks de matières premières : acier, aluminium, verre, ciment, panneaux solaires, équipements électromécaniques. De la sorte, la Chine s’octroie (finance) un sursis de longue durée pour résoudre les contradictions de son propre système économique : éliminer les rivalités provinciales, ses barrières intérieures, créer un grand marché unique, éliminer les surcapacités.

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Organes et discours

Durant le Sommet, la Chine et ses partenaires se sont appliqués à renforcer l’initiative BRI en créant une série d’organes ad hoc. Cogérée par l’UNEP (Agence onusienne de l’Environnement) et le ministère chinois de l’Environnement, une « Coalition verte » doit voir le jour, afin de mettre à disposition des pays et groupes participants, une base de données sur les partenaires et les technologies de défense de l’environnement. Elle préparera aussi des « recommandations » environnementales aux projets, et gérera une agence de label et de certification. Le BRI s’équipe d’un conseil consultatif et d’un bureau de liaison. La NDRC (superministère de l’économie) ouvre un centre de facilitation avec portail internet et index commercial des firmes du réseau des routes de la soie maritimes.
Des accords financiers sont passés entre argentiers du BRI (AIIB, Fonds Routes de la Soie, banques politiques) et banques politiques internationales (ADB, EBRD, EIB, Banque mondiale).
Le Président Xi Jinping fit un discours d’inauguration ouvert et équilibré, décrivant l’initiative BRI comme « inclusive » et comme une « marque de coopération » entre les continents. Il s’efforça aussi d’écarter de ce projet mondial, tout soupçon de récupération politicienne.

Les gagnants…

Un des gagnants du Sommet BRI est le Pakistan. Pékin porte son enveloppe à 57 milliards de $ pour le futur CPEC (China Pakistan Economic Corridor) qui doit traverser et revivifier le pays du nord (frontière chinoise) au sud (océan Indien). Une série de centrales thermiques, d’autoroutes, de lignes de chemins de fer modernes, aboutiront au port en eau profonde de Gwadar – lequel sera aussi accessible à la marine militaire chinoise.

Quoique audacieux et pertinent sous l’angle des chances de relance du Pakistan, ce CPEC n’est pourtant pas du goût de tous. Il irrite l’Inde, en traversant le Cachemire, que New Delhi revendique. Aussi l’Inde a-t-elle boudé le Sommet et l’a déclaré « non durable » – quoique la Chine se soit également efforcée d’ouvrir également ses largesses à ce pays, avec notamment le projet de « ceinture » BCIM (Bangladesh—China—India-Myanmar), supposé tirer de la pauvreté jusqu’à 400 millions d’habitants du sous–continent par créations de zones industrielles fonctionnant en synergie. Mais pour l’instant, l’Inde ne suit pas : à tout le moins, la Chine va devoir faire d’autres efforts pour relancer le rapprochement sino-indien, une autre de ses priorités.

Le Philippin Rodrigo Duterte de son côté, n’attendit pas davantage pour annoncer le début de « consultations » avec la Chine, sur le règlement de la crise en mer de Chine du Sud. Il faut dire que son pays se voit promettre rubis sur l’ongle 24 milliards de $ pour divers grands chantiers (routes, chemins de fer, télécom, énergie), 500 millions de $ de « prêts » en fournitures militaires, et un milliard de dollars en bananes et ananas de l’archipel. Mais Duterte semble vivre sur son petit nuage, décidant le 17 mai de dénoncer l’aide au développement qui était offerte à son pays par l’Union Européenne (petit coup de griffe aux ex-puissances coloniales), et qui aurait alloué 250 millions d’euros essentiellement aux populations musulmanes du sud de l’archipel.

Le sommet BRI recevait un autre voisin de la Chine, aux rapports parfois tendus en raison de la crise en mer de Chine du Sud : le Vietnam. Or, la relation semble à présent en embellie : son Président-général Trân Dai Quang a signé avec Xi Jinping un « gentleman’s agreement » sur le contrôle des disputes maritimes.

Egalement bien traité, un pays parmi les plus pauvres, le Népal, se vit offrir une ligne ferroviaire Katmandou-Lhassa, 550km, pour 8 milliards de $ (pour acheminer touristes et biens de consommation, d’équipement chinois) – ce qui aura pour effet de diluer la traditionnelle dépendance népalaise envers l’Inde.

Dans ce palmarès, la Russie et les autres pays d’Asie Centrale occupent une place d’importance dans l’initiative BRI, avec notamment cette LGV Moscou – Kazan à 7 milliards de $. Mais Russie et Asie Centrale redoutent de voir le BRI devenir un cheval de Troie d’une suprématie chinoise : le 14 mai, Vladimir Poutine réclamait encore la fusion de son projet d’« Union Economique Eurasienne » (UEEA) avec la BRI… Peu enthousiaste à l’idée de délayer ses fonds dans une union qu’il ne contrôlerait plus, Xi Jinping lui opposa un refus poli. En compensation, il offrit la création d’un Fonds régional sino-russe, qui sera doté à terme de 14,5 milliards de $. Sur l’initiative BRI, Poutine est donc partagé. Il redoute qu’il fasse de l’ombre à sa propre influence en Asie Centrale, mais n’a d’autre choix que de poursuivre l’alliance. Pour 2018, Poutine prédit donc une hausse des échanges bilatéraux à 80 milliards de $ (ils s’élevaient à 69,5 milliards en 2016) puis à « 200 milliards, d’ici 3 à 7 ans ».

Scepticisme

Restent enfin, face à ce chantier planétaire tout neuf, les doutes et scepticismes inévitables.

Il y a la question des coûts. Diverses sources évaluent les besoins en équipements de l’Asie, à 26.000 milliards de $ d’ici 2030. Pékin n’en engage que « 113 milliards » aujourd’hui et jusqu’à 500 milliards sous cinq ans – une « goutte d’eau » face aux besoins et propose aux partenaires publics et privés à travers le monde, d’y contribuer. Mais dès lors se posent les questions de réciprocité, et de rentabilité des projets BRI. Les USA et l’Europe ne vont pas subventionner les usines chinoises, et moins encore perdre leur argent dans des projets conçus sur base politique et non de marché.

USA – le retournement

Face à un tel concept « dirigiste » et non « libéral », on pouvait attendre l’hostilité des Etats-Unis. D. Trump voulait n’envoyer au Sommet que son ambassadeur. En dernière minute cependant, il dépêcha Matthew Pottinger, haut cadre au Conseil National de Sécurité américain, permettant aux USA d’être représentés à haut niveau pour défendre les ambitions de ses multinationales. Dès 2016, General Electric équipait des projets BRI à hauteur de 2,3 milliards de $ – il en vise 7 milliards cette année.

Cependant, les appétits des seuls groupes industriels et financiers d’Outre-Pacifique n’auraient pas suffi à tirer Washington du rang des « BRI-sceptiques». Le revirement fut créé par la Chine, en signant avec le gouvernement fédéral, en dernière minute, un accord rouvrant après 14 ans le marché chinois de la viande aux éleveurs bovins du Nouveau Monde. En contrepartie, les USA s’engageaient à rétablir les importations de poulet chinois.

Pékin ouvrait aussi son marché financier à la monnaie plastique, MasterCard ou American Express. Tout cela allait dans le sens de la promesse faite par Xi à Trump il y a trois semaines, d’œuvrer à résorber l’excédent commercial chinois dans les échanges bilatéraux.

 Le «oui-mais » européen…

Côté européen, l’accueil du plan BRI a été plus mesuré – pour des raisons techniques mais aussi de fond, que l’Union reflétait d’emblée par sa représentation. 
Les trois plus grands Etats-membres avaient omis de dépêcher leurs chefs d’Etat. La France était excusée pour cause d’élections, mais l’Allemagne et le Royaume-Uni témoignaient par leur sous-représentation de questionnements sur l’initiative BRI : quelle gouvernance, mécanismes de compensation, normes, et base juridique ? Rien n’existe, et un tel vide dérange les 28 Etats-membres – tous présents, cependant.

Le Sommet a abouti à deux communiqués, un d’ordre général, signé des chefs d’Etat, et un des experts des 68 nations, consacré au cadre commercial.

Sur le volet général, les Européens ont obtenu des amendements, notamment sur des questions de réciprocité et de transparence – points qui avaient déjà été résolus avec la Chine au sein du G20. Les Européens ont donc pu collectivement approuver le document final.

Sur le volet commercial, des crispations chinoises se sont élevées. L’UE souhaitait voir des progrès dans la négociation d’un traité de protection des investissements, et dans les fermetures de capacités sidérurgiques chinoises. A un certain stade, l’équipe négociatrice du ministère du Commerce chinois a communiqué son refus à tout compromis. Les Européens d’une seule voix, se refusèrent à signer. Toutefois, de source diplomatique, la difficulté principale tenait à la jeunesse de ce chantier mondial dirigé par la Chine, à son absence de normes faute d’avoir eu le temps de les concevoir.

Autant dire que ce « mal de croissance » n’est pas fait pour durer, et que le Sommet BRI de 2019 saura  combler d’ici là le vide institutionnel. Il serait à la fois malaisé, et imprudent de prédire à ce stade l’insuccès de cet outil mondial, radicalement différent de tout ce qui existe, peut-être porteur d’espoir pour des milliards d’êtres humains.


Investissements : Train chinois pour l’Afrique

Sur 240.000 km² de plateaux à 1100 mètres d’altitude au nord du lac Victoria, l’Ouganda est un des pays les plus pauvres de la terre, au revenu de 691$ par habitant / an. Mais une de ses richesses potentielles est son extrême jeunesse : ses 39 millions d’habitants, population qui a quadruplé en 50 ans.

Pour  la Chine, c’est une « cible » de choix, du fait de son réservoir de travailleurs pour des usines délocalisées, et de matières premières abondantes (textile, bois cuir, café, cacao, tabac), et des 2,2 milliards de barils de pétrole exploitable sur son sol, notamment à Hoima, près de la République Démocratique du Congo. À condition de pouvoir briser l’isolement du pays en perçant  une route vers l’Océan Indien.

D’où ce projet de liaison ferrée internationale qui reliera la capitale Kampala au port kenyan de Mombasa via Nairobi : 3200 km, avec deux autres branches vers Juba (Soudan du Sud) et Bujumbura (Burundi), pour un coût total de 12,7 milliards de $.

Pékin a déjà approuvé le financement du tracé ougandais jusqu’à la ville frontalière de Malaba (273 km) pour 2,3 milliards de $, dont l’Exim Bank supportera 85%. Côté kenyan, cette banque consentait 4,9 milliards de crédits pour le tronçon Malaba-Naivasha en décembre  – le reste de la ligne jusqu’à l’Océan Indien et Mombasa est en cours d’achèvement.

Mais les choses se compliquent côté kenyan, qui ne parvient pas à boucler son budget. Or, l’Exim Bank est formelle : son chèque à l’Ouganda ne partira qu’une fois Nairobi prêt à lancer sa part du chantier, ceci pour garantir la bonne fin du projet. 

Aussi pour l’Ouganda, Matia Kasaija, le ministre des Finances s’impatiente et menace d’opter pour une route alternative via la Tanzanie, le voisin du sud. Ce tracé passerait par ferry à travers le lac Victoria – au moyen de deux terminaux, au financement assuré par le groupe financier allemand KfW. La distance à l’océan étant sensiblement égale – environ 1500km, Kasaija prévient : « nos partenaires n’ont qu’à se presser, nous voterons pour celui qui répondra le premier ».

Simple ruse qui ne trompe personne. Le fait est qu’Ouganda et Kenya souffrent d’un mauvaise note auprès des banques, suite à un endettement rapide sur des projets non productifs, car infestés de corruption. Quoique menant de front en Ouganda 22 projets pour 2,3 milliards de $, la Banque mondiale-même, en août 2016, suspendait ses paiements, alléguant une « mauvaise performance» – elle s’apprêterait à rouvrir le robinet en juillet prochain.  

Pas par hasard, Uhuru Kenyatta, le Président kenyan était à Pékin les 14-15 mai au sommet BRI, reçu par le 1er ministre Li Keqiang pour débloquer  le prêt et les travaux. La liaison ferrée vers l’océan Indien doit fonctionner en 2020, quand le gisement de Hoima et sa raffinerie de Kabaale entreront en production—une raffinerie partiellement propriété d’un groupe chinois, la Cnooc. Le temps presse donc, apparemment !


Criminalité : WannaCry, en chinois

Ayant frappé le monde entier le 13 mai, le « rançogiciel » WannaCry a laissé des traces en Chine. Selon Qihoo360, le créateur chinois d’antivirus, 30.000 entités, 200.000 ordinateurs virent leurs fichiers encryptés, et assortis d’une demande de rançon en bitcoin. Les premières victimes furent les stations-services CNPC et 4500 écoles et universités aux systèmes d’exploitation en retard de mise à jour.

L’attaque avait été rendue possible suite à deux négligences, celle de Microsoft qui avait laisser perdurer dans ses logiciels Windows une faille durant des années (colmatée seulement en mars), et surtout celle de l’Agence Fédérale de Sécurité américaine NSA, qui avait stocké sur son site des « armes numériques » qui lui avaient été hackées ensuite. Sur l’identité des pirates, les regards se tournent (sans preuve) vers la Corée du Nord. Soupçonné d’être derrière cette attaque, le groupe Lazarus, « proche de la Corée », a déjà à son actif le sabotage en 2014 de « The Interview », le film satirique de Sony sur Kim Jong-un.  Qihoo s’est posé en sauveur, créant à vitesse record un « patch » pour récupérer une partie des documents pris en otage. Mais dans l’Empire du Milieu, l’affaire ne sera pas oubliée de sitôt. C’est la première fois que le bitcoin est identifié à échelle mondiale comme outil de pieuvres criminelles. Sans pouvoir le bannir, la Chine s’efforcera de le contrôler davantage.

D’autre part, si la Chine est convaincue que l’attaque venait de Pyongyang, les sanctions réclamées par D. Trump et en cours de négociation à New York contre le petit régime stalinien, seront plus faciles à prendre. 

En outre, deux lois distinctes sont en cours de mise en place, pour mieux contrôler l’internet et le renseignement, en Chine et ailleurs : la loi de cybersécurité applicable au 1er juin (54 multinationales réclament son report, l’accusant de violer les normes et la pratique internationale) ; et la loi du renseignement, autorisant  les arrestations et saisies de tout individu ou groupe étranger et public.

Ironie du sort, 4 ans plus tôt à Shanghai était dévoilée une mystérieuse unité  61398 de l’APL, reconnue pour hacker et saboter les sites publics ou de multinationales partout sur Terre. Ces hackers « en uniforme kaki » n’étaient pas les seuls : aujourd’hui tous les gouvernements de pays riches, à des échelles diverses, pratiquent ce genre de « sport ». 
Mais le problème prend désormais une autre dimension : des gangs multinationaux, ou des Etats voyous peuvent à présent s’approprier ce pouvoir de nuisance. La conséquence est claire : pour se protéger, les Etats vont devoir entre eux convenir de règles.


Corées : La Corée sur un baril de poudre

La Corée du Nord avait bien envoyé son ministre du Commerce extérieur au Sommet BRI (Belt & Road Initiative) à Pékin les 14-15 mai, mais Kim Yong-jae maintint en tout temps profil bas. Il faut dire que pendant ce temps, Pyongyang était en train de procéder –avec succès– à son 7ème test balistique. Le missile Hwasong-12 décollait sous le regard de Kim Jung-un, le petit dictateur, et volait 30 minutes avant de s’abîmer en mer du Japon.

Pour la Chine, plus encore pour Donald Trump, la provocation était cuisante, car la fusée venait d’atteindre l’apogée-record de 2000 km, ce qui la classait dans la catégorie vecteur de moyenne portée soit 4500 km, un pas de plus vers les missiles  à « longue portée » pouvant vitrifier à 9000 km par déflagration nucléaire, des villes de la côte californienne.
Un détail significatif a été évoqué par le gouvernement sud-coréen. Pomme de discorde avec la Chine, le système Thaad installé sur son sol par les Etats-Unis avait su détecter ce décollage. Séoul s’est gardé de préciser s’il eût pu anéantir le missile en vol, si le Pentagone en avait donné l’ordre… Face à cela, la Chine devait se résigner à voter, avec les autres membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, davantage de sanctions contre le « pays du Matin calme ». En général, Pékin bloque ce type de sanctions contre Pyongyang – par nostalgie idéologique et par doute sur l’efficacité de la mesure.
Pendant ce temps, la Corée du Sud vivait une révolution silencieuse, en élisant son nouveau Président Moon Jae-in (64 ans). Avocat, démocrate et défenseur des droits de l’Homme, Moon est l’héritier d’une politique de main tendue, dite « rayon de soleil ». De 2000 à 2008 sous administration démocrate, la Corée du Sud avait voulu tendre la main au Nord, la sortir de la misère tout en visant ensemble un traité de paix – la fin de la guerre de Corée. En 2008, cette politique était enterrée sous les critiques de la droite d’affaires et des chaebols. Elu à forte majorité, Moon paraît avoir l’autorité morale, et être décidé à assainir l’univers politique du pays. 
La Corée du Sud, à présent, souhaite la fin de la course aux armements sur sa péninsule, la fin des vexations de Pékin suite à sa propre acceptation de la rampe Thaad—le tout, dans un climat de sécurité. Moon a déjà envoyé une série de légats, dont Lee Hae-chan, ancien Premier ministre, entre Pékin, Tokyo, Moscou, Berlin et Washington. Mais face à lui, il trouve une Chine, des USA et une Corée du Nord, toutes bien plus intransigeantes qu’il y a trois mois—une situation à tout prendre, extrêmement peu confortable.


Chiffres de la semaine : 7 millions aux cheveux gris, deux tiers n’en veulent pas, 92% l’utilisent….

– Les universités du 3ème âge sont en plein boom ! A travers le pays, on en compterait 60.000 pour 7 millions d’étudiants aux cheveux gris.
Rappelons que la Chine compte actuellement 230 millions de sexagénaires – un chiffre amené à grandir avec les années – et que la demande en ce type de cours ne cesse d’augmenter, avec parfois des listes d’attente.

D’ici 2020, le gouvernement ambitionne que chaque grande ville dispose d’une université « tous âges », 50% des communes, et 30% des villages.

Les cours dispensés varient : du yoga, de l’anglais pour les débutants, en passant par l’utilisation d’un ordinateur ou d’un smartphone !
En moyenne, les classes coûtent 80 yuans et sont souvent programmées pendant des heures scolaires des petits-enfants.  
Ces sexagénaires, plus éduqués qu’il y a 30 ans, partent désormais en retraite, et la danse en plein air ou le mah-jong, ne semblent plus leur suffire…

-276 articles scientifiques rédigés par des chercheurs chinois, ont été retirés pour cause de « fausses certifications par des pairs », entre 2012 et 2016 – soit plus de la moitié du monde entier réuni !

En Allemagne, seulement un article était retiré pour ces mêmes raisons, et aucun au Japon (sur les 4000 publiés).

Or en Chine, c’est une pratique courante que de faire appel à des agences peu scrupuleuses, fournissant des services tels que de fausses informations ou adresses emails de pairs, censés évaluer la qualité d’un article. 

Un constat à mettre en lien avec le dynamisme de la recherche chinoise : 9721 articles ont été publiés en 2016, en hausse de 47% par rapport à 2012 (source : Nature Index).

92% des consommateurs chinois déclarent que les applications mobiles de paiement sur smartphones (comme WeChat Pay ou Alipay) sont leur principal moyen de paiement, après l’argent liquide puis les cartes bancaires, selon une étude de Penguin Intelligence (Tencent). Une tendance très marquée dans les grandes villes et qui prend de l’ampleur jusque dans les campagnes.

10% des utilisateurs de WeChat Pay dépensent plus de 5000 yuans par mois. La plupart utilisent WeChat Pay dans les supermarchés et commerces de proximité (presque 30%), pour leur shopping online (+25%), au restaurant (environ 20%), ou encore pour payer leurs factures (13%). De plus, 80% des utilisateurs de WeChat admettent s’en servir dans leur travail, certains pour des tâches de coordination, d’autres pour effectuer des transactions ou transférer des documents.

40% des femmes actives en Chine, sans enfant, ne considèrent pas en avoir dans le futur, et deux tiers de celles qui sont déjà mères, ne veulent pas d’un deuxième enfant. Des résultats qui peuvent être expliqués par les 33% des femmes dont le salaire a été réduit ou les 36% qui ont été rétrogradées après avoir donné naissance (source : sondage Zhaopin.com).

-Dans la région de Pékin-Tianjin-Hebei (Jing-Jin-Ji), la concentration moyenne de micro-particules PM2,5 dans l’air était de 85, en augmentation de 20% de janvier à avril, par rapport à la même période l’an passé. En avril, 5600 inspecteurs de l’environnement étaient déployés dans la région, et deux tiers des firmes contrôlées étaient en infraction (source : ministère de l’Environnement).

 


Petit Peuple : Xi’an – Les noces contrariées de Xiao Liu (2ème partie)

Résumé de l’épisode précédent : à Xi’an (Shaanxi), le marié avait invité au mariage 200 « amis » fort peu connus, tous recrutés à 80¥/tête pour faire figurants. Mais Xiao Liu, la mariée, s’aperçut de la supercherie et appela la police. Les noces tournèrent au vinaigre !

Après un contrôle d’identité au fichier central, l’inspecteur-chef eut un geste stupéfiant : décrochant ses menottes de service, il les passa aux poignets de Wang Xianhun, le mari, « en état d’arrestation ». Et quand ce dernier, éberlué, s’enquit de ses raisons, le policier lui annonça qu’il n’avait pas 27 ans comme allégué, mais 7 de moins. Menteur donc et sous l’âge légal de convoler à 22 ans, son union était nulle, et lui-même délinquant ! 

C’était la Bérézina – « le nid retourné, et pas un œuf intact » (覆巢无完卵, fù cháo wú wán luǎn). Effondrée, Xiao Liu restait assise, hagarde, tandis que sa demoiselle d’honneur lui essuyait les dernières traces noirâtres d’un rimmel délavé de pleurs. Elle se remémorait leur rencontre à la danse vespérale du parc Daming, il y a trois ans. Elle lui avait demandé son âge – d’un ton badin, il avait répliqué qu’il le lui dirait si elle donnait le sien. Elle lui avait avoué ses 21 printemps –  du tac au tac il lui avait répondu « 24 ». Alors qu’il n’était qu’un gamin de 17 ans. Mais quelle cruche avait-elle été ! Elle s’en rendait compte un peu tard que tout ce qu’il lui avait raconté, n’était que salades – jusqu’à sa carte d’identité présentée au bureau des mariages avec sa date de naissance falsifiée.

On alla au Commissariat, poursuivre le grand déballage. Face à l’ex-épouse en pleurs, Wang se défendit bec et ongles, plaidant la cruauté du destin. Loin d’avoir eu comme elle le bonheur d’être né au bon endroit – Xi’an – il était natif de Tuji, un bourg à 50km au nord. Ceci le privait du permis de résidence de la métropole, ce qui le pénalisait d’un terrible handicap. Xiao Liu et lui se trouvaient séparés par une barrière invisible mais terrible, en une société (comme toute la Chine) de citoyenneté à deux vitesses. On devine la suite… Nul Xi’anais en son bon sens n’accorderait la main de sa fille à un « waidi », paysan migré !

Nonobstant, Xiao Liu était la femme de sa vie, l’unique pour qui son existence valait la peine. C’était avec elle seule qu’il voulait faire les deux enfants par couple maintenant admis. Cette règle était trop injuste : son iniquité-même, lui donnait le droit de la transgresser, en mentant sur son âge, son village, ses parents. Une fois uni à elle, il espérait que la position qu’il était en train de se construire saurait faire pardonner à tous l’innocente supercherie. Avec un peu de veine, il aurait investi dans une boutique de luxe, dont Xiao Liu serait la patronne – en tout bien tout honneur, ce pignon sur rue lui conférerait enfin cette citoyenneté xi’anaise dont il avait été dépossédé à la naissance !

Mais sans se laisser amollir par de si beaux discours, une Xiao Liu rouge de colère en sa robe blanche, ressortit la vieille histoire des 125.000¥ empruntés aux futurs beaux-parents pour « boucler une affaire ». Elle éventa aussi les 700.000¥ dont il les avait soulagés, une fois fixée la date des épousailles. Le pactole aurait dû servir à acquérir une BMW, et ainsi  permettre aux tourtereaux de parader avant les noces—d’impressionner la galerie et mieux percer dans les affaires. Mais une fois l’argent perçu (une lourde valise de liasses de billets roses), Wang n’avait jamais acheté cette voiture. Ce n’était pas de l’escroquerie, ça ?

Ci-fait, admit le policier. Cela suffisait pour le jeter en prison pour des années, pourvu qu’elle porte plainte. C’était à présent au tour de Wang de sangloter, plaidant son innocence. La preuve : c’était lui qui avait réglé rubis sur l’ongle, les 20.000¥ d’acompte du banquet !

Mais voilà que sonna, en cette journée décidément épuisante, un énième coup de théâtre : en ce parloir  aux murs chargés d’annonces légales poussiéreuses et de slogans ternis de chiures de mouches, fit irruption un couple de quadragénaires allant droit sur l’accusé pour l’enlacer : les parents de Wang, venus en catastrophe du village pour le tirer d’affaire ! S’adressant à l’ex-fiancée à haute et intelligible voix, le père l’enjoignit de ne pas porter plainte : avec sa femme, il s’engageait à rembourser la famille lésée de ses frais, avec pour témoins, les représentants de la loi ! 

Pendant tout ce ping-pong, plus qu’à demi médusé, l’inspecteur-chef, s’efforçait de compter les points et déterminer si le jeune homme était innocent ou coupable. Un soupçon lui venait : en définitive, entre ces jeunes, la relation depuis trois ans s’était bâtie cahin-caha beaucoup plus sur le rêve (sur deux rêves séparés) que sur l’échange—voire même, sur l’exultation physique—il n’y avait pas eu de Pâques en carême. Naïves victimes de mœurs révolues, ils n’avaient fait que projeter les idéaux de leurs parents dans leur rapport, qu’ils croyaient être une « union ». Et quand ils avaient enfin tenté de la matérialiser, tout avait explosé comme bulle de savon – comme un ensemble de mots sans poids ni sens.
D’ailleurs au fait, pourquoi Wang, dans sa mascarade de « 200 amis », n’avait-il sélectionné plus soigneusement ses acteurs, en des cercles plus présentables et mieux préparés ? Comme si une partie de lui-même avait voulu faire capoter la mascarade ! 

En fin de compte, le commissaire-philosophe avait une vision, comme une parabole de la vérité. Pour se marier, Wang, apprenti sorcier, s’était lancé dans un mensonge universel, travestissant la société entière. D’abord de dimension modeste et facile à maintenir, cette fiction avait par la suite grandi, impliquant toujours plus de gens : jusqu’à devenir incontrôlable et déferler comme tsunami, détruisant tout sur son passage… 


Rendez-vous : Semaines du 22 mai au 3 juin 2017
Semaines du 22 mai au 3 juin 2017

20-22 mai, Pékin : CIPATE, Salon international et Symposium sur l’équipement chinois de la police et les technologies d’anti-terrorisme

22-24 mai, Pékin : TOPWINE China, Salon international du vin pour le Nord de la Chine

22-25 mai, Shenzhen : RISI Asia Conférence, Conférence asiatique sur le papier et pâte à papier

23-25 mai, Shanghai : China BEAUTY Expo, Salon international de la beauté

24-26 mai, Chongqing : BMCHINA / GBE : Salon international du bâtiment durable, des économies d’énergie et de la décoration

24-26 mai, Shanghai : RE China Asia Expo, Salon de l’imprimerie

 

 24-27 mai, Pékin : China GLASS, Salon international du verre

25-26 mai, Shanghai : PAYMENT China, Salon sur les moyens de paiement

25-27 mai, Canton : INTERWINE China, Salon international du vin, de la bière, technologies et équipements pour les boissons

25-27 mai, Shanghai : BIOFACH, Salon et Congrès mondial des produits bio

26-28 mai, Shanghai : AQUARAMA, Salon mondial de l’industrie aquatique

26-29 mai, Chongqing : CWMTE : Salon international des machines de production

27-29 mai, Nankin : CMT China, Salon du tourisme et des loisirs de plein air

31 mai – 1er juin, Zhuhai : China BIO PARTNERING Forum, Forum et exposition pour les industries des sciences de la vie

31 mai- 2 juin, Canton : SHOES and LEATHER Guangzhou, Salon de l‘industrie de la Chaussure et du cuir

1er – 4 juin : CERAMICS China, Salon international de l’industrie de la céramique

2-4 juin, Canton : CIAME, Salon international de l’automobile et Forum mondial de l’innovation, de la technologie, de l’équipement et de l’industrie manufacturière automobile