Le Vent de la Chine Numéro 15 (2017)

du 23 au 29 avril 2017

Editorial : Et le vainqueur est… (d’un point de vue chinois)

La Chine montre un engouement certain pour les élections françaises. Pour l’évaluer, Daxue Consulting (Shanghai) a reconstitué le portrait de chaque candidat dans l’imaginaire de l’opinion chinoise, via les mots-clés utilisés sur Baidu (le « Google » chinois), et les articles diffusés sur Weibo (le « Twitter » local).

L’exercice est mené sur une période assez longue (1er janvier-21 mars) pour étoffer l’analyse et suivre l’évolution. Le résultat a de quoi surprendre, mais n’est en aucun cas à prendre à la légère. En 2016, durant la campagne américaine, 83% des internautes chinois avaient parié sur une victoire de Trump, selon le sondage Huanqiu.com auprès de 8300 participants.

Ainsi, sur la toile, Marine Le Pen 勒庞 est de loin la candidate qui suscite le plus de curiosité avec en 80 jours, 828 articles à son sujet, contre 436 à Fillon et 248 à Macron. La patronne du Front national est perçue comme « fauteuse de troubles », « agressive » voire « dangereuse », mais aussi « passionnée », « protectionniste » et « comme Trump », dont elle partage le populisme et la gouaille. Son refus en février de porter le voile lors de son entretien avec le grand Mufti du Liban a été remarqué – pas toujours en mal, vu l’actuelle baisse de tolérance de la Chine envers l’Islam. Sa position anti-immigration la dessert –la France est terre d’accueil de nombre de Chinois. Mais c’est compensé par sa force dans les débats—sa capacité à ne jamais céder.

François Fillon 菲永 est perçu comme un « homme d’action, embourbé dans les scandales ». Le « Penelope-gate » a terni sa réputation, tout comme sa mise en examen par la justice, mais le péché n’est pas impardonnable —en Chine, la corruption est un mal universel, ce qui invite à un peu de tolérance, pour l’opinion. Ancien Président de région et Premier ministre, Fillon s’est  souvent rendu en Chine, où il a pu approuver (dixit le rapport) la position du pouvoir sur le Tibet – c’est un bon point pour l’opinion chinoise. La Chine connait les chances de Fillon, en cas de victoire au 1er tour, de l’emporter sur Le Pen, et son programme économique est considéré comme « solide ». Il est donc le favori en ce pays, selon le dicton disant qu’il vaut mieux « un diable connu, à un diable inconnu ».

Emmanuel Macron 马克龙 lui, a beaucoup pour plaire… sauf qu’il reste encore trop récent sur l’échiquier politique et donc peu connu ! On apprécie ses positions de « progressiste » et d’ innovant, d’homme « au milieu de la route » – d’un rassembleur, ce qui est une vertu au pays du Parti unique. Il soutient fermement l’Europe, ce que la Chine fait aussi, et passe pour pro-chinois, puisqu’il cite Mao et Deng Xiaoping dans ses meetings. Son insistance à régénérer le marché du travail est bien vue, comme une chance de second souffle pour le pays. Mais ses détracteurs voient en lui un « fils de la haute », intelligent mais trop sérieux, « de l’élite, et trop politiquement correct ». Et surtout, ils ne lui voient pas une stature de chef d’Etat.

Jean-Luc Mélenchon 梅朗雄 enfin, ne peut en Chine que recevoir un satisfecit, au moins d’apparence, s’agissant d’un homme de gauche, et d’un homme qui soutient dans son programme, la promotion des échanges avec l’Empire du Milieu. Par contre, sa position de leader d’une « France insoumise » passe moins bien. De ce fait, on l’appelle curieusement « sage, mais trop conservateur ».

En fin de compte, tous ces portraits, parfois insolites, dépeignent plus un visage de la Chine-même, que celui des candidats français. Ils reflètent l’intérêt de la société chinoise envers ces démocraties qu’elle regarde de très loin, sur lesquelles elle cherche à apprendre.

Quant aux candidats, elle les juge à ce qu’ils pourraient apporter à l’avenir à leur pays : c’est une manière de « voter », sur laquelle le Parti ne peut rien trouver à redire a posteriori !  


Xinjiang : Une « Grande muraille d’acier »

Depuis Deng Xiaoping, la Chine investit infatigablement au Xinjiang. L’objectif est de désenclaver un « territoire autonome » séparé du reste du pays par 1000 km de désert du Taklamakan, et acheter la paix sociale par la croissance, en dépit des conflits ethniques. Les fonds ainsi déversés ont transformé le bassin du Tarim en une puissante base agroalimentaire (tomate, piment, raisin sec, vin, coton) et énergétique – charbon (40% des réserves), pétrole (20%), éolien et solaire. En 2014, 53 consortia déversaient 300 milliards de $ sur 685 projets, et la province investissait 130 milliards en infrastructures. Ce Far-West chinois était bien parti.

Aujourd’hui, le tableau a bien changé. Sous une pression autoritaire écrasante, la région retombe dans une ambiance de camp retranché, qui n’avait jamais disparu, mais qui redevient le trait prédominant, gommant toute velléité de tolérance « bon enfant ».

À travers ce territoire grand comme trois France, des dizaines de milliers d’hommes en armes gardent les grands axes et presque toutes les intersections de Kashgar. En toutes villes se multiplient les parades politico-militaires, les survols d’hélicoptères et contrôles d’identité. Chaque jour, les commerçants doivent participer à des exercices d’autodéfense contre des attaques terroristes, et ont dû équiper leurs boutiques de caméras, boutons d’alerte et portes blindées—à leurs frais.

D’abord pratiqués au niveau local, une longue série de délits de type islamique est étendue au territoire  au 1er avril :  port de barbe longue ou du voile (délits qui barrent aux contrevenants l’accès aux gares et aéroports) ; empêcher la diffusion publique de la TV ou la radio ; boycotter le mariage civil au profit d’un mariage religieux, ou l’école publique au profit de celle confessionnelle ; saboter le planning familial ; choisir des noms trop islamiques ; utiliser le terme « halal » de manière à empiéter sur la laïcité ; faire délibérément des graffitis sur les pièces d’identité ou autres documents officiels…

De multiples primes à la délation apparaissent, parfois d’une générosité surprenante – comme pour convaincre le citoyen de rester sourd à l’appel de la solidarité ethnique. Cinq millions de ¥ pour un attentat éventé, 4 millions pour une armurerie clandestine, 3 millions pour des passages clandestins de frontière, 2 millions pour des fonds passés à l’étranger, 50.000¥ pour la vente au noir d’une voiture d’occasion, ou d’une bonbonne de gaz. Enfin, une prime modeste récompense la délation d’une école coranique nocturne, d’un mariage forcé, de l’achat de stocks d’allumettes…

Yasin Sidik, haut fonctionnaire à Kashgar, exhorte la population à déclarer la guerre aux séparatistes. Un cadre de Hotan est limogé pour « infirmité politique »—avoir refusé de fumer devant d’autres musulmans. Pour de tels comportements à « double visage », 97 cadres ont été punis. Sous ce joug, un sentiment général de discrimination est perceptible, même chez la majorité de Ouïgours s’efforçant d’éviter les problèmes : « pour 5000 qui se comportent mal à travers le territoire, déclare l’un d’eux, nous sommes 8,6 millions à en pâtir » !

À Kashgar, aux coins des rues, fleurissent des milliers de mini-commissariats, points de surveillance qui se veuillent accueillants, invitant à s’arrêter pour papoter ou prendre un thé gratuit. Mais apparemment, même chez les  Han, le succès est mince…

Trois ans après les faits, Pékin dévoile qu’une filière d’exfiltration de militants ouïgours vers la Turquie a été démantelée à Hainan en 2014. À la même époque avaient été dévoilées des filières du Yunnan vers la Thaïlande. Ainsi, durant l’été 2015, 109 Ouïgours transfuges étaient déportés vers Pékin.

Cette grande campagne est pilotée par Chen Quanguo, le Secrétaire du Parti de la Région depuis septembre 2016. Il avait été nommé pour sa fermeté suite à son succès dans son  poste précédent, le Tibet. Il y avait forcé les habitants à remettre leurs passeports au commissariat, puis conditionné leur permis de sortie du territoire à leur bonne attitude.

En mars à Pékin, en marge du plenum de l’ANP, un sommet « Xin-jiang » avait eu lieu, présidé par Xi Jinping. L’initiative faisait suite à des mois de violence au Xinjiang entre Kashgar et Hotan : 5 personnes étaient tuées en décembre par explosifs, 8 en février à l’arme blanche…

À quoi ce climat violent est-il imputable ? Pékin l’attribue à la montée de l’intégrisme aux portes de la Chine via Afghanistan et Pakistan, Kazakhstan et Kirghizstan.
Quoiqu’il en soit, cette violence rampante et persistante fait son effet sur le reste de la société, y induisant un sentiment de frustration et d’inquiétude. Au Ningxia comme dans l’Anhui, émergent des manifestations antimusulmanes. À Hefei, des milliers de résidents tentent aujourd’hui de bloquer la construction de la nouvelle mosquée de Nangang. C’est un fait choquant et récent, car ce sanctuaire doit relayer celle datant de 1780, construite par la minorité Hui. Or la mairie ne dénonce que mollement le mouvement de refus— contrairement à 10 ans en arrière, où l’autorité réagissait vite contre des actes anti-islamiques (isolés) à Shenzhen, à Lanzhou ou à Dujiangyan. Aujourd’hui, selon M. al-Sudairi doctorant à Hong Kong et expert de l’islam en Chine, « la perception de l’Islam est en train de changer, comme celle d’une religion porteuse de problèmes… ».

Pékin s’inquiète pour son plan de nouvelle route de la soie, « une ceinture, une route » (OBOR). Pour exporter massivement ses infrastructures, la Chine doit ouvrir ses frontières vers l’Asie Centrale. Mais comment le faire, si de l’intérieur, l’Islam s’embrase ?

On peut cependant se demander si la solution retenue sur le Xinjiang, la « grande muraille d’acier » est la bonne. Plus la répression s’installe, plus la résistance suit, risquant d’aliéner la sympathie des Ouïgours pour cette sorte de « Plan Marshall » à la chinoise.


Economie : Conjoncture – L’Etat entre deux feux

Publiant le 17 avril son bilan du 1er trimestre, l’Office Statistique reflète une santé insolente de l’économie, mais artificielle. Le PIB du 1er trimestre atteint +6,9%, c’est 0,1% de plus que les prévisions et 0,4% supérieur à l’objectif annuel. La  croissance vient des ventes immobilières (+9,1%), de l’industrie (+7,6%) et surtout des investissements fixes (chemins de fer, aéroports…) +23,5%. 
Parmi les projets en cours, le prochain aéroport de Pékin à Daxing, dont 4 milliards de $ seront déboursés  par China Eastern et China Southern (design ADPI et Zaha Hadid Architects, 7 pistes, 100 millions de passagers à terme, ouverture prévue en 2019) ; et la zone de Xiongan (Hebei, cf photo), le projet de Xi Jinping, à plus de 200 milliards de $. Ces chantiers sourient à l’aciérie : en mars, elle bat son record avec 72 millions de tonnes, +1,8%, et plus que les besoins. Dès mars, les prix ont chuté de 1,15%, et doivent baisser de 7,8% en avril, pire score depuis mai 2016.

L’Etat laisse faire, faute de choix. À présent, 45% de la croissance sont  supportés par l’investissement public (contre 40% par la consommation des ménages, un des taux les plus faibles au monde). Mais au-delà d’un certain stade d’équipement, de tels projets voient leur utilité s’éroder. Ils coûtent toujours plus, et servent toujours moins. Pour maintenir son objectif de croissance, l’Etat devra donc s’endetter, et toujours plus à fonds perdus. 
Les experts dénoncent cependant un autre effet pervers à ce niveau : en 2015, le pays a en fait thésaurisé 48% de son PIB, plus de 5000 milliards de $, dont la moitié a été effectuée par l’Etat ou par ses consortia. Déduction faite des charges incompressible, l’économiste Martin Wolf calcule que l’épargne ainsi stérilisée, vaut 15% du PIB par an. La nation se retrouve avec des montagnes de dettes qu’il faudra rembourser, et des océans de profits inemployés, lesquels cherchent à sortir du pays pour fructifier au lieu de végéter.

Pour éviter cette fuite, l’Etat doit  accroître les contrôles et payer pour soutenir le yuan. Cet exercice lui a fait perdre 1000 milliards de $ ( 25% de ses réserves) depuis mi-2014. Faute de voir la consommation générer la croissance comme en Europe, l’Etat doit s’endetter plus, pour 10 ans encore au bas mot, selon Wolf. 
Voilà pourquoi le Conseil d’Etat, tout en promettant depuis 2012 de réduire sa croissance par les projets d’infrastructure, et sa planche à billets,  fait le contraire. L’alternative serait de fournir du cash directement aux ménages (pour relancer la consommation) – mais cela casserait la priorité des firmes d’Etat sur l’emprunt. Ou bien d’accepter la mise en faillite des centaines de consortia surendettés, mais ce serait risquer la stabilité sociale—impensable…


Politique : Deux réformes radicales

 En marge de la vague des nominations en octobre du prochain gouvernement, émergent ce mois-ci deux réformes à long terme, visant à restaurer le contrôle de la finance et des sphères supérieures du Parti.

La première est une campagne à boulets rouges contre les abus bancaires. À peine un mois à la tête de la CBRC (Commission de tutelle des banques), Guo Shuqing (cf photo) voit tomber Yang Jiacai, son n°2 impliqué en un prêt frauduleux de la BoCom à Wuhan (Hubei). Chute également Xiang Junbo, président de la CIRC, tutelle des assurances – peut-être victime des aveux de Xiao Jianhua, le financier des barons du Parti, kidnappé à Hong Kong en janvier. 
Guo Shuqing édicte aussi 7 directives aux banques, contre des risques systémiques tels évasion fiscale, blanchiment, trucage des comptes pour cacher les prêts faillis et recrutement de faveurs, et tous agissements de type « finance de l’ombre » par ces maisons ayant pignon sur rue. Sous cette campagne implacable, les banques filent doux : au 1er trimestre, les IDE  (investissements directs extérieurs) non financiers baissent de 48%. Du coup, la Banque Centrale rassurée, allège d’un cran (19 avril) son carcan aux banques, sur les paiements extérieurs en yuan.

La seconde réforme prépare la mise en place d’ici mars prochain, d’une Commission Nationale de Supervision (CNS) visant à frapper la corruption à tout niveau – jusqu’au sein de la CCID même (Commission de Discipline du Parti) dont Zhang Huawei, n°2 national est mis en examen. Tombe également Yang Chongying, président du Parlement du Hebei. Le nouvel organe doit agréger à la CCID des hommes de tous métiers publics (législatif, judiciaire, éducatif, hospitalier). Des tests en cours à Pékin, au Shanxi et au Zhejiang, doivent aboutir l’an prochain à un organe aux pouvoirs inégalés, de prévention et répression de la corruption.
Un tel outil inquiète au sein du Parti et des milieux civils, surtout pour l’équilibre au sein du pouvoir, entre branches civile et politique. Car en même temps, la Chine assiste à l’érosion rapide entre Parti et gouvernement, des cloisons mises en place sous Deng Xiaoping pour prévenir tout retour au pouvoir personnel. Lors d’un meeting de présentation de la CNS en février, Wang Qishan, patron de la CCID spécifiait : « il n’y a pas de séparation entre Parti et gouvernement… seulement une division des fonctions ». Parallèlement, en 2016, on a vu pour la première fois, le Comité Permanent (du Parti) contrôler l’exercice annuel du Conseil d’Etat, de l’ANP et de la CCPPC, les trois émanations du pouvoir civil… Pour Qin Qianhong, professeur de droit à l’Université de Wuhan, cette innovation marque bien une «remise en cause de l’héritage de Deng».


Monde de l'entreprise : Bright avale de travers
Bright avale de travers

En 2012, pour 1,2 milliard de $,  Bright, le poids lourd laitier shanghaïen, reprenait en fanfare 60% de Weetabix, le spécialiste britannique du petit-déjeuner, présent dans 80 pays.  Bright, soutenu par sa mairie, voulait convertir la Chine aux galettes de flocons de céréales. C’était le plus gros achat agroalimentaire chinois.

Soixante mois plus tard, la fanfare s’est tue : Bright revend à Post Holdings Inc., le concurrent américain de Weetabix (Shredded wheat, Alpha Bits). Prix de vente : 1,8 milliard de $, juste de quoi récupérer sa mise, sans compenser 5 années d’absence de profits. À cet échec, la raison est simple : la formule n’a pas pris en Chine, question de culture. Seul un muesli au thé vert, développé spécialement pour la Chine, a réalisé un maigre succès, forçant Bright à arrêter les frais.

Pourquoi une telle impopularité ? D’abord, prime une raison historique et biologique, celle des années 80, où le Chinois ne pouvait digérer le lait, faute de s’y être adapté. En 2017, le Chinois accepte d’en donner aux enfants, mais s’en méfie pour son propre petit-déjeuner. Le temps reste encore proche (une à deux générations) où l’ouvrier ou paysan devait prendre au matin un repas calorique composé de beignets, pain étuvé au porc, crêpes aux oignons de printemps, ou soupe de riz aux navets fermentés… Ainsi, Weetabix apparaît peu nutritif, insipide—et plus cher.

De plus, la Chine a développé d’autres petits-déjeuners modernes, à dévorer sur le chemin du bureau, comme smoothies et  barres protéinées, face auxquels Weetabix reste hors course.

Autant dire que Bright, reprenant la marque en 2012, a surestimé l’existence d’un marché local pour les produits Weetabix. Un échec qui n’est pas limité à Bright : depuis 2007, selon McKinsey, 300 rachats chinois hors frontières, et 60% des investissements dans cette catégorie, n’ont pas été rentables. Ils ont été acquis trop chers (à un pic du prix d’une matière première par exemple), ou sans que l’acquéreur ne se préoccupe des chances d’intégrer à son empire, des outils industriels dont la culture d’entreprise était aux antipodes.

Dernier point qui ne devrait pas trop surprendre : trois ans après l’achat, le CEO de Bright, Wang Zongnan partait en prison pour corruption. Un sort qui en définitive, exprime moins chez cet imprudent patron, une malhonnêteté invétérée, qu’une naïveté sans limite.


Investissements : Djibouti — Nouveau départ… chinois

Début XXe siècle, les Français s’établirent à Djibouti, point stratégique sur la Mer Rouge, entre Somalie et Ethiopie, gardant la route du Canal de Suez. Depuis, Etats-Unis et Japon se sont ajoutés, suivis de la Chine. Elle arrive dernière, mais se donne les moyens de rattraper, en mettant en œuvre sa stratégie préférée : une large éventail de moyens de développement.

Tout passe par la symbiose chinoise avec l’Ethiopie, pays enclavé, mais qui sous les vigoureux plans d’équipements chinois depuis 2010 dans les routes, l’énergie et l’investissement textile, maintient une croissance supérieure à 10% par an. Pékin vient d’inaugurer en janvier sa ligne de train électrifiée Djibouti-Addis-Abeba (490 millions de $), qui poursuivra ultérieurement jusqu’à l’Atlantique et sa côte Ouest. La Chine crée à Djibouti un aqueduc, un oléoduc et un gazoduc (322 millions de $), une station de liquéfaction GNL. Elle trace une route vers le lac Assal—pour le tourisme et l’extraction de sel. Elle crée deux aéroports (l’un international, l’autre touristique) pour 600 millions de $. Pour 590 millions de $, Dalian Port Corp. achèvera d’ici août le port multitâches de Doraleh, (vrac, conteneurs) avec six appontements dont un réservé à l’armée chinoise (APL), et une zone franche de 48km² appelée à devenir la première d’Afrique, devant générer 15 000 emplois. China Merchant Bank a acquis 30% et 60% dans ces outils, ambitionnant de faire de Djibouti un « Shenzhen » d’Afrique de l’Ouest, base logistique et industrielle entre l’Asie et l’Europe, appelée à traiter aussi le produit des usines éthiopiennes… De plus, huit investisseurs créent une station hôtelière pour faire passer le nombre des touristes de 80.000 par an à 500.000 (dont la moitié d’Asie) d’ici 2030…

La base navale chinoise abritera 10.000 marins, affectés –selon l’APL– à la protection des convois civils dans ces eaux infestées de pirates. Pour la location de sa base, la Chine paie 100 millions de $ par an, bien plus que Washington (63 millions). Tout le monde ne voit pas d’un bon œil l’arrivée chinoise : Etats-Unis et Inde s’inquiètent de cette nouvelle « perle » (base militaire) au « collier » chinois dans l’Océan indien, avec Gwadar (Pakistan) et Hambatota (Sri Lanka—encore non-confirmée). Mais pour Djibouti, elle est une manne inespérée, promesse de vie meilleure pour une population parmi les plus pauvres au monde, avec 60% au chômage, 40% sous la seuil de pauvreté et 25% à risque de famine.


Petit Peuple : Hangzhou, la mariée virtuelle

En costard deux-pièces, chemise blanche et nœud papillon rouge, le marié était très élégant, le 31 mars en la cour fleurie d’un hôtel de charme de Hangzhou. Attendrie, sa mère, veuve, contemplait son fils Zheng Jiajia portant sa promise habillée d’une sobre robe de jais, tête couverte d’un voile écarlate. Il prenait Yingying pour légitime, et suivant le rituel bouddhiste, promettait de la protéger des cruautés de la vie.

Petit souci cependant : manquaient à la parade les parents de Yingying, laquelle durant le rituel, restait muette comme une carpe. Plus bizarre encore, presque agaçant à la fin, le mari ployait sous la charge, mais sans déposer pour autant l’épouse entre ses bras, qui de son côté, ne se départait jamais de sa rigor mortis, avec son sourire de celluloïd : celle-ci, pure humanoïde, n’était qu’un robot !

L’ingénieur électronicien alignait 31 printemps, mais « elle » six mois à peine, étant issue de son laboratoire. À vrai dire, elle était un vrai clone de l’« Eve future » du comte de Villiers de l’Ile-Adam, avec son assemblage de câbles, de cartes-mères et mémoires, sur un squelette d’acier et de fibre de verre, aux bras mécaniques mus par des vérins électriques, revêtus d’une peau tout ce qu’il y a de plus synthétique.

Aussi le jour des noces, Jiajia lançait une boutade un peu poussive et technicienne : « à 30 kilos, Yingying peut perdre un peu de poids – va falloir y penser ». Mais c’était bien avec elle qu’il voulait passer le restant de ses jours !

Car de son point de vue, elle avait tout ce qu’il attendait. Belle, elle savait se taire, n’ouvrir la bouche et les yeux que pour lire d’une voix désincarnée une poignée d’idéogrammes. Qu’il lui mette une fleur sous les yeux, et elle la scannait du regard, allait la reconnaître dans la mémoire du cloud, trouver son nom, qu’elle n’oublierait plus jamais. Jiajia comptait encore lui apprendre à marcher, balayer, passer la serpillère. Pour la vaisselle, il l’en dispenserait—ses circuits craignaient terriblement l’humidité. Dès qu’elle serait upgradée  en mode Wife 3.0, il la sortirait, tiendrait avec elle des dialogues publics, et pousserait la virtuosité technique à lui faire épousseter son manteau, ajuster sa jupe.

D’abord un peu déboussolés, les amis prennent finalement Jiajia et sa femme connectée, comme ils sont. Certes, dans son dos, ils phosphorent sur l’excentricité de ce garçon qui est à la fois mari et père de sa femme, et s’interrogent sur ses motivations. Sur  un point, ils sont tous d’accord : de perversion, de déviance sexuelle, il n’y en a pas l’ombre. Le monde de Jiajia est pavé d’études et de défis techniques, et pas de rêve d’extase ou de désir d’exultation : ni affres ni manque d’amour physique, chez ce brave garçon passionné.

Pour un de ses copains, cette lubie d’union entre le puceau et sa Vénus de puces électroniques est venue d’un échec amoureux. A son université du Zhejiang, Jiajia s’était emmouraché d’une jolie étudiante, hélas bêcheuse et imbue d’elle-même. Non contente de le rejeter, elle l’avait ridiculisé devant ses camarades. D’une timidité maladive, après un tel traumatisme, Jiajia n’avait plus jamais osé regarder les filles en face, moins encore leur parler, sauf pour rougir comme une pivoine et bégayer deux mots insensés à la suite. D’après cet ami, face aux belles jeunes femmes, il prenait désormais la tangente systématiquement. Le fait est qu’on ne l’avait  plus jamais vu à moins de 5 mètres d’une représentante du beau sexe.

Un autre copain avance une explication plus subtile : les filles ne l’ont jamais vraiment intéressé, captivé qu’il est par le champ d’étude de sa vie, l’intelligence artificielle. Or cette obsession attriste sa mère, en attente d’un mariage, d’un petit héritier. Mais s’encombrer d’une femme à la maison, des corvées familiales, de la tournée du shopping hebdomadaire dans des centres commerciaux sans intérêt, perdre son temps en disputes ou rites conjugaux divers, rien de tout cela n’emballe Jiajia. Aussi, pour ne pas désespérer sa vieille maman par une fin abrupte de non-recevoir, il a découvert, après moult cogitations, le moyen idéal de botter en touche : un faux mariage, mariage avec lui-même par l’entremise d’une poupée de sa création, du type « le soir on l’allume et le matin on l’éteint », avant d’aller de son côté rejoindre le seul vrai paradis de sa vie—son précieux laboratoire !

Mais voici à présent ce dernier ami qui arrive, pour donner son autre explication, probablement la plus juste. À l’université cinq ans plus tôt, ce petit génie a mis au point un androïde footballeur, robot qui court après la balle, dribble et la conduit jusqu’aux cages opposées. Pour ce haut fait, il avait obtenu un prix national, une notoriété, et une place chez Huawei, le champion chinois de l’électronique. Mais une fois chez l’employeur, il réalisa que celui-ci, dans son obsession de créer des produits vendables et de conquérir des parts de marché, ne le laissait pas mener sa recherche fétiche. Du coup, il ne lui avait pas fallu plus de deux ans pour donner sa démission en 2014, montant sa propre start-up électronique dans la zone de Dream Town, à Hangzhou. Banché sur l’intelligence artificielle, il se consacrait alors à fabriquer ses robots. Et dans cette histoire de mariage, il n’y avait sûrement rien de perdu, mais un beau coup de pub, sans bourse délier !

Bien sûr, pour le jeune chercheur, tout n’est pas rose : derrière son dos, persifleurs et jaloux crachent à cœur joie leur venin et leurs lazzis : « xiōngdà wúnǎo » (胸大无脑), dénigrent-ils en parlant de Yingying, « gros seins, pas de cervelle ». Mais Jiajia n’en a cure et les laisse dire, paré qu’il est pour une vie d’harmonie, avec sa femme idéale, vertueuse, autant que virtuelle.


Rendez-vous : Semaine du 24 au 30 avril 2017
Semaine du 24 au 30 avril 2017

21-28 avril, Shanghai : AUTO China

25-27 avril, Chengdu / Shanghai :  NEPCON China, Salons de l’industrie électronique

25-27 avril, Chengdu : Dental Show West China, Conférence et Salon sur les équipements et matériels pour équipements dentaires

26-27 avril, Shanghai : Expo LIGHT, Salon de l’éclairage

26-28 avril, Shanghai : ECOBUILD China, Salon de la construction écologique, et du bâtiment durable

26-28 avril, Shanghai : HDE, ECOBUILD China, Salon dédié au design et à la construction des hôtels et lieux commerciaux

26-29 avril, Shanghai : China International BOAT Show, Salon du nautisme et des yatchs de luxe, équipements et services

26-29 avril, Shanghai : Expo Life Style for Luxury and Excellence

26-29 avril, Shanghai : Expo LEISURE,

27-28 avril 2017, Shanghai:  1ère CAAC-EASA Aviation Safety Conference

27-29 avril, Pékin : CIENPI, Salon chinois international de l’énergie nucléaire