Le Vent de la Chine Numéro 12 (2019)

du 25 au 31 mars 2019

Editorial : Sur terre et dans les airs

Le 21 mars en zone portuaire de Chenjiagang, à 430 km au nord de Shanghai, près de Yancheng (Jiangsu), un camion de GNL s’enflamma au sein de l’usine chimique Tianjiayi. À 14h48, une boule de feu embrasa l’horizon : la zone de citernes à benzène venait d’exploser. Tout fut volatilisé sur des centaines de mètres, les fenêtres furent soufflées sur 3km. Un séisme de force 2,2 sur l’échelle de Richter fut enregistré. Toute la nuit, les casernes de pompiers de la région dépêchaient leurs hommes et leurs camions pompes pour endiguer l’incendie. En route pour l’Italie, le Président Xi Jinping appelait à mettre tous les moyens en oeuvre pour secourir les victimes et à tirer de « profondes » leçons de l’accident. Bilan provisoire : 78 morts, 28 disparus et 640 blessés dont des enfants, car 10 écoles se trouvaient dans un périmètre de 5km.

L’étendue du désastre reste à évaluer : au feu et au souffle de l’explosion s’ajoute la toxicité du benzène, létale pour les poumons. Pour cette raison, 3000 ouvriers, 1000 habitants furent évacués sur le champ.  L’air et l’eau des canaux, également pollués, fait risquer de lourds dommages à la faune et à la flore.

Le complexe chimique appartenait au groupe Tianjiayi, fondé en 2007, important producteur de pesticides et de teintures textiles. Quelques heures après l’accident, son état-major était arrêté. Mais Tianjiayi était loin d’être un élève-modèle : il avait déjà été épinglé en 2014 pour avoir déversé illégalement ses déchets chimiques, puis 13 infractions aux règlements de sécurité avaient été relevées en 2018, dont diverses fuites et l’absence de valves d’urgence sur les cuves…

Pourtant, l’administration avait fait des efforts pour mieux sécuriser ce secteur à haut risque. Le Jiangsu est au cœur d’un programme visant à imposer à toutes ses usines chimiques un pourcentage d’investissement en équipements sécuritaires. De plus, les comportements changent. En 2007, suite à une explosion dans la même zone, ayant causé 7 morts, l’instance en charge s’était félicitée d’avoir réussi à étouffer l’affaire. Aujourd’hui, moins de 24 heures après le drame, la même autorité publie un bilan plausible des victimes. Mais cet accident, le plus grave en 4 ans est là pour rappeler que la Chine a du chemin à parcourir pour porter sa sécurité chimique au niveau international. La dernière explosion importante avait frappé un autre port industriel, à Tianjin en août 2015 : elle avait coûté 173 vies, et causé plusieurs milliards de $ de dégâts.

Une autre catastrophe eut lieu, quelques jours plus tôt, à des milliers de kilomètres hors de Chine : le crash d’un Boeing 737 Max le 10 mars en Ethiopie, le second en six mois, avec au total 346 personnes à bord. Quelques heures après le drame, la Chine a été le premier pays à clouer au sol ses 94 B737 Max. Toutes les autres agences de certification aérienne, dont la FAA américaine, suivirent. A en croire les experts, l’interdiction durera au bas mot quelques mois – le problème semble venir d’une dysfonction d’un système embarqué MCAS, d’assistance à la navigation.

Mais cette interdiction sécuritaire risque de compliquer le règlement du conflit commercial sino-américain. La Chine s’est engagée, pour rééquilibrer la balance commerciale, à sextupler ses commandes aux Etats-Unis, avec des achats de B737 Max. 104 autres sont déjà commandés. D’ailleurs, une première chaîne de finition Boeing avait été inaugurée à Zhoushan (Zhejiang) mi-décembre, sur une livraison d’un 737 Max à Air China.

Désormais, même après le retour sur le marché du modèle—s’il arrive—quelle compagnie, quel passager souhaitera lui faire confiance ? Sinon, par quel modèle le remplacer ? Autant de questions que se poseront à coup sûr les négociateurs sino-américains, qui se retrouveront le 28 mars à Pékin, puis le 3 avril à Washington. 


Diplomatie : Rome, le cheval de Troie de Xi Jinping en Europe ?

Avant des étapes à Monaco et en France, le Président Chinois Xi Jinping a fait la première visite d’Etat de sa tournée européenne en Italie, accompagné de 300 patrons d’affaires. En effet, Rome est devenue la première capitale du G7 à annoncer sa participation aux « Nouvelles routes de la soie », le projet phare de Pékin. Tout cela au grand dam de Bruxelles, Paris, Berlin et surtout de Washington, qui voient en ce projet le véhicule des ambitions géopolitiques chinoises, sans contrepartie pour les pays partenaires.

Avec des investissements d’une somme supérieure à 1000 milliards de $, Pékin cherche à améliorer les infrastructures reliant la Chine au reste de l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Depuis 2013, de nouvelles autoroutes, de nouvelles lignes ferroviaires, de nouveaux ports ont vu le jour grâce aux capitaux chinois. Evidemment l’objectif principal est économique. Il s’agit d’encourager et de fluidifier les échanges commerciaux en partance et en direction de l’Empire du Milieu.

Le discours officiel montre aussi une autre dimension au projet. Les nouvelles routes de la soie seraient la contribution chinoise au bien-être de la communauté internationale. Dans une tribune publiée dans le « Corriere della Sera » avant son arrivée à Rome, Xi Jinping expliquait ce qu’il attendait de sa coopération avec le gouvernement Italien :  » de garantir la paix dans le monde, la stabilité, le développement et la prospérité « . Un discours qui peut avoir une forte résonance alors que les Etats-Unis de Donald Trump multiplient les propos nationalistes et mesures protectionnistes.

Ce n’est aussi pas un hasard si les Etats-Unis et le continent américain dans son ensemble ne sont pas inclus. La participation de l’Italie dans le projet créé des divisions dans le bloc euro-atlantique, ce qui est bienvenu pour Pékin dans sa quête d’influence. Pour la coalition eurosceptique au pouvoir à Rome, l’attrait des investissements chinois dans un contexte de marasme économique est évident. Voici une occasion de rénover les infrastructures logistiques et industriels de la troisième économie européenne. Une économie où le secteur manufacturier représente un quart du PIB. C’est ainsi que le Premier Ministre Giuseppe Conte a vendu ce projet aux parlementaires italiens : « Nous allons augmenter nos exports vers un énorme marché ; nos entreprises auront l’opportunité de participer directement à d’importants nouveaux investissements en infrastructures […] notre péninsule, nos ports et nos pôles commerciaux ne seront pas abandonnés, ils profiteront d’avantages économiques.  » Selon le sous-secrétaire d’Etat au développement économique, le sinophile Michele Geraci, l’objectif est de hausser les exportations italiennes vers la Chine de 7 milliards d’euros.

Parmi les 29 projets qui viennent d’être signés, on trouve une ouverture du marché chinois aux agrumes de Sicile, une offre à l’opérateur de gaz naturel liquide Snam pour gérer des terminaux gaziers, avec financement du Silk Road Fund. Le groupe Danieli entre dans un consortium pour un complexe sidérurgique intégré en Azerbaïdjan. Eni, le groupe national d’hydrocarbures, va travailler avec la Banque de Chine dans des projets de transition énergétique, en Chine et en pays tiers…

Trieste, port historique du nord-est italien et porte d’entrée au continent européen, est souvent cité en exemple. Les Chinois pourraient améliorer la connectivité du port maritime en participant au projet « Trihub ». Un chantier de 200 millions d’euros qui raccorderait le port italien à une nouvelle ligne de fret ferroviaire en direction de l’Allemagne, et qui rénoverait aussi les chemins de fer régionaux en direction de l’Europe de l’Est. Les ports de Gênes, Ravenne et Palerme seraient aussi ouverts aux investissements de Pékin.

Signe du compromis : plus de dix projets avaient disparu, ceux les plus dérangeants pour l’Occident comme les fournitures de Huawei dans les télécoms en filière 5G, ou des investissements dans les satellites Leonardo.

Car le sujet divise au sein de la coalition entre le mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord. Surtout après la publication d’un exemplaire de memorandum d’accord dans la presse italienne et aussi après les vives critiques du conseil de sécurité nationale américain. Sur Twitter, l’agence étasunienne insiste :  » approuver les nouvelles routes de la soie rend légitime l’approche prédatrice de la Chine à l’investissement et n’apporte aucun bénéfice au peuple italien « . La Ligue du Nord, dont le leader est le vice Premier ministre Matteo Salvini, demande désormais des garanties plus solides. Les entreprises italiennes doivent absolument participer aux projets d’infrastructures.

L’inquiétude est aussi palpable au niveau européen, surtout chez les voisins français et allemands. Le gouvernement populiste à Rome serait-il le cheval de Troie de Xi Jinping en Europe ? Le sujet de la réciprocité est en avant-plan. Il est aujourd’hui plus facile aux entreprises chinoises de venir investir en Union Européenne que pour les entreprises européennes d’investir en Chine. Bruxelles s’inquiète aussi du manque de garanties de viabilité financière et environnementale ainsi que d’un manque de transparence des projets de la nouvelle route de la soie.

L’Union Européenne, tant bien que mal, essaie de former un front uni. Le 21 mars, Bruxelles a proposé 10 mesures pour rééquilibrer les relations économiques avec la deuxième puissance mondiale. Un partenaire commercial qui obtient aussi un label de  » rival systémique « . Parmi ces mesures, une vigilance renforcée sur la cyber-sécurité et une critique beaucoup plus ferme du modèle économique chinois et des programmes de subventions industrielles. L’UE se rapproche aussi d’une mesure pour limiter l’accès aux marchés publics aux compagnies venant de pays protectionnistes, soit un marché de près de 2400 milliards de $ par an. Pour avancer sur cet agenda politique commun, Emmanuel Macron a invité Angela Merkel et Jean-Claude Juncker à venir à Paris le 26 mars pour s’entretenir avec Xi Jinping, lors de la dernière journée de sa visite. Par Charles Pellegrin


Architecture - Urbanisme : Quand la Chine déclinera
Quand la Chine déclinera

Après avoir en quelques décennies logé, nourri et employé des centaines de millions de migrants des villages, les villes chinoises voient sonner l’heure des comptes : comment au juste vieillissent leurs quartiers, leurs murs construits trop vite ? Et leurs habitants, sont-ils toujours là ? Toujours plus nombreux ? Long Ying, avec son équipe d’urbanistes du Beijing City Lab (Université Tsinghua, Pékin) a cherché la réponse dans l’imagerie satellitaire de 3300 villes, entre 2013 et 2016 chaque nuit, leur degré d’éclairage permettant d’évaluer l’évolution de leur occupation.

Le résultat pose une énigme : en ces quatre années, 28% des zones étudiées, 928 villes ont vu leur population régresser. En terme de déclin urbain, c’est le taux le plus rapide du monde, et il dément complètement la tendance qui prévalait de 2000 à 2012 dans les villes chinoises.

Une raison logique à ce reflux tient à la baisse de natalité, au planning familial qui a évité au pays 200 millions de naissances à partir des années 70. Ont aussi joué les « 30 Glorieuses » années de prospérité : les enfants uniques de la jeune génération ont perdu le goût de concevoir des héritiers, préférant s’enrichir et jouir de la vie.

Une autre raison à la décroissance urbaine est le déclin économique : dans des villes houillères, telle Hegang (Heilongjiang), où une fois la mine épuisée, les habitants migrent sous d’autres cieux. De même, à Yiwu (Zheqiang), la ville-vitrine commerciale pour étrangers en plein boom dans les années 2000, détrônée aujourd’hui par le commerce en ligne, végète et rapetisse.

Ce qui frappe surtout le professeur Long Ying, est la cécité universelle des mairies à leur propre déclin. Leurs bureaux d’architectes continuent à projeter des infrastructures mastodontesques, parcs industriels, nœuds autoroutiers, villes satellites, comme si la croissance était là à jamais. Sur 80 cités détaillées dans la « ceinture de rouille » du Dongbei, 45 continuaient à parier sur l’expansion, contre toute évidence. Interrogés, 90% des architectes auteurs des plans, admettaient agir sous pression de leur mairie, sur la base de bilans statistiques exagérément optimistes et notoirement trafiqués. Ceci permet de remonter à l’origine de ce mécanisme pervers : la principale ressource budgétaire des communes, réside dans la vente de terrains aux promoteurs ! 

L’exemple en est à Canton la fin du gigantesque parc textile Zhongda, annoncée fin février, pour laisser place à un parc industriel d’intelligence artificielle de la future Région Grande Baie (Greater Bay area), conçue pour interconnecter Hong Kong, Macao et huit conurbations du Guangdong côtier. Zhongda, sur 5km² en banlieue nord, c’est une cinquantaine de marchés textiles, d’usines et de négoces qui produisent ensemble et exportent 100.000 variétés de textiles et de vêtements. Son attraction dépasse la province pour s’étendre sur ses voisines. Ses 30.000 PME occupent 100.000 travailleurs au bas mot, en comptant l’ouvrage distribué « à façon » dans les foyers.

Or, la municipalité veut changer de modèle de business. Montant dans l’échelle de valeur, elle veut créer une énième Silicon Valley, après celles de Shenzhen et de Zhongguancun (Pékin). Tout ce petit monde doit donc partir, se réinstaller 100km plus au nord, à Qingyuan. Mais, craignent ses acteurs, tout le monde n’y survivra pas. D’abord, parce que les aides au relogement, pas encore annoncées, risquent d’être maigres –Qingyuan n’est pas dans le périmètre de la « Grande baie », donc hors du radar des subventions. Car comme l’explique He Runzu, opérateur du marché, le nouvel emplacement va faire perdre au complexe ses deux atouts principaux : la vitesse de production et la faiblesse des coûts de transport. A 100km de Canton, Zhongda paiera le double ou triple en frais de camion, tout en perdant en délai de livraison.

Aussi, sans attendre, des opérateurs tels Liu Yi, le fondateur de Ebudaowei.cn, tentent de s’exporter vers Dakha (Bangladesh), pour anticiper la demande.

Pour de telles raisons, les urbanistes du Beijing City Lab voient un haut risque dans l’obstination « volontariste » du pari sur la croissance. Si une erreur est commise, elle sera dure à rattraper : une ville qui se vide est plus difficile à gérer que celle qui se remplit. Elle devra gérer une forte population du 3ème âge, un parc immobilier improductif (des tours de béton qui coûtent plus cher à abattre qu’un quartier insalubre) ! Même la bataille pour attirer les talents –ceux-là mêmes indispensables aux parcs d’intelligence artificielle– sera remportée par les villes en croissance, pas par celles qui se vident…

Comme si ces défis ne suffisaient pas aux villes chinoises, un autre se profile : en même temps que se tasse l’économie, déprimant les recettes fiscales, apparaissent les nouveaux règlements environnementaux, non (ou pas assez) assortis de subventions. Il faut arrêter de polluer, et une « armée » de police « verte » surgit, équipée de drones renifleurs, prête à attraper les industriels fraudeurs. Le plan est d’éradiquer toutes les usines « zombie » d’ici 2020. Des millions d’emplois sont en jeu. Ce sujet a été l’un des thèmes des deux Assemblées qui vient de s’achever. Xi Jinping y disait que « nous ne devons pas sacrifier l’environnement au profit de la relance économique ». Pei Chunliang, édile du Henan, lui fit un écho inversé : « nous ne pouvons pas arrêter ou freiner la construction économique, sous prétexte de protection de l’eau ou de l’air ». Ici, clairement, entre niveau central et base, les intérêts et les mots d’ordre prennent des directions opposées à 180° ! 


Diplomatie : Les retrouvailles de Xi et Macron

La destination « France » du Président chinois Xi Jinping le 24 mars, ne doit rien au hasard. Xi arrive d’Italie, sa première étape. L’Italie en récession et son faible gouvernement « anti-système » semblait un terrain idéal pour fêler la solidarité européenne. Dès lors, prendre la France pour étape suivante, pouvait sembler une bonne stratégie, pour se faire pardonner l’ingérence dans les affaires de l’UE – en lui apportant un bon contrat de commandes. A ce qui semble, ce plan italien n’a pas entièrement joué – le préaccord signé à Rome, a été entretemps affaibli, dans un sens plus conforme aux exigences européennes, et 11 des 50 projets que Xi offrait à l’Italie, les plus dérangeants pour l’Europe, ont disparu. Toutefois, Xi Jinping a d’autres bonnes raisons de venir négocier avec Emmanuel Macron.

Xi Jinping doit parler avec lui d’un nombre de sujets déstabilisants pour son équipe au pouvoir. Son forum international d’avril sur les « routes de la soie », n’attirant pour l’instant que 40 chefs d’Etats, ne se présente pas bien. Car les projets BRI n’ont pas la cote. Pékin propose d’équiper les cinq continents de zones industrielles, ports maritimes et autoroutes, financés par ses banques et réalisés par ses entreprises publiques. Les pays riches comme pauvres en veulent de moins en moins, estimant que la Chine en serait le seul bénéficiaire. Les Européens en particulier font front uni depuis 18 mois : la Chine découvre, selon un diplomate européen, qu’« il ne suffit pas de faire pression pour imposer son plan ». Pire, le bras de fer commercial entamé par Donald Trump commence à mordre : par dizaines de milliers, les firmes chinoises ferment. Autrement dit, selon cette même source, la Chine commence à ressentir le besoin de transiger.

Avec Macron, Xi pourrait chercher à faire aboutir les 5 à 6 projets de coopération en Afrique, négociés discrètement par les deux pays depuis 2017. Cela pourrait redonner confiance à des pays partenaires des BRI, tels Philippines, Pakistan ou Malaisie, qui font une fronde antichinoise ces derniers temps. Le Président chinois pourrait aussi discuter de la réforme de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), pour éviter à l’avenir les guerres commerciales, tout en évitant aux gros exportateurs telle la Chine de hérisser la totalité de ses pays clients par ses mauvais comportements. 

Xi pourrait enfin tenter avec Macron de trouver des parades contre Donald Trumptrès agressif contre la Chine mais aussi contre l’Europe – et de nouvelles actions à entreprendre entre les deux pays, contre le dérèglement climatique. Autant de sujets qui sont pour la Chine des priorités, et en lesquels le Président français peut l’aider, dans le sens des intérêts mutuels bien compris !


Monde de l'entreprise : Les firmes étrangères épargnées par le « 315 »
Les firmes étrangères épargnées par le « 315 »

C’est de tradition : chaque 15 mars, journée des droits des consommateurs, la CCTV distribue les blâmes aux pires industriels. Invariablement, les marques étrangères prennent les coups : soucieuses de ne pas paraître mauvaises perdantes, prêtes à battre leur coulpe, elles sont une cible idéale. Les épingler permet de rétablir l’équilibre avec leurs concurrents chinois. Lors du « 315 » l’an dernier, Nike, Apple et Volkswagen avaient subi les foudres, pour refus d’écoute de plaintes ou produits défectueux. Or en 2019, miracle : pas la moindre compagnie étrangère attrapée ! Peu spontanée, la mansuétude de la CCTV —comme hier, sa rigueur— a été notoirement « inspirée » : voyant aujourd’hui les autorités européennes et américaines qui renforcent leurs défenses contre sa pénétration commerciale, le gouvernement chinois cherche à se refaire une image positive hors frontières.

Dans l’édition 2019, tous les chardons et baisers de l’ours, vont donc aux firmes locales. Les limiers de la CCTV ont visé des vapoteurs fumeux, et Samoyed, jeune plante de la fintech chinoise surprise à récolter sans consentement les données privées des clients. Ils ont même trouvé un problème de santé publique : au Henan, par caméra cachée, de faux acheteurs ont dévoilé une fabrique qui convertissait des déchets d’hôpitaux, poches de sang, seringues, cathéters…en jouets ! Ce qui forcément a suscité un concert de jeunes parents réclamant châtiment des coupables. A vrai dire, l’émission est populaire, mais d’un impact limité : soucieux de se prémunir des retours de flamme, elle évite les scandales impliquant les consortia d’Etat. 
Dévoilé ces derniers jours dans la presse, un cas qu’elle aurait pu traiter, eût été celui des sièges de toilette « intelligent » à la japonaise, très populaires en Chine. Hélas, sur 28 modèles disséqués par la mairie de Shanghai, près de la moitié se sont avérés « foireux », dont 11 hors normes, produits par des copieurs peu scrupuleux, en mal de profit rapide face à une longue file d’attente.

Enfin, dans tout cela, peut-on voir l’émergence d’une conscience du consommateur ? Pas sûr ! Ce mois-ci,  sur 12.000 Chinois conjointement interrogés par Tencent et Rong360, 97% estimaient leurs droits de consommateurs lésés, et seuls 37% croyaient utile de se plaindre –les autres, fatalistes, préférant ne pas perdre leur temps. Autant dire que si le client prend conscience de ses droits, il reste du chemin à faire avant qu’il ne les voie respectés.     Avec Liu Zhifan


Petit Peuple : Chongqing : Tang Shuai, l’avocat du silence (1ère Partie)

Un beau jour de 1984, naquit à Chongqing un bel enfant : après les tests d’usage, l’accoucheuse annonça, par signe, à Tang Wuduo et son épouse, que le bébé était normal, ce qui les ravit de joie extrême – tous deux étaient sourds muets. Sur le champ, ils l’appelèrent « Shuai », ce qui voulait dire « commandeur ». Ils voulaient par ce nom, se jurer de le porter plus haut qu’eux-mêmes, et à tout le moins, lui donner les chances qu’ils n’avaient pas eues.

Wuduo et sa femme n’étaient pas nés avec leur handicap, mais en avaient été frappés au plus jeune âge en raison d’une infection mal soignée. Et comme une croyance fausse mais tenace en Chine attribue ces handicaps à la volonté du ciel, comme châtiment de fautes commises en une incarnation précédente, ces malheureux avaient été rejetés de tous. Après une éducation au lance-pierre, ils avaient été mariés par leurs parents afin d’être au moins « casés », capables de se protéger l’un l’autre. Sans illusion mais plutôt soulagé, chacun avait accepté l’autre « de loin », sans connaître (ni rejeter) l’infirmité de l’autre, au nom du proverbe « voir la fleur du haut de son cheval » (zǒu mǎ kàn huā, 走马看花 ).

Quand le petit put marcher, le père tenta de lui interdire le langage des signes qu’il utilisait avec sa mère. Cela partait d’un bon sentiment : il voulait empêcher Xiao Shuai d’entrer dans leur univers de silencieuse solitude. Mais l’ordre était trop cruel, incompréhensible : refuser à ce petit enfant de parler avec eux, c’était lui fermer la porte de l’amour parental, plus important encore pour lui que la nourriture ! Aussi à quatre ans, Xiao Shuai prit la décision, extraordinaire pour son âge, de refuser l’interdit, de n’en tenir aucun compte. Et puisque ses parents cessaient de se « parler » en sa présence, il commença à s’infiltrer dans l’atelier de l’usine où Wuduo travaillait. Là, dans les salles, il observait les sourds-muets et apprenait leur gestuelle. Un an plus tard d’ailleurs, en 1989, un incident qui aurait pu s’avérer fatal obligea le père à renoncer à toute prétention d’interdire à son fils le langage des signes. Admis aux urgences en pleine crise d’appendicite, Wuduo se tordait de douleurs devant les médecins qui restaient perplexes, faute de pouvoir communiquer avec le patient. Ce ne fut que grâce aux explications de l’enfant que les médecins purent faire le bon diagnostic pour sauver son père. Dès le lendemain, la grand-mère avait décidé : le petit vivrait désormais chez elle, pour mieux apprendre à parler.

En 1993, l’usine ferma, victime d’une réforme de l’économie – Chongqing éliminait ses PME à la Mao, entreprises vieillottes qui perdaient à tout-va des fonds que la mairie ne pouvait plus fournir. Désormais proches de la misère, les parents de Xiao Shuai, de concert avec les grands-parents, se privèrent de tout afin de sauver le seul espoir du clan : l’école du petit. Ils rêvaient de le voir devenir ouvrier en usine, ou bien encore gardien d’une résidence.

Xiao Shuai de son côté, voyait plus en grand : il rêvait de belles études, et d’embrasser une carrière de médecine, ou bien de droit – deux carrières qu’il savait essentielles pour protéger les handicapés, classe sociale vulnérable et maltraitée. Mais quoique bon élève, il souffrait de brimades des jeunes se moquant du handicap de ses parents.

Pire, à 12 ans, il dût sécher régulièrement les cours pour prendre des emplois temporaires, pour aider à faire bouillir la marmite. Ses résultats au collège s’en ressentirent. Aussi après le Gaokao (bac) en 2002, ce garçon de 18 ans n’obtint d’inscription qu’à une université de second rang, très loin de chez lui, et préféra demander un sursis, pour s’occuper de ses parents. Restant à Chongqing, durant quatre ans, tous les jours, il alla traîner sur Chaotianmen, au confluent du Yangtzé et de la rivière Jialing, un quartier de restaurants de poisson, d’embarcadères des bacs sur les quais et la corniche. Là, il s’offrait comme guide et vendeur de cartes postales ou de colifichets, rapportant ainsi le soir quelques sous à la maison.

Dès qu’il avait un moment de libre, il causait « par signes » avec des sourds-muets venus de la Chine entière, et apprenait l’un après l’autre tous les dialectes par signes, ceux du Sichuan, Yunnan, Canton ou Dongbei ! Or les policiers qui patrouillaient dans ce quartier,  avaient vite remarqué ce jeune homme pas comme les autres, échangeant avec tous par signes mais capable aussi de répondre vocalement en bon mandarin. Vite, ils l’appelaient à la rescousse pour leur traduire tel sourd-muet pris main dans le sac à faucher un portefeuille.

Et c’est ainsi qu’en 2006, Xiao Shuai débuta à mi-temps au commissariat de Jiulongbo (Chongqing). A longueur de journée, il prenait les dépositions des malentendants, et les traduisait pour le compte du juge. Dès le premier jour, il fut effaré par les innombrables dénis de justice, dont était victime cette population pas même capable de faire entendre sa version des faits. Un jour au tribunal, il découvrit un couple de sourds-muets à qui l’on refusait, de façon inique, leur retraite. Il réussit à convaincre le juge de forcer l’organisme de pension à valider leurs droits. Cette victoire fut pour lui un déclic – plutôt qu’homme en blanc, il serait homme de robe ! Avec le soutien de ses amis policiers, il entra en 2009 à 25 ans à l’université de droit de Chine du Sud-Ouest. Trois ans plus tard, en octobre 2012, il sortait lauréat du concours national d’avocats et fondait derechef le Cabinet Ding Sheng, pour la défense des sourds-muets. Pour son père malade, c’était la récompense et la gloire ultime, avant de rejoindre le ciel de ses ancêtres !

Combien de sourds-muets Xiao Shuai parviendra-t-il à arracher aux griffes de la justice, d’escrocs ou de patrons sans scrupules ? La réponse au prochain numéro !

 


Rendez-vous : Semaine du 25 au 31 mars 2019
Semaine du 25 au 31 mars 2019

26-29 mars BOAO Forum pour l’ Asie sur le thème :   » Share Future, Concerned Action, Common Development” 

25-27mars, Shanghai : PM CHINA, Salon international et conférence de Shanghai sur la métallurgie des poudres

26-28 mars, Shanghai : DOMOTEX Asia / CHINAFLOOR, Salon professionnel international des machines pour le revêtement de sol pour l’Asie-Pacifique et la Chine

27-29 mars, Pékin : CHINA MARITIME BEIJING, Salon chinois international des technologies et équipements offshore

27-29 mars, Pékin : CIOOE, CIPE, Salons chinois international du pétrole et du gaz offshore

27-29 mars, Pékin : CIPPE, Salon international chinois du pétrole, des technologies pétrochimiques et de leurs équipements

27-29 mars, Pékin : CISGE, Salon international des technologies & équipements liés à l’exploitation du gaz de schiste

27-29 mars, Pékin : EXPEC, Salon chinois international des technologies et équipements contre le risque d’explosion

28-31 mars, Shenzhen : SICW, Salon international de la découpe et du soudage du métal

28-31 mars, Shenzhen : SIMM, Salon international de Shenzhen consacré aux machines de fabrication industrielle