Le Vent de la Chine Numéro 1 (2023)

du 9 au 15 janvier 2023

Editorial : La Chine de l’après « Zéro-Covid »
La Chine de l’après « Zéro-Covid »

La décision du gouvernement central, le 7 décembre dernier, de mettre fin au confinement obligatoire et au « Zéro-Covid » a fait en Chine l’effet d’une bombe. Depuis, le pays non préparé est livré au virus qui le traverse comme un tsunami, plombant à ce jour 80% des villes sans défenses : les trois années d’isolation n’ont pas été mises à profit pour protéger sa population, avec des vaccins internationaux d’efficacité reconnue.

Ceci soulève à travers le pays une vague d’indignation, et interpelle sur ce déconfinement précipité et sans transition. En réponse, on voit depuis lors se multiplier au niveau central les tentatives pour se justifier : il s’agit de sauver le récit historique du « Rêve de Chine », en dépit de la beaucoup moins glorieuse réalité de terrain, et des misères infligées au peuple par le cataclysme sanitaire.

Une première tentative eut lieu les 26-27 décembre : la réunion du Bureau politique a été consacrée au « bilan des résultats, et à l’analyse des manquements » de l’organe suprême. Telle que publiée six jours plus tard (le temps d’avaliser un procès-verbal qui soit acceptable au sommet et présentable à la base), la réponse évoque un succès éclatant : « affrontant les hauts vents et les vagues fortes de l’international, le Comité central avec le camarade Xi Jinping en son centre, a pris les défis de front, conduisant l’économie et contenant l’épidémie ». Le meeting a entendu les critiques et autocritiques de chacun des 24 leaders (sauf de Xi qui lui, donne des notes aux autres). Suite à quoi l’équipe dirigeante s’est absoute de toute faute, pour ce qui concerne « l’application totale de la pensée de Xi, du socialisme aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère ». Tout au plus réclame-t-elle plus de dirigisme central, suggérant ainsi que toute faute, si faute il y a eu, revient aux cadres provinciaux ayant mal appliqué les directives.

Une seconde réponse du sommet surgit le 29 décembre, par la voix de Chen Wenqing, secrétaire de la Commission centrale des affaires politiques et légales (政法委, zhèngfǎ wěi). La décision (de mettre fin à la stratégie « Zéro-Covid ») a été complètement correcte…  La politique de prévention et de contrôle menée pendant trois ans… a été scientifique et efficace… à présent, nous passons à son optimisation et son ajustement… Pour l’avenir, autant que possible, on s’efforcera de préserver les droits et intérêts de la population, de résoudre les problèmes pratiques, de sauvegarder surtout la sécurité nationale, la stabilité sociale, et de frapper sans hésiter ceux qui prennent prétexte de l’épidémie pour saboter, infiltrer et répandre des rumeurs ».

La 3ème et dernière tentative pour s’exonérer de toute faute, vient de Xi lui-même, le 1er janvier lors de la traditionnelle présentation télévisée de ses vœux (cf photo) : « le peuple chinois (c’est-à-dire lui-même) est du bon côté de l’histoire ». 

On note tout de même une relative « discrétion » à ces tentatives d’autojustification : l’avancée fulgurante de la pandémie et les souffrances indicibles des habitants réclament un décent respect, une propagande réduite à mi-voix pour éviter l’explosion de colère du peuple qui s’indignerait d’un triomphalisme maladroit. Autosatisfaction oui, mais pianissimo.

Car la réalité décrite par tous les témoins évoque des morts par dizaines de milliers à travers le pays, et qui devraient à terme dépasser le million, selon les opinions concordantes des virologues chinois et étrangers. Pour l’instant, la réalité est cachée, les décès officiels se limitent début janvier à « 5 200 », suivant une méthodologie décriée et improbable. Tout mort signalé hors d’un hôpital n’entre pas dans la liste, tout décès de la Covid à la maison est inscrit comme « mort naturelle ». « Notre foyer est en détresse », décrit un témoin : la Ayi, après avoir transmis le virus, est repartie, laissant la famille malade gérer seule et sans médicaments (paracétamol, ibuprofène) les soins de ses vieillards, les hôpitaux leur ayant refusé l’admission. Dans les crématoriums, la liste d’attente était, semaine passée, de 6 à 12 jours.

L’avenir immédiat est sombre. En ville, le pic du variant Omicron (80% des cas) devrait être franchi ce mois-ci, mais dans les campagnes, moins bien équipées, une seconde vague plus forte encore est attendue avec un pic estimé en mars. De plus, nul ne sait si d’autres variants émergeront de ces centaines de millions de porteurs du virus fraichement infectés.

Comme ailleurs au monde, l’impact de la Covid frappe surtout le 3ème âge, écrêtant ainsi la pyramide des âges. L’impact social de ces disparitions devrait être fort et déstructurant, en ce pays de familles à un seul enfant, où les grands-parents tenaient un rôle de « pilier central ». Leur disparition laissera des cicatrices profondes dans le tissu social, renforçant à l’avenir un sentiment d’incertitude et désespoir.

Autre conséquence, le régime ouvre aussi les vannes vers l’étranger, partagé entre le désir d’accueil à bras ouverts de touristes chinois bienvenus pour leur pouvoir d’achat et celui de se protéger de l’épidémie. Europe et Amérique exigent la présentation d’un test PCR négatif, et vont procéder à des tests ponctuels aux aéroports. L’Union Européenne prépare même des tests des eaux usées dans les aéroports, pour détecter en aval la présence du virus chez les nouveaux arrivants de Chine. Pour les experts, l’efficacité épidémiologique d’une telle prévention est douteuse, les voyageurs pouvant fort bien développer la Covid après le passage de la frontière. Cette méfiance occidentale est d’ailleurs mal vécue par Pékin qui menace de contremesures, quoiqu’ayant elle-même imposé des restrictions drastiques de confinement à l’entrée sur son territoire (2 à 3 semaines enfermé dans un hôtel, aux frais du voyageur il y a encore peu) … Dans un mince espoir de rétablir la confiance, l’autorité sanitaire chinoise a envoyé à l’OMS les génomes de quelques centaines de cas prélevés à travers les provinces – beaucoup trop peu, clament les scientifiques occidentaux.

Conclusion provisoire : le régime sort de cette crise en s’octroyant un satisfecit qui ne trompe personne. Il en sort amoindri, voire divisé, comme l’indique la rumeur d’un conflit entre Li Keqiang, le Premier ministre sortant, et son successeur Li Qiang qui le relaiera en mars, lors de la session annuelle de l’ANP.

Pour ressouder son équipe, son rapport au peuple et au monde, le régime apparaît condamné à renouer au plus vite avec la croissance, ce qu’il s’apprête à faire moyennant un appel aux forces vives du secteur privé, et en recourant aux recettes classiques – chantiers publics, incitatifs de subventions. Les derniers pronostics font état d’une remontée du PIB de 4,8 à 8% après mars 2023. Sera-ce le cas, alors que selon la Conférence centrale du travail économique (CEWC) qui se réunissait le 15 décembre, seules 16% des firmes privées sont aujourd’hui disposées à investir. Tout le défi de l’avenir est là !


Technologies & Internet : Les « petits roses » de la nouvelle armée chinoise
Les « petits roses » de la nouvelle armée chinoise

Pour les résidents étrangers, l’impact de la censure en Chine saute aux yeux dans les médias. Une évolution relativement récente cependant apparaît, où la prise en charge de l’orientation idéologique sur Internet n’est plus assurée par les agences du Parti, mais par des privés proches du régime, parlant en leur nom propre pour rétablir l’illusion d’indépendance. Cette émergence d’une classe nouvelle de formateurs d’opinion va en parallèle avec celle des « loups combattants » – diplomates promus depuis 2012 sous Xi Jinping, qui n’hésitent pas, une fois en poste, à s’immiscer de façon polémique sur les chaînes de radio et de TV du pays d’accueil, pour pourfendre les critiques de la Chine. Ces nouveaux patriotes portent un nom : 小粉红 (xiǎo fěnhóng) ou « petits roses », en référence aux gardes rouges des années ’66-76, dont ils sont les avatars modernes. Leur action est récompensée par l’Etat qui les enrichit sans qu’il lui en coûte un sou : leurs comptes Weibo (le « Twitter » chinois) sont rémunérés par les millions de clics de leurs suiveurs, générant pour eux de confortables revenus à chaque sortie en ligne.

Impossible à quantifier et saisir pour le simple journaliste, cette nouvelle expression de l’hypernationalisme chinois a été étudiée par l’agence Nikkei, l’équivalent nippon de l’AFP qui a analysé des centaines de milliers de publications sur Weibo, projetant une lumière crue sur ce nouveau trafic de l’ombre.

Ainsi quand, le 27 novembre, la jeunesse des grandes villes sortit dénoncer l’incendie mortel d’une résidence à Urumqi (à la suite de la négligence criminelle de cadres obsédés par le respect du confinement anti-Covid), deux influenceurs sur Internet prévinrent leurs 9,3 millions de suiveurs que c’était un coup des Etats-Unis. Les noms sous lesquels ils se présentaient, Guyan et « Président Lapin » cachaient respectivement une ex-employée de la Ligue de la jeunesse et un homme d’affaires proche du régime, fils du politicien aujourd’hui décédé Ren Zhengyi. Dans leur campagne fallacieuse, les deux internautes reprenaient le flambeau de la presse d’Etat et prétendaient parler en leurs noms propres, tout en exonérant le régime de ses responsabilités dans le drame d’Urumqi. De même, quelques mois en arrière, face à la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine, un autre blogueur faucon, le professeur d’université Jin Canrong avançait sans l’ombre d’une preuve que l’instigateur réel était les USA, qui cherchaient à utiliser l’Ukraine comme un « pion ».

Sous un mode privatisé, les « petits roses » reflètent donc une ligne officielle, mais ils peuvent parfois aller plus loin, débordant sur des domaines susceptibles de prendre par surprise les dirigeants. En août 2022, quand Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des représentants américaine se rendit à Taiwan, brisant ainsi un interdit tacite de plus de 30 ans, certains internautes pro-régime réclamèrent que son avion soit abattu : ces va-t-en-guerre furent « likés » et repostés des centaines de milliers de fois. Puis une fois Pelosi atterrie sur l’île nationaliste, ces faucons se répandirent en critiques contre le régime, déplorant qu’il n’ait pas suivi leur avis.

Ce genre de campagnes frappe souvent des entreprises occidentales, accusées de « ruhua » (辱华, rǔ huá) ou d’insultes à la patrie.  De 224 détectées en 2013, elles dépassaient les 5 000 en 2021. Les cibles peuvent être un journal satirique danois coupable d’avoir remplacé les cinq étoiles du drapeau chinois par autant de bactéries de la Covid. Elles peuvent viser plusieurs groupes textiles occidentaux ayant promis de ne plus acheter de coton du Xinjiang, suspecté d’être produit par les prisonniers des camps de travail. Elles peuvent aussi se retourner contre des intérêts nationaux, telle la biscuiterie « Trois écureuils », dont une publicité figurait une femme aux yeux bridés : sans attendre, « Trois écureuils » s’était platement excusée et avait retiré son annonce. Les auteurs les plus prolixes de ces campagnes de « ruhua » se présentent sous les sobriquets d’ « Aigle de Dieu » (上帝之鹰) ou de Dìguā Xióng Lǎo Liù (地瓜熊老六, « le vieux 6 pauvre patate douce »), ce dernier étant un auteur de dessins humoristiques.

Rien n’arrive par hasard : Weibo, dans ses algorithmes de promotion, favorise l’« énergie positive » d’auteurs aux idées parallèles à celles de l’Etat, et élimine ceux qui le critiquent.  Par leur entremise, Weibo permet à l’Etat de parler à 252 millions de Chinois présents tous les jours sur son portail. Les grands médias, tels Quotidien du peuple, Xinhua ou China News Service les relaient dans leurs colonnes, ou sur leurs comptes Weibo en dizaines de millions de suiveurs.

Les suiveurs sont jeunes (80% ont 30 ans ou moins), citadins surtout des villes de 3ème ou 4ème catégorie (56%), et de sexe féminin (60%). Ces groupes sociaux gagnent bien leur vie mais s’ennuient : leurs villes de province offrent moins de loisirs que celles de la côte. Ils sont aussi défavorisés – les jeunes femmes sont moins payées et moins considérées que les hommes. Aussi, tous ces suiveurs deviennent clients du bavardage patriotique sur Weibo : il les distrait et leur offre une cause à suivre, un moyen de se valoriser. Nikkei remarque que cette source de slogans ne reflète pas forcément leur opinion : moins de 1% des comptes Weibo expriment des messages originaux. Les autres ne font que lire, et retwitter.

Conclusion du groupe de presse japonais : en éveillant ces alliés de l’ombre, Pékin a créé un outil d’une puissance inconnue, faisant vaciller et reculer des groupes et des personnalités jusqu’alors intouchables. Mais c’est une arme à double tranchant : de plus en plus, ces individus agissant en meute, prennent leur indépendance et se montrent audacieux face au régime même. Comme le dit l’écrivain Murong Xuecun depuis son exil en Australie, le risque est grand de voir à l’avenir ces « petits roses » perdre patience sur toute question où l’Etat ne leur donne pas ce qu’ils attendent. Si par exemple, les stratèges de Pékin retardent indéfiniment toute reconquête de Taiwan, ils risquent de muter en des fanatiques hors contrôle. Auquel cas le régime découvrirait, mais un peu tard, avoir joué aux apprentis sorciers !

 


Politique : En Chine aussi, une autre époque à la porte
En Chine aussi, une autre époque à la porte

Alors que la Chine s’enfonce dans une crise matérielle et morale sans précédent depuis les années ’60 de la Révolution culturelle, deux penseurs chinois se penchent sur les causes de ce tournant que nul, dix ans plus tôt, n’aurait imaginé. Dans Le Monde, les économistes Di Guo et Chen Gangxu formés à Harvard et à Edinbourg proposent une explication : avec des institutions systématiquement copiées sur celles de l’URSS, la Chine a jusqu’au tournant du siècle réussi à concilier son régime et une forte croissance liée à son secteur privé. Mais en coupant la branche de la croissance privée, elle s’apprête, sans s’en rendre compte, à connaitre le même sort que son aînée russe.

A vrai dire, sa direction politique est partie d’un double pari. Sous l’angle de la technologie policière, elle savait pouvoir compter sur une infrastructure digitale sans précédent dans l’histoire de l’humanité, mettant à sa portée une mainmise sur tous les pans de sa société. Et d’autre part, la Chine s’était assez enrichie pour pouvoir se permettre de faire un temps l’impasse sur sa croissance et miser sur le renforcement du Parti ainsi que son assise à long terme sur le pays.

Une des causes du tournant opéré sous Xi Jinping a été la dette massive accumulée par les provinces pour soutenir leur développement. En concurrence les unes avec les autres, certaines ont soutenu des actifs privés, y compris des organes de presse quasi-indépendants qui ont connu une croissance fulgurante, et des conglomérats commerciaux aux ambitions planétaires. Mais un grand nombre des investissements mal calculés, redondants ou de prestige se sont avérés inefficaces, et ont fait rentrer le pays « dans un cercle vicieux d’effet de levier surdimensionné et de surcapacité ».

Le cas de l’immobilier est exemplaire : chaque gouvernement est devenu en pratique « le propriétaire foncier unique dans sa juridiction », puis pour maximiser ses gains financiers, a tout fait pour réduire l’offre, enchérissant ainsi les prix. De la sorte, cet immobilier chinois est devenu parmi les plus chers au monde, par rapport au revenu local. En même temps, une bulle gigantesque se créait.

En 2019 elle est égale à 300% du PIB, et est en train d’éclater. Pire, elle est « hypothécaire », ayant pris comme garantie ses actifs (voire ceux d’autres secteurs) : dès lors, faute de pouvoir se rembourser, cette dette déteint sur les banques et d’autres pans de l’économie. Ce mécanisme agit dans un cercle vicieux avec la faiblesse de la consommation intérieure. Il y a quelques mois, le Premier ministre Li Keqiang admettait que 600 millions de chinois vivaient à moins de 1 000 yuans (140€) par mois. Mais pour nos auteurs, ils sont 500 millions à gagner « parfois beaucoup moins que 1 000 yuans par mois », ce qui ne laisse pas grand-chose pour des dépenses autres que la survie. Ce mécanisme a été voulu au départ : l’Etat ayant voulu garder entre ses mains le pouvoir financier, et faire dépendre principalement la croissance de ses chantiers publics et des exportations, lesquelles aujourd’hui stagnent ou reculent en raison de la Covid.

La croissance insupportable de cette dette a convaincu le régime de museler le privé – c’est la fameuse campagne « anticorruption », « contre les mouches et les tigres », qui dure depuis 10 ans. Venue d’au-delà des frontières, une autre raison plus politique a joué : la multiplication à travers le monde de révolutions « de couleur » contre les régimes autoritaires. Cette menace démocratique l’a poussé à maltraiter son secteur privé et les éléments libres de son opinion (média, Internet). L’absence d’indépendance de la justice lui permet d’exproprier à sa guise, décourageant ainsi les investissements. Mais en supprimant ainsi la chance d’expansion de sa classe moyenne émergente, il supprimait de facto les conditions de sa propre durabilité – comme l’URSS avait supprimé les siennes. Tel est, selon nos auteurs, le diagnostic de la crise qui démarre.

C’est sans doute cette raison qui incite Joerg Wuttke, président de la Chambre de commerce européenne, a prédire pour 2023 une croissance chinoise maximale de 0,5%, loin des « 4 à 8% » attendus par le régime. Wuttke explique que ce sera « le temps pour le pays de procéder à des réformes fondamentales qui ne peuvent plus être reportées ». Autrement dit, si cette analyse est juste, la grande relance chinoise attendue en mars, devra souffrir un report indéfini, et c’est bel et bien à un changement d’époque, et de style, auquel la Chine doit s’attendre.


Petit Peuple : Chaoyang, l’ascension résistible de « soeurette du balai »
Chaoyang, l’ascension résistible de « soeurette du balai »

Zhang Xiufang eut une enfance originale, au Henan. L’absence de père l’avait mariée à la précarité, la privant de dîner plus souvent qu’à son tour. En revanche, mère et fille vécurent ces années ’80 en liberté totale, tissées de fou-rires, rêves et imagination débridée. Elle fut aussi enfant de la balle, élève gratuite des maîtres de qigong ou taichi dans les parcs. Travaillant des heures par jour son sabre, bâton ou diabolo, elle gagna bientôt sa pitance en show de rue et autres métiers de fortune, telle la vente à la sauvette de kong zhu, bambous-accessoires obligés des acrobates.

A 22 ans, cette fille idéaliste et désintéressée épousait un homme de son style : spirituel, agréable et franc, mais totalement inadapté aux réalités de la vie. Malade chronique, chômeur toujours, il ne fournissait pas un 份 (sou) au budget commun. Autant dire que 16 ans après, le couple, avec leur fille lycéenne, n’avait pas toutes ses aises.

En 25 ans de spectacle, Xiufang s’était frottée à tous les genres : martial (en tenue de choc, à Tianjin), bouddhiste (en une sirupeuse corolle de lotus à Shanghai), opéra (en masques, à Zhuhai), sportif (en survêt’, aux fêtes des JO de Pékin). Mais elle se contorsionnait en vain, juste pour quelques bravos, de rares piécettes. Des saltimbanques de son genre, la Chine en avait « à la pelle » : pas moyen de faire la différence.

En mars 2010, elle craqua. Se priver de tout, pour elle-seule, c’était OK, mais devoir refuser à sa fille la flûte dont elle rêvait depuis des années, c’était un cauchemar. Aussi, pour un salaire ridicule mais garanti, à l’agence n°4 d’hygiène environnementale de Chaoyang, elle rejoignit une escouade de balayeuses aux casquettes de base-ball et vareuses fluo— celles que les mamans montraient aux petites filles en chuchotant : « voilà où tu vas finir, si tu n’étudies pas » !

L’artiste en elle, cependant, se rebellait contre la porte fermée à son talent. Elle avait du mal à faire causette avec les collègues, qui la trouvaient bêcheuse. Mais elles cessaient de lui en vouloir dès qu’elle lançait son balai en l’air pour le rattraper sur l’échine, le bras, les mollets, le cou, marchant sur les mains, jambes en « V » vers le ciel, face aux passants ébahis : par le plus grand des hasards, Zhang venait de découvrir la mise en scène appropriée, mi-dérisoire mi-admirable, pour un show d’une ère nouvelle, post-prolétaire.

Il ne fallut qu’un mois pour qu’elle reçoive un appel, l’invitant à l’émission Nouvelle star chinoise, sur TV-Sichuan. On l’avait filmée sur téléphone portable, puis posté la vidéo sur Internet : le clip avait reçu 30 000 clics en 3 jours.

Sa réponse fut d’abord non. Zhang croyait -encore- que ce déguisement était une trahison à son art, et à l’ordre social. Et puis s’envoler trois jours pour Chengdu, à peine embauchée, était impensable.

Le cachet (8 000¥), le coup de fil du réalisateur à sa chef, balayèrent les résistances. L’émission fut un succès triomphal, lui valant la célébrité immédiate sous le sobriquet de «soeurette du balai» (扫帚姐, sào​zhou jiě).

Les faits s’enchaînèrent. La seconde invitation tombaBoulevard des étoiles, l’émission nationale de Pékin—rien que ça ! Après des jours à méditer ses options—c’était le tournant de sa vie, et elle le savait—elle réclama un congé, qui fut refusé. Elle s’y attendait et passa outre, déclenchant ainsi sa mise à pied. Laquelle fit fuser les émotions dans les chaumières : c’était « leur » héroïne qu’on assassinait ! Même des cadres, ayant vu le nouveau phénomène, parlèrent en sa faveur en haut lieu. Une star était née.

Si son souci de carrière est maintenant réglé, celui existentiel demeure. Xiufang, au temps de chiens, évitait de causer aux nettoyeuses, se disant « artiste ». Mais aujourd’hui, elle se retrouve toute gauche face aux célébrités du show-biz venus saluer la nouvelle venue : «on n’est pas du même monde, prétend-elle, moi, c’est balayeuse» – ce qui une fois de plus, pourrait passer pour de l’orgueil.

Mais on la comprend. Zhang a du mal à jeter aux orties ses oripeaux d’hier, d’artiste ratée et « souillon » des hutongs. Quand on part de si bas pour monter si haut, on ne peut pas le faire trop vite. Il faut des paliers, pour éviter l’asphyxie, pour laisser à son être le temps de s’adapter. Pour accepter sa bonne fortune, ce qui en Chine se dit: « s’abandonner au destin» (委诸命运, wěi zhū mìng​yùn ).

Cet article a été publié pour la première fois le 26 septembre 2011 dans le Vent de la Chine – Numéro 31 (2011)


Rendez-vous : Semaines du 9 janvier au 26 février
Semaines du 9 janvier au 26 février

21 au 27 janvier : Congés du Nouvel An chinois

22 janvier : Nouvel An chinois. Dans toute la Chine, les festivités du Nouvel an lunaire célèbreront l’entrée dans l’année du Lapin (d’Eau) qui commencera le 22 janvier 2023 pour se terminer le soir du 9 février 2024.

6 – 9 février, Shenzhen : LEAP EXPO, exposition industrielle axée sur la fabrication électronique, l’automatisation industrielle et l’industrie laser. REPORTE du 30 octobre au 1er novembre

10 – 12 février, Pékin : ISPO BEIJING, Salon professionnel international des sports, de la mode et des marques de vêtements

11 – 14 février, Pékin : CIAACE, Salon chinois international des accessoires automobiles

15 – 17 février, Canton : PCHI, Salon des soins personnels et des cosmétiques

17 – 18 février, Pékin : CHINA EDUCATION EXPO, Salon international de l’éducation et des formations supérieures

17 – 19 février, Shenzhen : INTERWINE, Salon chinois international du vin, de la bière, et des procédés, technologies et équipements pour les boissons

22 – 24 février, Shenzhen : ALLFOOD EXPO, Salon chinois international de la confiserie, des snacks et des glaces

24 – 26 février, Canton : DPES SIGN & LED EXPO, Salon chinois international des équipements de publicité

22 – 24 février, Pékin : CIBE – China International Beauty Expo, Salon international de l’industrie du bien-être et de la beauté

23 – 26 février, Pékin : CPSE – China Beijing International Pet Supplies Exhibition, Salon international spécialisé dans l’alimentation et les produits pour animaux de compagnie