Le Vent de la Chine Numéro 2

du 17 au 23 janvier 2011

Editorial : Hu Jintao chez Barack Obama—la paix des braves ?

Hu Jintao sera le 19/01 aux USA chez Barack Obama : ultime tentative d’une longue série pour trouver la détente entre ces pays-continents interdépendants, mais que tant de choses opposent.

D. Lampton, professeur d’études chinoises à Washington croit que la tension provient d’«attentes mutuelles irréalistes». Comme si fascinés par les perspectives d’avenir commun (de maîtrise du monde), ces empires sous-estimaient les concessions à faire pour y parvenir.

La visite (8-12/01) de R. Gates, secrétaire à la défense résume bien ces tensions latentes. Avec H. Clinton, la secrétaire aux affaires étrangères, (à Pékin le 6/01), Gates était supposé déblayer les contentieux avant le départ de Hu. Ce à quoi, il n’a qu’en partie, réussi. Couvant sous ses cendres, la tension avait redémarré au printemps 2010, avec le déploiement d’une armada chinoise en mer de Chine, la déclarant son nouvel «intérêt stratégique» et y arraisonnant des 10aines de chalutiers étrangers. Résultat : dès l’été, les pays de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) menés par le Vietnam se rassemblaient autour des USA.

De même, l’incapacité de Pékin à lâcher Pyongyang après ses foucades militaires contre la Corée du Sud raffermissait l’alliance entre Washington, Tokyo et Séoul. Sur ces deux convergences, et sur de récentes ventes d’armes à Taiwan, R. Gates, apparaissait comme cheville ouvrière de ces manoeuvres pour contenir la Chine. Il causait la fureur de l’état-major chinois, au point d’annuler purement et simplement son invitation de juin 2010…

Partant de si bas, la visite de Gates apparaît un demi-succès. L’émissaire d’Obama peut se targuer d’avoir été reçu à Qinghe, poste de commande de la Bombe nucléaire chinoise, et d’avoir fait accepter son invitation aux USA courant 2011, par Chen Bingde et Qing Zhiyuan, les plus hauts gradés de l’armée chinoise, l’APL. Ils ont aussi validé une reprise du dialogue entre forces armées, sans fixer de date et du bout des lèvres, tout en réitérant leurs exigences de respect des «intérêts vitaux» de la Chine, (sur les ventes d’armes à Taiwan, sur leur souveraineté maritime etc). Apparent camouflet, le test en vol du bombardier furtif J-20 eut lieu durant la visite de Gates, annonçant l’imminente vulnérabilité des porte-avions américains dans la zone.

Hu Jintao prétendit à son hôte qu’il n’y avait là nul message, rien qu’un simple manque de coordination, lui-même n’ayant pas été mis au courant: quelque interprétation qu’en ait tiré Gates, l’affaire faisait indéniablement désordre !

Parmi les autres contentieux à régler figure, l’éternel sujet du taux du Yuan chinois que les USA accusent d’être sous-évalué de 30 à 40%. Ici aussi, la scène est confuse. La Banque centrale promet à l’avenir «plus de flexibilité». En six mois, le yuan a déjà remonté de 3,4% voire, en incluant l’inflation, 10% selon Tim Geithner le secrétaire aux finances. En décembre, l’excédent commercial a baissé de presque moitié, de 23 à 13MM$, et les pronostics sont encore à la baisse pour 2011, vu la fermeture de milliers d’usines polluantes et/ou non viables. Autant dire que B. Obama aura du mal à obtenir de Hu Jintao une promesse de réévaluer… Reste encore le désaccord sur la Corée du Nord, Pékin tentant de rouvrir les «Négociations à six» en «oubliant» les récentes agressions du Nord contre le Sud et sans aucun effort à faire côté nordiste.

Conflit commercial aussi, sur le protectionnisme chinois en énergies renouvelables (cf p.2). Washington a déposé une plainte devant l’OMC, l’organisation, mondiale du commerce. Hu Jintao tentera là de détourner le tir en proposant une alliance industrielle …

Dans ses bagages enfin, Hu apporte des cadeaux. Le plus notable sera une étape à Chicago, fief d’Obama, voire la visite d’une usine chinoise d’équipements solaires ou éoliens. Comme pour suggérer que la Chine crée des emplois aux USA, et pour donner du coeur au ventre à une métropole frappée par la crise, en saluant sa transition rapide vers une économie à bas carbone. Sans avoir l’air d’y toucher, le tout viserait aussi à soutenir la réélection du président Obama l’an prochain—et à s’en faire enfin un allié !

 

 


A la loupe : La santé chinoise part en fumée

En matière de lutte anti-tabac, les militants de la santé se trouvent aux prises avec une coalition d’industriels tabagistes et de fonctionnaires aveuglés par la manne fiscale.

Dim.9/01 était une date spéciale. Au terme de la Convention Cadre sur le Contrôle du Tabac de l’OMS ratifiée par Pékin en 2003, la Chine aurait dû faire interdire de fumer dans les lieux publics. Mais la date passa sans nulle annonce de ce genre. Pire, 4 jours avant, aucun des 8 ministères concernés n’étaient présents à la lecture par Yang Gonghuan, directrice du Bureau de lutte anti-tabac, d’un rapport dramatique co-rédigé par 60 scientifiques chinois et étrangers. Depuis 2005, 1,2millions/an de Chinois meurent du tabac, qui seront 3,5 millions d’ici 2030, si rien n’est fait, selon elle.

En plus du ban du tabac en lieux publics, l’État a failli à d’autres obligations de la convention, telle celle d’informer le consommateur. Les alertes de santé sur les paquets ne sont voyantes. L’interdit de publicité dans les médias est contourné par la pub indirecte, très efficace. Ainsi selon une association tabacophobe, 75% des films en cinémas montrent en moyenne 15 scènes de fumerie, 95% des séries TV montrent 85 scènes. Objectif atteint : 30 à 60% des jeunes (selon tranche d’âge) trouvent la cigarette très «glamour» et n’attendent que l’occasion de débuter. 300 millions de Chinois fument, un quart de la population, 60% des hommes, et les femmes s’y mettent, croyant y voir un geste d’émancipation: « c’est le remake des années ’40 aux USA», commente Zhao Bin, n°2 de la Fondation nationale du cancer.

Au sein même de l’Etat, une guerre sournoise se pour—suit. Le ministère de la santé a obtenu dès juin 2010, l’interdiction de fumer dans les écoles et lycées, et pour fin 2011 dans les hôpitaux. Il a fait augmenter 4 fois la taxation en 20 ans, aujourd’hui à 36% voire 56% selon la gamme. Mais à 5¥ le paquet moyen, la cigarette chinoise demeure parmi les moins chères. Il ne peut guère faire plus : les mesures de répression de la tabagie sont du ressort du MIIT (Ministère des Industries et des technologies de l’Information), qui est aussi tutelle du Monopole du Tabac, logeant ainsi le loup et l’agneau dans la même bergerie.

Le Monopole s’appuie sur les 10millions d’emplois de paysans et d’ouvriers du tabac, précieux dans des provinces telles le Yunnan, et sur les 510MMY de taxes récoltées en 2009, (plus de 600 en 2010). En 2011, il poursuit sa campagne agressive de plantation et de construction d’usines, prétendant « porter la production à un nouveau niveau ».

Face à la recette fiscale (« 7.5% des revenus de l’Etat»), l’argument des anti-tabac selon qui, depuis 2002, le tabac coûte plus en morts que ses gains à court terme, ne porte pas. En terme de soins du cancer et de perte salariale des familles privées de leur gagne-pain, le coût social du tabac était de 62MMYuan l’an dernier. « L’Etat réalise qu’il a un problème », résume Zhao, « mais il n’a pas encore pleine conscience des implications à long terme ».

Heureusement, la presse a relayé ce message que les tabagistes étouffaient jusqu’à ce jour. Le groupement des anti-tabac réclame d’urgence un plan national à inscrire au XII. Plan (avant mars, date de son adoption). Quel pays accepterait de perdre 3,5millions de soutiens de famille/an, avec les milliards qui s’y rattachent en salaires et en chance d’éducation pour leurs enfants ? La Chine qui vit en accéléré les phases de croissance des pays riches, semble sur le point de s’éveiller et à se lancer dans la lutte.

 

 


Joint-venture : Petrochina, du gisement au client

Avant même de le faire au pays, une politique chinoise d’avenir s’exprime … en Europe.

Par la voix de son PDG Jiang Jiemin, Petrochina (CNPC) annonce d’ici 2020 pour 6MM$/an d’actifs pétroliers sur Terre. Raison déclarée : échapper à l’enchérissement du crédit en Chine, une politique destinée à combattre l’envolée de l’inflation. Il ne s’agit donc plus, comme depuis 20 ans de s’assurer des sources de pétrole pour la demande intérieure, mais plus prosaïquement de protéger son capital.

Dans la suite du vice 1er ministre Li Keqiang en visite au Royaume-Uni, Petrochina a repris une part non spécifiée dans deux raffineries d’Ineos, pétrolier privé: Grangemouth (Ecosse) et Lavera (France), chacune de 210.000t barils/jour.

Le prix n’est pas non plus cité, mais forcément intéressant, sur ce marché en récession -Grangemouth, sans cet accord, aurait fermé (2000 jobs). Une fois créée cette JV qui permet à la CNPC de prendre pied en Europe, les partenaires doivent définir le contenu de la collaboration: quel « plus » apporter pour s’imposer sur ce marché mature et très concurrentiel?

Autre chose remarquable dans cette affaire : jusqu’ à présent, les pétroliers chinois investissaient là où le pétrole était (38MM$ l’an passé), y compris chez CNPC, la reprise « mixte » avec Shell de l’australien Arrow pour 3,2MM$ en août 2010. Mais aujourd’hui, le groupe investit là où le client potentiel est : autre temps, autre moeurs !

 

 


A la loupe : Les mystères du piratage de Renault

Ni l’industrie, ni l’Etat français, ni le chinois ne doivent être à l’aise, à l’explosion du scandale d’espionnage contre Renault-Nissan. Trois des membres de l’état-major de Renault sont débarqués, prélude à leur licenciement, dont un brillant ingénieur qui voit sa carrière brisée à 33 ans. L’affaire est glauque. Normal, vu l’enjeu immense.

«De mystérieux agresseurs ont tenté de dérober le programme électrique du groupe: 4MM² de R&D, incluant une batterie lithium-ion (développée avec le nippon NEC et le coréen LG), et la motorisation de 5 modèles de la gamme 2012. Mais pour Patrick Pélata, n°2 du groupe, aucun des presque 200 brevets en cours de dépôt n’a «fuité» (sic) – tout au plus des «données sur l’architecture des véhicules, et le modèle économique du programme». Ce qui peut expliquer la faiblesse de la paie découverte sur des comptes des accusés en Suisse et au Liechtenstein : 0,5M² à l’un, 130.000² à l’autre, c’est peu payé, à moins que les données trahies n’aient été que secondaires.

Autre bizarrerie : tandis que le pouvoir chinois n’attend pas pour récuser les scoops fracassants de la presse (criant aux «accusations irresponsables»), les indéniables victimes, Renault et Paris gardent le profil le plus bas qu’ils peuvent, adjurant le monde de cesser de «faire des suppositions» (Christine Lagarde, ministre de l’économie). Quoique d’autres comme Eric Besson, ministre de l’industrie parle de « guerre commerciale ». Ceux qui savent, se rattrapent par presse interposée, désignant un suspect, Southern State Grid, suivi de «firmes chinoises et de pays tiers ». SSG n’est pas présent dans l’automobile, mais il aurait 3 intérêts à une telle pêche à la voiture électrique :

[1] Il peut payer, étant une des firmes les plus riches de Chine, distributeur d’électricité sur 8 provinces. [2] Il est étatique, exécutant de toute politique du régime.

[3] Il détiendra surtout, avec sa maison-soeur State Grid, le monopole du «carburant» des voitures de demain.

Un « expat » du secteur nous offre un éclairage: « en ce pays en train de se réinventer, certains secteurs comme l’auto voient leurs fortes ambitions freinées par un manque d’expertise. Pour avancer, ils sont prêts à tout : acheter, ou ’emprunter’ ce qui leur manque. Même les groupes étrangers implantés en Chine avec des alliés locaux sont vulnérables, vu la rivalité sans pitié entre industries chinoises». Ce même témoin suggère pourtant d’éviter de diaboliser la Chine : de tels vols arrivent régulièrement ailleurs dans le monde, «quoiqu’à une échelle moindre».

Le 13/01, Renault dépose plainte- «contre X»: soit par absence de preuve, soit par raison commerciale. Ceci per-met d’enterrer le dossier dans un tribunal, gommant pour le groupe et pour la France les risques de dérapage international.

NB: dès la veille, Pékin dévoilait une politique novatrice contre le piratage. Trois ans de prison attendent les vendeurs de faux CD et les pirates de la toile. Une définition juridique du piratage a été émise, et le grand nettoyage est engagé avec 4000 faussaires de propriété intellectuelle arrêtés en deux mois, pour un butin global de 260M². Le message est clair : la Chine veut gagner la confiance du monde industriel. Mais pour ce faire, elle devra faire un pas de plus et réévaluer ses pratiques. Car outre le piratage, c’est l’espionnage industriel par l’Etat, sur l’étranger, qu’il faut endiguer ici !

 

 


Argent : La Chine, entre hiver et pollution

L’hiver est rude – jusqu’à -10°C à Linzhou, ville d’1million d’ouvriers entre Shanxi, Hebei et Henan.

C’est pourtant le moment choisi (5/01) pour fermer à jamais la centrale thermique de Youchuang, qui alimentait une partie de ses usines. Or deux firmes d’Etat, Bikun et Liyuan se partageaient sa chaleur pour chauffer 5000 foyers, écoles etc. Comme source alternative de vapeur, la première a pu s’arranger avec l’aciérie voisine. Mais pour la seconde et ses 3500 clients, ce fut le gel sous 24h. Les riverains ne réalisèrent leur malheur, qu’une fois invités à passer retirer le remboursement de leur note de chauffage. Responsables de la rupture de chauffe : le retard de la nouvelle centrale, qui aurait du fonctionner dès l’été 2010, ainsi que les quotas de plus en plus visibles, limitant les usines et les villes dans leur consommation en houille !

Autre signe de la lutte anti-pollution au coeur de l’hiver : le 20/12 sortit le dernier rouleau de tôle laminée de l’usine n°2 de Shougang, (Shijingshan/Pékin). Suite à quoi la chaîne et l’usine entière, d’une capacité de 8Mt furent refroidis et démontés après quasi un siècle de bons et loyaux services, repartant pour Caofeidian, à 220km.

En 2010 entre tous ses sites, Shougang a produit 31,5Mt d’acier. La fermeture a été accélérée officiellement pour éradiquer les 9000t/an de CO2 dont elle polluait la métropole. A Shijingshan, Shougang prévoit l’implantation d’usines à haute valeur ajoutée, et d’un musée.

 

 


Temps fort : L’envol de Zhang Guobao, parrain du vent…

A 66 ans Zhang Guobao, dit le «parrain du vent» se retire. Depuis 2008 directeur de l’Agence Nationale de l’ Énergie juste créée, il avait assisté la naissance d’une puissante industrie éolienne partie de rien. Archétype du cadre socialiste chinois, Zhang était un volontariste et un patriote, adepte du gigantisme. Il n’en a pas moins mis son pays sur les rails des énergies renouvelables, déterminé à casser la dépendance du pays envers le charbon.

Dès 2008, Zhang lança un plan éolien d’une puissance inouïe dont, pour 2020, six fermes à vent de 10 Gw, «Trois Gorges éoliennes» -Hebei, Mongolie, Gansu, Xinjiang, Jiangsu (offshore). Dès 2008, avec 12 Gw installés, la Chine était n°4 mondial et en mars 2010, elle atteignait 22Gw. En 2008, Zhang programmait 70 réacteurs nucléaires d’1Gw, nombre ensuite porté à 114 pour couvrir 7% des besoins dès 2020.

Malgré ces moyens pourtant énormes, son programme se heurta vite à des obstacles -rançon de sa manière de faire systématiquement l’impasse sur les risques. Ainsi, bien des doutes accompagnent son projet de ligne à ultra-haute tension (UHV) Ouest-Est doté de 50MM² sous 5 ans. En outre, faute de cet outil, les éoliennes ne furent pas toutes raccordées. Mi-2009, 5Gw de fermes éoliennes tournaient ainsi à vide, au moins le tiers du parc, 5MM² d’investissements improductifs…

Tous ces «maux de croissance» inévitables, ont eu pour effet de grever les budgets pour l’avenir, réduisant la liberté pour le pays de faire d’autres choix énergétiques. Peut-être pire, elles ont lésé des groupes étrangers, causant un litige avec les Etats-Unis.

En même temps, Zhang se montra curieusement conservateur. Il bloqua la réforme de l’énergie, pourtant la raison d’être de son agence. Renonçant à imposer la séparation Distributeur/Producteur, règle d’or des pays développés, il favorisa la concentration autour du distributeur State Grid. Idem, quoique le nouveau cadre se dise ouvert à tous producteurs pour le rachat de l’électricité, Zhang favorisa quelques géants équipementiers semi-publics (Sinovel, Dongfang Electric) : sacrifiant l’émergence des micro-producteurs qui prospèrent ailleurs (UE, USA).

Arbitre de l’énergie, Zhang affronta des crises fortes : les «brown-outs» de l’automne 2010, les bras de fer des prix du charbon. Sur le fond, il n’essaya pas d’introduire une réelle concurrence et une réforme de la tarification. Ce qui se paie : gâté par des prix hyper subventionnés, l’usager de l’électricité n’est pas sensibilisé à l’urgence de l’économiser. L’échec est aussi dû au nombre excessif des décideurs en ce domaine, et à l’obligation pour Zhang de louvoyer entre consignes centrales et pression des lobbies.

Toutes ces tares ont pu jouer dans sa mise à la retraite, décidée au sommet le 24/12. A joué sans doute aussi la plainte américaine auprès de l’organisation mondiale du commerce (OMC) pour protectionnisme sur les éoliennes. Zhang est la «bête noire» des industriels étrangers : pour assurer la réconciliation avec Obama le 19/01, quel meilleur cadeau de Hu, que la tête de Zhang ?

Pour lui succéder, on attendait Liu Qi, l’ex-maire de Pékin, une des étoiles de l’économie chinoise. Surprise, c’est Liu Tienan qui apparaît, 56 ans, brillant coordinateur entre houillères et chaudières, ces deux ans passés…

NB : Mais pour reprendre le contrôle d’un secteur énergétique ayant pris depuis 20 ans le mors aux dents, il faudra plus qu’un bon administrateur: une discipline, et surtout l’accord de plusieurs princes rouges pour lâcher leurs privilèges -défi pour le prochain leadership de 2012.

 

 


Petit Peuple : Shaoyang/Haidian : Dai sort de l’oeuf

Difficile de se loger à Pékin quand on sort de sa cambrousse. Même Dai Haifei, diplômé d’urbanisme de l’université du Hunan, si brillant qu’il a trouvé sans tarder un stage (jan 2010) dans une PME de design, puis un CDD. Mais avec sa paie étique et ses parents pauvres (maçon, lavandière, âgés de surcroît), on ne va pas loin. Après des mois de recherche, même la plus humble colocation se faisait désirer. Quant à acheter, c’était hors de question -cela aurait fait, confesse-t-il, « 2 à 3 siècles de son salaire »…

Petit à petit, une idée prit corps, resucée du principe maoïste de l’autonomie révolutionnaire : s’inventer son logement, avec les moyens du bord. Durant son stage, Dai avait dessiné un concept-home, si joli que ses chefs n’avaient pas hésité à exposer au Salon de la «double année , sous le nom d’«oeuf de la ville».

Durant l’été, de retour à son village de Shaoyang, il commanda pour 6400¥ de matériaux (empruntés à un cousin) qu’il retravailla avec quelques copains. Fin septembre, il chargea les pièces sur un camion, qu’il débarqua à Haidian devant les bureaux de l’employeur.

Arrivant à ce moment, la fête nationale lui fut propice (c’était prévu). Quand les «chengguan», vigiles urbains reprirent leur ronde le lundi suivant, quelle ne fut leur stupeur de découvrir sur «leur» trottoir une structure ovoïde de 2mx4m qui les narguait du haut de son atypique rotondité. Des sacs de jute alvéolaires se jointaient sur un bâtis de bambou, comme une peau vivante bourrée de sciure de bois (isolant thermique) et de graines de gazon qui n’attendaient que le printemps pour jaillir vers la lumière. Une porte ovale s’élevait, portée par de petits mâts. Le réduit avait l’eau courante (par pompe, trois jours d’autonomie) et l’électricité par une batterie alimentant un éclairage froid (LED) et une couverture chauffante. Un tapis de sol isolait un lit et une table… Par sa créativité, la maisonnette était comme un poème de rue, causant d’étonnants attroupements. Mais la police n’est pas poète – c’est là son moindre défaut. Quand le rapport fut monté quelques étages au commissaire décideur, puis redescendu avec les justes consignes y-afférentes, les pandores alpaguèrent Dai à l’aube à la sortie de l’oeuf, lui collèrent en main son arrêté d’expulsion.

Dai cependant ne l’entendit point de cette oreille. Il se trouve qu’avant d’obtempérer, en culture chinoise, un certain degré d’accord explicite est de mise, entre autorité et administré chinois: les jours de répit que lui procura ce phénomène, il les mit à profit pour lancer une campagne. Le duel commença ainsi, David contre Goliath. En trois semaines, avec les photos chatoyantes de son home sur un portail internet, il recueillit des dizaines de milliers de messages de soutien aux motivations tantôt urbanistiques, tantôt esthétiques voire franchement anarchistes.

Mais hélas, « les arbres les plus hauts retiennent le plus le vent » (树大招风(shù dà zhāo fēng): l’audace de la maison de Dai n’était pas de celle que la mairie puisse indéfiniment tolérer…

Début décembre, après deux mois de résistance acharnée, le squatteur dut évacuer les lieux.

Démonté, l’oeuf fut remisé dans les locaux de sa boite complice, attendant pour ressortir le prochain salon. Pendant ce temps, un collègue offrait à Dai l’hospitalité de son appart: ce sur quoi, poussant un soupir, Haidian tout entier, renoua avec sa décevante routine.

Mais Dai n’a pas tout perdu. Par son exhibition intempestive, son « oeuf » a joui d’une publicité inespérée sur tous les média. La rue a reconnu en lui un de ces « clous » sociaux, prouvant qu’ils existent en combattant l’arbitraire de l’Etat. En démontrant la possibilité d’un logement alternatif et libre, Dai s’est fait le symbole, même éphémère, des rêves de résistance du pays.