Le Vent de la Chine Numéro 32

du 10 au 16 octobre 2010

Editorial : CHINE au sommet de l’ASEM – le temps du choc

A Bruxelles, au sommet de l’ASEM (Asia-Europe Economic Meeting), 48 pays d’Europe et d’Asie ont peut-être vécu les prémisses d’une guerre monétaire globale. Au coeur de la mêlée, le taux de change du Yuan chinois, accusé d’être manipulé.

Le mécanisme est clair. Pékin soutient toujours plus ses industries. En 2008, face à la récession, il a versé 400MM² – 6mois de PIB, dont beaucoup en aides à l’exportation. Un tel mécanisme devrait conduire à l’appréciation du Yuan et des produits d’exportation.

Pékin recourt en outre à un système pour «stériliser» ce rééquilibrage naturel du commerce international: il renvoie ses recettes d’export là d’où elles viennent, surtout aux USA, en les plaçant en bons du Trésor. Depuis 5 ans, c’est 1 milliard $ qu’il injecte chaque jour, lui permettant de figer le Yuan au taux de 6,2¥/1US$. En juin, une vague concession n’a abouti qu’à une hausse de 2% sur le US$. Le résultat pour l’euro a été une hausse de 16%. Pire : d’autres pays se mettent à cette pratique, Suisse, Grande-Bretagne et Japon dont le Yen a baissé de 15% sur l’euro.

Aussi à Bruxelles, Jean-Claude Junker (Luxembourg), grand argentier des 27 Etats membres, réclamait du 1er ministre Wen Jiabao une « appréciation du Yuan ordonnée et significative » pour une croissance «plus équilibrée». Or Wen Jiabao, sans surprise, a opposé à ces attentes un refus souriant mais définitif. Pour lui, la hausse de « 25/40% » du ¥uan attendue par l’Union Européenne causerait la mort de trop d’usines chinoises. La meilleure coopération mondiale consisterait à cultiver la «stabilité» des monnaies.

Changeant de sujet, il rappelait aux Européens ses propres vieilles demandes : la fin de l’embargo sur les ventes d’armes, ou l’octroi du statut d’économie de marché qui assurerait enfin à la Chine la disparition de toute protection contre ses exportations vers le vieux continent…

Fait notable, avant d’atterrir à Bruxelles, Wen Jiabao s’était fait des alliés. A Athènes, il ouvrait aux armateurs grecs un fonds de 5MM$ pour financer l’achat de cargos made in China, et promettait l’achat de dette publique grecque, dès l’émission d’obligations. De plus, selon des rumeurs convergentes Nicolas Sarkozy, qui présidera le sommet G20 à Séoul en novembre, aurait reçu l’aval de Pékin sur l’agenda de la réunion. Si le Président français parvient alors à faire adopter par le G20 un instrument de surveillance des «flux erratiques» monétaires, cela lui vaudrait une remontée dans l’opinion publique, précieuse pour lui par les temps qui courent – et ce serait à Pékin qu’il le devrait…

Mais face au contentieux, ces deux alliés potentiels, ne suffiront pas. Le 8ème ASEM, et le 13ème sommet Chine-Union Européenne qui se déroulait en marge, ont abouti au refus frontal des Européens de laisser la Chine (entre autres) leur faire supporter plus longtemps une part inéquitable de la récession.

Or, les USA sont déjà passés à l’acte en votant au Congrès (29/09), en 1ère lecture, des droits compensateurs à l’export chinois. Par ailleurs, contre la manipulation, un autre instrument de défense est dans les langes : l’intervention compensatoire monétaire, par laquelle quand la Chine achète des bons du Trésor, les USA vendent sur le marché un montant identique, éliminant ainsi l’effet «amaigrissant» pour le Yuan. D’autres pays envisagent aussi de ne permettre les achats de dette souveraine que sur base de réciprocité —ce que la Chine refuse…

Pour conclure, on voit évidemment un clash se préparer en novembre à Séoul, Chine contre un Occident inquiété par la stratégie monétaire chinoise et son obstination à la défendre. Or, force est de constater au Sommet climatique de Tianjin la présence du même «égoïsme sacré» de l’Empire du Milieu (cf p.3). A l’évidence, Pékin a choisi l’épreuve de force, ou bien s’y croit contrainte, dos au mur. Mais dans les deux cas, même à moyen terme, cette stratégie est intenable…

 

 


A la loupe : Russie / Chine : mariage blanc pour l’or noir

Pour le Président Medvedev, durant sa visite fin septembre, les relations avec la Chine sont « à leur apogée », en un mariage idéal. 1er producteur de matières 1ères, la Russie vend ses hydrocarbures, et la Chine 1er utilisateur paie en devises, en équipements et en accès en bourse de Hong Kong, où le groupe RusAl, cette année, a drainé 2,2MM$.

Ainsi dès février 2009, Pékin «prêtait» à Moscou 25MM$, remboursables en pétrole, 300Mt de 2011 à 2030 « au prix du marché », via le pipeline sibérien, dont vient de s’ouvrir la bifurcation chinoise vers Daqing (927km).

Avec la CNPC, la compagnie pétrolière nationale, Rosneft vient de négocier la création à Tianjin d’une raffinerie en JV, d’une capacité de 260.000 barils par jour : 70% provenant de Russie. Le contrat actuel en pétrole est de 15Mt (elle en espérait le double) et E. Khudainatov, le PDG de Rosneft, évalue le besoin global chinois à 250Mt/an.

À 5MM$, le complexe ouvrira en 2015, accompagné de 550 stations-service pour Rosneft, qui prétend aussi fournir CNPC en GNL (Gaz Naturel Liquéfié) issu de son gisement de Yurubcheno-Tokhomskoye (Sibérie orientale) – écornant ainsi le monopole de Gazprom sur cette exportation.

La Russie va aussi exporter en Chine 12Mt de houille en 2010, 25% de plus qu’en 2009, et Atomstroyexport et CNNC négocient la création d’une centrale au Jiangsu.

La Chine investit aussi des milliards de US$ dans les mines, les forêts et l’agriculture russe. Mais l’entente a ses limites. Les débats achoppent sur le prix du gaz et si l’accord n’est trouvé en 2011, pas un m3 ne sera livré. En outre, la Chine commande aussi aux ex-satellites de l’URSS, beaucoup trop d’hydrocarbures au goût de Moscou : à lui seul, le Turkménistan vient de signer pour 40MMm3/an de gaz, plus que la totalité des contrats sino-russes. Les industriels chinois déçoivent enfin la Russie, boudant son marché : trouvant de meilleurs profits à faire ailleurs.

Le 4 octobre, l’harmonie officielle sino-russe subit un « couac », du n°1 de l’armée russe en personne, l’amiral Vl. Vysotsky, qui dénonçait l’intensification de la présence navale chinoise en zone arctique.

La marine russe va multiplier ses patrouilles pour y mettre le holà, et ne concédera « pas un pouce » de ces eaux dont il détient 200 milles marins en exploitation exclusive, selon le droit de la mer. Mais il en revendique plus, et tente de se partager l’Arctique avec les quatre autres riverains, USA, Canada, Norvège et Danemark. La Chine guigne des droits de navigation sur cette route future, des droits de pêche et d’exploitation de minerais sous ce pôle Nord réputé renfermer « deux Arabie Saoudite » en hydrocarbures. Alors, le verrou russe, sur l’Eldorado glacé, tiendra-t-il ?

Pas forcément. A en croire E. Bazhankov, académicien russe, Pékin, opportuniste, fait les yeux doux à l’Islande, proche de l’Arctique. Il l’a dépanné en 2008, alors en mauvaise passe bancaire et oubliée par Union Européenne et USA. D’autre part, vu le partenariat stratégique entre Chine et Russie, un arrangement lors des décennies à venir, sur le partage du «gâteau» polaire, semble inéluctable…

 

 

 

 

 

 


Joint-venture : CHERY, PSA : en place pour le quadrille

Chery, le constructeur auto de Wuhu (Anhui), produisait en Russie, Iran, Ukraine, Indonésie, Uruguay, Malaisie, Thaïlande et Égypte.

Il se risque à présent sur sol européen, temple de l’automobile, en signant avec le gouvernement catalan une importante chaîne de montage à Barcelone, pour un investissement de 800M² voire 1MM². Il ouvrira aussi dans la ville son quartier général pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Sur un terrain fourni par la région, le groupe d’Etat, qui produisait 500.000 véhicules en 2009 (mais 380.000 au 1er semestre), compte sortir en Espagne, à partir de 2015, jusqu’à 300.000 voitures, et créer 10.000 emplois (3000 directs) pour les marchés européen et d’Afrique du Nord.

Pendant ce temps, PSA s’étend.

Avec DPCA, la JV avec Dongfeng, une 3ème usine se prépare à Wuhan, pour porter en deux temps la capacité de 450.000 à 750.000. La filiale projette, à terme, la sortie de 12 nouveaux modèles, tous dessinés à Shanghai : effort financier lourd mais indispensable pour occuper en Chine une place conforme à PSA dans le monde.

Tandis qu’avec Chang’An, une JV pour une capacité de 200.000 véhicules/an, attend son homologation. Dans les deux usines, le groupe déploiera sa technologie hybride dernier cri (moteur propre et faible consommation), ainsi qu’une gamme complète de moteurs renouvelés.

 

 


A la loupe : Climat : la Terre tombe de Copenhague en Tianjin

A Tianjin, 3000 experts mondiaux, négociaient du 4 au 9/10, le traité sous l’égide de l’UNFCCC (United Nations Framework Convention on Climate Change), à soumettre à Cancun (Mexique) du 29 novembre au 10 décembre prochains, pour limiter à 2°C le réchauffement climatique moyennant un plafond des émissions de CO2 à 40MMt/an d’ici 2050.

Or, ce sommet s’est achevé en échec, les 190 parties n’ayant su dépasser la dissension de décembre 2010 à Copenhague. Par la faute de la Chine et des USA en permanente bisbille, empêchant toute solution de compromis.

J. Pershing, chef de la délégation US accusa ses homologues Su Wei et Xie Zhenhua de vouloir «renégocier l’acquis de Copenhague», mais ces derniers pointèrent du doigt l’« échec » des Etats-Unis, dans leur prétention à piloter la planète verte. Chose d’autant plus facile à faire, que le Congrès américain, depuis Copenhague, n’a toujours pas voté la timide loi climatique d’Obama – laquelle se contente de prévoir un plafond d’émissions à peu près au niveau actuel. Pire, sur les 30MM$ promis aux pays en voie de développement d’ici 2012 par les pays riches, rien n’est venu, et une partie de ces crédits est soupçonnée d’émaner d’aides anciennes.

Face à cet apparent manque d’ardeur du Nord à assumer ses devoirs, les pays du Sud expriment leur manque de confiance, et la Chine joue l’intransigeance, forte de la crédibilité des actions entreprises sur son sol : rien qu’en 2009, elle a investi 34MM$ en énergies renouvelables, presque le double des USA, et déploie partout ses TGV (1er réseau mondial) et «éco-cités».

Bizarrement Su Wei affirme qu’entre Chine et USA, « la coopération climatique va très bien » : propos que l’on peut lire de plusieurs manières. Car vue de l’extérieur, leur guéguerre, en paralysant toute discipline mondiale, préserve leur liberté d’émissions, lesquelles entre les deux géants, frisent 50% du total dans l’atmosphère.

Durant ces six jours, la Chine intéressée à protéger sa liberté industrielle, fit du blocage.

Elle bloqua le projet de quotas contraignants pour les nations, y compris par secteur, en transports maritimes par exemple. Elle refusa toute distinction entre pays pauvres et émergents, ce qui permettrait d’imposer des quotas à ces derniers. Elle bloqua comme « prématurée » la rédaction d’une liste des « tâches à faire » avant Cancun, et refusa de se compter parmi les donneurs au fonds pour les pays démunis…

Dans ce climat tendu, les modérés se retrouvèrent marginalisés. L’Union Européenne ne « comprenait pas » cette stratégie contraire aux intérêts des populations. Le Japon prévint que faute d’un accord intégrant les deux grands pollueurs, il se retirerait de la convention de Kyoto, dont les pays signataires, ne contrôlent que 28% du CO2 mondial, et « de moins en moins à l’avenir »…

Entretemps (7-9/10) à Pékin, à l’observatoire de l’ambassade US (iphone.bjair.info/), l’air restait en classe rouge, « dangereux ». De même selon une étude du WWF (World Wild Fund for Nature), la Terre franchirait dès 2020 de 20% le plafond des 40MMt visé pour 2050. Autant de signaux pour la Chine, qui pourraient l’inspirer à changer vers plus d’engagement…

Mais pas tout de suite. La Chine, sur ce dossier, ne bougera pas avant les Etats-Unis, qui portent désormais sur leur dos une écrasante responsabilité : l’avenir de la coopération climatique !

 

 


Pol : Japon / Chine, la reprise

La tension depuis le 7/09, autour de l’archipel Senkaku/Diaoyu (sous contrôle nippon, revendiqué par la Chine) incita Naoto Kan, le 1er ministre japonais à venir en personne au sommet de l’ASEM à Bruxelles. Par un «hasard» bien fait, le 5/10 il « tomba sur » Wen Jiabao, dans les couloirs : les deux hommes « bavardèrent » 25 minutes, en présence des seuls interprètes.

Tacitement, ils évitèrent les questions qui fâchent, l’exigence mutuelle d’« excuses » ou « dommages ». Après le rituel rappel de leurs revendications territoriales, ils passèrent aux choses sérieuses, estimant le dérapage récent et la tension présente «indésirables».

Pour remettre sur ses rails la relation « mutuellement bénéficiaire », le temps était prématuré. Ils convinrent de reprendre « à un moment opportun » des « rencontres régulières ». La prochaine étant fixée à Hanoi cette semaine, lors du sommet « défense » des pays de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est), dont le sujet n°1 n’est autre que… le modus vivendi en Mer de Chine !

Parmi d’autres sujets, les leaders négocièrent la libération sous caution de l’employé japonais de Fujita, (8/10), soupçonné d’espionnage depuis fin septembre; le gisement off-shore Chunxiao /Shirabaka dont la Cnooc (China National Off-shore Oil Corporation) prépare l’exploitation en pleines eaux médianes, au potentiel évident d’une autre forte crise.

Et c’est ainsi qu’après un mois de tensions hors contrôle, qui s’envenimaient, faute de meneur de jeu dans les deux camps, les contacts ont été repris, entre voisins partenaires et rivaux, sans qu’aucun ne perde la face.

 

 


Temps fort : Liu Xiaobo Nobelisé

La Chine fut prompte à réagir à l’octroi du prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo (8/10).

Après 5 minutes de direct sur CNN et BBC (pour la poignée d’étrangers raccordés), les écrans virèrent au noir, exprimant le désarroi du régime. Car en juin à Olso, la vice ministre des affaires étrangères, Fu Ying avait discrètement signifié son désaccord. La semaine passée encore, un porte-parole rappelait qu’un tel vote discréditerait l’institution. Après toutes ces mises en garde, la sélection de Liu est pour Pékin une perte de face. Il devra expliquer à son opinion pourquoi un «criminel» incarcéré à Jinzhou (Liaoning) reçoit la plus haute distinction du monde. Fait rarissime, juste après l’annonce, l’Etat exprimait son sentiment «à chaud» sur cette distinction : un «blasphème».

Mais qui est Liu Xiaobo? Sous une apparence simple et humble, une personnalité forte et hors du commun. Dès 1989, jeune professeur d’université, il jouait un rôle moteur au printemps de Pékin puis négociait, la nuit du 3/06, le départ, sains et saufs, de centaines d’étudiants, de la place Tian An Men. Ce qui lui valut 18 mois de prison sans jugement. Ils ne le découragèrent pas de parler : de 1996 à 1999, il reprenait trois ans de prison pour avoir défendu des jeunes condamnés suite aux mêmes événements.

Radié de l’enseignement et interdit de publication, il reprenait la place de Président du Pen Club local et multipliait ses écrits politiques, obtenant plusieurs prix à l’étranger.

Puis venait en 2008, l’actuel emprisonnement, suite à sa plus audacieuse action. Avec 303 compagnons, Liu rédigeait une Charte 2008, inspirée de la charte’77 de V. Havel, qui proposait au régime un passage à la démocratie avec élections multipartites, fin de la censure et séparation des pouvoirs. Dans les semaines suivantes, elle obtenait 10.000 signatures de soutien : c’en était trop, et Liu écopait de 11 ans de prison pour « subversion ».

A peine connue le 8/10, la nouvelle du Nobel se propagea en Chine à la vitesse de l’éclair, via Twitter et par texto, dans les métros et trains, provoquant d’innombrables commentaires de joie et surprise.

Liu Xia, la compagne de Liu, remerciait le jury, Oslo et même Havel et le Dalai Lama (!). Très parlante, cette spontanéité montre la maturation des esprits en 10 ans : la fin de la peur, et la conscience croissante des droits du citoyen. Baotong, « pape » de la dissidence chinoise (ancien secrétaire de Zhao Ziyang, l’inspirateur de la réforme de Deng Xiaoping) affirma : « C’est un encouragement du monde libre aux citoyens chinois, qui va renforcer l’appel à la réforme politique au sein de la société civile ».

Une autre grande figure, l’artiste Ai Weiwei fit ces commentaires très forts, peut-être prophétiques: « cela fait 60 ans que ce pouvoir refuse de nous écouter… C’est un gouvernement composé de gens qui refusent d’être rationnels. Mais ils doivent aujourd’hui réaliser que la population ne tient plus compte de ce qu’ils pensent ».

Enfin certains, dans la frange dure du régime, doivent regretter d’avoir fait condamner Liu. Car désormais, les pressions internes et extérieures vont s’accumuler pour réclamer sa libération. Et quand il sortira, cet homme comptera parmi les rares personnalités d’envergure, non compromises, capables à l’avenir de jouer un rôle d’alternance. Et cette figure indépendante, c’est le système qui l’aura générée.

 

 


Petit Peuple : Zhengzhou – Après la maison-clou, l’homme-taupe

A Zhengzhou (Henan), Chen Xinnian, mineur à la retraite, habite avec les siens dans une courée surpeuplée et délitée, sans gouttière ni toit digne de ce nom, aux fenêtres de fer rouillé.

Seul luxe du lieu, le jardin ouvrier est depuis belle lurette squatté par de hideux cabanons de briques de récupération : les soupentes, poulaillers et dortoirs d’été des voisins. Car dans cette région où surpopulation rime avec promiscuité, on s’est accoutumé de longue date à vivre à l’étroit. Chen, sur ses 35m², doit loger en plus de son épouse, sa fille, son gendre et leur fillette qui ne fait que grandir (la bougresse !), sans se rendre compte qu’on ne peut repousser les murs davantage… Même en ses rêves les plus fous, aux 5000¥/m² du prix du marché, Chen ne pouvait rêver d’acheter un appartement : pas avec leur retraite cumulée de 2000¥…

C’est en 2007 que le néo-pensionné s’est mis à creuser le sol derrière la maisonnette. Par ces 1ers coups de pioches, il lançait un plan médité depuis des ans sous les lanternes glauques de sa mine de Pingdingshan : se créer un logis sous terre, seul, sans rien devoir à personne, autonome, comme le recommandait Mao Zedong…

Chen se gardait de l’avouer, mais explorer les profondeurs de la terre avait aussi quelque chose de délicieusement dissident: un travail de sapeur, une façon lente et cachée, sereine mais irréprochable d’exhaler sa colère envers cet ordre social qui le laissait dans une quasi-indigence.

Il s’y est donc mis, à son rythme, pelletant, dégageant les seaux de bonne terre au jardin qui, ainsi amendé, récompensa dès l’an suivant son effort par une profusion de tomates, oignons, aubergines, pivoines et chrysanthèmes. A 5h par jour, il tailla l’escalier, puis arrivé à -6m, le couloir de 70cm de large. Puis la salle, dotée de murs porteurs maçonnés, et de deux bouches d’aération. Faut-il le préciser ? Il travaillait sans plans -comme une taupe.

Au début, Liu Shula, sa femme n’en sut rien. Quand il s’était ouvert du projet auprès d’elle, elle s’y était opposée avec véhémence, redoutant les risques d’éboulement, et de colère d’une république veillant jalousement au respect de sa propriété constitutionnelle du sous-sol. Mais c’était mal connaître Chen. Chaque jour pour regagner son chantier secret, il prétextait une raison nouvelle, « sortie chez l’ami Wang»,«achat du journal»… De la sorte, il avait creusé en douce assez profond pour la mettre devant le fait accompli. Puis comme elle ne voyait rien de grave arriver, elle le secondait, en fidèle moitié.

Le résultat fut une salle de 9m², de guingois et pas vraiment jolie mais bien pratique en été, du fait de sa stabilité thermique. Un souci apparut bientôt. Les trombes de l’été 2010 inondèrent tant la cave d’une mare de 30cm d’eau, qu’il fallut écoper avant qu’elle ne sape les parois-après avoir irrémédiablement gâté meubles et tissus.

Un autre risque s’était matérialisé dès 2008 en la personne d’un inspecteur, puis d’autres ronds de cuir qui vinrent objecter moins au squat du sous-sol, qu’à l’irrespect de toute norme. Intimidé, le vieux fou avait fini par ralentir puis interrompre les travaux, tirant une croix sur ses rêves de T3.  

Bonne fille cependant, la mairie ferme les yeux. Elle leur a même offert une allocation, et inscrit en liste d’attente d’un logement social. Elle l’a fait moins par altruisme que par crainte de mauvaise publicité. La presse à son tour a eu vent de Chen le foreur d’appartement. En bon limier, elle a humé le potentiel de popularité de cet «homme-taupe», succédant au couple de la «maison-clou» de Chongqing (2007), qui tenait obstinément tête aux armées de démolisseurs pour protéger leur masure. Chen était le dernier avatar d’un Robin des Bois chinois, en lutte contre les cadres indélicats et les milliardaires fonciers pour son droit au logement.

Et c’est ainsi que perdant sa guerre matérielle, Chen la gagne dans le domaine spirituel. Face à sa bonne fortune, à son éphémère statut de « star pauvre » (comme il aime se décrire lui-même), des voisins le jalousent. D’autres se réjouissent de bon coeur, que soit récompensé son risque pris à coups de pioche : pour s’être « inventé sous l’aiguillon de la nécessité », un nouveau destin (qíng jí zhì shēng, 情急智生).

 

 


Rendez-vous : A Pékin, du 15 au 18 oct. Session plénière du Comité Central du PCC

12-15 octobre Shenyang : CMEF, Salon des équipements médicaux

13-15 oct. Shanghai : SIDR, Salon prévention des catastrophes, et des urgences

13-16 oct. Shanghai : Salon de la décoration intérieure

15-17 oct. Dalian : Salons Hotelex et asiatique du tourisme

15 oct – 4 novembre : Foire de Canton

15-18 oct. Pékin : Session plénière du Comité Central du PCC