Le Vent de la Chine Numéro 3

du 25 au 31 janvier 2010

Editorial : La Chine sous le vent, toutes voiles dehors

Avec 8,7% de croissance en 2009, la Chine se déclare le «1er pays sorti de la crise». Ce qui n’empêche en même temps ses leaders, de Wu Bangguo, Président du Parlement (ANP) à Wen Jiabao, 1er ministre, de s’interroger: comment passer à un modèle de croissance durable, et vite ?

Il faut dire, l’alerte est chaude. Tous les indicateurs virent au rouge clignotant. De 8,9% au 3ème trimestre 2009, la croissance s’emballe, 10,7% en décembre, 12% attendus en janvier. Dernière locomotive de la croissance, l’immobilier explose (en 2009, +16,1% d’investissements), mais trop cher, il laisse en plan jeunes et migrants.

En même temps s’accélère la course aux excédents (montagnes d’acier équivalant à 27% du produit mondial, de ciment à 40%). Spéculant sur un ¥ à la hausse, des monceaux d’argent chaud rentrent clandestinement: 48,7MM$ en décembre, 30MM$ par mois d’ici juin… Nourrie par la surproduction, l’inflation atteindrait 5% en juin, 8% fin 2010. Autant de symptômes de surchauffe à moyen terme.

Tout ceci force le Conseil d’Etat à resserrer le crédit—en souplesse. Repli déjà sensible dans l’action de la Banque centrale qui hausse (19/01) le taux du prêt d’1 an à 1,9264%, plus haut taux en 14 mois, et celui du prêt à 3 mois à 1,4088% (21/01). La poursuite de cette logique « anti-bulle », devrait être l’appréciation du yuan, dans l’année…

Le refroidissement de l’immobilier et la stabilisation des prix agricoles sont déjà engagés. Le tandem Hu-Wen veut retourner à sa priorité des années 2003-2008, la reconstruction des systèmes de santé et d’éducation et du logement social, afin de relancer le marché intérieur. A en croire un rapport du Fonds monétaire international (FMI), de tels investissements sociaux seraient le plus court chemin pour y parvenir: 1% du PIB investi dans la santé libère 2% de PIB bloqué en épargne, créant au total, 3% de points de croissance…

NB : Enfin, il ne faut pas nier qu’une telle rupture de principes économiques intangibles depuis 50 ans, implique la remise en cause partielle du monopole du Parti, espérée à la base mais refusée au sommet et dans les lobbies : les groupes d’ Etat étant pour l’appareil une source irremplaçable de profit: telle est la contradiction du projet, qui laisse peser des doutes non sur la volonté, mais sur la capacité du leadership à le mettre en branle avant le XVIII Congrès de 2012 .

Le 13/01, Google, lâchait une bombe, accusant la Chine d’avoir hacké son site en décembre, et menaçant de fermer si on ne l’autorisait pas à travailler hors censure. S’ensuivirent alors huit jours de silence malaisé, où les deux parties négociaient.

Pris de court, Pékin prétendit d’abord traiter l’affaire en«conflit commercial» et éviter tout dérapage politique avec les USA. Il tenta de vendre l’idée du hacking, «phénomène fatal, universel et inévitable, venu de nulle part et partout à la fois » dont lui-même serait aussi victime.

En même temps, il sondait discrètement des bloggeurs chinois, en quête de compromis permettant de concilier respect de sa censure, et maintien sur son sol de Google, alors plébiscité par sa jeune clientèle locale. Clairement, Pékin était prêt à des sacrifices pour éviter le pire.

Et puis vint l’inévitable. Le 21/01 Eric Schmidt, Président de Google rappelle le compte à rebours. Son groupe «ne veut pas partir», mais pas non plus revenir sur sa demande: il débranchera la censure de Google.cn «assez bientôt». Le même jour, Hillary Clinton, en un discours flamboyant, affirme que « des pays s’opposant à la liberté de l’information sont une menace au bien-être mondial ».

Dès le 23/01, dans sa presse officielle, la Chine riposte en légitimant sa censure, comme défense contre le flux «inégal» et «antidémocratique» des media de l’Ouest. Selon le sondage de Huanqiu.com, 81% des Chinois lui interdiraient de céder aux demandes de Google, et à «l’impérialisme de l’information» (sic). Dans ces conditions, une fin abrupte semble inévitable.

NB: On ne peut que noter à ce stade, une radicalisation des rapports sino-américains, et de la Chine elle-même, perceptible en fait depuis le sommet climatique de Copenhague, où elle s’est montrée sous une ligne dure. On doit aussi se surprendre de la différence d’ouverture suivant le dossier traité. En politique, aucun compromis n’est tenté : peut-être indice d’une secrète guerre de succession qui ferait rage derrière les murs de Zhong Nan Hai. Tandis qu’en économie, Wen Jiabao et le Président Hu Jintao, en pleins préparatifs du XII. Plan (2011-2015) invitent un panel d’économistes de calibre mondial, pour en écouter les conseils… Comme si, de cette assistance, la Chine avait toujours besoin—plus que jamais, en temps de crise !

 

 


A la loupe : Une nouvelle campagne anti-corruption

Plus une journée ne se lève en Chine, sans éclatement d’affaires de corruption. Elles dégénèrent parfois en cri-mes de sang, comme celle de Hewan (Jiangsu) dont le chef du Parti Sun Xiaojun est interpellé le 19/01, suite à la rixe entre 200 hommes de main et les paysans qui défendaient 20ha de la spoliation. Sun leur avait déjà confisqué les 9/10ème du terroir communal. Un jeune (22 ans) était mort ce jour-là, un autre gravement blessé.

Le 20/01, la peine capitale imposée à Zhang Xuping cause presque l’émeute à Xiashuixi (Shanxi) : après avoir poignardé pour 1000¥ de prime Li Shiming, le chef du Parti détesté, ce jeune de 19 ans passait pour un héros, et les paysans reprochent au pouvoir d’avoir si longtemps couvert les exactions de leur tyran.

On voit aussi beaucoup de délits en col blanc. Le 19/01, Chen Shaoyong, 54 ans, chef du Parti du Fujian de 1992 à 2008 prend la perpétuité pour 0,8M² de bakchich amassés dans l’intervalle et un style de vie «violant sérieusement la discipline du Parti». Huang Songyou, 53 ans, ex-Vice Prsdt de la Cour Suprême, écope de la même peine, pour 0,4M².

Les milieux d’affaires ne sont pas épargnés. Parmi les cas sous les feux de la rampe : ‘ Zhang Chunjiang (50 ans), ex-n°2 à China Mobile est sous enquête pour fraude comptable portant sur 2MM² chez China Netcom, du temps où il en était n°1. – Kang Rixin (56 ans), ex-CEO de la CNNC (China National Nuclear Corporation) est destitué pour «irrégularités» portant sur 180M². – Wang Yi (52 ans), ex-n°2 de la tutelle CSRC (China Securities Regulatory Commission), puis de la banque CDB (China development Bank), a avoué avoir empoché 1M²…

On ne peut qu’être frappé par la jeunesse relative de ces hommes, qui perdent tout : liberté, réputation et confort, carte du Parti, leur carrière d’étoile filante

Hu Jintao a en personne a lancé une campagne nationale le 12/01, en promettant à tout cadre corrompu les rigueurs de la loi et de la 纪律稽查 jilüjiancha (police du Parti). Dans ce cadre, 17 ministères ouvrent un bureau de liaison pour traquer les coupables. La justice fait l’objet d’une attention spéciale : tout tribunal est désormais censé compter un «superviseur anti-corruption», et la juge Chen Yanping, du Jiangsu est citée comme exemple à « étudier » pour ses 14 ans de carrière intègre.

NB: la dérive hyperbolique de la corruption en Chine résulte de plusieurs facteurs :

[1] Toujours plus de lois entrent en vigueur, limitant l’arbitraire des cadres et permettant une hausse des arrestations.

[2] Conscients de la fin d’un âge d’or pour leur caste, toujours plus de cadres entament la course à la richesse, contre la montre.

[3] La promotion des cadres à l’ancienneté plutôt que sur concours est une faiblesse du système.

[4] Le Parti communiste chinois récuse le modèle de l’ICAC (Independent Commission against corruption) qui a vaincu la corruption à Hong Kong par l’association d’une presse et d’une justice indépendantes.

Enfin en 2010, le Parti croit toujours à la “moralité supérieure” de ses membres, et à sa capacité à contenir les dérapages à un taux acceptable. Son échec se lit dans l’exaspération de la population face à ce chancre, qu’elle place en n°1 parmi ses fléaux quotidiens.

 

 


A la loupe : Chine et Taiwan, à Port au Prince – rivalité de générosité

De force 7.3 à l’échelle de Richter, d’une gravité extrême, (75 à 200.000 morts) le séisme de Haïti, le 12/01, n’a pas suscité de bataille diplomatique immédiate entre Chine et Taiwan. Quoique Haïti soit un des 18 derniers pays reconnaissant l’île nationaliste. Chine et Taiwan ont travaillé sans retard aux premiers secours, chacune de leur côté. La Chine a bien offert à Taiwan de combiner leurs efforts: offre « déclinée courtoisement », sans pour autant fermer les portes pour l’avenir.

La présence de la Chine s’est voulue spectaculaire, déployant ses drapeaux rouges au dessus de son site chirurgical. Cela n’empêche son action de se montrer efficace, forte de l’expérience acquise durant le tremblement de terre du Sichuan de mai 2008. Un 1er avion atterrissait le 17/01, débarquant pour 2M$ de tentes, couchages, vivres et purificateurs d’eau, ainsi que 60 volontaires, sauveteurs et médecins, qui 48h plus tard, avaient pratiqué 200 interventions lourdes (fractures, amputations), en coopération avec les équipes de France et des USA. Les secouristes faisaient leur jonction avec leurs 117 concitoyens Casques bleus sur place. Une des 1ères tâches, sur les ruines du complexe de l’ONU, serait d’extraire les corps de huit compagnons décédés (rapatriés, inhumés en Chine en héros nationaux), et de cinq membres de l’ONU. Une de ces Casques bleus, Wang Xueyan, 39 ans, avait dégagé à la main cinq survivants des débris…

Au début, la Chine a promis pour 4,4M$ d’aides.

Taiwan fit légèrement davantage, envoyant 2 avions et pour 5M$ d’aides d’urgence. Bien moins pourtant que les 60M$ offerts à la Chine lors du séisme du Sichuan, mais cette aide d’Etat se trouve complétée par l’action de Tsu Chi, la puissante oeuvre bouddhiste qui dépêchait un avion spécial sur place et préparait à étapes forcées l’envoi de 400.000 rations de riz instantané, de soupes de maïs, 20.000 couvertures et autres équipements.

La capacité d’aide à Port au Prince est paralysée par des infrastructures débordées : cette population désespérée souffrant d’un fort taux de délinquance, sans parler des carences en hôpitaux, routes et carburant.

Si Pékin n’a pas encore tenté d’obtenir d’Haïti le changement d’alliance, c’est d’abord du fait d’un armistice diplomatique entre les deux rivages du détroit de Formose, suite à l’élection du Président Ma Ying-jeou, 20 mois plus tôt. C’est aussi au nom du souvenir du séisme du Sichuan, où le monde vint prêter assistance à la Chine, qui veut aujourd’hui faire preuve du même altruisme.

Mais entre Chine et Taiwan, les considérations partisanes ne restent jamais éloignées: Pékin vient d’annoncer un chèque de sa Croix Rouge et une aide totale portée à 8M$ -trois de plus que Taiwan. Son 2d avion doit atterrir le 26/01 : la même date, croit-on savoir, que celle de l’arrivée du taïwanais Ma Ying-jeou à Saint Domingue, capitale de la République Dominicaine se partageant avec Haïti le territoire de l’île d’Hispaniola. Ma doit rencontrer son homologue René Préval, et lui annoncer sa nouvelle aide, incluant à tout le moins, l’éponge sur les 90M$ de dettes haïtiennes envers l’île, et des actions de reconstruction.

Qui dit mieux ?

 

 


Argent : le GPS chinois Beidou arrive

Une fusée Long-March 3III décollait le 17/01 à Xichang (Sichuan), emportant un satellite géostationnaire du système Compass (ou 北斗, Beidou). Beidou doit offrir au monde un positionnement géostationnaire gratuit, rival du GPS ou de l’européen Galileo, et des milliers d’applications commerciales basées sur ce service. C’est un symbole de l’émergence technologique du pays. Mais l’émergence est lente: seuls trois satellites ont été mis sur orbite en 10 ans, supposant une accélération du programme afin d’atteindre les 35 satellites nécessaires d’ici 2030, date prévue de l’entrée en service.

Une raison au retard, pourrait être la technologie. Sept minutes après le lancement, autour de Jiucang (Guizhou), 100.000 habitants étaient en alerte et 2000 réquisitionnés pour récupérer les débris retombés du 1er étage, de la fusée, contaminés au dimethylhydrazine, carburant polluant et cancérigène abandonné depuis 10 à 20 ans par les autres puissances spatiales.

NB: la Chine travaille à une double solution, un nouveau lanceur à hydrogène et une 4ème base à Hainan, qui permettra aux débris de retomber en mer tout en réduisant les besoins en propulsion par la proximité à l’Équateur. Mais pour ces progrès, il faudra attendre 2014.

 

 


Pol : Les papas payés pour langer

Depuis sa désignation comme ZES (Zone économique spéciale), Shenzhen (voisine de Hong Kong) est en Chine le laboratoire des progrès sociaux, qu’elle s’octroie grâce à ses pouvoirs législatifs spéciaux.

Juste publié par la Fédération locale des femmes, son projet de loi sur l’égalité des sexes va faire date—si l’assemblée locale l’adopte comme prévu dans l’année. La future loi protège précisément la femme contre harcèlement et discrimination sexuelle au travail, impose une mise à jour de la pension pour compenser sa retraite conq ans plus tôt que l’homme, et indique les devoirs du tribunal, pour protéger les femmes battues. Pour la 1ère fois en Chine, cette loi offre aussi aux jeunes papas un congé parental d’un mois payé, pour assister le foyer dans le bouleversement de l’arrivée de bébé-roi. Jusqu’à présent, de très rares villes ou province offraient jusqu’à 10 jours, conditionnels au respect du planning familial.

Ailleurs, l’Ecole du Parti propose que ces congés paternels soient consignés dans la future loi (nationale) de l’assurance sociale, comme un droit social et une obligation de l’employeur.

NB: en attendant, à Shenzhen frappée de plein fouet par les départs d’usine vers la Chine du Centre, ce type de protection sociale avancée peut être un atout d’avenir pour attirer sur place les jeunes cerveaux : un passage à une autre étape…

 

 


Temps fort : Japon et Chine, entre hiver et printemps

L’arrivée en septembre 2009 de Yukio Hatoyama, Secrétaire Général du Parti démocratique du Japon, au poste de 1er ministre, a remis sur ses rails la normalisation avec la Chine. Ce qui n’empêche les incidents de s’accumuler, exacerbés par la crise et le poids du passé. Le 17/01, Katsuya Okada et Yang Jiechi, ministres des affaires étrangères, se rencontraient à Tokyo pour faire le point de contentieux et projets, espoirs et soucis.

1er souci, l’exploitation imminente par la CNOOC (China National Off-shore Oil Corporation) du gaz sous-marin de Chunxiao: «viol de l’entente de 2008», disent les Japonais qui croyaient avoir convenu avec Pékin de partager l’exploitation du gisement mitoyen, tandis que les Chinois rappellent que le lieu d’où ils forent, est dans leurs eaux territoriales. Le débat semble vain, vu la faiblesse des réserves estimées, 92Mm3. Mais si la Chine va de l’avant, Tokyo l’avertit d’«actions en retour». L’enjeu étant le partage de gisements à découvrir dans la zone à l’avenir. Sur le fond (si l’on peut dire), Pékin s’appuie sur la définition de la démarcation par la Convention du Droit de la mer (qui l’avantage), à savoir «l’extension naturelle du plateau continental». Le Japon défend le principe opposé, celui de la ligne médiane.

2 ième différend : sur l’îlot de Okinotori, à 2000km plus au sud, Tokyo a investi 300M$ dans des digues autour du site et un phare inhabité. Le 18/01, la Diète (son Parlement) entamait l’étude d’un projet de loi « sur la protection des îles éloignées ». Tout cela est rejeté par la Chine qui refuse d’appeler Okinotori une île, lui préférant le terme d’«atoll de 10m²». C’est que les implications sont lourdes, en terme de ressources d’avenir (hydrocarbures, nodules polymétalliques). Si le Japon fait reconnaître ce statut d’île, il héritera de 400.000km² de ZEE Zone Economique exclusive (maritime), et d’un plateau continental de 740.000km². Clairement, pour s’entendre, les deux pays devront confronter experts et diplomates durant des années, et les temps ne sont pas murs.

Un 3ième litige se dégonfle: après en avoir soupesé l’éventualité, Tokyo renonce à s’associer au projet du G7 financier (les 5-6/02 à Iqaluit, Canada) de réclamer à la Chine plus de flexibilité sur le ¥uan. Le Japon peut se dire que ce combat n’en vaut pas la chandelle, puisque Pékin semble proche de réévaluer de toute manière (voir notre éditorial). Tokyo réagit aussi aux prouesses commerciales de son voisin, nouveau second exportateur alors que le Japon n’est plus que 4ème. De janvier à octobre 2009, 13% de l’export nippon partait aux USA contre 20% à la Chine, acteur premier de la reprise japonaise, et partenaire qu’il convient de ménager plus que jamais !

Aussi malgré toutes ces anicroches, la tendance est à l’embellie. De source nippone, le gouvernement propose à Hatoyama de se rendre à Nankin (en marge de l’Exposition Universelle de Shanghai ?) pour y présenter des excuses «sans ambiguïté» pour le massacre de 1937. Suite à quoi Hu Jintao viendrait à Hiroshima le 15 août, 65ième anniversaire de la reddition japonaise, rappeler la position chinoise pacifiste, sur l’usage de l’arme nucléaire. Ni confirmé ni infirmé, cet échange de visites est évidemment dans l’air du temps.

Enfin, Chine et Japon se découvrent un nouvel intérêt commun. A Okinawa, on vit mal la présence d’une base américaine, qui doit changer de site mais non quitter l’île. Pékin bien sûr, serait prête à bien des sacrifices pour les aider à faire repartir l’encombrant allié. A tout le moins, une opportunité se présente aujourd’hui pour la Chine. A condition d’en payer le prix, en rassurant le Japon, et toute l’Asie, sur ses ambitions militaires…

 

 


Petit Peuple : Pékin—Yayuncun : la guerre du clou

Avant les Jeux Olympiques de Pékin en 2008, Qin Rong, petite femme pleine d’énergie, ouvrait à Pékin, dans le quartier Yayuncun, le Palais du poisson, modeste restaurant sichuanais. Tant que durèrent les Jeux, ce fut l’aubaine. Mais rien n’allait plus, une fois repartis les touristes et éclatée la récession. Le pire advint un an plus tard, quand un huissier s’en vint placarder à la vitrine, une injonction à plier casseroles et bagages sous 60 jours : leur pâté de maisons cédait la place à un de ces mall de béton, éternellement déserts, qui fleurissent chaque année par centaines dans les villes de Chine… Avec Zhong Boxin, son compagnon, Qin Rong était expropriée.

C’était le coup dur. En équipement et décoration de leur petite affaire, ils avaient payé 50.000². Or en dédommagement, New Olympic le promoteur offrait royalement 3500² : pas assez pour rouvrir ailleurs!

Qing Rong, une battante, ne se tint pas pour battue. New Olympic avait les moyens, elle le savait. Aux enchères, il venait d’emporter le quartier pour 70M² que lui prêtaient les banques, avec pour seule astreinte de céder une bande de terrain pour un axe nouveau. Qin Rong savait aussi que New Olympic et le propriétaire n’étaient qu’un seul et même groupe, embusqué dans la nébuleuse de la mairie. En 2008, le propriétaire lui avait fait signer pour 3 ans, tout en sachant qu’il les mettait à la rue un an plus tard. En ces conditions, elle n’avait pas à hésiter : si new New Olympic voulait son terrain, il devrait payer, jusqu’au dernier sou.

Par ce choix de se mettre hors la loi (une loi faite par et pour les puissants), Qing Rong entrait dans une dissidence d’un genre très récent, dite 钉子(dingzi) ou « clou », par analogie avec ces bouts de fer dans une vieille planche, qui empêchent de la récupérer.

Au départ, les chances semblaient diaphanes. Ruinés mais intimidés, 90% des riverains avaient plié bagage. Fin novembre, seules six gargotes résistaient encore, à qui la ville avait fait couper eau, électricité et chauffage, confiant dans la capacité du « général hiver » à briser la détermination des empêcheurs de spolier en rond.

C’est alors que contre les rebelles, le promoteur lança ses hommes de mains. S’ensuivit une drôle de guerre aux règles floues, no man’s land juridique. Prenant d’assaut les rares bâtisses encore debout, les cogneurs traînaient les occupants, les déposant au froid sur cette friche lunaire pour faire place nette aux démolisseurs. Pour résister, les assiégés sonnaient le tocsin, contrattaquant en milices.

Début décembre, Qin Rong eut l’idée qui gagne. Par internet, elle se mit à son tour à recruter des mercenaires. Contre toute attente, il s’en présenta des cohortes, moins animées par l’appât du gain que par celui de revanche. Parmi la 10aine de candidats sérieux, elle en choisit deux aux qualités hors du commun. Ingénieur électronicien de 59 ans, Xu Da était champion des actions en justice et ne vivait plus que pour en découdre avec la pieuvre shanghaienne qui l’avait expulsé en 2005. L’air bonasse, queue de cheval en bataille, Lu Daren, 46 ans, connaissait bien le camp d’en face, dont il était transfuge : Encore en 2008, il était chef-casseur, cognant pour le compte des promoteurs, jusqu’au jour où une femme qu’il venait de vider s’était suicidée devant lui sous les chenilles d’un bulldozer. Depuis, il cherchait à se racheter en mettant ses muscles au service des opprimés.

Avec de tels hommes la partie redevenait égale. La nuit du 22/12, suite à une charge des videurs, Lu Daren se jeta sur leur bus et planta dans le pare-brise son étendard qui affichait que «mourir en gloire, c’est vivre en grand» : les 60 agresseurs s’enfuirent à toutes jam-bes, sous les yeux de la police qui s’excusait platement de «rester neutre, incompétente dans ce conflit commercial».

Imprévue, cette résistance frappa, suivie d’heure en heure par des millions de Chinois, à coup de SMS et de Twitter. D’heure en heure, Qin Rong et sa troupe virent croître à rythme exponentiel leur réputation de Robin des Bois chinois des temps modernes, tandis qu’en haut lieu, on se grattait la tête.

Six jours plus tard, le 28/12, New Olympic capitulait. Devant avocats, la jeune femme recevait un chèque secret (confortable), et laissait son bouiboui aux pics des démolisseurs, auréolée de gloire pour n’avoir jamais «tourné casaque avant les Monts du Sud, ni perdu courage avant le Fleuve Jaune » : 不撞南山不回头 不到黄河心不死‘ ,  zhuàng nán shān bù huí tóu, bú dào huáng hé xīn bù sǐ !

 

 


Rendez-vous : Sommet de Davos en Suisse du 27 au 31 janvier

27-31 janvier : 40. ième Sommet de Davos (Suisse), World Economic Forum, autour du thème : « Rethink, Redesign, Rebuild » Parmi les chefs d’Etat et de gouvernement présents : le Président français Nicolas Sarkozy (discours d’ouverture), le Vice 1er chinois Li Keqiang.