Le Vent de la Chine Numéro 28

du 5 au 11 septembre 2010

Editorial : Parti Communiste Chinois—Lézardes et vieilles recettes

Est-il juste de détecter, comme le fait le politologue Willy Lam, une fissure dans le tandem Hu Jintao/ Wen Jiabao ?

A moins de deux ans du XVIII. Congrès du Parti Communiste Chinois qui sonnera pour eux l’heure de la retraite, ces hommes de 68 ans tiennent des propos parfois dissonants. Wen Jiabao ne perd pas une chance de soutenir  la  réforme  politique, comme à Shenzhen (cf VdlC n°27) où il avertit contre tout retour en arrière. Hu Jintao n’en dit mot, mais se retranche dans la diplomatie, et dans un pilotage obsolète de l’appareil. Secondé par le chef de l’idéologie Li Changchun et celui de la propagande Liu Yunshan, il s’efforce de revivifier le Parti par des campagnes de «sinisation et popularisation du marxisme». Il  voudrait aussi que Wen Jiabao cède les rênes de l’économie à son dauphin Li Keqiang, pressenti 1er ministre en 2012. Wen ne veut rien savoir, préférant en la matière s’appuyer sur son propre protégé Wang Qishan, Vice Premier.

Et c’est alors que remontent d’insolites rumeurs : Xi Jinping et Li Keqiang, le tandem «de 6ième génération» désigné dès 2008, semblent soudain tous deux broncher devant l’obstacle.

[1] En 2009 à la surprise générale, Xi Jinping, futur n°1 n’avait pas été promu n°2 de la Commission militaire ccentrale, quoique son prochain poste de chef suprême inclue la direction de l’APL, l’armée chinoise. Selon la rumeur qui sourd à présent, cela n’aurait pas été suite au barrage de Hu Jintao (pour redonner l’avantage à Li Keqiang dans la course au pouvoir suprême), mais de son propre refus, estimant n’ avoir pas en main la marge de manoeuvre pour réussir. Cette année il aurait enfin accepté le poste, après avoir obtenu la rédaction d’un XII. Plan quinquennal favorable à l’ouverture.

[2] Quant à Li Keqiang, il tergiverserait aussi sur le poste de  futur 1er  ministre, et souhaiterait le perchoir (moins risqué) de la CCPPC, la Conférence Consultative Politique du Peuple chinois.

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En marge de ce climat pesant, on note aussi un bétonnage de la censure, contre les «3 vulgarités», et l’humour «obscène». Pour sa verve trop verte, le comédien Guo Degang est interdit de TV, ses livres et CD retirés des rayons. Xiao Shenyang et Zhou Libo sont aussi visés, ce dernier pour avoir trop fait rire la Chine en imitant Mao, Jiang Zemin et Wen Jiabao.

Depuis quelques jours, tout portail internet doit désigner un «commissaire d’autodiscipline», responsable en cas d’absence d’auto-censure. Tous les grands sites comme Sina, Sohu ou Netease s’y sont déjà pliés.    Depuis le 01/09, tout nouvel abonné au tél. mobile devra décliner son identité. D’ici 2012, les 800M d’usagers devront être déclarés en clair.

Puis de nouvelles règles prohibent aux journaux de s’échanger leurs brûlots d’une province à l’autre (afin d’échapper à la fureur des corrompus épinglés) et de faire leurs  reportages d’ actualité nationale ou internationale : ils devront reproduire ceux de la presse officielle. Et pour sûr, la publication de médias privés reste interdite, tel Duchangtuan, le magazine lancé cet été par le bloggeur Hanhan: faute de vraie licence, aucun éditeur n’ose désormais le publier.  Qu’on ne s’y trompe pas, tout ceci exprime l’inquiétude de l’Etat face aux progrès fulgurants de la liberté de presse. Ainsi le 25/09, suite à des brimades policières, 9 journalistes chinois ont manifesté sur le site de la catastrophe de Henan Airlines, contraignant le commissaire local à  s’excuser platement de son acte.

Cette inquiétude ne ressort jamais si clairement que face à Wikileaks, l’organisation mondiale qui met en ligne des secrets d’Etat. Cet été, elle a présenté 30 vidéos censurées sur les émeutes de Lhassa en 2008. Suite à quoi le 21/08, un sommet rassemblait à Pékin Hu, Xi et des douzaines d’autres, sur la manière de prémunir le Parti contre les fuites de Wikileaks et de son homologue chinois Boxun. Une menace sans précédent à la confidentialité du régime -qui était jusqu’ alors une de ses forces incontestées !

 

 


A la loupe : Écoles—une rentrée mutante

Le 1er septembre à travers la Chine, de Gyantze (Tibet) à Sanya (Hainan), 220millions de mômes du primaire et du collège se pressèrent, cartable au dos vers la rentrée des classes – l’équivalent des populations du Pakistan et du Canada réunis devant le tableau noir : record scolaire mondial.

Manquaient cependant à l’appel ce lundi quelques écoles ou groupes scolaires:

[1] Les maternelles sous représentées, car non obligatoires : les villes les plus riches s’en équipent aujourd’hui par centaines, dont 96 à Shanghai. [2] Les écoles pour migrants, non financées par les villes qui au contraire les briment pour non-respect aux normes (pratique qui devrait changer, avec le XII. Plan). [3] Sur le parcours du cyclone Kompasu de force 2, des villes de la côte comme Shanghai, ou de Taiwan (Kaohsiung) avaient retardé leur rentrée, le temps de le laisser passer. [4] Partout en Chine, des municipalités renforcent leurs écoles contre les séismes, visant une résistance jusqu’à force 9 : la leçon du drame du Sichuan en 2008 n’a pas été oubliée -avec ces dizaines de milliers d’écoliers ensevelis sous leurs « écoles de tofou ». A Pékin, 512 établissements étaient en rénovation depuis mai, dont 95 encore en chantier au 1/09 : les élèves se sont retrouvés en préfabriqués, ou en une semaine de camp type « cadet militaire», ou à la maison, à poursuivre l’écrasant programme de lectures, révisions et rédactions confié avant l’été.

Ce souci sécuritaire est récent, fruit de l’enrichissement permanent. Il se voit aussi dans le renforcement des gardes armés aux portes des écoles – le syndrome des infanticides fous du printemps reste présent. A Shanghai, les kindergardens sont tenus de salarier deux vigiles. A Canton, les parents n’entrent plus dans l’école, sauf enregistrés. A Chongqing, ville tentaculaire, 45.000 policiers veillent sur les écoles des 42 quartiers ou cantons…

Une fois dans leur salle de classe, ou bien la grande salle des fêtes, ces 220M de chères têtes brunes ont visionné le même film au même moment, à la TV : « mon rêve, rêve de Chine», superproduction de 100 minutes qui poursuit le vieux projet de Jiang Zemin et de Hu Jintao de «société spirituelle socialiste». Différentes stars ou héros nationaux s’y produisaient pour donner l’exemple, tels Ma Yun, chevalier d’industrie et PDG d’Alibaba Networking technologies, Yuan Longping, le «père du riz hybride», ou l’acteur Jet Li (Li Lianjie), qui déclarait : « le rêve d’un parmi nous n’est rien, mais notre rêve à tous rassemblé, devient géant » : ce message-là patriotique, unitaire et de discipline, est celui de l’appareil et de la tradition rouge—du passé incontournable. Cependant ces célébrités étaient là pour valider aussi un tout autre message: «pour réussir, il faut un rêve, et une fois ce but fixé, il faut travailler dur pour l’atteindre».

En ce sens, la cuvée 2010, sous l’angle idéologique, marque une transition, laquelle reflète aussi la mutation rapide de cette société : associant les thèmes du passé collectiviste, à un vent nouveau de créativité et la personnalité, lesquelles doivent former la base d’un futur esprit citoyen individuel. Ce dernier ne faisant plus peur au Parti, ni à l’appareil : c’est un tournant!

Les enfants ne s’y sont pas trompés : lors des débats conduits dans des dizaines de milliers d’écoles, ils ont eux aussi réagi de manière moins monolithique, entre la discipline et la démarche personnelle. Dans cette classe de Zhouqu (la ville martyre, frappée cet été par une coulée de boue), cinq jeunes de 10 ans se sont dits volontaires pour s’engager dans l’armée ou la police « au service du peuple », tandis qu’un autre au moins, voulait se faire milliardaire à la Bill Gates, pour doter son pays d’un logiciel Windows aux couleurs locales, made in China !

 

 


Joint-venture : Rapports Chine-Europe : la reprise

La rentrée de la relation sino-européenne avait lieu cette semaine,  avec deux temps forts :                                                            ‘      [1] {Basée sur un sondage auprès de ses 1400 firmes-membres et sur les rapports de ses groupes de travail, la «position» publiée le 2/09 par la Chambre de commerce européenne sonne le tocsin: 39% des membres s’attendent à une Chine moins ouverte en 2012 qu’en 2010. Tout en précisant que la Chine paie au prix fort ses manquements à l’OMC, l’organisation mondiale du commerce, tel que sur le marché pétrolier ou les marchés publics. Faute de confiance en un traitement équitable, les firmes de l’Union Européenne n’orientent que 3% de leurs investissements vers la Chine.

[2] Responsable des affaires étrangères, la Haute Représentante  de la Commission Européenne, Catherine Ashton (britannique) venait préparer le prochain Sommet Sino-Européen, et celui, climatique/réchauffement global, de Cancun fin novembre 2010. Le meeting a été marqué à la fois par une excellente ambiance —un désir partagé d’avancer-, et par une absence de décisions communes, ce qui est normal, s’agissant d’une première rencontre. Au même moment (31/08), le 1er ministre espagnol José Zapatero était à Pékin pour y vendre davantage de la dette publique ibérique, dont la Chine détient déjà quelques milliards d’². Wen Jiabao fit une réponse indirecte mais favorable, « conseillant » à la finance chinoise de soutenir l’Euro.

Ce qui pourrait accréditer le bruit selon lequel la Banque Populaire de Chine aurait perdu ces derniers mois  de lourds montants placés en bons du Trésor américain, et chercherait donc, pour ses placements, une stratégie de rechange…

 

 


A la loupe : Vers une demi-réforme du syndicat unique

Durant la vague de conflits du travail de mai dernier , la rue chinoise avait été frappée d’entendre Wen Jiabao féliciter les jeunes grévistes de chez Honda à Foshan, «fierté de la nation », parce qu’ils venaient d’élire leur syndicat (libre), puis négocié avec la direction et gagné, en dépit de l’obstruction du syndicat unique.

Par sa réaction face à de telles audaces (jusqu’alors réprimées), le régime exprimait sa conscience d’une crise sociale aigue, et de son intérêt à user d’une extrême prudence dans sa réponse. Par la suite, il fit preuve du même pragmatisme en imposant une hausse générale des salaires et en priant le patronat japonais d’augmenter ses employés locaux. C’était une vieille stratégie de laisser croire que le sous-paiement chronique dans l’usine du monde (surtout depuis fin 2008) était le fait de l’étranger – de l’épouvantail nippon. Mais à l’évidence, ce genre d’exutoire ne pouvait indéfiniment suffire. A présent, l’Etat accélère discrètement l’autre mesure, devenue indispensable : la réforme de l’ACFTU, le syndicat officiel (All-China Federation of Trade Unions).

Par la voix de sa présidente Wang Yupu, la centrale annonce un amendement à la loi syndicale et le droit aux 1,8M de sections d’entreprises d’élire leurs délégués. Ceux-ci seraient dorénavant payés par la centrale, pour les affranchir du conflit d’intérêt avec le salaire de l’entreprise. Moyennant ces avancées, l’ACFTU rêve de voir 90% des firmes dotées d’une section syndicale d’ici 2012, contre moins de 50% à présent (selon He Qinglian, dissidente en exil). Partout en Chine, ces branches négocieraient alors avec les directions des conventions collectives salariales, grâce à leur délégué spécialement formé en droit et en management. De ce fait, l’ACFTU se montrerait pour la 1ère fois active au service de ses 230M d’adhérents, et surtout des 84M de migrants affiliés.

Mais la tolérance a ses limites. Cette organisation de masse créée par Mao comme outil de la dictature du prolétariat, exige toujours le maintien du leadership du Parti, et de sa chaîne de pouvoir du sommet vers la base. Pas de liberté d’initiative syndicale à l’horizon, donc. Les concessions sont tactiques, sur l’accessoire, tout en tenant bon sur l’essentiel – le monopole du Parti.

Pour autant, les concessions ne sont pas négligeables : la distanciation entre syndicat et patron (qui confondaient les rôles jusqu’à hier), les conventions collectives et les élections. Encore que celles-ci seront soumises à de nombreuses limitations : introduction «graduelle», pas de scrutin aux niveaux municipal-provincial, et même au niveau local, la liste des candidats sera d’abord approuvée par l’ACFTU avant d’être soumise au vote.

En d’autres termes, la défense des travailleurs doit rester aux mains du PCC. Mais au vu de l’image plutôt négative du syndicat unique parmi les ouvriers (telle qu’elle apparaît sur internet, dans les forums de discussion) les concessions offertes semblent trop faibles pour rétablir la confiance et entraîner les adhésions massives annoncées par Mme Wang. Moins encore, pour désactiver le malaise social.

 

 


Argent : Lait : Fonterra se rachète une image

Depuis 2008, Fonterra (Nouvelle Zélande) 30% du marché mondial du lait, avait mauvaise image: il était l’actionnaire à 44% de Sanlu, ex-géant du lait maternisé à la mélamine, dont la fraude avait plombé 300.000 bébés voire 30M (selon l’aveu de Wen Jiabao, 2 ans après).

Pour remonter la pente, Fonterra décide d’investir dans la responsabilité sociale d’entreprise (CSR), «une  de (ses) stratégies les plus importantes pour s’intégrer à la société chinoise». En juin, Fonterra a offert une bourse à 400 étudiants pauvres, en élevage et en agroalimentaire, dans cinq universités agronomiques (Pékin, Jiangnan, Nord-Est, Sud et Nord-Ouest). 4000¥ /an (50% des frais de scolarité) pour quatre ans. Ce qui fournira une pépinière de cadres pour l’industrie laitière, de Fonterra et d’autres. La fondation Soong Ching Ling (l’épouse de Sun Yat Sen) est gestionnaire du programme.

D’autres retombées de l’affaire Sanlu n’en finissent pas d’apparaître. 30t de ce lait frelaté  vieux de 30 mois viennent de refaire surface, cachés  et réemballés chez Yashili (Shanxi). Au moins 100.000t de cette poudre de lait contaminée n’auraient pas été détruits, et resteraient en circulation, croit Wang Dingmian, l’ex-directeur de l’Association nationale laitière.

 

 

 

 


Temps fort : Récolte d’automne : la Chine sauve la mise

Ce début septembre 2010, la Chine agricole est tout sourire, voyant poindre une récolte d’automne inespérée après trois mois de pluies diluviennes sur 28 provinces. De source officielle, le manque à produire, pour l’année, ne sera que de 30Mt. Pleins à ras bord grâce à cinq bonnes récoltes successives, dont 530Mt en 2009, les greniers publics combleront aisément ce déficit.

Côté coûts, le cours du blé a monté de 125 à 200$/t, suite à la sécheresse en Ukraine et Russie, mais comme les imports céréaliers de Chine n’atteignent pas 1% de sa consommation, le marché intérieur ne sera pas touché.

Pour autant, le tableau n’est pas sans zones d’ombres. De janvier à juillet, l’importation agroalimentaire a fusé, tous produits confondus : 845.000t de blé au 1er semestre, 600.000t de riz du Vietnam, 282.000t (+56%) en maïs (surtout pour l’élevage), 3,9Mt de soja par mois (+42%), pour l’huile dont le pays n’assure que 50% de ses besoins. En sucre, on attend une hausse de 50%, à 1,5Mt dans l’année. Au total, le déficit dans la balance commerciale «verte» est géant, 13MM$ (+62%). Il a nourri une inflation de 3,3%, et de 6,8% pour l’alimentaire – 22% pour les légumes. Pour le grain, il est de 11,8%, ce qui force à tempérer l’optimisme officiel : allegro, ma non troppo.

Une partie de ces besoins d’import, selon Alain Bonjean, l’agronome de Limagrain«, est due à la qualité. 15 jours de retard dans la récolte de blé a causé germination sur pied et prolifération de mycotoxines, rendant le grain impropre. En riz, ce sont 20 ans de course au volume (au détriment de la qualité) qui prennent leur revanche: les consommateurs qui s’enrichissent, boudent l’hybride chinois sans goût ni texture, au profit du parfumé thaï (Indica) ou du Basmati indien. Enfin, la hausse des prix est aussi politique: l’Etat veut enrichir le paysan.

Très consciente du défi de son autosuffisance alimentaire, la NDRC (la National Development and Reform Commission) vise un gain modeste, parfaitement à sa portée, de 20Mt d’ici 2020, pour atteindre 550Mt. Avec les autres ministères concernés, elle prépare une loi d’urgence agroalimentaire. Étudiées partout à travers le pays, de nouvelles souches OGM s’apprêtent à la culture plein champs, une fois nationalement certifiées pour la consommation : sans doute d’abord en maïs et en blé, puis en riz. Un dernier volet de cette stratégie d’autosuffisance, est la guerre aux destructions de terres arables autour des villes, déjà estimées à 123Mha depuis 30 ans.

Selon ces paramètres, la Chine agricole devrait d’ici 2025 être quasi-autosuffisante en riz. En blé, elle espère devenir faible exportatrice, en ouvrant à la culture dans le centre et à l’Ouest, des dizaines de millions d’hectares de nouvelles terres aujourd’hui inexploitables, mais qui conviendront à ses souches OGM capables de retenir l’eau. « En matière d’autosuffisance », remarque A. Bonjean, « le risque de famine est bien plus grand en Inde où la population ne cesse de croître, et où les rendements stagnent depuis 10 ans ». Cependant pour faire un sans-faute, il manque au plan agraire chinois un élément essentiel : un droit du sol inaliénable pour le paysan, et donc la fin du dogme de la propriété publique : seule garantie au paysan, pour investir dans « sa » terre sans risque de confiscation ultérieure!

« Co-auteur avec He Zhonghu de "CEREALS IN CHINA", vient de paraître aux éditions du CIMMYT (le centre de coopération internationale de recherche agronomique pour le développement).

 

 


Petit Peuple : A Pékin—Engluée dans ses mensonges

Fin des années ’80, à 32 ans, Sang Hui était l’image de la réussite : mariée, un enfant de 3 ans, une place de direction dans une usine de machines à coudre à Pékin. Ce succès, elle le devait à de belles études à Canton, suivies d’un recrutement à une université de la capitale, puis dans sa boite au service commercial où elle triomphait vu son bagout et sa bonne mine. Son carnet de commandes ne désemplissait pas, au bonheur de Sun Wukong, le PDG.

Au printemps de cette année-là, Sun la promut, lui confiant les ventes en Chine du Nord-Est, 200 millions d’âmes en mal de vêtements, pour l’export et le marché intérieur.

 Pour Sang Hui, la promotion cumulait bien des privilèges (hausse de salaire, chauffeur, appart plus spacieux), sans désavantage : elle n’était pas obligée de s’exiler en province, mais tiendrait, depuis le QG, ses armées de démarcheurs à Harbin, Dalian ou Jilin…

En fait, il y avait bien, de son côté, un hic, un vice caché: après avoir grillé son quota d’un enfant, elle était à nouveau enceinte. Après 10 ans de Révolution Culturelle où l’on avait la liberté d’enfanter, la règle de l’enfant unique venait d’être réintroduite, très impopulaire. Et avec son mari, elle avait décidé de garder l’enfant, en fraude !

Durant un temps, un corset fit illusion. Quand le ventre prit un arrondi dur à celer, elle demanda un congé de « quelques semaines, chez ses parents malades ». La voilà donc chez eux, attendant l’accouchement, se croyant tranquille.

Mais 30 jours après, un Sun Wukong, des mauvais jours, lui fit un SOS désespéré. Ne s’en sortant plus, il la priait de retourner : « OK», dut-elle dire, «  je saute dans le prochain train»…

A peine le téléphone reposé, Sang tint avec les parents un conseil de guerre. Ce fut elle qui conçut la ruse. Son père au bras long appela un ami, directeur d’hôpital qui n’avait rien à lui refuser. Le lendemain, elle rappela Sun pour lui conter que «la veille, courant vers son train, elle avait glissé avec sa valise dans l’escalier, se brisant la jambe». Puis elle se rendit au service d’obstétrique de l’hôpital et y accoucha par césarienne d’une mini poupée, vite mise en couveuse pour y finir sa croissance à 7 mois et demi. Et pour valider le pieux mensonge qu’elle débiterait aux visiteurs, on posa un plâtre postiche sur sa fausse fracture : ainsi paré, tout irait bien!

Ce dont elle ne se doutait pas était qu’à Pékin Sun n’en dormait plus, d’avoir laissé sa meilleure vendeuse croupir en un lazaret de cambrousse méridionale. Après deux semaines, bourré de remords, il la rappela pour lui asséner sa «bonne nouvelle»: traversant le pays, une ambulance arriverait demain, pour la ramener à Pékin. Le meilleur hôpital de Chine l’y attendait, qui s’apprêtait à recasser sa fracture mal reboutée, pour rendre à son membre son galbe d’origine.

Dans la chambre, la nouvelle fit écho sur un silence d’abîme- celui de la jeune mère et des grands-parents consternés. C’était la tuile ! Bientôt sa ruse serait exposée,  狐狸尾巴 (húli wěi ba),  « la queue de la renarde » sous la robe de courtisane !… Vite, elle s’est faite anesthésier, briser pour de vrai son bon tibia, coller un plâtre cette fois bien trop authentique. Puis après 48 heures de cahots à travers une Chine d’enfer, alors sans autoroute, elle dut subir sa nouvelle opération. Conformément au stratagème initial, son enfant restait chez ses parents…

Le bilan fut un vrai gâchis. Avec sa jambe massacrée, Sang Hui ne put jamais remarcher droit, mais boitant bas, finit par démissionner, la mort dans l’âme. Elle dut attendre 3 ans pour retrouver sa fillette -petite inconnue qui ne la reconnaissait plus – et qu’elle devait présenter partout comme sa «petite nièce adoptée».

Face au désastre, qu’est-ce-que Sang Hui déplore le plus ? Avoir fait cet enfant, ou ce tissu de mensonge ? En fait, ni l’un ni l’autre. Avec force, elle «mange de l’amertume» (chi ku, 吃苦), et assume sans se plaindre cette destinée, sans même accuser la fatalité, pour avoir joué et perdu.

 

 


Rendez-vous : A Xiamen, la Foire annuelle

6-9 sept, Pékin : Miconex, Salon de l’instrumentation et automation

8-10 sept, Foire de Xiamen

8-10 sept, Shanghai : Fastener Trade Show, sur la fixation

8-10 Shanghai : CTEXPO, Salon int’l du pneu

8-12, Shanghai : Art Fair

10-12 sept, Tianjin – Sommet du World Economic Forum