Le Vent de la Chine Numéro 2

du 19 au 25 janvier 2009

Editorial : La méthode Coué de l’Etat chinois

« La Chine est moins prête que l’Ouest à affronter la crise» : cette opinion d’un étranger dans une firme d’Etat, a de quoi surprendre: ce pays surdoué de l’improvisation et de l’export pourrait-il se laisser désarçonner par la récession? Pourtant le jugement est justifié par la passivité de sa firme, contraire aux instructions de sa tutelle SASAC (State-Owned Assets Supervision and Administration Commission), de préparer l’avenir en multipliant les fusions/acquisitions, afin de réduire d’ici 2010 le nombre des nébuleuses publiques, de 139 à 110. Mais confrontés à l’implosion inouïe, ces firmes n’écoutant que leur instinct, évitent le risque, préfèrent préserver leurs positions acquises: peu de concentrations à l’horizon, peu de marketing et exploration de marchés nouveaux, même dans le pays.

Liu Mingkang, patron de la CBRC (tutelle des banques), cite un «coupable» inattendu à la fuite du crédit: les pouvoirs locaux auraient «sérieusement réduit les remboursements». Suggérant chez les hobereaux rouges aussi, cette même rechute que les entreprises d’Etat à des pratiques socialistes d’antan en confondant la banque et leur tirelire. Pour faire face à ce pourrissement rapide, Liu veut à l’avenir tolérer plus de mauvaises dettes, qui ne faisaient en septembre, que 5,49% des actifs contre 6,3% en mars. En fait, il n’a pas le choix: punir les banques et exiger en même temps qu’elles prêtent plus, est un non sens!

L’assainissement de la Banque de l’agriculture s’accélère. Novembre avait vu l’octroi de 19MM$, coup d’éponge aux dettes (de 91MM$). Le 12/1, elle se mue en compagnie à actions, aux mêmes patrons (Huijin, Ministère des finances) que ses soeurs grandes Banques d’Etat : la voici prête à passer en bourse, et vendre des parts à des investisseurs «stratégiques » – lesquels, pour l’heure, risquent d’être rares.

Après trois mois d’attentisme, le Conseil d’Etat lance ses mesures de relance secteur par secteur- acier, auto (cf p.2) : lenteur qui trahit les conflits d’intérêts entre lobbies et ministères, et entre les choix stratégiques à faire: renflouer, ou laisser faire la nature (faillites, rachats) ou aider indifféremment chinois ou étrangers en fonction de leur vertu éco-protectrice.

Méthode Coué : en tournée dans le Jiangsu le 1er ministre Wen Jiabao prétend (11/01) que la Chine sera le 1er pays à sortir de la crise, et que le grand plan a «déjà commencé à porter ses fruits». Tout en précisant que 60MM², 10% des crédits iront à six projets à vocation «scientifiques et techniques», dont probablement la réalisation d’un aéronef gros porteur. Wen annonçait aussi de sérieuses rallonges de budget d’ici mars, sans préciser les bénéficiaires—peut-être la sécurité sociale, et ce programme tout neuf de construction de 2000 hôpitaux de campagne et 6000 dispensaires urbains.

Alors, qui a raison ? L’Etat manipulateur d’opinion, mais qui tient en main le décuple des moyens disponibles à l’Occident, ou bien la morosité têtue du terrain ?  Cette fois-ci, il serait dans l’intérêt de tous (du monde aussi) que le régime gagne la partie. 

 

  

 

 


A la loupe : Auto : sois ‘vert’ – le ciel t’aidera !

L’automobile en Chine vient d’être tirée d’un nirvana irréel, obstinément mariée depuis cinq ans  avec une croissance à deux chiffres. De retour aux réalités, 2008 a connu un électrochoc, avec une croissance de 6,7% et des fortunes très diverses, entre General Motors ou Chery (-7% chacun), Volkswagen à +12,5% (1,02M ventes, le leader), Toyota à +17% (585.000), Hyundai +25% (350.000) et Kia +36% (51.000).

C’est une mauvaise nouvelle, surtout pour l’industrie chinoise. Empêchée de s’exporter vers l’Europe et les USA, par ses faibles résultats aux crash tests, elle perd à présent du terrain sur son propre marché, suite à l’enrichissement moyen et la guerre des prix, qui mettent les marques étrangères à leur portée. Cette année, dit Cheng Xiaodong, directeur à la NDRC (National Development and Reform Commission), la valse des étiquettes atteindra -5%, privant les locaux de moyens pour faire de la recherche et combler leur retard technologique.

Pour échapper à la condition d’assembleur low cost, SAIC (Shanghai Automobile Industry Co) avait pris en 2004 le contrôle du Coréen Ssanyong : la faillite de sa filiale (voir VdlC n°01) le ramène loin derrière la case de départ, car son plan d’émancipation a fait long feu, et l’étranger y regardera à deux fois avant de lui céder d’autres actifs dans les prochaines années. Selon le mot de Ricon Xia, de Daiwa Associates, «les cas de reprises chinoises de firmes étrangères ayant réussi, sont rares» : la Chine aura encore besoin de quelques années pour maîtriser le management hors de chez elle, là où elle ne contrôle pas tout. Et la communication interculturelle avec les structures qu’ils reprennent. 

Dans ce contexte, l’ensemble du marché retenait son souffle, attendant le plan de l’Etat. Publié le 14/01, ce dernier semble vouloir faire le ménage parmi les 45 constructeurs encore en lice – et faire prendre au sérieux sa politique de protection de l’environnement. Les aides visent encore surtout les nationaux, mais pas seulement.

Ainsi, seuls les moteurs d’1,6l max. (dont la 206 Peugeot) auront droit à une baisse de taxe de 10 à 5%. 730M$ de subventions iront à l’achat par les paysans de touc-toucs moins polluants. 1,46MM$ encourageront les projets high-tech et d’autres fonds, l’achat de véhicules à énergies nouvelles -telle la F3DM à moteur hybride de BYD, présentée au salon de Detroit, qui vient d’obtenir le soutien de Warren Buffett.

Après l’annonce du plan, Dongfang et Faw, les moins gâtés par ses mesures, chutaient de 6,9% en bourse de HK et 2,1% à Shenzhen… Tout se passe comme si, après 10 ans de protection sous l’aile socialiste, cette industrie poussée trop vite en couveuse artificielle, découvrait soudain l’heure de vérité : pour la 1ère fois, face à l’étranger, elle n’a plus l’avantage—l’Etat ne peut plus la lui octroyer !

 

 

 

 


Joint-venture : GE / A-Power : alliance des moulins à vent

GE/A-Power : alliance des moulins à vent

Comme bien d’autres, General Electric se lance dans le marché chinois de l’éolienne. Déjà un des géants mondiaux de la spécialité, il produit à Erie (Pennsylvanie) des turbines d’1,5Mw, via sa filiale Drivetrain. Il compte à présent passer à la vitesse supérieure, et produire localement un modèle de 2,7Mw, au rythme de 900 unités/an dès 2010. Site, investissement et prix du produit restent à définir : avec le partenaire A-Power, General Electric vient juste de signer (12/01) la lettre d’intention…

Minoritaire dans la JV d’assemblage des turbines, A-Power produira le reste (nacelle, mât, pales et rotors), et l’assemblera en son usine de Shenyang, la plus grande du pays (capacité d’1,1Gw/an), vieille d’un an. L’éolienne co-produite associera la haute puissance (norme de l’avenir), la solidité GE, le bas prix chinois et l’économie d’échelle (visant le marché de toute l’Asie) : formule gagnante, sans doute.

L’alliance se met en place à temps pour profiter des budgets nationaux en cours d’établissement, pour des plans d’équipement anti crise. D’ici 12 ans, la Chine, déjà 5ème puissance en éoliennes installées avec 6Gw, veut passer à 30Gw d’ici 12 ans.

 

 


A la loupe : Pékin s’inquiète de Gaza

Soudain, la Chine tourne les yeux vers la Palestine et Gaza, pilonnée par les bombes israéliennes. Le 11/01, Yang Jiechi, ministre des affaires étrangères, s’entretient  par téléphone avec Ban Ki-moon,  le secrétaire général de l’ONU, pour dire son « espoir » qu’une récente résolution du Conseil de sécurité pour imposer un cessez le feu au conflit ouvert par Tel Aviv le 27/12, soit appliquée. Le 16/01, il réitère son appel depuis Kleinmond (Afrique du Sud), en tournée à travers quatre Etats du continent noir.

Dès le 10 janvier, il avait mandé Sun Bigan, son émissaire « bons offices » au Caire, à Tel Aviv, et dans les territoires occupés. Lequel arrivait pourtant fort en retard sur d’autres personnages plus célèbres, tels Tony Blair négociateur pour l’Europe, l’Amérique et la Russie, ou Nicolas Sarkozy, qui venait de tenter, par une de ces démarches solitaires qu’il  prise, d’imposer une paix « à l’arrachée ». La montée en action e la Chine semble donc destinée, sinon à réussir là où les autres piétinent, au moins pour prévenir la déception du monde arabe qui attendait qu’elle prenne parti. Notamment pour apaiser une diaspora palestinienne de plus en plus nerveuse, et interprétant  sa passivité comme le souci de ménager ses partenaires d’Israël.

Une autre raison à son réveil, est l’imminence (20/01) de l’intronisation de B. Obama comme président américain, qui vient de promettre une initiative pour faire cesser cette guerre, au « premier jour » de son mandat. Sans attendre, son n°2 Joe Biden se lançait dans un voyage discret en Afghanistan et  à Bagdad (12/01). Décidément pour la Chine, rester plus longtemps inactive, était compromettre son ambition de renforcer son influence sur la région, capitalisant sur la profonde impopularité dans laquelle G.W. Bush y laisse la région. Cette influence visée est bien sûr aussi économique, et surtout énergétique : témoin le champ pétrolifère d’Al Adhab (Iran) que la CNPC, la compagnie nationale pétrolière, récupère le 4/01, moyennant paiement de royalties de 3MM$.

Justement, la Chine manifeste cette semaine ce souci stratégique en un autre point du monde arabe : elle octroie à la Mauritanie (13/01) une tranche nouvelle du port de Nouakchott, port « de l’amitié » qui recevra une nouvelle jetée de 900m moyennant investissement de 280M$. Depuis août, suite au coup d’Etat du Général Ould Abdel Aziz, Nouakchott voit ses aides au développement des USA et de l’Union Européenne gelées, ou en passe de l’être, tout comme son siège à l’Union Africaine. Mais l’ostracisme occidental sur un pays pauvre mais détenteur d’or noir, permet à la Chine de renforcer son ascendant chinois sur lui -comme sur le Soudan et d’autres, stratégie éprouvée. Son approche ne date pas d’hier: depuis 2006, la CNPC  y fore, en quête d’or noir.

 


Argent : Hong Kong – la fin d’une bataille d’urbanisme

China Eastern—trop d’erreurs cuisent

Pour China Eastern, 2009 s’annonce cuisant, suite à une série de « tuiles » et fautes d’imprévoyance. Ses pertes en 2009 dépasseront 10MM¥, dont un étonnant 6,2MM¥ en mauvais contrats à terme. Comme tous transporteurs (dont Cathay), il avait misé sur un kérosène cher, sans deviner l’effondrement au second semestre. Eastern a aussi perdu 5,4% de ses passagers, n’en chargeant que 37M. Dès septembre, il se retrouvait avec des pertes égales au capital—en Occident, ce serait une faillite. L’Etat a accepté d’éponger 7MM¥ de pertes, 10% du total : on est loin du compte.

L’heure est aux choix déchirants -China Eastern n’est pas seul dans cette galère. Hormis des gadgets tels licenciements et congés sans solde, il faut rayer 15 appareils, sur ses 29 commandes fermes : les palabres sont en cours avec Airbus et Boeing, pour des reports de livraison. Il faut vendre 30% de Happy, petite JV d’aviation à Xi’an, et rendre l’ex-Yunnan Air (35 appareils) à la province. 

Seule chose non discutée dans la presse, mais certainement en haut lieu : quel électrochoc gestionnaire donner à ces flottes d’Etat sans tradition de libre entreprise, toujours en déficit, toujours renflouées?

Hong Kong – la fin d’une bataille d’urbanisme

11 ans de bataille acharnée s’achèvent à Hong Kong, pour le réemploi de l’ex-aéroport de Kaitak, aiguille artificielle dans la baie de Kowloon. Un  bras de fer a opposé le gouvernement dominé par les grandes fortunes (en faveur de projets de luxe, qui auraient comblé 200ha de mer) et une myriade hétéroclite de partis d’opposition, d’ONG, de Chinois, d’étrangers, écolos, sportifs, universitaires. 

En 2005, divine surprise, le machin ambitionné par le pouvoir était dynamité par le verdict d’une justice indépendante, qui imposait de «consulter» les masses. Le résultat sort quatre ans après (15/01). Moyennant 13MM$ du denier public, le projet protège l’espace marin pour concentrer sur les 320ha disponibles, 13000 apparts sociaux, 3 écoles, un hôpital, 2 quais/ paquebots, un stade (45.00 places), un parc. Sans oublier ces gadgets sans lesquels HK ne serait pas HK : tours de bureaux, rues commerciales souterraines, ponts, monorail.

Cette bourgade de 86.000 âmes sera donc aussi un lieu des « pas perdus » au coeur de la ville, entre île et péninsule, et un site écologique où l’ex-cloaque face aux HLM de Kowloon, aura été converti en rivière. Loin d’être un échec pour l’Etat, elle devient son meilleur atout de relance, devant créer 83.000 emplois de construction ou de service. Elle symbolise une ville mature, à bout de souffle après avoir développé toute l’Asie, et qui à présent, pense à elle-même. Et pour la Chine, maison mère, quelle discrète leçon de démocratie ! 

 

 

 

 


Pol : Les bonnes résolutions de l’Etat—Confucius

Qui craint le grand Obama ?

Au jour de son intronisation (20/01), Barak Obama jouit au sein du pouvoir chinois d’une image un peu frileuse, au-delà des offres d’amitié. Le 1er souci concerne ses racines ethniques : en Chine, une telle situation se traduirait par un leader tibétain ou ouighour, auquel l’opinion est loin d’être prête. D’autre part, les « obamologues » prêtent au jeune Président  le projet de réclamer plus de droits de l’homme en Chine, une réévaluation du Yuan, et il méditerait une relance de missions spatiales lunaires pour ne pas laisser à la Chine ce monopole.  Autant de vues qui dérangent… 

Mais les leaders savent aussi que 10 ans avant, ils ont su aiguiller un «小 xiao-» Bush mal disposé au départ, vers de meilleurs sentiments. En 2009 plus encore, ils ont confiance de « tenir» les USA, avec dans leurs coffres, les plus grosses réserves en bons du trésor !

L’opinion de la jeunesse est aussi importante. Intriguée par Obama, son succès, sa jeunesse, son incarnation du rêve américain, elle a fait son best-seller de son livre « l’audace de l’espoir », et ne demanderait qu’à être séduite par un come-back des USA démocratiques, ce qui là encore inquiète Pékin – mais ceci est une autre histoire.

 

Les bonnes résolutions de l’Etat-Confucius

Comme chaque année à même époque, l’Etat voit ressurgir sa vieille culture confucéenne, et veut assumer ses devoirs envers les masses : à la veille du chunjie, il multiplie promesses et projets, dont voici une première livraison :

[1] Hausse de la prime de pauvreté de 15¥ en ville, 10¥ aux champs. A 20% du revenu moyen, elle fera 410¥ pour le Pékinois urbain, 170¥ pour le campagnard. Ce budget explosera en 2009, bien plus que les +20% (276MM¥) enregistrés l’an passé.

]2] Guerre aux arsenaux clandestins. Le 12/01, quatre usines ont été détruites à Chongqing- par une armée de 1000 paras, des blindés et hélicoptères d’assaut. Quelques dizaines de membres de triades, des milliers de revolvers et PM ont été saisis.  

[3] Le ministère de la santé se lance dans des frappes dissuasives dans les usines et magasins de sept provinces, à commencer par le Hebei, celui par qui le scandale du lait contaminé est arrivé. Aux utilisateurs d’additifs illégaux, il promet des sanctions pénales et une dénonciation immédiate dans la presse. 

[4] Guerre traditionnelle à la fraude. – Une vague de faux billets de 100¥ envahit 10 provinces, imprimés à Taiwan avec des presses allemandes, si véridiques que les actuels détecteurs ne marchent plus. Les faussaires osent les vendre par internet. – Le Xinjiang est le site d’une expérience souvent promise, jamais tentée : 1000 cadres de l’Altay verront leurs revenus publiés en  mars. – Le Président Hu Jintao adjure la Commission  de vérification de la discipline (police du Parti) de redoubler d’efforts dans des “domaines majeurs” : contrats publics, octroi de sol, de licences, de positions, et expropriations. Hu s’inquiète de limiter la part que les cadres détourneront, des 500MM² à dépenser “d’urgence”, pour arracher la Chine à l’enlisement…

[5] Très nouveau et intéressant, constatant son image extérieure qui demeure médiocre, et le peu de crédit que lui porte les media étrangers, le régime veut “se servir soi même”, remplacer la presse étrangère par la sienne propre. Elle offre 6,6MM$ à ses trois maisons les plus fidèles, pour diffuser sur les cinq continents. CCTV prépare ses chaînes en russe et arabe (arabe, pour septembre, 100 postes créés). Xinhua va presque doubler, à 186, ses bureaux étrangers, chacun doté de dizaines de “journalistes”, et créer son magazine “Global Times”. Via son porte-parole, Li Changchun, tsar de la propagande, donne le nouveau ton: “La Chine n’est plus le malade de l’Asie, ni pauvre, arriéré et stupide. Le grand peuple chinois s’est réveillé, parmi les nations “!

~ Au même moment, un groupe d’intellectuels propose à ses concitoyens de boycotter CCTV : “trop conservateur”, et “tournant les nouvelles et téléfilms en propagande”…

 

 Tibet : le round d’après

Depuis les trois jours d’émeute de mars 2008, le dossier tibétain n’en finit pas de rebondir. Après ces violences suivies d’une importante reprise en main, Pékin et les milieux tibétains en exil autour du Dalai Lama avaient tenté de reprendre les négociations – l’encouragement de pays de l’Ouest et l’imminence des Jeux Olympiques avaient aidé. Puis les débats s’étaient enlisés—peut-être, suite aux attentes d’un côté tibétain très au-delà de ce que Pékin pouvait céder (cf édito VdlC n°35).

 Après cet échec, les nouvelles de part et d’autres, laissent apparaître une désillusion réciproque, l’impression que plus rien ne justifie la retenue de l’avalanche. Les incertitudes de la crise, ne font rien pour arranger les choses. A Lhassa, la session du parlement territorial a émis (11/01) le projet d’une nouvelle fête publique locale, dite « de l’affranchissement du servage ». La fête devait être votée par cette instance le 19/01, et sa date fixée au 28/03, qui marquera cette année le cinquantième anniversaire du passage complet du Toit du monde sous administration chinoise. Pang Boyong, le militant vice Président de cette assemblée, expliqua que la loi devait « rappeler à tous les Chinois, y compris les Tibétains, la réforme initiée en 1959, pour rendre des millions de serfs… maîtres de leurs destins, en supprimant résolument la rébellion et abolissant le système de servage féodal théocratique ».

L’édile accusa aussi le Dalai Lama de tenter de « saboter » le système d’autonomie régionale pratiqué au Tibet. Il se trouve que ce rapport était prononcé le même jour qu’un discours du Dalai Lama à Sarnath (Inde), affichant sa conviction que « des changements auraient sans doute lieu en Chine ». Suggérant une fin prochaine du « système communiste de gouvernance », suivant le même schéma qu’en Union Soviétique, née et morte dans le même siècle.  Le prélat lamaïste afficha aussi sa conviction que « la question du Tibet dominerait à long terme », permettant d’espérer la sauvegarde du patrimoine culturel victime d’une « tentative de destruction complète ». De plus en plus de Chinois exprimeraient « ouvertement leur solidarité » à sa cause, une fois connues « les véritables circonstances » (sous entendu : des émeutes).

Comme on le voit, des deux côtés, on ne prend plus de gants. Par rapport à six mois plus tôt, l’heure n’est plus au dialogue. Tout se passe comme si, faute de capacité de compromis, chaque bord pariait désormais sur la disparition de l’autre. Mais qu’adviendra-t-il, si les deux, dans cinq ou dans vingt ans, sont toujours là ? C’est une  hostilité de long terme qui menace, à la mode basque… ou palestinienne !

 

 

 

 

 

 


Temps fort : marine chinoise : Les dents de la mer

Le 6/01, la navale chinoise prend le large : partis le 23/12 de leur base de Sanya (Hainan), en route vers Aden avec leur aviso de ravitaillement, les destroyers Haikou et Wuhan escortent 5 porte-conteneurs et vraquiers, dont 2 chinois, 1 hongkongais, 1 philippin et… 1 taiwanais—quoique Taipei ait pris la peine de décliner l’offre…

C’est un grand coup pour une marine qui jusqu’alors ne s’aventurait pas loin de ses bases,  faute de disposer d’équipements, de logistique, de communications fiables. A présent, elle se sent assez forte pour tâter de la haute mer, et même étendre sa protection aux civils. Une fois franchies les eaux dangereuses de la Somalie, la flottille repartira à l’Est où l’attendent des dizaines de navires sous pavillons chinois ou alliés. Aucune durée n’est fixée à cette campagne, qui lui apportera prestige et expérience. Pour cette première, Pékin a lancé ses meilleures unités, modernes et bien armées, hélicoptère, lance-missiles, et commandos « marines ».

Implicitement, l’armée chinoise (APL) prétend combler la carence des traditionnels gendarmes des mers, navires de guerre euro-américains qui laissent depuis des mois les pirates investir ces mers en quasi-impunité, lésant -aussi- des intérêts chinois.

Sur les 1265 navires chinois passés de janvier à novembre par le Golfe d’Aden, 20% ont été coursés et 7 arraisonnés -dont un chalutier (18 marins) toujours retenu en eaux kenyanes, «nous savons exactement où », prévient Du Yunlong, du ministère des transports, en guise de « à bon  entendeur, salut 

En même temps —nul hasard – l’APL annonce le lancement du chantier de 2 porte-avions de taille moyenne (50 à 60.000t) au nouvel arsenal de Changxing (Shanghai), espérés sur les mers, d’ici 2020. Des systèmes de «contrôle électrique» seraient déjà commandés en Russie. Dalian (Liaoning) de son côté, finirait le Varyag, porte-avions ukrainien acheté inachevé en 1999, destiné à servir de navire-école.

Réalité, intox ? Les experts doutent. Non que Pékin après 20 ans de «shopping» mondial de technologies, n’ait les moyens d’y parvenir. La question est de savoir si elle veut se lancer dans une course aux coûts démentiels, pour des résultats diplomatiques de tous les dangers, risquant de plonger la région dans la course aux armements et dans un flirt renforcé du Japon et de l’Asean, avec le Pacte atlantique.

Par ses réponses, la Chine montre qu’elle a sans doute décidé. Elle déplore être le seul membre permanent du Conseil de sécurité sans porte-avions, alors que 30 de ces bijoux sillonnent les océans. Fait d’autant moins acceptable que 10% de son PNB passe par les mers, et que 7 des 20 plus grands ports mondiaux sont sur son sol. Dans ces conditions, l’émergence d’un porte-avions sous pavillon écarlate, ne peut être qu’une question de temps.

 

 


Petit Peuple : LAC YANCHENG : ascension et chute d’un Grandet chinois

S’il avait été plus raisonnable, Li Yongyuan aurait pu garder sa place au paradis, son salaire suffisant pour sa famille, son cadre de vie sublime, sa belle province du Jiangsu aux mille lacs, plaines, canaux et côtes … et surtout son lac Yancheng royaume du crabe chevelu, que se disputaient les meilleurs restaurants d’Asie. Sur les eaux du lac Yancheng, les éleveurs prospéraient et bronzaient, aux manettes de leurs hors-bord : Li était le maître de ce microcosme lacustre, directeur des pêcheries, à Wuxian (Suzhou). Puissant, mais mauvais chef !  A peine nommé, il se mit à taxer les crabiculteurs, de 3 à 5 kilos  à chaque visite, « pour   ses chefs », disait-il. Les rares qui osaient contester étaient bons pour un procès-verbal bidon, assaisonné d’une amende salée, qui les dissuadait de se défendre à l’avenir.

Ainsi chaque année, vaille que vaille, Li se faisait quelque  dizaines de milliers d’² d’origine contestable. Le soir au foyer, son grand bonheur était de suivre les avancées de son compte-épargne : délice qui valait tous les Maotai ou toutes les amantes qu’il n’avait pas…

Etant parvenu à se faire confier, à force d’intrigues, la charge des taxes lacustres, il repensa tout le dossier afin d’optimiser les profits. Tel éleveur échangeait une parcelle, un appontement : Li taxait, et ne déclarait que le minimum, tout en remettant aux intéressés un reçu à 2¥ le carnet à souches, au lieu d’une quittance fiscale en bonne et due forme. C’est aussi lui qui imposa, initiative toute personnelle, le triplement à 700¥, de la taxe locative des parcelles. Les crabiculteurs n’avaient qu’à ravaler leur colère, tout comme ses inférieurs impuissants : Li était devenu le despote du Lac Yangcheng.

Puis il fit le pas de trop. En 1996, ivre d’orgueil, il se crut assez fort pour escroquer l’Etat. Pour créer de l’emploi, quelques parcelles nouvelles étaient adjugées chaque années, sur les espaces lacustres encore libres. Jamais nul cadre ne descendait de Suzhou pour vérifier : Li osa donc carotter l’Etat de 1000 hectares, ne déclarant qu’un tiers du chiffre réel, et gardant, par devers lui, les 100.000¥ /an de taxes en question.

Dès lors, son sort était scellé. En fin de mandat, en 2001, il remit sa charge au successeur -et se garda de lui confier ses comptes, ou de réclamer quitus. Peu après, le parquet de Suzhou reçut un réquisitoire anonyme, fort bavard sur ses décennies de larcins. Enquête fut ordonnée : chez lui et chez sa fille, jusque dans la cabane de cochons, ce sont 3M¥ qu’on récupéra, dont  il ne pouvait justifier l’origine.

Lenteur de la justice et solidarité des ronds-de-cuir firent traîner le procès, qui vient de se conclure : Li en prend pour 18 ans à l’ombre. Au juge, il justifia ses vols par le souci d’une bonne retraite -le «syndrome des 59 ans», qui est la peur classique du cadre socialiste, de vivre ses dernières années dans le besoin. Il avait aussi voulu bien doter ses enfants.

Mais on l’a deviné, le vrai mobile était ailleurs, loin en arrière dans sa jeunesse. Durant la révolution culturelle, Li avait souvent connu la faim. Il en était sorti champion de l’épargne et du chacun pour soi. L’argent était devenu  pour lui une fin en soi : il suffisait de le  thésauriser pour en jouir. Ainsi, de toute sa vie, le patron des pêches n’avait touché un seul  分 « fen » de ses biens mal acquis. Par contre, au collègue imprudent qui lui empruntait 3¥, il réclamait chaque jour son dû et gardait une humeur exécrable chaque fois qu’il perdait aux cartes.

L’Express contemporain, qui raconte l’histoire, compare Li au père Grandet d’Honoré de Balzac, et l’affuble du célèbre proverbe chinois sur les avares: 一毛 不拔 (yī máo bù bá) celui qui ne donne jamais rien à personne, pas même une plume!