Le Vent de la Chine Numéro 24

du 13 au 19 juillet 2008

Editorial : La Chine agacée par la tortue G8

A Tokayo (Sud Japon,7-9/07), les pays du groupe G8 se sont affrontés pour enrayer le réchauffement climatique. Comme attendu, ils ont adopté le plus petit dénominateur pour réduire leurs émissions de CO² d’«au moins 50%» d’ici 2050. Pour l’allemande A. Merkel, ex-ministre de l’environnement, c’est un succès, du seul fait de partager un objectif entre puissances —même le marché des droits d’émissions de CO² est établi, qui incitera les firmes à investir dans l’économie durable, en leur permettant de rester rentable. Pour des ONG telles Greenpeace ou WWF, par contre, c’est l’échec, vu la médiocrité du résultat face à l’urgence de l’échéance; sept ans pour maîtriser la racine de ce réchauffement (les GES) ou subir une montée de deux degrés, au prix d’immenses pertes en récoltes, en terres submergées etc. La Chine et quatre autres pays émergents présents au sommet (Inde, Mexique, Brésil, Afrique du Sud), pensent la même chose. Mené par Hu Jintao, ce Groupe des 5 (G5) refuse de valider cet accord «vide». Hu ressort sa panoplie de vieux mais forts arguments : la Chine a le droit de se développer, ses émissions par habitant restent plus basses que celles de l’Ouest, la pollution produite « pour l’Occident en Chine, est celle de l’Occident ». Mais le G5 précise sa pensée : «Sur le réchauffement climatique, nous ne prendrons aucun engagement, tant que l’Amérique ne sera pas montée à bord. Nous allons vivre deux années de rudes négociations »…

De ces négociations, la prochaine étape est déjà là : celle de la ronde de Doha, le 21/07 à Genève -P. Lamy, Secrétaire Gal de l’OMC vient de publier l’ultime ébauche d’un futur traité, dans lequel Pékin serait exempte (l’Ouest s’en plaint) de tout effort durant 14 ans. A Tokayo, les PVD ont dénoncé la hausse des prix alimentaires qui frappe les plus pauvres et rend odieux le gaspillage des riches, telle la conversion du maïs en éthanol. Mais comment Nord et Sud, plaide Lamy, peuvent-ils trouver un point d’entente sur l’environnement, sans s’être d’abord accordés sur les barrières qui protègent l’agriculture des pays de l’Occident.

Entre Nicolas Sarkozy et Hu aussi, succès ou échec, dur de se prononcer. Sarkozy a annoncé à Tokayo sa venue aux JO, créant ainsi les conditions de son tête à tête avec Hu, lequel venait de rétablir le tourisme chinois en France. Mais Sarkozy a aussi suggéré qu’il verrait le Dalai Lama en août (comme avant lui G.Brown, A.Merkel): Pékin l’a averti de n’en rien faire, le poussant ainsi dans ses retranchements…

Londres vit une péripétie éclairante. Ayant élu le Dalai Lama Docteur Honoris Causa, la LMU s’en repent publiquement des semaines plus tard : cette réaction pleutre alarme le monde académique, sur le prix à payer en liberté d’action, pour une trop forte dépendance économique envers la Chine, qui avait envoyé à la LMU 434 étudiants, et en rétorsion de l’honneur octroyé au Dalai, venait de lui retirer son agrément…

Entre le Président français qui accepte d’aller à Pékin comme d’autres à Canossa, et l’université anglaise qui se déjuge, on voit le trait commun: une Europe qui perd le pouvoir d’affirmer ses valeurs, une Chine qui force les autres à l’entendre (quoique sur des sujets de valeur contestable), portée par sa montée en puissance.

 

 


A la loupe : Energie éolienne : la Chine hisse le spinnaker

Pour tirer dès 2020, 15% de son électricité des renouvelables, la Chine compte aussi sur le vent, sa 5ème source d’énergie, qui croit de +30%/an depuis 2000. Elle compte avoir doublé le leader allemand d’ici 2020, et dès 2012, avoir installé sur son sol (ou ses mers) 36.500MW de capacité, sextuplant ainsi son parc en 4 ans.

Ce plan ambitieux lui impose une autre approche. La protection de milliers de PME locales n’est plus de mise, le temps est à la concentration et au marché mondial, pour s’assurer la pointe de la technique, en puissance (jusqu’à 2MW par turbine), en fiabilité et en gestion. Aussi les groupes experts sont tous présents, accompagnés de fonds de pensions et autres électriciens soucieux d’atterrir sur ce marché de l’avenir. Plus de JV obligatoire : 70% de la valeur de tout équipement doit être made in China, mais vu les coûts de production et la concurrence féroce sur ce marché, ce critère est surtout un impératif de survie.

Ainsi, l’Indien Tanti, maître du Danois Suzlon (5ème producteur mondial) se lie à la banque bahreïnie Arcapita (6MM$ de fonds en gestion) pour racheter le parc de l’Anglais Honiton, en Mongolie Intérieure, 500M$, puis 2MM$ à payer sous cinq ans en développement. Car Honiton a de «l’or dans les pales». Son parc installé de 50MW va bientôt en compter 100MW de plus, et il possède cinq sites qui restent à équiper, au potentiel éolien de 1650MW. La production des turbines ira entre Danemark, Belgique, Inde, et bien sûr à Tianjin, où Suzlon dispose d’une usine à 60M$, capable de monter 600MW de capacité/an. Ce dernier se trouve en Chine fort à l’aise, détenant 7% des commandes de l’année (200MW), après en avoir installé 220MW les années précédentes.

Preuve de l’ébullition du secteur, la même semaine, l’Américain AES, détenteur de plus de 1000MW à travers le monde, rachète 49% du parc de Hulunbeier en Mongolie Intérieure (50MW), du groupe local Guohua -en exploitation depuis 11 mois : la province est l’une des trois zones pilotes de développement éolien de l’Etat, vouée à héberger plus de 10.000MW. Toujours avec Guohua, AES s’apprête à doubler d’ici 21 ans la puissance de leur parc en JV dans le Hebei, à 99MW.

Parmi d’autres projets dans le vent, la ferme du « East China Seabridge » (sur l’autoroute marine du delta du Yangtzé), oeuvre de quatre groupes locaux dont CGNP (Guangdong Nuclear) et Datang prévoit sous deux ans une puissance de 102.000KW. De son côté, Huaneng vient de recevoir l’agrément pour deux parcs d’un total de 267 turbines de 1,5MW, à Fuxin (Liaoning) et Tongyu (Jilin).

Et ça ne fait que commencer : bien d’autres noms de différents pays préparent leurs projets, comme Shell, BP, Total ou Alstom… On y reviendra.


Joint-venture : Internet : le combat des Facebook

Internet : le combat des Facebook

En deux ans d’existence, Xiaonei, le clone chinois de Facebook a rassemblé 25M de membres: c’est en Chine le portail à la croissance la plus rapide, et le n°2 du « réseau social ». La banque nippone sur internet Softbank a d’ailleurs racheté 35% des parts d’Oak Pacific, sa maison-mère, pour 430M$, plus 100M$ pour poursuivre son expansion. Joe Chen, son Président voit effectivement une chance dans l’effondrement boursier de l’internet chinois (-31% cette année au NYSE), quoique ses 221M de clients doivent passer d’ici décembre à 280M—pour la plupart âgés de moins de 25 ans. Aussi OP chasse les sites sociaux chinois en difficulté, mais d’une certaine taille (50 à 100M$ de chiffre/an). Détail qui intrigue : la méfiance des tutelles chinoises vis-à-vis de ces sites d’opinions et surtout de leurs éventuelles alliances, ne décourage plus l’investissement étranger en centaines de M de $. Par contre, OP doit faire face à un autre risque : l’arrivée de Facebook—le vrai, qui a lancé en juin, lui aussi pour 100M$, une version en chinois simplifié pour le continent, une autre en caractères anciens, pour HK et Taiwan : beau duel en perspective.

Fusion&Acquisition : la Chine perd ses complexes

[1] En 2005, Cnooc se voyait refuser la main d’Unocal, 7ème pétrolier mondial (californien): erreur de jeunesse mais depuis, le pétrolier offshore chinois a renforcé son savoir-faire. Pour 2,5MM$, le norvégien Awilco annonce son passage sous pavillon Cnooc, qui hérite d’une expertise en plates-formes de forage complexe (en eaux profondes par ex., où il était néophyte), et d’une flottille de navires d’études géotechniques qu’il louera jusqu’à 0,6M$/j, tout en multipliant ses propres forages sur toutes les mers du globe. Après accord (probable) des actionnaires, Cnooc passera au 8ème rang des pétroliers offshore, avec 34 plates-formes actives.

[2] Le pétrole chinois n’est pas le seul à passer en mode «conquête». A 13 ans, Chery, agressif constructeur semi-public de Wuhu (Anhui), est réputé préparer le rachat de Volvo à Ford -il lui en aurait offert 4,4MM$. Assommé par ses coûts salariaux et la hausse du brut qui pénalise ses berlines et 4×4, le géant de Detroit a déjà cédé en 18 mois Jaguar, Aston Martin et Land Rover, ses perles rares. Or, sa dernière «danseuse», Volvo lui coûte cher, ayant perdu 151M$ en 3 mois. L’offre de Chery reflète la dépréciation de Volvo, que Ford payait 6,45MM$ dix ans avant. Chery fait face à un problème de cash : ses actifs n’atteignent pas la somme requise —mais en ce pays, de moins en moins, trouver des emprunts n’est un problème, surtout aux groupes d’Etat. Problème aussi de la rationalité de l’acquisition : Chery a déjà une alliance avec Chrysler, pour qui il produit « à façon ». Mais en fait de F&A, la Chine souvent, réagit à l’occasion à prendre…

Australie, la Chine bat le fer pendant qu’il est chaud

Face à la ruée chinoise vers ses mines,Canberra ne cache pas son dilemme. Fin juin, la suspension 90 jours du rachat du minéra-lier Murchison par Sinosteel avait été suivie du rejet du dossier de reprise de Prosperity Ressources (mineur d’or-cuivre) par l’aciérie Shougang. Puis L.Tanner, ministre des Finances, et le trésorier Wayne Swan démentent toute intention de barrer la route aux acheteurs chinois : «le pays s’est fait avec l’investissement et les migrants étrangers». Et Swan rappelle qu’il approuve ces dossiers au rythme d’un tous les neuf jours. Mais trop c’est trop —surtout quand on parle des fonds souverains (y compris le CIC chinois), alors que les ressources mondiales s’évaporent et que la Chine prétend à 30MM$ d’acquisitions « aussie »… Canberra se promet désormais d’étudier «plus attentivement» à l’avenir les tentatives des Fonds. En attendant, profitant des états d’âme, la Chine se rue dans la brèche. Le 6/07, Western Mining, 1er mineur chinois reçoit le feu vert pour 10% de Ferraus pour 140M¥. Le 11/07, par grignotages successifs, Sinosteel contrôle 50,97% des parts de Midwest -et promet d’aider sa nouvelle filiale à développer d’autres grandes mines à l’Ouest, Weld Range (hématite), Koolanooka (magnétite). Ainsi, la Chine se fait les dents sur ces firmes «moyennes», tout en observant de loin le combat incertain entre BHP Billiton et Rio Tinto, fusion qui terroriserait tant la Chine que l’UE —mais Pékin rêve de mettre tout le monde d’accord.

 

 


A la loupe : Wen Jiabao : le retour de la « course à la croissance »

En visite (4-6/07) au Jiangsu et à Shanghai, le 1er ministre Wen Jiabao a donné un signal de confiance en l’avenir, et des orientations en volte-face par rapport à son arrivée aux affaires en 2003. Il plaidait pour «plus de croissance, plus équitable, plus écolo et plus maîtrisée». A présent ses rêves de guerre à la surchauffe semblent du passé: il veut une croissance «rapide et soutenue face aux nouveaux défis», préparer l’après JO pour résister à la panne de croissance des pays riches. Les experts attendent 10% pour cette année (comme depuis 10 ans en moyenne), contre 11,8% en 2007.

Mal nécessaire, l’inflation doit demeurer «acceptable»: «une saine économie devant fournir au peuple les moyens d’y faire face». Elle était de 4,8% en 2007. En janvier, Pékin voulait la brider à 4,5%. En avril, elle s’emballait à +8,5%, pour rebaisser à 7,1% en juin. Mais divers signes industriels font attendre une autre flambée pour l’automne. La BM s’attend à 7% d’inflation pour l’année.

Wen parie donc sur le marché intérieur. Il voit dans une forte croissance le seul outil fiable pour maintenir la stabilité. Pour «concilier» (au moins sur le papier) croissance et lutte anti-inflation, Wen veut continuer à combiner subventions au monde rural prioritaire, et restriction du crédit -mais celle-ci sera contournée par la banque grise, forte des centaines de MM$ retournées de l’étranger, propriété des caisses noires des firmes chinoises.

La NDRC relève au 1er/07 le prix de l’électricité, pour répercuter les hausses du charbon: +4,7% (+0,25¥/kWh) pour l’industrie et le commerce. Mais fidèle à son plan national « renouvelables », elle impose que 20% des ressources nouvelles tombant dans la caisse des électriciens, soient réinvesties dans ces énergies nouvelles. Idem, les 17% de hausse du pétrole du 20/06, profits potentiels pour les raffineurs, sont effacés par la fin de la restitution de TVA de 13% sur le pétrole importé… Déjà, les raffineurs ont coupé de 40% leurs importations de janvier à mai dernier.

L’autre intérêt du maintien d’une forte croissance est de permettre à la Chine de rattraper les US, comme locomotive du monde. Aujourd’hui, en pouvoir d’achat réel, la Chine «pèserait» déjà la moitié des USA (PIBs respectifs de 3MMM$ et 14MMM$), et les dépasserait en 2035, dit A. Keidel du CEIP. Dès 2007, elle avait 29 des 500 « fortunes » globales, et les US en avaient 157 : score le plus bas en 10 ans.

Reste à ce plan un talon d’Achille, l’agriculture. La récolte de 2008 plafonnera à 500Mt, moins que la consommation (518Mt). C’est pourquoi Wen, visitant une ferme modèle de Wuxi, a lancé deux plans « stratégiques », sur 12 ans, pour porter la récolte à 540Mt d’ici 2020. Un effort massif de technologie et de capitaux est jeté dans la bataille —dont l’issue reste incertaine.

 

 

 

 


Argent : Les OGM, sortis du congélateur

Aluminium: le papillon chinois bat moins fort

En ouvrant à étapes forcées grand nombre de fonderies d’aluminium, la Chine s’est hissée au 1er rang mondial (13Mt en 2007), et imposée comme un facteur primordial influençant les cours aux antipodes, entre les bourses de Londres et de Chicago. Aujourd’hui, le pays entier souffre d’une sous-tension estivale : alors, les fonderies doivent réduire l’effort. Sur ordre du gouvernement du Shanxi, les 20 premières usines du pays ont dû baisser, à compter du 1/07, la production de 5% à 10% : rapides à la détente, les courtiers du LME ont escompté un manque à produire de 0,7Mt, voire 1Mt d’ici décembre. Or les réserves recensées sur terre ne se montent qu’à 1,08Mt soit dix jours de consommation. Il n’en a pas fallu davantage pour battre, tous les jours depuis lors, le record du monde des prix, à 3380$/t, +6% en 24h. La barre des 3500$ devrait être franchie sous 30 jours. Tant avide est la demande des pays émergents en biens d’équipement. Jusqu’à ce que tombent les chaleurs, en septembre, réduisant la demande, urbaine en climatiseurs, rurale en pompage pour l’irrigation. NB : un an plus tôt, l’Occident s’inquiétait des immenses capacités nouvelles annoncées par la Chine pour 2008. En fin de compte, toutes sont utilisées : l’avenir lui a donné raison.

Les OGM, sortis du congélateur

Quand la Chine se débat entre désertification et crues, et sort d’une alerte chaude de pénurie alimentaire entre février et mars dernier, l’heure est aux grands moyens, et les tergiversations ne sont plus de mise. Le Conseil d’Etat vient de parapher (cf. ci-dessus, article «Wen») le plan de sécurité céréalière, visant le maintien sur 12 ans d’une autosuffisance de 95%. Ce plan intègre toutes les mesures classiques -répression des détournements de terres arables, irrigation de pointe comme hydroponie, formation continue en agronomie, primes et encouragement aux coopératives, à la transformation. Puis le 10/07, il approuve un second programme-cadre doté de 3MM$, dont 50% assumés par l’Etat, pour l’introduction massive des OGM, filière désormais qualifiée de stratégique. Quoiqu’aucune espèce ne soit mentionnée, c’est de riz, blé et maïs qu’il est question. 20% des fonds iront à l’accélération des recherches sur l’innocuité des semences transgéniques, au début puis en cours de production, et dans la construction d’infrastructures de production et stockage. Dans la recherche en céréales OGM à très haut rendement et à résistance naturelle aux insectes, champignons et autres rouilles, la Chine est leader mondial en riz —mais on dit qu’en blé et maïs, elle évite de se lancer dans la culture à grande échelle, par crainte de plaintes pour piratage de géants mondiaux tel Monsanto


Pol : « Chinafrique », toujours plus vite, haut et fort

Chine-Taiwan : hymen à la chaîne

Pour maintenir le tempo du rapprochement sino-taiwanais, Pékin et Taibei sous la houlette de Ma Ying-jeou (nouveau leader de l’île, KMT, et véritable artisan de la détente entre les deux rivages) reprennent le vieux gadget du mariage de masse, version moderne du mariage arrangé confucéen, pratiqué de part et d’autre dès les années 70 pour éviter aux familles modestes les budgets somptuaires du mariage traditionnel. Ainsi, deux agences matrimoniales (en Chine, la Shuangxi Cultural Comm, de Canton) font appel via internet à 39 jeunes couples candidats. La procédure est simple, mais floue. On ignore le pourquoi du chiffre «39»; les critères de sélections ne sont pas nets, pas plus que le profil du couple recherché (mixte, ou national). Quoiqu’il en soit, les élus gagneront une visite touristique de fiançailles en septembre à Pékin et Hangzhou, puis un voyage de noces collectives en novembre à Taiwan. L’union sera célébrée sur un site nuptial célèbre, au bord du lac Sun Moon entouré des montagnes à mi-automne –romantisch ! Seule fausse note au programme souriant : Taiwan rejette sans appel (10/07) l’appellation olympique de «Chine-Taipei», que l’hôte chinois tentait de lui glisser, faisant valoir que «c’était pareil». Taiwan préfère garder celle, bizarre, de «Taipei-chinois» -précisément pour faire moins chinois!

Emeutes de Wengan : les triades, acteur caché

L’émeute de Wengan (Guizhou), le 28/06, avait lancé 30.000 citadins contre le siège du Parti et la police, suite au décès suspect d’une adolescente. Pour calmer les émotions, Pékin avait ordonné une 3ème autopsie. Sans surprise, le rapport (8/07) confirme la mort «accidentelle et sans violences» -mais famille et amis parlent d’enquête truquée. A ce moment, deux hauts cadres s’épanchent. Ancien chef de la police, limogé pour «incompétence», Shen Guirong, accuse des édiles de liens avec la triade Yushanmontagne de jade»). Tandis que Shi Zongyuan en personne, secrétaire provincial, dénonce l’utilisation arbitraire du bras policier pour étouffer les protestations. Comme pour en donner une illustration, le 27/06 à Guiyang la capitale locale, quelques 20 pauvres hères, licenciés sans solde depuis 2002 de leur usine publique de cigarettes, marchèrent pour la nème fois sur le commissariat, et quand ils furent arrêtés, sortirent de leurs poches des fioles de mort-aux-rats pour tenter un suicide collectif, histoire de se faire entendre, fût-ce depuis l’au-delà. Tous ces dérapages servent de révélateur du climat moral délétère qui peut régner sur les villes, suite à des décennies d’abus d’autorité et de règne sans loi.

« Chinafrique », toujours plus vite, haut et fort

La Chinafrique gagne du terrain, ayant sextuplé en sept ans le commerce bilatéral (à 35MM² en 2006, selon la BM) tout en dépassant la France comme 2d partenaire commercial en 2007. Pékin a su saisir la chance de leur complémentarité, entre le cruel déficit africain en infrastructures et celui de la Chine en ressources fossiles : la Chine fournit chaque année 22MM$/an à 35 pays, en partie en équipements made in China, emportant en échange pétrole et minerais. Modèle illustré cette semaine par trois contrats : [1] Au Niger, pays du Sahel enclavé et parmi les plus pauvres, mais riche en uranium et pétrole, la Chine livre ses vieilles centrales thermiques. Polluantes —mais à prix imbattable, ce seront les 1ères d’un pays en sous-tension chronique, raccordé au Nigéria. Elles seront payées sur une ligne de crédit de 5MM$, payables en trois ans par la CNPC, qui construira aussi un oléoduc de 2000km et une raffinerie sur le gisement de Diffa (à l’Est), aux réserves prouvées de 324M barils. [2] Au Gabon, après deux ans de palabres difficiles, la CMEC obtient pour 25 ans 700km² de gisement de fer à Belinga (500Mt de réserves): 790M$ sont engagés pour ouvrir la liaison ferroviaire de 500km, une centrale hydroélectrique, et le port en eau profonde de Santa Clara. Rendement prévu : 30Mt de minerai/an. [3] De passage à Luanda (Angola), Li Ruogu, gouverneur de l’Eximbank chinoise, signe trois chèques pour 135M$, pour restaurer centrales électriques, centres de traitement des eaux et voirie. La Chine lui a déjà fourni entre 4 et 11MM$. En revanche, Luanda offre les 2/3 de son or noir.

NB : depuis 2002, suite au détournement d’au moins 1MM$, le FMI ne finance plus l’Angola.


Temps fort : Des JO pavés de bonnes intentions

H. Verbruggen, l’inspecteur-chef des infrastructures des JO, ne tarit pas d’élo-ges: Pékin a créé pour l’avenir une « norme d’or», par la «qualité de sa préparation, l’attention au détail opérationnel». Ces lauriers ne vont toutefois pas jusqu’aux droits d’émission en direct des TV étrangères, ni à la qualité de l’air, 5 voire 7 fois plus pollué que la norme de l’OMS. Mais tout va changer, après la fermeture (8/07) de centaines d’usines. A Tianjin, autre ville olympique (football), 267 usines ont été fermées. Le 20/07, l’aciérie Shougang tournera à 50% d’émissions -un degré d’activité sous lequel l’infrastructure s’autodétruirait. Au même jour, 1M de voitures seront clouées au sol. C’est alors seulement que l’on verra si la mégalopole Pékin-Tianjin, peuplée comme la France, peut connaître un ciel azur.

Côté TV toujours, la Chine vient d’annoncer qu’elle renonçait pour ses chaînes (a fortiori celles des autres) à ses 30 secondes de différé qui lui permettraient de cacher toute scène imprévue. Plus qu’une volonté démocratique, c’est une preuve de force. Car le terrain pékinois a été sécurisé en profondeur, écartant les franges sociales à risques. Les derniers expulsés sont les 170.000 recycleurs de déchets.

Concernant la liberté de presse, le CIO vient d’inviter la Chine à tenir les promesses faites un an plus tôt. Comme anxieux de prouver sa bonne foi, (lors de la présentation le 8/07 d’un centre de presse de rêve), le régime réitéra instantanément la promesse de laisser les 30.000 journalistes travailler à leur guise en Chine durant les Jeux… Propos contredits par le FCCC (269 incidents!) et par J.Hano, producteur à la ZDF allemande, dont l’émission en direct sur la Grande Muraille fut sabrée par la police le 5/07, malgré tous les permis en main.

La hantise de dérapages terroristes se ressent fortement dans le recadrage des minorités. Tenu à l’écart des JO (quoiqu’ayant proposé d’y assister), le Dalai Lama est adjuré de les soutenir. A Kashgar (Xinjiang) une campagne déferle contre le Hizb ut-Tahrir, « Parti de Libération Islamique », et Urumqi voit le 9/07 la police abattre cinq présumés membres d’Al-Qaïda qui «préparaient une intifada» -82 d’entre eux, dit Xinhua, auraient été appréhendés depuis janvier. De Mongolie Intérieure, on rapporte aussi des arrestations de Mongols soupçonnés de séparatisme.

Concluons sur ce détail plus souriant : depuis le 10/07, un billet de 10¥ est sorti, le « nid d’oiseau », figurant le stade national en effigie. Mais n’espérez pas le voir, sauf pour les happy few : commémoratifs, les 6M d’exemplaires ont disparu à la seconde de leur distribution dans les banques! Quoique réclamée par certains, la disparition de Mao du numéraire chinois n’est pas pour demain. Même si l’éphémère envol du « nid d’oiseau » peut être vu comme un test discret des réactions du public, préparant (à dose homéopathique) un changement ultérieur…

 

 


Petit Peuple : Guangzhou, le médecin pataphysicien

Tiraillé entre Est et Ouest, le Chinois vit son plus grand malaise conceptuel face à la médecine, dont les traditions héritées d’Ambroise Paré (France, XVI.) et de Su Song (Tang, VII.), sont en conflit frontal.

Dans le corps humain, l’Occident lit une série de fonctions, qu’il prétend guérir (ou opérer) chacune séparée. La Chine pose le primat de l’unicité de l’être, corps et âme liés, exigeant d’être soignés en même temps. L’Europe soigne donc «mécanique» et la Chine, «philosophique». La Chine voit même la médecine comme servante d’un empire cosmogonique, au même titre que justice, astronomie ou religion. Entre ciel et enfer, la Terre -et sa médecine- sont soumise aux règles d’une harmonie unifiante, immuable.

Mais venu du fond des âges, ce type de pensée symbolique prend des rides, au contact des lumières de la science. Trop souvent, il se retrouve pris sur le fait, à proférer des affirmations de type pataphysique, délirantes ou burlesques.

Ainsi, sur la foi du «Précis médical prescrit aux héritiers» (医谱后学必读), paru la 8ème année du règne de Daoguang (Qing, en 1828), le docteur Yan Lengfa de Guangzhou (87 ans) prétend identifier le sexe des bébés à naître, au seul teint anthracite du téton de la future mère: au sein gauche, c’est un garçon, au sein droit, une fille. Ni l’auteur anonyme, ni Yan ne précisent ce qui se passe, si les deux aréoles sont noires, ou de toute autre couleur -bleu marine par exemple, ou rose. Ils n’ont pas plus envisagé les suites d’une erreur de diagnostic toujours possible, alors que des milliers de paysans ne veulent qu’un garçon et pourraient en cas de déception, exprimer une colère incoercible.

Justement, en 2007 à Pékin, Mme Man Aiguo, 46 ans, se mit à éprouver vertiges et nausées, suivis d’une prise de poids qui lui fit soupçonner une grossesse tardive. Mais à la clinique, l’homme de l’art, ayant pris ses deux pouls, la détrompa : elle n’était point gravide, seulement en train de passer la ménopause. La matrone repartit rassurée, le cabas plein de sachets de décoctions destinées à faciliter l’automne de sa maternité.

Mais un semestre plus tard, impossible à cacher davantage «le mal qui explosait aux regards de tous» (zhong mu kui kui, 众目睽睽) : Aiguo était enceinte jusqu’aux dents, sans en avoir le droit, ayant déjà épuisé son quota d’enfant unique. Or, pour l’avortement c’était bien entendu beaucoup trop tard. Face à cet accident, les fonctionnaires du planning familial ne voulurent jamais croire aux explications du couple. Persuadé qu’il l’avait fait exprès, ils prirent une sanction exemplaire : le mari perdit son emploi.

Dans la presse, l’affaire fit du bruit. Les experts s’abritent derrière un brouillard d’arguties visant à exonérer de tout soupçon leur médecine nationale, « en principe infaillible», expliquent-ils, mais qui «requiert des praticiens de haut niveau, et peut mener à des échecs, quand elle est pratiquée par des charlatans »…

Les enfants du docteur Yan, eux, ont été droit à la conclusion qui s’imposait. Le vieux toubib, depuis toujours, rêve de donner à un musée ses 300 ustensiles médicaux antiques et ses 30 manuscrits introuvables. Eux, ont décidé de fourguer tout ce fatras, pour en tirer ce que l’amateur assez fou voudra bien leur en donner.

Par ce geste, ils trahissent la volonté du père, mais retrouvent sans s’en rendre compte, l’âme de la révolution culturelle qui voulait « du passé, faire table rase». C’est le geste classique de rejet de la culture des parents pour retrouver celle des grands parents, une révolte qu’on retrouve en France chez les « beurs » et partout sur Terre, à toutes époques, sur tous continents : à l’Est, rien de nouveau !

 

 


Rendez-vous : A Changchun : Convention d’affaires sur les enjeux de l’industrie automobile

14 juillet, Beijing : Bal du 14 Juillet organisé par la CCIF et l’Ambassade de France. Bonne fête Nationale à tous !

15-22 juillet, Changchun : Convention d’affaires sur les enjeux de l’industrie automobile

18-20 juillet, Beijing : Conférence et salon sino-américain de la logistique

19-20 juillet, Dalian : Salon international de l’éducation.