Le Vent de la Chine Numéro 28
En ordonnant la réhabilitation de Hu Yaobang, Hu Jintao assume le pas le plus risqué de son mandat.
Esprit rarement fécond, Hu Yaobang, 1er Secrétaire dans les années ’80, avait conçu bien des changements sous Deng Xiaoping, vers le «socialisme de marché», en tandem avec Zhao Ziyang.
En 1987, craignant la fin de la dictature du prolétariat, l’aile gauche l’avait limogé. Sa mort en 1989 avait lancé place Tian An Men les étudiants. Après le massacre de la nuit du 3-4 juin, de peur de ranimer ce débat, le régime n’avait jamais voulu rétablir son image. Sans lien avec Hu Yaobang (mais ayant servi dans les jeunesses communistes créées par lui), Hu Jintao a choisi son 90ème anniversaire (20/10) pour le réhabiliter, à Cangfang (Hunan, son pays natal), et surtout au Grand Palais du Peuple où le Parti marquera l’événement d’une fête retransmise en direct au pays.
Hu Jintao pourrait donc devenir l’homme par qui la Chine ose regarder son passé. Un neveu du disparu confie qu’il méditait ce geste depuis « 2 ou 3 ans » : Hu Yaobang était un de ses maîtres à penser, comme Zhao Ziyang était celui de Wen Jiabao.
Ce virage qui gênera peut-être Jiang Zemin (l’ex-Prsdt) et sa faction, a ses limites: Hu exclut que le Parti annule son verdict «contre-ré-volutionnaire» sur le Printemps de Pékin. Cela ne sera sans doute pas possible du vivant de ses acteurs, tel Li Peng!
Pour autant, ce tournant ouvre la voie à d’autres réhabilitations, ainsi qu’une chance de réforme politique – toilettage aux privilèges des cadres, et priorité à la loi. Cette effluve démocratique était déjà sensible dans la gestion sociale des émeutes, à la poigne plus nuancée (cf VdlC n°26, 27). A présent, le régime l’assume, démontrant confiance en sa force, et conscience de l’urgence de dynamiter des vieux réflexes autoritaires et corrompus au sein de l’appareil, tout en transférant davantage du produit de la croissance, vers les défavorisés.
Curieusement, cette semaine, on note une baisse de rythme des affaires et contrats internes à la Chine (notre rubrique «argent») , atypique en cette époque de l’année. Elle peut s’expliquer par le tour de vis au crédit et à la surchauffe. Elle exprime aussi l’attentisme des décideurs économiques (et politiques), face à ce tournant impalpable, aux conséquences potentiellement si lourdes : la Chine retient son souffle, avant le Plenum du Comité Central sous quelques semaines, qui permettra d’y voir plus clair !
Moult péripéties ont fait changer de main 8,5% des parts de Huaxia, 4ème banque en Bourse par la taille.
Elles tombèrent dans l’escarcelle insolite d’un inconnu, la Cie d’investissement singapourienne Pangaea : offrant au passage un rare regard sur les pratiques des firmes de la Chine profonde.
Acte I de l’opéra bouffe : ce groupe du Shandong emprunte 640M¥ à la mine Yanzhou, embarrassée de sa fortune inespérée, fruit des cours du charbon – trop heureuse de prêter à une Entreprise d’Etat (EE) du même club public, et investissement de père de famille, croyait-elle.
Acte II : ayant fait de mauvaises affaires, le groupe ne peut rembourser.
Acte III : garant de l’emprunt, Lianda remet à Yanzhou 289M de parts de Huaxia, sur les 360M qu’il possédait. Détail bizarre: ces parts publiques étaient théoriquement incessibles. Mais depuis 3 mois, la CSRC, (la Commission de régulaion des bourses) autorise la vente partielle de ce patrimoine public.
Acte IV: Yinting, salle des ventes shandongaise met la position aux enchères et en tire 1MM¥, plus-value de 50% par rapport à la dernière cotation du 30/6.
C’était la 1èrefois que des parts bancaires partaient à l’encan, et la 1ère fois qu’un étranger entrait par ce biais au capital d’une banque chinoise.
Or, Huaxia n’est pas n’importe qui. Plus jeune, moins endettée (3,1%) que les grandes (24% en moyenne), mieux gérée (640M¥ de bénéfices en 2005), elle est courtisée par une cohorte de consoeurs de l’étranger, telle Deutsche Bank qui semble sur le point d’en emporter 10% pour 220M$, mais aussi Société Générale, Sumitomo-Mitsui et DBS autre singapourien. Autant dire que les parts empochées par Pangaea ne vont pas rester longtemps dormante, et rechangeront tôt ou tard de maîtres.
Tout ceci, sous réserve que la CSRC approuve le transfert, faute de quoi toute l’affaire n’aura été que « beaucoup de bruit pour rien »!
— 20 ans en Chine n’ont ouvert qu’une goutte du marché du prêt aux banques étrangères.
Ces 65 maisons n’ont que 31,5MM$ en course, 1,35% du marché. L’avantage du bilan médiocre (voulu par la tutelle protectionniste) étant un taux bas de créances douteuses (1,3%).
Mais à 17 mois de la libéralisation-OMC, la vapeur monte -les candidats veulent gagner la pole-position.
BNP-Paribas renforce sa division «prêts», de 75 à 100 emplois, puis 150 en 2007. Le consortium Société Générale, Commerzbank et OCBC (Singapour) tend à China Gas (Shenzhen) 60M$, sans hypothèque, quand il n’en espérait que 40, avec hypothèque !
Sous de telles conditions, l’accélération des prêts risque d’alourdir les mauvaises dettes, sur ce marché instable, excessivement dédié aux firmes (90% contre 54% en Allemagne). Ainsi, Citigroup garantit l’achat par CNPC de Petrokazakhstan, 4,2MM$ -prix surcoté, disent les experts. Puis des rumeurs (démenties par CNPC) lui prêtent l’objectif d’une revente de 50% de l’acquisition encore en cours : peu rassurante pour le bailleur !
NB : pour compter en Chine à l’avenir, ces banques n’ont d’autre choix que de risquer gros maintenant.
— En Chine, Ericsson, l’ex-champion du téléphone portable revient de loin.
Aux fulgurantes années ’90 ont succédé les vaches maigres et l’émergence d’une concurrence locale stimulée par le MII. 2002 avait vu l’alliance avec Sony, seul moyen de sauver sa branche portable.
Le voici qui fait son come back, annonçant 1MM$ d’invest avant 2010, dans le futur système 3G. Dès mi-2006, après l’attribution des licences, les 2 ou 3 groupes de téléphonie élus devront équiper leurs réseaux, pour 10MM$ de commandes dont 35% pour Ericcson, parie son délégué M. Olssen.
Son atout : une technologie qui marche, pour un téléchargement rapide et puissant de services, et une interface avec le standard local, en JV avec ZTE. Le géant suédois vise aussi, pour Sony-Ericsson, une part alléchante des 177M d’appareils par an vendus d’ici 2007, pour faire de la Chine son 1er marché mondial !
Le 7/9, un armistice fut signé à la saga textile sino-européenne, suite à l’adoption unanime par les 25 Etats-membres d’un deal obtenu 48heures plus tôt entre le commissaire P. Mandelson, et le ministre du commerce Bo Xilai.
P. Mandelson était descendu à Pékin en même temps que Tony Blair, 1er Ministre britannique qui présidait le 3ème Sommet business euro-chinois (05/09). Autre heureux hasard : Hu Jintao était aussi sur place, ayant sursis à sa visite aux USA (typhon Katrina oblige, et l’état de calamité outre-Pacifique).
Ces deux poids lourds parrainèrent l’accord, qui consista à partager arbitrairement (sans vérification) la responsabilité des 80M de vêtements en excès de quota, bloqués aux ports de l’Union Européenne. La moitié à charge de l’Union Européenne, l’autre imputée au quota chinois de 2006. Un tel «gentleman’s agreement» n’allait pas de soi : en pratique, rien n’obligeait la Chine à telle concession sur un dossier, qui dérangeait avant tout l’Europe. Elle l’a fait pour saluer les bonnes relations, et pour permettre aux US de suivre sur les mêmes rails. Le flot de pantalons et brassières devrait s’écouler vers les vitrines européennes à partir du 15/9 !
Par ailleurs, la mission Blair, couplée au Sommet Chine/UE, a apporté sa moisson de contrats.
[1] La commande de 10 Airbus A330 pour China Southern (pour 1.5MM²), qui «préserveront 135.000 jobs anglais». [2] L’entrée de la Standard Chartered, pour 20% dans la future Bohai Bank (100M²).
Avec l’Union Européenne, des accords furent signés, telle cette formation de la Chine au projet de retraite mobile de l’Union Européenne, accord doté de 40M², pour déléguer dès 2006 des experts communautaires en régime de retraite. Pékin est très intéressé à suivre le futur système européen de pension à sources multiples, pour pister à travers les 25 Etats-membres les annuités versées par le travailleur migrant, et l’adapter à ses 30 provinces et territoires autonomes. Une autre coopération fut engagée dans le domaine de la lutte contre les gaz à effets de serre : l’Union Européenne remettra à la Chine une technologie pour centrales thermiques à charbon propre, avec captage du CO² et stockage à long terme dans des formations rocheuses poreuses. Autant de petits gestes utiles, réduisant insensiblement (mais vite) la distance entre les deux continents !
— Une des dernières “JV” sino-chinoises, est une des plus curieuses: 2 firmes sans expérience de la finance se lancent dans l’assurance!
Audacieuse, la tentative a du sens—du génie peut-être, même! L’une est SAIC, constructeur auto shanghaïen, n°1 national, qui vient de créer Anbang, son assureur-maison.
L’autre Sinopec, le n°2 pétrolier prend 20% des parts, en injectant 34M² dans ce bébé qui devient à peine né le n°4 en capital, avec 169 M².
Anbang compte autant de courtiers que la masse des concessionnaires de SAIC et des stations-services de Sinopec. Pour son baptême, en grande pompe, elle reçoit des licences sur 10 métropoles, avec 4 provinces à la clé !
— Après 55ans de socialisme, le Hebei abrite une silencieuse catastrophe écologique -terroirs lessivés, air empesté de soufre, cours d’eau surexploités et surchargés d’effluents, et surpopulation (0,3ha et 300m3/habitant).
“Stop!”, dit Guo Gengmao le vice-Gouverneur, dénonçant le gaspillage, la basse productivité et criant à la rupture du système -d’ autant plus proche que la province abrite Pékin et Tianjin, enclaves déca millionnaires qu’elle doit abreuver et protéger des tempêtes de sable. Aussi le Hebei vient-il de définir un plan à 30 ans pour s’arracher au maelstrom où il se voit engagé : 1015 projets, 42MM² sur 30 ans, de la restructuration de vieilles usines à la lutte contre la pauvreté, conservation de l’eau et du sol et au contrôle environnemental.
Guerre entamée sans naïveté : “d’ici 15 ans, nous vivrons un conflit grave entre croissance et écologie. Mais nous n’avons pas le choix”! Evolution intéressante, car hier, l’esprit écolo était plutôt une affaire de salon. Aujourd’hui, il gagne son vrai terrain -la Chine profonde !
— Après Katrina le cyclone, en geste de bonne volonté qui ne sera pas oublié aux States, Hu Jintao dépêche (7/9) un avion de biens de 1ère urgence, pour 5M$.
Beau perdant après l’échec au rachat d’Unocal, Cnooc le pétrolier donne 200.000$!
Au même chapitre bonheur, les 2 polices démantèlent à Tianjin un réseau de faux médicaments, saisissent pour 4M² de faux Viagra, Cialis ou Lipitor, arrêtent 11Chinois et 1 Américain qui sévissaient en ligne sur 11 pays.
Au chapitre “grimace”, Pékin dérange Washington en affirmant, à la veille de négociations de paix avec la Corée du Nord (13/9), le droit à la Bombe pour Kim Jong-Il. Tandis que les autorités fédérales, soutenues par plusieurs autres pays, décortiquent un trafic de devises par la Corée du Nord via la Banque de Chine (BoC), et 2 banques sises à Macao. Toutes risquent des sanctions sévères américaines. Washington grogne enfin, impuissant, face à l’ambitieux espoir chinois de mainmise sur le pétrole d’Iran (aux ambitions nucléaires, au ban des nations de l’Ouest). Tout ceci, sans compter le plan de réarmement de Taiwan par les US, au dam de Pékin, bien sûr !
— Yahoo! est épinglé (7/09) par Reporters sans frontières, soupçonné d’avoir aidé la police en avril 2004 à arrêter Shi Tao. Sous l’accusation de “divulgation de secrets d’Etat”, le journaliste du Shanxi fut condamné à 10 ans.
Par enquête sur son archive, Yahoo! aurait fourni la preuve d’envoi vers un site de Hong Kong de documents internes au Parti. Yahoo! se défend en invoquant l’obligation de respecter les lois.
Yahoo! n’est pas le seul : Google et Microsoft aussi, expurgent de leurs forums et blogs en Chine tout mot dérangeant. Condition sine qua non, pour prendre leur place sur ce marché bientôt n°1 mondial (+18.4% /an, déjà 103M d’utilisateurs) : uniquement après avoir montré patte blanche. En août, Yahoo! avait été autorisé à reprendre 40% d’Alibaba.com, n°1 de l’e-commerce local, pour 1MM$. RSF fait avancer un débat sensible, en appelant ces géants à s’imposer une déontologie sur ce marché, sous peine de subir un dommage à leur image voire, des campagnes de rejet par leurs clients d’origine!
— En matière de fourniture de pétrole, la Russie confirme son virage en faveur de Pékin, au détriment de Tokyo. Reconnaissance du fait qu’on ne peut impunément tourner le dos à un voisin tel la Chine, elle donne priorité à Daqing (Heilongjiang) sur l’or noir que véhiculera l’oléoduc dont les travaux débutent avant décembre 2005.
Nakhodka, port d’embarquement vers le Japon, recevra la part du pauvre, 1/3 de la capacité, donc 10Mt/an. Dès 2008, la Chine recevra son dû par pipeline – et le Japon par train. Ce n’est que dans un 2d temps qu’une patte d’oie reliera l’axe nippon.
Peut-être pas en retour, mais au même moment, l’APL, (l’armée chinoise), signe (8/9) l’achat de 38 jets de transport (troupes et matériel) de type Candid (Iliouchine-76) et ravitailleurs en vol de type Midas (Il-78), d’un coût de 1,2MM².
— Comme Nabi au Japon et Katrina aux USA, le typhon Talim a fait rage en Chine: 102 morts sur 4 provinces, Anhui, Zhejiang, Fujian et Hubei.■
Le 6/9, Zhao Yongzhen, vice directeur du Bureau d’antiterrorisme du Ministère de la sécurité publique accusait les séparatistes Ouighours du Xinjiang d’avoir tué en 10 ans, 160 personnes et de demeurer en 2005 le risque majeur de la terreur en Chine.
Depuis 10 ans pourtant, surtout après le 11 sept. 2001, un effort sans précédent fut déployé pour déraciner leurs réseaux, couper leurs lignes avec l’Asie Centrale. En 2001, Pékin estimait à 1000 les militants formés par Al Qaeda. Entre-temps, des 100aines d’attentats étaient perpétrés par des Ouighours en Chine ou ailleurs – en 2003, au Kirghizstan, 22 touristes étaient brûlés dans leur bus…
Face à cette menace très actuelle, qui marque en fait l’échec de ces années de politique répressive, Pékin renforce son effort, sans s’interroger sur la racine du mal – l’implantation rapide au Xinjiang de 9M de Han, face aux 7M de Ouighours, et l’inégalité des 2 communautés devant l’administration.
L’ANP, (le Parlement chinois) amende sa loi d’ordre public (29/8), renforçant les peines aux instigateurs de toute activité illégale, au nom de la religion. Une loi antiterroriste est en gestation. La Chine fait appel à tous les pays. Un centre international de formation à la lutte anti-terroriste se bâtit au Xinjiang, pour 70M², destiné à former dès 2010 les brigades d’intervention de Chine, d’Asie Centrale (dans le cadre de la SCO de Shanghai) et du Sud (Thaïlande…) : l’ambition est claire, celle d’opposer une force multinationale (dirigée depuis Pékin), à la menace panislamiste sur l’Asie…
La Chine voit la multiplication d’un autre terrorisme plus aveugle e
— Rêve caché de la Chine la plus branchée: griller les étapes, rattraper en une nanoseconde 1000 ans de pauvreté et d’humiliation. Brûler sa terre, sa vie, pour jouir de l’instant. Qui sait si demain, la permissivité sera toujours là? Le nouvel idéal: le «vite fait sur le gaz» !
En ce monde pour riches, trois secondes suffisent pour un café instantané. Cinq, pour un e-mail au bout du monde. Six heures, pour franchir deux continents en jet. L’ultime avatar de cette mode résistible est le 闪婚 shan hun, «mariage fulgurant».
Le 1er août, à Changchun (Jilin), suite à un faux n°, Tang (garçon) et Huang (fille) tinrent sur leurs portables un 1er bavardage. Il dura 7 heures, et se conclut (à distance) par un «oui! » nuptial. S’ils avaient pu, l’union eût été bouclée dès le lendemain : l’oubli des papiers de la donzelle les força à reporter au Jour «J+4».J+8, l’appart était loué tambour battant. J+10 voyait le(s) déménagement(s). J+11, ils réceptionnaient le livret de famille. J+16, la mini-fête une fois baclée, Tang tira Huang par un bras, la valise dans l’autre vers le taxi, la gare, la lune de miel, suivis d’une nuée de paparazzi, car ils étaient passés en symbole.
A travers la Chine, les jeunes trouvaient ultimement «cool», qu’ils aient ainsi su tirer leur révérence. Ils définissaient une idéologie nouvelle et implacable-celle du chacun pour soi et du sauve qui peut! Par contre, vexés de s’être fait voler une fête, amis et proches «firent les yeux ronds et un noeud à leur langue» (chengmu jieshe,瞠目结舌). Non sans aigreur, certains prédisent même un闪离 shan li, «divorce fulgurant», prix à payer pour avoir refusé confiance en la vie, et en l’avenir.
— Canton, 12-15sept: Foire de Canton (automne)
— Canton, 12-15 sept: Forum sino-français des PME
— Pékin, 15-18 sept: Chaoyang Int’l Business