Le Vent de la Chine Numéro 17

du 22 au 28 mai 2005

Editorial : TEXTILES : LE SABLIER S’ÉPUISE

L’étau se resserre sur la Chine, de la part de ses clients Union Européenne et USA submergés par ses chemises et sous-vêtements.

Washington réinstaura d’urgence,(13 et 18/5) des quotas de 7,5%/an  sur son marché pour 5 types de vêtements chinois. Bruxelles suivit (17/ 5), pour annoncer 2 quotas sous 15 jours (T-shirts, fil de lin), sauf accord à l’amiable. Actions licites, selon l’OMC, en cas de «perturbations graves du marché».

«Elles violent l’OMC», avertit Bo Xilai, min. du commerce (18/5), «elles nous coûteront 1,2MM$ aux seuls US, sans parler des jobs, et elles compromettent la prochaine ronde de négociation à Hong Kong » (décembre 2005). La menace est claire! P. Devedjian pourtant estime l’action de Bruxelles, avec 2 quotas accordés sur 16 réclamés, « excessivement prudente, voire inefficace ».

C’est que Bruxelles est prise entre 3 feux : la Chine, qui défend bec et ongles ses «M de jobs peu payés mais irremplaçables», les Etats-membres latins qui pleurent leur textile mourant, et les urgences de la Realpolitik :

[1] avant octobre 2005, les textiles refusés aux US vont se déverser sur l’Europe, dernier marché, et

[2] le 29/5,  faute d’un mur protectionniste qu’elle récuse par ailleurs, l’Union Européenne risque un «Non» en France, lors du référendum sur sa Constitution!

Puis (19/5), Bo Xilai céda et annonça un relèvement  des droits sur 74 types de textiles – 6 des 9 gammes sous enquête européenne.  

En apparence, elle relève les taxes à l’export jusqu’à 1500%. Mais elles gardent en fait un niveau bas (3¥ sur le pantalon), et selon les experts, ne devraient pas grever lourdement l’avantage d’export. De plus, le Ministère du commerce semble faire le forcing – ses concessions tomberaient, en cas de maintien des quotas…

Deux autres outils doivent peser sur cette réduction d’exports : l’autolimitation volontaire des firmes, et la coopération anti-piratage accrue, qui fait 10% de ce marché.

Au milieu de ce maelstrom  (17/5),  G.W. Bush ouvrit un nouveau front, celui des monnaies, donnant 6 mois à la Chine pour réévaluer, sous peine de 27,5% de taxes sur ses exports, comme «manipulatrice des marchés».

 La veille encore, Wen Jiabao refusait de se laisser dicter le cours de sa monnaie. Mais le 18/5, il ouvrait un nouveau marché monétaire en Chine, à savoir un marché du change entre le US$ et 7 devises, et entre l’²uro et le Yen : sans l’avouer, c’est une plaque tournante  vers la convertibilité du RMB !

 

 


A la loupe : Les leçons chinoises de Patrick Devedjian

Il est rare qu’une visite à haut niveau en Chine dure 8 jours—même d’un ministre de l’industrie.

C’est pourtant le temps que vient de passer P. Devedjian entre 5 métropoles chinoises – temps de latence nécessaire pour appréhender les opportunités de redresser une balance des paiements déficitaire à 32%!

Le travail à long terme fut parqué par ces protocoles de coopération, à Shanghai avec RTE sur la distribution d’électricité, à Canton avec le consortium Object web et le GMRC (Guangzhou Middleware Research Center), sur la coopération en logiciels freeware et en informatique.

En TGV, le succès vient de l’implantation d’Alstom à Changchun auprès de CRC (China Railway Corp.), plus grande usine ferroviaire à grande vitesse du pays, alors que l’union semblait promise à Siemens (qui s’installe à Zhuzhou, plus grande usine ferroviaire du monde!).

Ici, déclare Devedjian, l’influence de J. Chirac aurait été déterminante.

Pour Baishan, prochaine centrale nucléaire à adjuger, la province du Jilin vote Areva, mais n’est pas pressé de passer au  modèle IPR de 3ème génération, au coût triple. C’était attendu. Alstom voit confirmer cette semaine son contrat de doublement de la centrale de Lingao (Canton), 2 tranches de 1000MW, pour la partie génératrices (système « Arabelle » de nouvelle génération, 80M²), tandis qu’Areva voit confirmer sa commande du coeur nucléaire.

Le maintien du partenariat d’Astom est important, car cette fois, il concourait comme sous-traitant, face à 7 offres mondiales.

Or la Chine, confirme Devedjian, assurera difficilement une sécurité nucléaire sous 2 systèmes différents, pour les 30 centrales qu’elle veut bâtir sous 15 ans. En somme, sous de nouvelles règles du jeu, «on prend les mêmes et on recommence»: la filière hexagonale semble tenir le bon bout, surtout  face à la concurrence de l’AP1000 de Westinghouse, « la centrale sur papier » (jamais construite) !  

 


Joint-venture : Alcatel – TCL, divorce en portables

— Le «Mack» du transport routier américain, Yellow Roadway s’élance plein gaz vers le marché du fret, profitant de l’expansion hyperbolique des autoroutes pour tailler des croupières aux chemins de fer, de toute manière saturés.

Atout : une concurrence «roue» faible.

FedEx et UPS se limitent aux petits paquets, et aucune messagerie n’aligne plus de 200 poids lourds.

Or, deux clients ont un besoin incompressible en transport porte à porte, d’usine au bateau : Home Depot et Wal-Mart, lequel achetait en 2004 en Chine 18MM$ de marchandises pour son réseau mondial de grandes surfaces… Ce faisant, Yellow réalisera sa percée hors des US, où il vient de se hisser parmi les grands, après rachat (1,37MM$) du rival USF en février.

— Très présent en Chine ferroviaire, Bombardier y produit des rames de métro (à Changchun) et wagons spéciaux (GV, haute altitude, à Sifang/Qingdao): à cette panoplie, le groupe canadien ajoute (20/5) un outil dont il est leader mondial (74%), le transbordeur de passagers, navette de 2km dans l’aéroport de Pékin. Bombardier-Pittsburgh (US) a la charge des 11 wagons du matériel roulant et du système d’automation Cityflo. Il en coûtera 89M$, sans compter les 2 ans de maintenance en option.

Lancement garanti pour décembre 2007, juste à temps pour accueillir les 1ers hôtes étrangers aux J0 de 2008. Alors, 4100 passagers par heure transiteront avec bagages d’un terminal à l’autre (y compris le n°3, en construction). Une part de la production sera délocalisée, permettant de doubler les emplois du groupe en Chine, à 2800.

— En téléphonie mobile, les temps se suivent et ne se ressemblent pas.

Après une facile et écrasante domination du terrain chinois dans les années ’90, les ténors étrangers s’étaient laissés surprendre par la contre-offensive du MII (Ministère des Industries de l’Information) qui avait fait proliférer une concurrence locale de qualité basique, 40 Cies dont deux géants, TCL et Bird.

Relevant le gant dans les années 2000, Nokia, Motorola et Samsung, avaient investi des MMUS$ dans la recherche, des fonctions nouvelles ou plus performantes, des capacités supplémentaires pour réduire les coûts, des réseaux de vente… Grâce à cet effort, dès 2004, ils inversaient à nouveau l’avantage, gagnant 14% de parts du marché à 62%. Sentant le vent tourner, TCL et Alcatel avaient dès lors intégré leurs activités de portables, en JV.

La grande nouvelle de cette semaine, est qu’Alcatel jette l’éponge et cède à TCL ses 45% de parts. Ce recul sanctionne les 49,4 M$ de déficit du 1er trimestre TCL qui demeure n°2 national en 2004 (7,5M de téléphones vendus, moins 24%)), reste seul à investir dans sa R&D et des modèles nouveaux. Le défi le plus pesant est technologique : face aux progrès de la concurrence étrangère (écrans, mp3, photo), la branche locale a du mal à suivre!

 

 

 


A la loupe : Notes autour du Fortune Forum

Pas de Sommet de Davos à Pékin ce printemps (il est reporté à l’été indien), mais l’atlantiste Forum Fortune, sous le  patronage rare du Président Hu Jintao suivi de Wen Jiabao  et de son gouvernement.

Comme si, voyant venir son conflit commercial planétaire, le régime avait voulu confier sa foire aux investisseurs à l’Amérique de Time Warner (celle à convaincre), plutôt qu’à l’audience de l’Europe, via le forum helvétique.

C’est dans cette nouvelle bouteille que la Chine a versé son vin vieux, plaidoyer aux patrons des 500 groupes mondiaux pour son «paradis d’investissements», son «marché d’1,3MM de consommateurs», son «vivier inépuisable de travailleurs peu exigeants» et son ordre social, sans oublier le cadre préférentiel aux étrangers.

Comme de tradition, le forum a dévoilé des décisions imminentes, telle la création par Ma Kai (boss de la SDRC, la State Development and Reform Commission) d’une agence de l’énergie jusqu’alors boycottée par les électriciens.

Cette agence établira les priorités et fera la part belle aux énergies renouvelables et au nucléaire, comme le souligna la PDG d’Areva Anne Lauvergeon, évoquant les 30MM$ d’invests étrangers nécessités, pour porter d’ici 2020 la capacité installée à 40.000Mgw – EDF pourrait s’y porter investisseur, dans le cadre des 30 centrales à construire sous 15 ans…

Sur le standard « 3G » de téléphone portable avec accès à l’internet, Wang Xudong, patron du MII (Ministère des Industries de l’Information), exprima son désarroi plus que sa foi, avoua qu’il comptait laisser le marché départager entre les trois normes en lice, sans pouvoir donner l’avantage à la norme locale, sur celles de l’Union Européenne et des Etats-Unis.

Gardant en mémoire la trop rapide croissance nippone, Nobuyuki Idei, Président de Sony prévint la Chine contre un excès de confiance en soi, et le risque d’années de récession pour n’avoir pas freiné à temps sa croissance.

Enfin, en un style bien yankee, la NBA (la National Basket-ball association vint profiter de l’engouement chinois du basket-ball et des 400M de supporters, pour installer ses filets-paniers : elle tente de saisir la chance de l’effondrement du football chinois corrompu, pour développer ce sport show, sur fond de bannière étoilée!

 

 


Argent : CNAC – un fonds d’investissement en aviation sociale

— Comment mettre à la page les 145 aéroports locaux sous-utilisés faute d’investissement en contrôle aérien, atelier de maintenance voire dépôt de carburant?

Seuls 22 aéroports disposent même des pistes ou rampe d’accès pour B747—la norme internationale!

Incapable de faire face, Pékin a cédé la gestion de ces aéroports secondaires aux autorités locales et régionales, qui n’arrivent plus à attirer les crédits nécessaires. Sur 20 ansLe seul complexe de Shenzhen-Bao’an exige 3,6MM$. Aussi la CNAC (China National Aviation Corp), l’autorité de tutelle explore une voie nouvelle, un fonds d’investissement de 800M$ spécialisé dans ces outils.

Dès juillet 2005, une fois le courtage sélectionné, les bailleurs de fonds chinois et étrangers pourront investir. La CNAC offre sa compétence gestionnaire, pour l’ajout de services profitables qui renforceront ces destinations excentrées. Toutefois, le fonds ne séduira pas les gros investisseurs sectoriels tel l’aéroport de Hong Kong, plus intéressé par le contrôle stratégique d’aéroports (tel celui  de Hangzhou dont il vient de reprendre 35% en avril), que dans l’atomisation de crédits à vocation d’aviation sociale

— Insolite inflexion de la conjoncture en avril, qui semble attirer le meilleur de tous les mondes possibles.

La surchauffe reste présente, avec une hausse de production industrielle de 16%, dont +69% dans l’ordinateur et +6,8% dans l‘auto, +13% dans l’énergie.

Faisant fi de tout contrôle, la construction explosait toujours, au point que les prix commencent à frustrer le Chinois moyen de son rêve de propriété.

L’import d’acier, autre indicateur-clé, était de 2,6Mt, record en 12 mois.

Cependant face à ce feu de croissance, l’inflation baissait de 2,7% en mars à 1.8% en avril, un des plus faibles taux des dernières années. La clé de l’énigme serait une excellente récolte de grain, et une production accrue en tous produits verts : le grain n’a augmenté que de 1,7% (contre 34% en 2004), l’huile baisse de 5,1%!  

NB : Mais si le prix des aliments s’érode, l’écart de richesse ville-campagne recommence à se creuser : pour le tandem Hu-Wen qui avait fait de l’enrichissement paysan son cheval de bataille, c’est un retour à la case départ !  

 

 


Pol : Le Yuan – pour qui sont ces serpents sino-japonais?

— Entre Japon et Chine, la semaine passée fut médiocre. Ils ne purent s’entendre sur un dédommagement suite aux manifs xénophobes d’avril 2005.

J. Koizumi crut bon défendre ses visites à Yasukuni, où gisent des criminels de guerre. Les Japonais sont déçus de Wu Yi, l’envoyée de Pékin, d’une carrure trop légère à leur goût, pour 8 jours de contacts. En ce climat dur pourtant, les deux pays sont parvenus à jeter les bases d’un fonds monétaire asiatique. Ce sont les gouverneurs des banques centrales qui ont agi (11/5, à Istambul), de concert avec leurs collègues de Corée et les 10 de l’ASEAN.

Le but est de protéger leurs monnaies des tsunamis spéculatifs par un bloc monétaire fort, tout en prenant leurs distances vis à vis des USA, qui firent veto en 1997 à la création d’un fonds multilatéral !

Trois étapes sont prévues:

[1] les treize vont rendre multilatéral leur système bilatéral de swap de devises en place depuis 2000.

[2] Une étape non fixée verra l’émergence d’un serpent monétaire, calqué sur l’ancêtre de l’²uro.

[3] Avant d’arriver à un ¥uan commun, le problème étant de savoir quelle devise fera la colonne vertébrale du serpent. Et bien sûr, de dissiper tous les fantômes du passé sino-nippon : autrement dit, ce sera l’affaire de décennies !

— Dans sa course à la séduction de Taiwan, la Chine peut offrir à l’île un couple de pandas.

Lui proposer des concessions douanières agricoles -que ses fruits exotiques figurent bientôt sur les marchés continentaux. Autoriser les visites de touristes Chinois à Taiwan, jusqu’alors interdites.

Mais dès que l’on parle d’organisations internationales, Pékin revoit rouge. La Chine octroie à l’OMS le droit d’échanger avec l’île, afin d’assurer une prévention mondiale de fléaux comme le SRAS.

Mais pour autant, pas question d’autoriser l’entrée dans l’organisation, comme Etat, de la “province rebelle”!

A Taipei, de toute manière, le Président Chen Shui-bian ne se faisait pas d’illusion, englué dans l’interminable saga des relations des frères ennemis de la Chine !

 


Temps fort : Embellie Chine Vatican : longue route pour une colombe épuisée !

La Chine « est sincère » dans sa demande de normalisation avec le Vatican : telle est l’étonnante réponse du porte-parole officiel à la main tendue de Benoît XVI, (1ère action politique du nouveau pape), à « tous les pays sans liens avec le Vatican » (Vietnam, Arabie Saoudite, Chine). Le prix serait « la tête de Saint Jean-Baptiste » – ou plutôt celle de Taiwan, que Rome s’est déjà déclarée prête à sacrifier : entre 300.000 fidèles insulaires et 15M  de continentaux, la question ne se pose pas!

Pékin ne parle plus de ses deux autres exigences, la nomination des évêques, et les lettres pastorales, droit du Pape à faire lire ses messages en chaire. Omission ambiguë, qui peut se lire indifféremment comme une réponse biaisante – l’éternelle nécessité de ne pas apparaître responsable de l’échec -, ou bien comme un tournant à 50 ans d’anticléricalisme sans concession. Comme si l’invitation du Président taiwanais Chen Shui-bian aux funérailles de Jean-Paul-II, était apparue au régime comme un avertissement, plutôt qu’une provocation!

Des deux traductions, quelle est la bonne? L’avenir dira !

Sous réserve d’inventaire, entre ces deux pôles de foi religieuse et socialiste, le bon sens pour l’instant prévaut.

Le régime a besoin de religion pour nourrir l’évidente demande locale en spiritualisme. Joseph Ratzinger fait mentir sa réputation de conservateur et s’avère prêt à des sacrifices pour obtenir l’accès à son troupeau, pouvoir former son clergé, accueillir ses millions de vocations en souffrance.

Enfin, demeurent en place les adversaires acharnés à cette normalisation : les hauts cadres du clergé rallié, les nostalgiques rouges, le clergé de Hong Kong : tous ceux qui auraient à perdre dans la fin du schisme !

 


Petit Peuple : Zhuhai, maldonne sur le catwalk

Sur le parvis du grand magasin de Zhuhai, ce 24/4, une école insolite présentait sa collection d’été.

Sensuelles, parfumées, aux permanentes châtiées, aux mèches décolorées ou teintes à tous les tons de l’arc-en-ciel, 25 mannequins défilaient en bon ordre, s’arrêtant pour faire mater leurs lignes graciles et déhanchement coquin, mis en valeur par l’habillement osé -boléros, capelines, robes légères, ceintures froufroutantes ou culottes bouffantes de laine, coton, lin et soie, bien sûr.

Que les créatures de rêve soient toutes en laisse, ne dérangeait nullement les badauds : non qu’ils souffrent d’un inconscient machisme, mais sur le “cat-walk”, les chattes étaient des chiens, et leurs maîtres, les canicures formés par cet institut, nouveau métier très demandé pour baigner, peigner Médor, l’habiller et lui faire les griffes.

Issu du cerveau fébrile d’un cadre commercial fraîchement émoulu, le concept fait fureur dans le Guangdong.

Hier banni des villes, le toutou s’est réimposé comme compagnon de l’homme – à elle seule, Pékin a franchi dès ’03 le cap du M. Mais quand il parle de chien, le Chinois chasse le naturel, et veut sa bête recarossée, remodelée selon ses propres canons du beau.

Tandis que dans l’oeil de l’animal, c’est bien sûr l’inverse qui se produit: dans ses beaux atours et tant admiré, le canidé “ne se sent plus pisser” : alors que, selon l’adage, “le chien courant voit l’homme petit” (狗眼 看人低 gou yan kan ren di), le chien de Zhuhai nippé pour son concours, voit son maître mal habillé!

 

 

 


Rendez-vous : Foire internationale du Sichuan à Chengdu

22 – 28 mai, Beijing : Semaine High-tech

25-27 mai, Chengdu : Foire internationale du Sichuan (pavillon français)

23-26, Canton : Salon emballage et plastique