Le Vent de la Chine Numéro 37

du 15 au 21 novembre 2004

Editorial : Une Chine ‘Père Noël’?

Ce mois-ci, voit la Chine présente sur trois continents, en des missions très observées, qui traduisent un tournant dans ses objectifs internationaux : partout, Pékin veut occuper l’espace perdu par les US, en exploitant l’impopularité de George W. Bush!

En Afrique, Wu Bangguo, Président de l’ANP (28/10-8/11) saupoudra les petits investissements rapportant gros.

Le Nigeria reçut 2,25M$ d’aide, des usines de TV et de tracteurs, un projet pétrolier (raffinage/exploration). Zambie,  Kenya, Zimbabwe eurent tous leur petit cadeau. Ici, Pékin s’assure un marché d’avenir, tout en neutralisant les sirènes taiwanaises qui encouragent l’Afrique à changer de Chine!

Le Président Hu Jintao consacre 13 jours (11-23/11) à l’Amérique Latine.

On lui prête le projet de 20MM$ (!!!) d’investissements d’infrastructures et d’énergie en Argentine. En 2003, l’export du sous-sol latino vers la Chine a explosé, pour 7MM$ de minerai de fer brésilien, de cuivre chilien, d’or noir argentin. Il est aussi question d’accords de libre échange (ALE), entre pays très complémentaires: la Chine pleure pour des mat. 1ères, et le monde latino pour des invests. Des ALE se négocient bilatéralement (ex. : Chili), mais l’avenir réside dans un ALE régional, avec le Mercosur (marché commun entre Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay).

La 3ème mission, la plus forte et la plus secrète, se tourne vers l’Iran.

On a déjà cité (VdlC n°36) l’immense contrat d’hydrocarbures pressenti entre les deux pays, pour 100 (voire 200) MM$. Les 6-7/11, Li Zhaoxing, ministre des Affaires étrangères était à Téhéran : les leaders s’y sont dits prêts à troquer comme 1er client, Tokyo pour Pékin.

 Ce dernier, en retour, bloquera toute accusation de l’ Iran au Conseil de Sécurité (au 25/11), pour cause de course au nucléaire. Le pas franchi par la Chine est géant, car il fait fi de la loi ILSA (Iran Lybia Sanctions Act) des US, qui bloque depuis 20 ans tout investissement pétrolier en ce pays!

Manifestement, le rôle mondial de la Chine est en mutation : d’importateur à exportateur d’investissements, qui co-détermine les cours des matières premières.

Un axe Pékin-Téhéran s’esquisse, décidé à influencer le marché du pétrole (concurrent de l’OPEP!), et à marginaliser des US qui inquiètent militairement.

Enfin, on assiste à ce bond chinois vers les champs d’or noir de la Caspienne: succédant au parachutage des Marines en 2000 en Asie Centrale (lors de la guerre d’Afghanistan), c’est une réponse de la bergère au berger – aux conséquences encore invisibles, mais forcément fortes!

 


A la loupe : Télécom 3G : il est ‘urgent d’attendre’ !

La valse des grands patrons des quatre grands des télécom (VdlC n°36) cache des mystères.

Il y a l’enquête du procureur suprême, suite à l’aveu en avril par Lucent Technologies, d’irrégularités dans ses fournitures à la Chine, 11% de son chiffre mondial. A défaut d’éteindre la corruption, il s’agit de l’assagir avant l’ouverture du marché 3G (téléphone mobile à haut débit, recevant TV, internet), d’un investissement en 10aines de milliard de US$!

Avec une vente de 1,2MM$ de titres, couverte huit fois, le succès en bourse de Hong Kong de Netcom, titulaire des lignes fixes en Chine du Nord (95% du marché, 77M d’abonnés) exprime des prix bradés (16% de moins que China Telecom) : il fallait convaincre les acheteurs, malgré le risque d’un marché très «surréaliste» investissant en moyenne, par rapport à ses ventes, le double des marchés émergents.

De plus, les tests 3G menés cette semaine par le MII entre 6 opérateurs et 12 fournisseurs, ont déçu. Le standard local TD-SCDMA arrive derrière la concurrence US (Qualcomm) CDMA-2000, et surtout l’européenne W-CDMA, 129 licences mondiales dont 38 exploitées. Le problème tient surtout aux portables made in China, dont la base technologique est faible!

Pour la filière nationale, le coup est dur. Déjà un Centre de recherche du MII, le Ministrère des industries de l’information préconise, au jour de l’octroi des licences, l’abandon d’un standard chinois unique au profit d’une concurrence des trois. Mais on ignore désormais si l’échéance de 2005 sera tenable. Enfin, vu les incertitudes, les licences ne seraient plus 5, mais 3, à savoir  une pour chacun des deux groupes fusionnés CT/CU et CM/CN (opération encore à confirmer!), et la 3ème, à une insolite alliance Railcom et Satcom. L’incapacité notoire de ces outsiders à financer un réseau 3G, serait palliée par l’entrée à leur club, de l’américain Nextel : ce serait un cadeau exclusif aux US, au détriment de toute autre concurrence étrangère ! ■

 

 


Joint-venture : Le tracteur indien dans la cour chinoise

— Bienvenue à Arkema, dernier né de la chimie expatriée à Shanghai, titulaire dès son 1er jour de 300M$ d’investissement et de 5 usines en Chine.

Arkema résulte du retour de Total à son métier d’origine, et reprend sa chimie non pétrolière (eau oxygénée, additifs plastique issu de l’antimoine, du fluor). Il hérite des 4 bases de production: Shanghai, Pékin, Changshu, Canton. D’ici 2010, selon Dominique Namer son PDG en Chine, Arkema y investira 500M$. Dès 2006, sa vente en bourse sera d’actualité. Pendant ce temps, Total Petrochemicals, avec sa base cantonaise (polystyrène) et le trading de ses bases de Corée, fait un chiffre équivalent (500M$ /an), prépare son expansion dans la grosse pétrochimie (cracker), et prévoit de franchir la barre d’1MM$ sous 3 à 4 ans.

— Le capital indien fait son entrée en Chine. N°4 mondial du tracteur, Mahindra & Mahindra reprend 80% des tracteurs Jiangling Motor, 400 employés à Nanchang (Jiangxi).

Il lui en coûtera 10M$. Les 20% autres resteront à JMC, la maison mère, elle même contrôlée à 20% par Ford. M&M rajoutera 8M$ dans la filiale d’une capacité de 12.000 tracteurs de 20 à 30 chevaux. Cette production sera écoulée en Chine (20% du marché mondial), et ailleurs –y compris en Inde! Jiangling apporte au groupe indien une infrastructure complète, avec réseau commercial à travers l’ensemble du pays!

— Annoncée depuis des mois, la voilà : l’arrivée des Etats-Unis sur le marché nucléaire chinois, dont ils s’étaient maintenus à l’écart depuis 20 ans.

Westinghouse Electric, l’auteur historique de la filière nucléaire à eau pressurisée, dépose à Pékin (8/11) son offre de 2 centrales d’une valeur de 2,4MM$. Sa filière AP1000 est de conception nouvelle, offrant le meilleur coût, la meilleure sécurité et le plus bref temps d’installation (par une réaction fissile passive plus poussée, réduisant les besoins en personnel et en système de surveillance).

Promesses pour l’heure invérifiables : ce modèle n’a été ni construit ni testé en conditions réelles. Il s’agit donc d’une philosophie opposée à la française, qui table sur la fiabilité et la coopé engrangée en France, et à Canton avec quatre réacteurs construits. Westinghouse Electric fait son offre en consortium avec Mitsubishi Heavy (Japon) et  Bechtel. Les sites brigués sont à Yangjiang (Canton) et Sanmen (Zhejiang). Westinghouse Electric s’y mesurera avec Areva, mais le Canada et la Russie ont aussi signalé leur intérêt. On les comprend : en 20 ans, 32 centrales sont à pourvoir.

Rappelons que la Chine maintient sur ce dossier un nuage de fumée, peut-être prise entre des objectifs contradictoires : créer une filière nationale, obtenir une économie d’échelle sur un produit de qualité exportable, réduire la dépendance à l’étranger, et satisfaire tout le monde.

 

 


A la loupe : Monnaie – la surchauffe, et après ?

Face à la surchauffe, le bilan du régime est solide. La coupe du crédit a freiné la croissance industrielle de 23,2% en février à 15,7% en octobre. Au 3e trimestre, la hausse du PIB est de +9,1%, contre 9,8 au 1er.

Pour 2004, Banque Mondiale (BM), Fonds monétaire international (FMI) et Banque asiatique de développement (ADB) font des prédictions voisines, + ou – 9%, et 7,5% en 2005.

Restent des boutons de fièvre dans l’acier (+25% au 3ème trimestre), l’énergie (5MM$ de commandes de centrales prédites par General Electric en 2005, contre 3,5 en 2004). Mais avec sa hausse (prudente, tardive) de 0,27% du taux d’intérêt, Pékin a transformé l’essai : plus de risque d’éclatement d’une bulle (immobilière, auto). Soucieux de la récente vague d’émeutes (sui-te indirecte de la coupe du crédit, cf VdlC n°36), Ma Kai, patron de la SASAC (tutelle des GEE) corrige le tir, parlant de garder «un taux de croissance élevé», tandis que Wen Jiabao réitère l’ordre aux provinces de rehausser les salaires minimum!

Prochaine question : quelle suite le régime veut-il donner au niveau monétaire, alors que le US$ baisse (1,3$/1€), et que le pétrole demeure à 50US$/baril. Clairement, la compétitivité chinoise tousse – bien des firmes exportent à perte, tel Gallanz (n°1 mondial du micro-ondes) qui tonne contre son acheteur Wal-Mart.

La Chine peut-elle découpler son ¥ du US$, aujourd’hui tenu à 8,28/1, et 0,3% de fluctuation?

Seule certitude :

1. elle devra réévaluer, pour alléger sa note de matières 1ères, et forcer ses firmes à viser une compétitivité de type high tech plutôt que huile de coude.

2. Elle le fera en douceur, pour éviter la spéculation.

3. Elle le fera après avoir endigué l’inflation (-0,2% en sept, à 5%),  en tout cas avant fin 2006,  pour ne pas éreinter l’exportation.

Sous ce cahier de charges, les experts attendent un passage du pivot/US$ vers un panier/monnaies avec fluctuation de 3 à 7%, voire le même résultat sans quitter le US$, par pivot rampant (élargissement progressif de la bande passante). Une 2ème hausse du taux d’intérêt est plausible début 2005 (pour réduire vers +12% la croissance industrielle), mais limitée pour ne pas ruiner les millions d’emprunteurs (200MM€ d’hypothèques en cours).

D’habitude avare d’indices, la BPdC, la Banque populaire de Chine, se déride, tel Guo Shuqing son vice-gouverneur qui chuchote : « il ne faut pas confondre ‘stabilité’ et ‘absence de fluctuation » !

 


Argent : Shanghai – les 4 plus gros porte-conteneurs

CSCL, China Shipping Container Lines, l’armateur shanghaïen n°10 mondial du conteneur laisse à quai le rival Orient Int’l (HK) en commandant à Hudong Zhonghua, 4 porte-conteneurs d’une capacité de 8530 “boîtes” de 20 pieds, 35% de plus que le record chinois présent.

Ces navires jaugeront  90.500TJB pour une longueur de 334m, une vitesse maximum de 27 noeuds.

Coût : 372M$, sans compter une 5ème unité, en option. CSCL ne cache pas son ambition de se hisser parmi les trois 1ers mondiaux d’ici 2015!

NB: CSCL prend un risque. Un pic de la demande en transports maritimes est attendu en 2006, mais la 1ère livraison n’interviendra qu’en octobre 2007!

— Autre victime—pas la dernière– de la coupe du crédit : Jiayi, chaîne de supermarchés cantonais, en rupture de paiement.

Les 10-11/11, 1000 fournisseurs font le siège du Youyi, actionnaire, réclamant 24M€. Jiayi a 46M€ de dettes, 43M€ d’actifs.

Principaux actionnaires : les frères Lin, 70% des parts. La fermeture, si elle est confirmée, causera une cascade de faillites triangulaires telle celle de Song Yuping, grossiste de champignon et calamar séché. On lui doit 120.000€, elle doit 40.000€ aux producteurs, qui ont enlevé sa fillette à moto, et menacent de la vendre!

 

 


Pol : La très douce agonie des PCB

— Sur suggestion de la CASS, l’Académie des sciences sociales, Pékin préparerait l’abolition de la shangfang, pétition maoïste.

Selon le courageux Week End méridional, en 2003, le Bureau National des Pétitions reçut 10 millions (M) de plaintes, dont seules 2 pour 1000 furent traitées. L’idée derrière cette abolition, serait de forcer une thérapie de choc, en imposant le passage accéléré à l’Etat de droit. Cependant, dit le Rural Development Institute (US), 40M de fermiers chinois ont perdu leur terre, chiffre qui croit de 2M par an. Rien qu’en septembre, 3M ont manifesté (chiffre de HRiC, Human Rights in China). Autant dire que vu le risque et la tension, il est douteux que l’abolition de l’unique soupape légale de la vapeur sociale, soit pour demain.

— La Convention de Stockholm sur les Polluants Organiques Persistants (POPs) est entrée le 11/11 en vigueur en Chine. En une version allégée: pour les 5 POPs qu’elle s’engage à bannir sur son sol, elle réclame 5 ans de sursis (et devrait demander à terme, sa reconduction 5 ans de plus, maximum toléré). Raison : un manque de fonds, et de savoir-faire. La seule éradication des PCB coûterait 400 M$, et le DDT demeure un pesticide populaire, car moins cher (4000t produites /an, en 2 usines).

NB : la ratification (6/11) par Moscou du protocole de Kyoto sur les rejets de gaz à effets de serre met la pression sur la Chine, exemptée de quotas alors que ses rejets de dioxyde de carbone de 2,6MMt en 1994 ont entamé une courbe hyperbolique. Venant du second usager mondial d’énergie (10%), les autres pays n’acceptent plus que Pékin se protège de son statut de PVD. En 2005, pour la renégociation du protocole, Pékin affrontera la demande des 55 pays industrialisés signataires!

— Le Conseil d’Etat a enfin rendu son projet de loi sur les monopoles, qui va corseter les ententes et trusts (multinationaux ou intérieurs), abus de position dominante, et monopoles administratifs– il prohibera par exemple l’achat ou la vente forcés auprès d’une agence exclusive, ou la restriction au libre trafic des biens à travers les provinces.

Calquée sur ses homologues à l’Ouest, cette loi moderne constituera un grand pas vers l’unification du marché intérieur. Mais elle comporte une carence significative : le législateur renonce à créer une agence autonome pour arbitrer son respect.

Deux obstacles semblent présents :

1. les ministères sectoriels qui luttent pour conserver leurs privilèges du passé, et

2. la querelle d’influence entre le ministère du Commerce, auteur du projet, et l’AEIC, l’Agence de l’Etat pour l’industrie et le commerce, gardienne de l’actuelle loi de concurrence.

 


Temps fort : Douleurs d’enfantement de la sécurité rurale chinoise

Au confluent entre la promesse du Président Hu Jintao de xiaokang (bien-être des masses) et celle de Wu Yi, la vice 1er ministre, après la crise du SRAS, de réformer de fond en comble le système de santé; entre le projet d’une Sécurité Sociale obligatoire, et la réalité crue d’un appareil de prévention et de soins implosé dans les campagnes (dont 70% des habitants n’ont aucune couverture) : les coopératives médicales rurales (CMR), avec assurance volontaire, constituent le nouvel atout sur lequel mise le régime!

Depuis juillet 2003, ces CMR sont testées par le régime, jusqu’en 2010, dans l’espoir de couvrir d’ici là tous les paysans concernés -768 millions d’âmes. Le mécanisme compte déjà 310 centres de soins, qui seront 500 d’ici 2005.

95 millions de fermiers en bénéficient, dont 69 millions assurés, les autres, à leurs frais.

Pour autant, la machine est dure à démarrer! Deux chiffres expliquent mieux qu’un discours.

Le revenu moyen du paysan, en 2003, est de 2622¥, mais sa note d’hôpital en atteint 2236/an. Aussi, jusqu’à 80% des fermiers ne se soignent que par leurs herbes, refusant de payer les 15¥ /an exigés (20¥ étant rajoutés par les administrations provinciale et nationale)! Les conditions sont draconiennes : l’assurance ne couvre que 20% de tout frais dépassant 600¥. Mais l’obstacle est surtout mental : pour le paysan meurtri par des siècles de quasi-servage, administration rime avec ‘seigneur’, et contribution, avec ‘gabelle’.

D’autre part, ces 1,2 million de médecins sont mal formés, mauvais gestionnaires, et les remèdes coûtent dix fois  le prix de la ville! Il y a une course contre la montre, pour rehausser à la fois la confiance et la compétence. Du succès dépendent la santé de 60% des Chinois et surtout, la fin de la saignée des campagnes!

 


Petit Peuple : Jinan, l’amour, au temps de la pêche

Quand il rendit l’âme à Jinan (Shandong), le père Zhou, de longue date, ne s’intéressait plus qu’à la pêche.

Fouillant ses affaires, ses trois fils eurent la surprise d’un livret d’épargne lesté de 20.000¥, dont les brus n’eurent cesse de voter le partage. Mais au guichet, elles se retrouvèrent penaudes : manquait le mima, le code secret! Tous les chiffres furent testés, dates de naissance, du mariage – en vain!

Vint le Qingming (fête des morts). Sur la tombe du père, San’è, le cadet trouva une couronne de liserons. Qui l’avait déposée? “Je sais!”, s’écria sa femme, fine mouche, “c’est Mashen”. En un éclair, le cadet se remémora l’histoire, tandis que le rouge de la honte gagnait ses joues. 70 ans avant, Mashen et Zhou étaient 青梅竹马 qing mei zhu ma, “prunier vert et cheval de bambou”, éperdument amoureux. C’était compter sans les raides moeurs de l’époque : on les avait mariés ailleurs!

Une fois décédée l’épouse de Zhou, en 1994, les éternels amants avaient exprimé l’espoir de vivre ensemble le reste de leur âge. Mais la famille avait encore refusé, les enfants cette fois, au nom du qu’en-dira-t’on, et de l’héritage! San’è et sa femme allèrent donc voir Mashen, et lui demandèrent sa date de naissance: c’était bien le code secret ! Ils portèrent l’argent à la vieille femme, implorant son pardon. C’est ainsi que le père Zhou, en pêcheur chevronné, sut ferrer son poisson, déjouant les pièges de la rivière. Par sa ruse, celle qu’il aimait se retrouva hors du besoin, et son argent, hors des griffes des enfants!