Le Vent de la Chine Numéro 9

du 17 au 23 mars 2003

Editorial : Li Peng – les adieux d’un prince autocrate

«L’ANP doit se plier d’elle-même à l’autorité du PCC » : tel est l’insipide viatique donné à l’Assemblée Nationale Populaire par Li Peng son ex-Président, en un ultime discours (10/3) salué de longs sinon sincères applaudissements.

A l’heure du bilan,Li Peng, figure mal aimée et complexe, apparaît la meilleure incarnation du système, qu’il servit avec pugnacité.

Fils d’un communiste exécuté par Chiang Kaichek, il fut adopté par Zhou Enlai, qui lui ouvrit les écoles d’élite du Parti, et un pedigree socialiste impeccable. Stalinien sans état d’âme, il rassure à la fin des années 1980 le baitoubang (« gang aux cheveux blancs ») des vieux leaders et brûle les étapes de la carrière politique. C’est lui qui parvient, en 1988-1989, à renverser l’équipe libérale de Zhao Ziyang, et à réprimer le printemps de Pékin (juin 1989), gagnant ainsi son image historique indélébile, et pour le pays, 12 années d’un  leadership conservateur pragmatique, qui exécutera -à contrecoeur-le programme de ses adversaires.

Depuis lors, Li resta au pouvoir,malgré le choix d’un autre n°1 (Jiang Zemin), puis (dès ’93) d’un autre mentor économiste, Zhu Rongji qui  reprit en ’97 sa place de 1er ministre. Ni le tournant imposé par Deng en ’92 pour rétablir modernisation et politique d’ouverture,ni les bouleversements réformistes technocratiques imposés par Zhu, ne parvinrent à ébranler sa foi dans le monopole du Parti et la primauté de la loi.

Ce que l’on sait moins est que Li,hydraulicien formé à Moscou, fut aussi le père du parc électrique chinois, du réseau hydroélectrique géant à l’Ouest, dont le fleuron est le barrage des Trois Gorges (= 20 réacteurs de 1000Mw).Li imposa le programme nucléaire et les 4 tranches achetées à la France (Alstom, Framatome). Li conçut aussi le plan d’ intégration du réseau chinois inspiré de l’EDF,dont il est admirateur.

Sur le tard (’02) plusieurs de ses proches furent impliqués -peut-être à l’instigation d’un adversaire- dans des scandales liés au secteur de l’énergie. Comme patron du Parlement, Li ne démérita pas, muselant toute velléité de renforcement de ses pouvoirs, mais portant aussi à son actif le vote de 109 lois nouvelles et la révision de 124 autres.

Poussé à la retraite, il cède la place (18/3) à Wu Bangguo, technocrate modéré. Non sans avoir implanté au sommet Luo Gan, autre conservateur dur, pour prévenir tout changement de ligne – prouvant ainsi sa fidélité intacte au seul principe qu’il reconnaisse – l’exercice du pouvoir!


A la loupe : La Commission de l’Agriculture -fiche !

La Commission de l’Agriculture est la plus importante aux yeux de Hu Jintao, dans sa croisade en faveur des déshérités. Œuvre de Wen Jiabao (expert du dossier), son enjeu est aussi politique : si l’écart de revenu entre paysan (298$/an et +3,8%) et citadins (928$, +8,6%) s’aggrave encore, la stabilité deviendra difficile à maintenir.   

Ses moyens seront bien plus larges (crédits, droit du sol, certification) que l’ex-ministère. Son 1er mandat consistera à éradiquer les taxes illégales des administrations locales, qu’elle remplacera par un impôt. Economie moyenne pour le paysan : 24$/an selon les résultats obtenus depuis 2000 dans l’Anhui. Mais à ce mandat, les obstacles sont immenses : les cadres sont 45M en Chine, les ¾ à la campagne, soit 1/28 actifs, contre 1/50 en 1978 et 1/600 en 1949. Aussi, la Comm. ne tentera pas de sitôt, d’appliquer la vieille demande du Min.,de dissoudre les organes de base (de contrôle des masses), pour laisser les mairies se réorganiser selon leurs besoins : trop de risque politique, et trop haut coût  de recyclage des cadres limogés! 

D’autres actions consisteront en programmes d’agriculture non polluante,et de transmigration volontaire de 7M de paysans vivant en zone aride ou enclavée (investissement : jusqu’à 600M$). L’ambition de Wen Jiabao, est de briser le cercle vicieux bien connu dans l’histoire chinoise, du cycle paupérisation-émeutes-réforme des taxes. Son remède : Education, recherche, santé rurales, dont le futur 1er min. veut décupler les cré-dits pour permettre au paysan de mieux se gérer. NB : Exemple : à Anxi (Fujian), 20.000 théïculteurs ont depuis décembre leur messagerie GSM, les informant (x2/j., 10 types d’infos) sur leur marché : Anxi produit 300.000t de thé Oolong/an – la moitié de la récolte nationale de ce thé haut de gamme!


Joint-venture : 1MM$ pour General Electric en Chine?

· D’ici 2021, 10% des avions civils seront achetés par les transporteurs chinois, 1912 appareils pour 165 MM$. Alors, seuls les US dépasseront encore le marché chinois. Cette donne suscite -depuis dix ans- entre les géants rivaux Airbus et Boeing, une concurrence effrénée :

[1] le 12/03, le consortium euro-toulousain (20% du marché) ouvrait le bal en invitant la tutelle CAAC à un séminaire pékinois de présentation de l’A-380, futur plus grand du monde, 555 places,  2 étages, en service dès 2006.

[2] pour Boeing, R. Baseler (vice-Président) riposte (17/3) en venant dévoiler son 7E7 de nouvelle génération, version plus économique, rapide et petite du 777, sur le tarmac dès 2008.

NB: le 10/3, à Shanghai, STE (groupe d’armement, Singapour) et China Eastern  (CE) signent une JV de maintenance de 98M$, dont 51% à CE. Les ateliers iront aux 2 aéroports, où ils emploieront, d’ici 5ans, 1000 «ingénieurs»-mécanos formés-maison, pour atteindre leur « vitesse de croisière », avec 1,5M d’heures de travail/an.

 

· C’est décidément le temps des électriciens en Chine, après l’ouverture forcée du secteur à la concurrence, et la course des groupes aux parts de marché. Le 19/2 (cf Vdlc n°7), Shanghai Electric recevait commande de 17 turbines à charbon de 600Mw pour 1,1 MM$. Le 7/3, pour un chèque presque identique (0,9MM$), c’est à l’américain GE de vendre 13 turbines à gaz de 380Mw, à 5 acheteurs non révélés. GE transférera sa technologie à Harbin Power, qui assurera le montage, et à Shenyang Liming (2 JV séparées) qui produira les systèmes de combustion. GE espère maintenir la vapeur en obtenant 100 M$ supplémentaires de commandes, pour une station de compression pour le gazoduc Urumqi-Shanghai, une partie des 14 hydro turbines prévues pour le barrage des Trois Gorges,et la mini centrale électrique «écologique» des JO.

NB: ce succès récompense les 9000 emplois, et les 1,5MM$ d’actifs investis en Chine. D’ici ’05, le groupe d’Atlanta y vise une croissance de 40% et un chiffre d’affaires de 5MM$/an.

 

· Depuis sa 20aine d’usines en JV avec le groupe Danone, Wahaha, groupe privé de Hangzhou (Zhejiang) tient 16% de la boisson chinoise, et embouteille (en 2002) 3,23MM de litres d’eau, ainsi que de « Future Cola », 17% d’un marché du soda noir ou Coke règne avec 55%.

Fort de ce succès, Wahaha compte aller taquiner le rival US ailleurs en Asie et ouvrir d’ici 2004 des usines de Future Cola indonésien, thaïlandais et ouzbek -« objectif de 200M de consommateurs non Chinois », se vante Zong Qinghou, le PDG.

Craignant peut-être une reprise par le partenaire français, Wahaha a cherché -et apparemment réussi- à se redéployer. Lancée en 2002, sa ligne de vêtements pour enfants se vend comme petits pains dans ses 800 magasins éponymes, au chiffre d’affaires de 12M$ en 9 mois d’existence : bilan encourageant mais microscopique, comparé au 1MM$ de revenus globaux du groupe, et aux profits de 145M$ (+32%) !

 


A la loupe : Le Guangdong se met au vert

Face au delta des Perles,source de sa fortune, le Guangdong se comporte en enfant gâté : quoique la province la plus riche, il ne retraite que 30,6% de ses eaux usées, contre 34,2% au pays. De ce fait, son delta doit absorber 55% des égouts industriels et urbains, sur 6,6% de la surface du réseau (13.500 km de cours sur 5 provinces et 450.000 km²)!

Mais la région sait que de son sérieux à remonter cette pente, dépend sa croissance future, et elle prend des mesures dramatiques : du 10 au 13 mars se tint à Canton le Salon national du recyclage de l'eau, avec les industriels locaux et de 15 pays, et leurs équipements de pointe - filtrage, osmose, désalinisation...

D'ici 2005, la province investira 18MM$ en centrales d'épuration pour traiter 40% de ses rejets, et 60% en 2010. Elle compte déjà 30 stations d'une capacité de 2,8Mt/j.  d'effluents. 20 autres, en chantier, porteront le chiffre à 4,4Mt.

Dongguan se prépare une capacité de 2,8Mt/j d'ici 2010, au coût de 700M$. Foshan vise un taux de 70% d'ici'08. Pour réhabiliter la Rivière des Perles, Guangzhou prétend, elle, retraiter 90% de ses effluents d'ici 2010, pour un investissement de 5,3MM$. Pour commencer, dépôts d'ordure, bidonvilles, carrières et élevages en bordure de fleuves auront disparu d'ici décembre 2003. 

Mais l’atout pour faire de cette province sale,d' ici 2005, le diamant vert de l’écologie chinoise, sera Nanhai, 1er technoparc chinois environnemental. Sous l'égide de la SEPA, il en coûtera 3MM$ pour réaliser ce complexe de 6,6 km² boisés, concentrant usines d'équipements propres, centres de R&D et  services (tel le recyclage de PC, plastics, voitures). Le gouvernement provincial a multiplié les aides à l'installation: tel le sol à 21$/m² sur 50 ans...  A ce stade, 70 projets chinois et étrangers seraient en cours de signature. HK, à cette vue, reconsidère mélancoliquement son propre projet de parc de Tuenmun - il n'y aura pas la place pour deux !


Argent : faux départ pour le port de Yangshan

Effet inévitable de la 2de guerre du Golfe, le cours du caoutchouc (naturel et synthétique) suit l’embrasement de celui du pétrole.

En Chine, il a atteint 1690$/t, son sommet depuis 1996 (+50% qu’en 2002). Or la Chine, 2d producteur mondial de pneus (130M en 2002), ne comble ses besoins qu’à 40% par le latex local. Le reste vient du pétrole -d’où une intense spéculation, aux frais des industriels, marché captif, qui perdent des M$ de profits/mois et préfèrent suspendre la production, notamment de pneus.

Le régime se résout donc à céder aux demandes de l’interprofession : augmenter l’offre, par déstockage et par émission de quotas d’import en sus des 0,85Mt octroyés pour 2003. Pour prévenir la fuite de ces volumes vers la thésaurisation et les marchés à terme, Pékin tente les moyens classiques : le secret sur les chiffres, et l’attribution directe aux transformateurs!

 

· A Yangshan, le rêve shanghaien de 1er  port mondial en eaux profondes a des ratés. Programmée pour 2005, l’ouverture de la 1ère tranche est retardée de 2 ans. Par leur nombre, les raisons éclairent la (trop) grande brièveté de la phase conceptuelle.

[1] N’ayant pu faire venir la flotte mondiale spécialisée (de petite taille, et réservée ailleurs), Shanghai a cru pouvoir compter sur les moyens du bord pour bâtir le pont autoroutier de 32km. A tort, vu la violence des marées cet hiver.

[2] Avant le 1er coup de pioche, la 1ère tranche (5 quais) ne correspondait plus aux besoins, et dut être portée à  9, prolongeant le design  jusqu’à 2006 et l’achèvement de la route à 2007. Contretemps qui ne coûtera pas qu’en argent : une course contre la montre est engagée avec les autres ports chinois pour le marché du transbordement de Corée et du Japon,qui monte en flamme. Les 2 ans de délai peuvent compromettre les chances de la longtou, «tête du Dragon»!

 


Pol : cauchemar et rêve sichuanais

· Secrétaire du Parti au Sichuan, Zhang Xuezhong n’a pas mâché ses mots devant les législateurs du X. Plenum:

10M d’adultes, 25% de la population active de cette province de 86M d’âmes, doivent s’exiler à la côte pour nourrir leur famille.

Ce, quoique le Sichuan ne manque ni d’espace, ni de ressources, et que son histoire relate jusqu’à des temps récents, aisance voire prospérité. 

Comme remède, le Secrétaire préconise d’attirer des  compétences étrangères/côtières, les cerveaux étant «encore plus importants pour la croissance que les projets et l’argent».

Le Sichuan veut s’appuyer sur la croissance relativement rapide des 3 dernières années (grâce aux subsides du Plan de réhabilitation de l’Ouest), et sur des missions d’études à Shenzhen, Shanghai et le Zhejiang (les plus forts pôles de dynamisme) pour quadrupler d’ici 2020 le PIB local, de 694 $/ht/an à présent et au (franchement médiocre) 24. rang national.

 

· L’idée d’un impôt sur les successions est en l’air en Chine, berceau de fabuleuses fortunes. «En l’air, mais pas mûre», précise Liao Xiao-jun, vice-ministre des Finances (11/3) à la CCPPC, l’assemblée consultative, qui a fermé ses portes le 14 après «l’élection» de Jia Qinglin, allié de Jiang Zemin. Réclamée par le CDNCA -un des 8 mini partis autonomes, cette taxe n’est pas de mise en RPC, pour 4 raisons finalement plausibles :

[1] D’abord, les riches sont rares et jeunes -le temps de léguer est encore loin.

[2] Remettre à ce stade dans le trésor public l’argent des privés, c’est tuer dans l’oeuf l’esprit d’entreprise.

[3] Les néo-capitalistes choisiront alors l’évasion fiscale, et

[4] de toute manière, le fisc n’a pas encore la loupe assez forte pour savoir où sont ces fortunes à écrémer après le trépas de leur propriétaire !


Temps fort : Irak – la Chine a le feu au lac pétrolier

Inquiète, Pékin voit sa vulnérabilité face à l’ingrédient 1er de la croissance -l’or noir. 3ème usager mondial, ses imports de 70Mt en 2002 couvrent 30% de sa demande, qui monte (+15% /an).

Depuis 10 ans, elle a cherché à se diversifier, mais ses participations à l’étranger sont trop souvent situées (prix à payer pour pénétrer ce marché dominé par les majors)  en pays instables: Algérie, Indonésie, Iran, Irak, Soudan… Aussi à quelques jours d’une guerre contre l’Irak, Pékin «met le paquet» pour renforcer sa position de producteur et d’acheteur :

[1] Cnooc et Sinopec achètent (6-12/3) les 17%  de parts de British Gas dans le champ en consortium sur la mer Caspienne, Ouest-Kazakhstan, d’une capacité estimée à 13MM barils (1/10 de l’Irak). Chacun paiera 615M$ à British Gas, dont le profit serait 780M$!  A ce prix, Shell, Exxon, Agip, Elf, Conoco et Inpex, les autres membres du consortium devraient renoncer à exercer leur droit de préemption ! 

NB: pour rapatrier ce pétrole vers l’Est, d’ici 2006, 1/2 du pipeline existe depuis jan. Pour l’autre 1/2, une autre EE pourrait contribuer : CNPC, propriétaire du champ kazakh d’Aktobe depuis 1997. 

[2] D’ici 2005, Sinopec, qui a vu ses profits fondre de 86% au 1er trimestre, en partie en raison d’une faiblesse en production, veut investir 1,2MM$ dans la prospection off shore.

[3] Au chapitre -polémique- des réserves stratégiques, le pays vient d’affecter 1,7MM$ à des achats -ici aussi, au prix fort, 37$/baril. Le plan actuel évoque un objectif de 6Mt en 2005, et jusqu’à 75Mt en 2010 – soit 3 mois de la consommation attendue cette année-là.

[4] Justement, le marché à terme shanghaien sollicite (13/3) l’ajout du pétrole à la liste des futures. Demande que la CSRC approuvera -peut-être.

Longtemps bannie par crainte de débordements spéculatifs, cette pratique permettra de payer moins cher les 100Mt d’imports prévus en 2005 – et une accélération de l’entrée au marché financier global.


Petit Peuple : cadavres exquis cantonais

· Le 17 fév. à l’aube, en banlieue de Guangzhou, une ahma constata la mort de sa patronne et de sa fille – fuite de gaz. Fait très divers en Chine -mais la suite est moins banale. Superstitieux, le propriétaire voulut procéder selon les rites. Il fit démonter le grillage anti-fric-frac et la fenêtre : selon les us locaux dits 落地无门 luo di wu men, seuls les morts de la famille, pouvaient quitter la maison par la porte,sous peine de suites funestes pour le clan tout entier. L’encens fuma donc à profusion, sous les incantations des exorcistes et timbres lancinants des gongs propitiatoires, les corps emballés furent descendus au bout d’une corde. En cours de descente, la bâche glissa -des pieds blêmes apparurent, visibles de la rue, et les cris fusèrent. Appelés, les policiers invoquèrent prudemment leur incompétence. Pour amollir les voisins qui bloquaient le passage des morts devant leur maison, il fallut une distribution générale de plantes dites«fiente de poule» (sic),seules capables, selon la foi locale, de mettre en échec les démons vengeurs. Ce n’est qu’une heure plus tard que les pauvres mortes purent enfin entamer leur dernier voyage à bord du corbillard !


Rendez-vous : Shanghai, Forum fusions & Acquisitions

· 17-19 mars, Shanghai : « Dessous China » – début du Festival de la Mode

· 21-23 mars, Shanghai (Hôtel Mariott Hongqiao) : Forum annuel sur les Fusions et Acquisitions