Le Vent de la Chine Numéro 33

du 15 au 21 octobre 2000

Editorial : Yougoslavie – les amitiés en panne

La chute de Slobodan Milosevic à Belgrade (5/10), a causé une émotion « supérieure (sic) à celle constatée lors des débâcles de Suharto en 1’98 et du Kuo min tang (KMT) à Taiwan en mars« . Un meeting du Politbureau, spécialement consacré à cette crise, a permis de vérifier l’importance du pays balkanique pour la Chine. Jusqu’à hier, il était le dernier bastion néo-socialiste d’Europe.

C’était aussi, par sa mosaïque ethnique, un glacis comparable à une Chine en miniature, au point que dès les années 1980, de nombreux centres de recherche politiques de Chine prenaient la Yougoslavie comme « cobaye » des scénarios possibles de l’avenir national.

Ayant longtemps souffert d’invasions multinationales, la Chine est toujours prompte à raviver sa vieille peur de l’encerclement. Aussi à Pékin, l’analyse est unanime : cette chute résulte d’un « complot (américain) contre le socialisme mondial ».

Prochaine cible possible : Cuba (affaiblie, avec Fidel Castro en manque de successeur) – puis tous les autres Etats sous ce système… D’où la conclusion inévitable : Un mot d’ordre de resserrer la sécurité, de prévenir tous chocs et événements imprévus…  » Un simple brandon peut embraser la prairie « !

Au plan intérieur, cela signifie s’assurer que la presse donne de l’affaire une couverture minimale. Surveiller l’internet, ne tolérer nul épanchement sur un Forum d’opinion. Ce que faisait pourtant, dès vendredi, un surfeur audacieux, sur le site du Quotidien du Peuple : « la Chine est toujours en retard… Nous serons les derniers à avoir la démocratie » !

Quelques jours plus tard, on a pu voir ce que pouvaient être ces «brandons» dont parlait le Président chinois : quand Marko Milosevic, le fils de Slobodan, se présenta (09/10) à l’aéroport de Pékin en provenance de Moscou, il fut refoulé pour « défaut de visa » (malgré son passeport diplomatique) – depuis, on a perdu sa trace.

Ceci, quoique Milosevic, le 5 juin, alors Président de la Confédération Yougoslave, ait fastueusement reçu Li Peng à Belgrade, lequel l’avait alors encore rassuré sur la « tradition ancienne et profonde d’amitié » entre les peuples…

L’éjection de Milosevic junior, en dépit d’un indiscutable lien entre les deux régimes, devrait signifier que le Président déchu cherche à se ménager un asile en Chine laquelle, pour l’instant, joue la prudence absolue!

 


Joint-venture : Piratage – la contre-attaque de Procter & Gamble

• Dès le 29 octobre deux accords de "code-sharing" de compagnie aériennes entrent en vigueur : Air China / Lufthansa et China Eastern / Qantas. Un arrangement qui étoffe leurs horaires, et la liberté de leurs passagers respectifs, en leur ouvrant les vols de l’une ou de l’autre entre monde et Chine – sans regard sur la qualité du service ni le prix du billet, mais permettant l’accumulation des bonus de fréquentation. D’autres accords de ce type existent entre Chine et monde (ex : Air France /China Eastern).

Le "code-sharing" est la plus récente forme de coopé sino-étrangère en transports aériens, et la plus approfondie en ce domaine limité par le plafond de 35% de participation au capital de tout transporteur chinois.

• La première phase de sélection du partenaire étranger (à 30%) au futur terminal Gaz Naturel Liquéfié de Shenzhen est achevée. Sur les 10 offres de départ, quatre restent en lice : BPAmoco, Exxon Mobil, Royal Dutch/Shell et Woodside/BHP/Chevron.

Ce premier contrat, qui serait adjugé en novembre, porte sur une capacité de 614M$, d’une capacité de 4MM m3 /an. Une autre phase doublera ce contrat.

NB : Parmi les offres non retenues, figure celle de Total/ GDF, peut-être pénalisée par une tension franco-chinoise depuis la confirmation de la vente, fin juillet, d’un satellite civil par Matra (ROCSAT2) à Taiwan. Dans ce contexte, la visite de Jacques Chirac, comme « Président de l’Union Européenne » (et non plus comme Président français), au jour « J-9 » du Sommet Euro-Chine, n’est pas confirmée.

• En janvier 2000 peu d’opérateurs donnaient cher du projet d’offre de Sinopec en bourse de Hong Kong /New York. Mais le cours de l’or noir, en caracolant à 36$/ baril, a changé toute la donne – et l’état de guerre entre Israël et Palestine n’arrange rien. Couverte quatre fois, l’Offre Publique de Vente (OPV) devrait rapporter 3,5MM$ (20% du capital de Sinopec) au lieu du milliard prévu.

Cette flambée est aussi due aux achats de trois candidats au projet terminal GNL : Exxon-Mobil, BP-Amoco et RD-Shell ont pris pour 1,83 MM$ soit plus de 50% des parts. BP avait anticipé au printemps en achetant (620MUS) 2% de Petrochina. Ces derniers investissemnts dans Sinopec sont vus par des experts comme risqués – sans garantie  de solidité du titre après sa sortie le 18/10.

• Une des victimes du piratage en Chine, Procter &Gamble (P&G) estime à 15 à 40% la part de « ses » produits contrefaits, et son préjudice (minimum) à 150M$/an. Mais P&G vient aussi d’administrer la preuve de sa capacité à se défendre. Moyennant 360.000$ entre janvier et juillet, le groupe vient de remporter deux victoires notables.

[1]Avec l’aide de l’agence Pinkerton, P&G a accéléré ses frappes (2000 depuis 1990, 300 depuis janvier, ces derniers dans 20 villes). A Canton, un seul raid a vu la saisie de 4000 caisses de faux shampooing et lotion, d’une valeur de 620.000$ – et engendré des peines de prison ferme.

[2] P&G a aussi frappé les pirates de ses marques sur le net : une firme Chenxuan (Shanghai) qui avait enregistré un site sous le nom de "Safeguard", marque de P&G déposée en Chine depuis 1976, a été contrainte d’y renoncer. Le groupe avait obtenu un autre arrêt à Pékin, pour un site piratant sa marque "Whisper"

 

 


A la loupe : Seul message du Plenum – attention, OMC !

Y a-t-il eu un "effet Belgrade" au Plenum du Parti Communiste Chinois (PCC), tenu (9-11/10) dans un hôtel de la capitale? En tout cas, la réunion dans une ambiance secrète, débouche sur un communiqué sec et sans surprise. Les 350 membres et suppléants ont adopté tambour battant le 10ème Plan (2001-2005).

Le message est clair : le Parti fait confiance à la croissance de son "économie socialiste de marché", pour se donner les moyens de régler « tous les problèmes » : message très semblable à ceux proférés tous les cinq ans depuis 20 ans. Avec un petit "plus" conceptuel, qui consiste cette fois à garantir que le secteur privé, surtout high tech, sera "soutenu, encouragé et guidé".

Le Parti met la priorité  (rien de neuf) sur l’accélération des politiques préparant l’entrée à l’OMC : soutien à la production rurale, mise en place de la sécurité sociale, assainissement des Entreprise d’Etat, déjà allégées de la moitié de leurs mauvaises dettes, qui seraient officiellement " profitables " dès fin 2000. La croissance, durant ce 10ème Plan, progresserait à 7,5%/an et réaliserait d’ici 2010, le doublement du PIB, à 2000MM$!

Comme le VDLC l’avait annoncé (cf n°28/V), le principe d’une réforme politique réapparaît, après 10 ans de blocage. Dans son  document, le PCC affirme vouloir "faire du processus de décision une chose scientifique et démocratique, et élargir la participation dans l’ordre du citoyen à la politique ".

Mais le contenu concret de cette "démocratie socialiste" reste absent. Le pouvoir pense évidemment au renfort de la loi (à la formation, au recrutement de centaines de milliers de juristes et magistrats), aux élections de quartier dans les villes… L’objectif non dit, pourrait être de céder toujours plus de parts de l’économie d’Etat au secteur privé (lui-même fraîchement issu du même moule politique,et des franges les plus dynamiques de la société), pour laisser ce lobby imposer progressivement une véritable réforme politique – sans douleur, puisque les mêmes milieux auront conservé le pouvoir.

Le thème de la corruption aurait pu tenir un rôle majeur – vu le nombre et la force explosive des « affaires » et leur impact négatif sur la rue. Le pouvoir a fait l’impasse sur ce débat gênant. Seul un membre du Comité Central, Xu Penghang (60 ans), ex vice Ministre des Sciences et Technologies, est démis de ses mandats… pour deux ans.

Dans ces conditions confinées, on s’étonne d’avoir senti un air de fronde à travers ce Plenum, qui a osé rejeter, comme plein membre du Politbureau, la nomination de Zeng Qinghong, le nouveau bras droit du Président. Trois hommes hors de l’entourage de Jiang, ont eu droit à cette promotion : Yue Haiyan, Huang Zhiquan et Wang Zengfu.

Cet incident est intéressant à double titre. Il s’est trouvé, au Plenum, une minorité spontanée (venue de " différents milieux", des provinces, et du sommet), pour bloquer une proposition du Président – lequel a su, de bonne grâce, se plier à la règle du consensus.

D’autre part, Hu Jintao, vice-Président et dauphin historique, demeure chef de file des leaders de la nouvelle génération – non par la volonté de Jiang, mais par celle de la majorité!

Ce refus au Président n’est pas le premier : l’an dernier, le projet avait flotté, puis disparu, de désigner Jiang, à l’issue de son mandat de Premier Secrétaire en 2002, Président du Parti, position que seul Mao avait occupé. Indice que les 18 mois restants avant la succession de Jiang, ne seront pas si lisses!

 

 


Argent : Bourse secondaire – compte à rebours engagé !

• La bourse "secondaire" à Shenzhen sera ouverte à la fin de l’année, et la "principale" aura 3 ans pour rejoindre celle de Shanghai. Shenzhen (et la China Securities Regulatory Commission, ou CSRC) croient pouvoir éviter les erreurs du Growth Enterprise Market (GEM) qui a baissé de 60% en 11 mois, pour avoir ouvert avec une trentaine de firmes cotées de va-leur incertaine : Shenzhen-II aura d’emblée un nombre supérieur de PME high tech triées sur le volet (TI, Bio-tech, intégration de systèmes), avec marchés en croissance.

Par ses critères permissifs de listing (chiffre de 5MY/an, capital de 10MY, pas d’obligation de profits immédiats), Shenzhen-II sti-mulera les PME et le rôle d’incubateur de start-up de la ville.

 NB : à même échéance, la CSRC annonce le feu vert aux fonds d’investissements illimités (jusqu’alors, ils étaient plafonnés à 2MMY).

• Baosteel, la sidérurgie de Shanghai, doit ajourner son entrée en bourse, parts "A", et réduire ses ambitions – d’après les courtiers, l’action ne devra pas dépasser 4Y, et la collecte 7,5MMY, au lieu des 10MMY prévus (ce qui établira quand même un nouveau record en Chine). Le report est dû à la priorité donnée à Minsheng, première banque privée à être (bientôt) cotée – elle en attend 4,2MMY.

NB : seules deux autres banques sont en bourse : Pudong Development Bank et Shenzhen Development Bank, qui sont publiques, " petites " et récentes (n’ayant pas eu le temps de faire des prêts irrécupérables). Par contre les quatre Grandes, en convalescence, restent sur la touche : "Prudence! " disent les deux tutelles, CSRC et Banque Populaire de Chine (BPdC).

• Comment écouler les 361MM$ d’invendus qui dorment dans les entrepôts chinois et supprimer le triangle des dettes entre usines, fournisseurs et banques ? Pékin annonce la mise en place, sur trois ans de la plus ambitieuse plateforme de commerce virtuel de gros du pays, moyennant 675M$, surtout en prêts de l’étranger (dont Hong Kong and Shanghai Bank Corporation ou HSBC).

Dès début 2003, le réseau reliera 1000 villes, et facilitera les opérations d’échange par troc. Dès fin 2001, le volume d’échanges devrait atteindre "96MM$" (sic), et "180MM$" en 2003.

NB1 : le e-commerce de détail, en Chine en 1999, ne concernait que 6,6M$, soit 0,001% du total.

NB2 : ce réseau semble viser davantage, par son information "préventive", l’économie d’investissements redondants à travers le pays (aussi en MM$!).

 


Pol : Gloire et controverse d’un Nobel chinois

• La Chine compte (11/10) son prix Nobel des lettres. Mais elle ne pourra pas – officiellement – s’en enorgueillir : Gao Xingjian est dissident, réfugié près de Paris. Le jury a voulu sortir la Chine de son injuste oubli, mais sans pour autant honorer un homme d’appareil (la Chine paie peut-être, ici, le fonctionnariat de ses auteurs au sein de la Fédération des Artistes).

A Pékin, la critique officielle a été immédiate (« choix politiquement motivé, avec motifs ultérieurs »…"choix eurocentré" d’un jury Nobel " ignorant de la culture chinoise" ( l’auteur vit à l’étranger). Mais dans la Chine littéraire de l’ombre, c’est la fierté qui devrait prévaloir, et l’exemple d’une distinction obtenue par l’expression personnelle et non alignée.

• C’est sur un ton conciliant que Zhu Rongji a mené sa visite au Japon (12 – 17/10), affirmant – c’est, pour la Chine, un tournant historique sans précédent ! – que « le peuple nippon a lui aussi souffert du militarisme ». C’est que l’opinion nippone est tendue vis-à-vis de son voisin. En août, un prêt bonifié de 167M$ avait été suspendu par Tokyo (qui vient de le rétablir), suite à des incursions de navires militaires chinois dans ses eaux.

Grand reproche du Japon à Pékin : de lui faire mauvaise image, ne voyant en lui que l’envahisseur non repentant d’hier, sans reconnaître ce qu’il lui doit : 24MM$ d’aide depuis 1979, et 47% de toute l’aide (1,23MM$) reçue en 1997. Aussi Zhu a-t-il fait acte de gratitude tardive, et s’est livré à une offensive de charme à la télévision, ainsi qu’auprès de six partis politiques.

De même, pour donner un espoir discret aux konzerns japonais, Zhu a emprunté le monorail test maglev japonais (450km /h), tout en évoquant l’avenir glorieux des investissements étrangers dans l’Ouest de la Chine – le Japon y enverra des «missions d’éclaireurs», dès 2001 !


Temps fort : Afrique : la Chine, ‘ phare du Tiers Monde’

Depuis Mao peut-être, on n’avait plus vu telle fête à Pékin – 84 ministres et chefs d’Etat de 44 pays africains, à quelques kilomètres du Plenum du Parti Communiste Chinois (PCC), les dirigeants chinois faisant la navette entre les deux sites.

Le Forum de Coopération sino-africaine s’inscrivait dans le projet maoïste-toujours plus net, après la disparition de l’URSS, de faire de la Chine le phare des Pays en Voie de Développement.

Jiang Zemin a inlassablement rappelé la lutte " contre l’hégémonisme, les politiques de pouvoir ", tout en montrant du doigt l’Ouest avec ses 320MM$ de créances sur l’Afrique, et en donnant l’exemple, par sa promesse de gommer 1,2MM$ de dettes de ses hôtes d’ici 2002.

Pékin annonçait aussi un Fonds (non chiffré) de promotion des firmes chinoises en Afrique, une assistance accrue en formation, et d’autres aides à la croissance. Car la Chine voit surtout dans l’Afrique un marché d’avenir, à inonder de ses usines et produits moins chers, tout en s’y fournissant en matières premières  (imports =3,5MM$ en 12 mois et +134%, exports =3,2MM$ et +27,6%).

Ce sommet a aussi permis de séduire les alliés africains de Taiwan :2 sur 8 (Libéria, Malawi) ont accepté l’invitation, comme pour faire sentir à l’île nationaliste le besoin d’améliorer ses "arguments". L’argument, pour Pékin, était clair : l’effacement des dettes ne profite – c’est de bonne guerre – qu’ aux pays ayant son ambassade…

Hasard de date? En tout cas, le jour même, Denny Philip, ministre des îles Salomon (autre allié flageolant de Taipei), se trouvait à Pékin (le 10/10, fête nationale de Taiwan!) : autre pays pauvre, tentant de faire monter les enchères, et grappiller les miettes du festin mondial!

 


Petit Peuple : Maldonne à Fotan

Cet été, un juge de Yongshan (Yunnan) reçut une bien curieuse requête, concernant le cas Xiao Guodong. L’affaire semblait pourtant bien claire : la nuit du 30 mai, Xiao, Commissaire adjoint au village de Fotan, tentant de libérer une voie obstruée par deux fêtards, avait pris un horion. De rage, il était retourné au poste chercher son arme de service, avec laquelle il avait abattu de sang froid les ivrognes quelques minutes plus tard, sous les yeux de la moitié de la bourgade.

Signée de mille villageois, la pétition au juge décrivait un homme simple et honnête, serviteur du peuple qui avait risqué sa vie pour libérer ses concitoyens de deux malandrins, « terreur sur la ville ».

La description des faits contredisait frontalement les dépositions au procès-verbal. Un complément d’enquête par un journaliste cantonais, établit que la plupart des signataires n’étaient pas sur place au moment des faits, voire ignoraient tout de l’affaire et avaient été forcés à signer par la mairie du village ou des amis de l’adjoint. Quoique partant d’un bon sentiment, le témoignage sentait trop la fabrication : le juge jeta le chiffon au panier-on attend le verdict.

 


Rendez-vous : 23 octobre, Pékin – sommet Euro-Chinois

• 16 – 18 octobre, Pékin : Séminaire Gaz et Pétrole

• 16 -19 octobre, Pékin : Salon de l’Immobilier

• 19 – 25 octobre, Yantai (Shandong) : Foire des Technologies de Transformation des Fruits et Légumes