Le Vent de la Chine Numéro 16

du 14 au 20 mai 2000

Editorial : Chine, Europe, Amérique : le grand triangle!

Les négociations ont repris (11/5) avec l’Europe, pour l’entrée à l’OMC, 3ème rencontre en 3 mois. Pascal Lamy, le Commissaire responsable, était à Pékin le 15/5. De source interne, le succès n’est pas assuré : sur les dossiers télécom (téléphonie mobile), assurances, et le commerce (d’État) de matières de base (blé), les deux parties maintiennent leurs exigences.

Dans le même temps, Chine et USA franchissaient le premier anniversaire du bombardement à Belgrade de l’ambassade Chinoise par l’OTAN. Washington s’en tient à sa thèse d’une frappe par « erreur« , tandis que Pékin ne démord pas de sa vision d’un acte concerté, par des « forces hostiles internationales« .

Au même moment pourtant, Bill Clinton bat la campagne (vend.12/0 à Shakopee, Minnesota) pour convaincre les électeurs de laisser le Congrès, dès le 22 mai, entériner le « deal » d’entrée de la Chine à l’OMC. Avec 56 voix manquantes à la Chambre des Représentants, le suspense demeure entier. Syndicats, militants pour les Droits de l’homme, et la base du Parti Démocrate (de Clinton) s’affrontent pour et contre, avec les lobbies d’affaires. Quelques escarmouches, ces derniers jours, ont favorisé les opposants au deal : telle la peu discrète pénétration de la Cosco (Compagnie nationale maritime, très proche de l’APL) sur les ports du Canal de Suez, succédant à la mainmise, en 1999, des ports du Canal de Panama par Hutchison Whampoa (groupe hongkongais très proche de Pékin); tel encore le blocage en douane dans divers ports chinois, des quinze premiers conteneurs d’agrumes californien et de Floride.

Ces deux faits (la polémique chinoise autour de l’OTAN, les efforts des USA pour offrir à la Chine son entrée à l’OMC), permettent de relever une fois de plus l’ambiguïté profonde des relations entre ces deux géants. Tandis que le ferme positionnement d’une Europe ayant elle aussi quelque chose à accorder (ou à refuser) à la Chine, établit – pour la première fois peut-être – la relation privilégiée entre les trois grands pôles économiques du futur : Amérique/Nord, Union Européenne et Chine


A la loupe : L’Europe industrielle, présente en force

Forte présence de l’Union Européenne, les dix jours passés, entre Shanghai et Pékin. L’Allemagne était la locomotive du salon métallurgique (Pékin, 9-13/5), avec 34 exposants. La RFA, avec son "poumon d’acier" de la Ruhr, assure 1,83 MM USD et 22% des exports sidérurgiques de la terre, dont 0,55 pour l’Asie (2d client après l’UE) et 104M en Chine (en 1998).

Avec son Premier Ministre. P. Rasmussen et 200  patrons, le Danemark fêtait le 50ème anniversaire des relations et un volume d’échanges, en 1999, d’1MMUSD, ainsi qu’une coopération industrielle à haute technologie (antipollution, agro-alimentaire…)

La Belgique elle aussi était en tournée (Shanghai, Pékin, HK, 5-14/5), avec la mission du Prince Philippe et de 200 hommes d’affaires. Occasion de nombreux séminaires internes (tel celui de la pharmacie belge, sur l’impact de l’entrée à l’OMC et la création du Strate Drug Administration), de présentations aux chinois de filières (port d’ Anvers, Hooge Raad Voor-Diamant /Club des diamantaires, ingénierie (Fabrimétal), électronique (Eonic)…

Cette mission a vu la signature d’un contrat géant. Avec Shanghai power, Tractebel crée une JV de 400MUSD (50/50), sur le futur complexe chimique de Caojing. A des groupes tels Bayer ou Exxon, une fois sur place, la Joint-Venture fournira les services en amont (eau, vapeur, électricité) et en aval : recyclage des eaux usées, brûlage de déchets, avec passage des fumées au canon à électrons, pour libérer un air quasi propre, aux portes de Shanghai!


Joint-venture : Hub pékinois pour Nokia

• Le 7 mai, à Tianyin, Jiangsu (pop. d’1,14 M pour un PIB de 30MMUSD soit 10 fois la moyenne nationale), le belge Bekaert ouvrait une 3ème tranche de sa Joint Venture (propriété à 90%) de câbles de carcasse radiale de pneus.

Avec 100MUSD d’investissements l’usine est n°1 national du secteur. 220 employés assurent une production annuelle estimée à 165000t en 1999, pour des ventes de 40MUSD.

• La Chine est pour Nokia, son 2 ème marché après les Etats-Unis, position qui permet au groupe finlandais de créer le plus grand parc high-tech étranger de Pékin (50 ha, 1,2MMUSD d’investissements dont 50% pour Nokia).

Ce 4ème site mondial de Nokia accueillera également les fournisseurs de batteries, semi-conducteurs, microprocesseurs, etc. En 2003 ce « hub » du GSM assurera 10.000 emplois pour un chiffre d’affaires de 6MMUSD/an. Deux jours après cette nouvelle, Motorola réplique: ce sont 1,9MMUSD que le géant américain veut investir, dès 2000, à Tianjin, dans une usine analogue.

• En mars, General Electrics et Liming (Shenyang, Liaoning) signaient le plus gros contrat de fourniture de pièces et de turbines à gaz : pour 150MUSD sur trois ans. Une première livraison d’1MY vient d’être livrée.

• Hung Li Microelectronics, Joint Venture sino-taiwanaise qui vient d’être signée, est remarquable sous trois angles.

1. Elle permet enfin au partenaire taiwanais, Formosa Plastics, de prendre pied sur le continent : son premier projet de centrale thermique pour 3MMUSD avait été abandonné suite à l’opposition de Taipei;

2. avec 6,4MMUSD, elle constituera une des plus grosses JV de semi-conducteurs en Chine, avec trois usines à Shanghai et le support technologique du japonais Oki Electric. Le financement chinois proviendra de prêts préférentiels bancaires;

3. les responsables de la Joint Venture ne sont autres que Winston Wang, fils aîné de Wang Yung-ching, président de Formosa Plastics, et Jiang Mianheng, fils aîné du Président de la République. Rappel de cette constante dans la vie publique chinoise : la politique est la politique, et les affaires sont les affaires.

 


A la loupe : Taiwan: Chen, l’intronisation fatidique

Samedi 20 à Taiwan, sera le jour du serment de Chen Shui-bian, élu Président en mars, ex-Président du parti autonomiste Democratic Progressive Party (DPP). Depuis, Chen a agi avec doigté, désignant un gouvernement de cohabitation entre le pouvoir sortant, Kuo Min Tang (KMT) et le sang neuf du DPP. Cocktail destiné à accélérer une nécessaire convalescence, sur les deux rivages, après ce résultat que nul n’attendait.

Ainsi le 1er Ministre n’est autre que l’ex-patron de la Défense. Ainsi le Secrétaire Général de la Straight Exchange Foundation, structure de dialogue avec la Chine, reste le KMT Shi Hwei-yow, assez sûr de lui pour réitérer l’invitation à son alter ego Wang Daohan : choses qui rassurent. Aucune décision brutale ne sera prise – pour le moment – par « A-bian » (l’affectueux sobriquet du jeune Président).

En face, le pouvoir apparaît encore sonné. Slogans et séminaires anti-indépendance (tel celui de Xiamen, 8/5), avec leurs arguments inchangés depuis le scrutin, semblent être là pour gagner du temps dans l’attente d’une meilleure intelligence des événements. Ainsi pour Pékin, 39,3% des voix à Chen Shui-bian, signifieraient 60,7% hostiles au séparatisme… Par contre, on parle de remettre bientôt la vapeur sur l’île, par des exercices militaires (25 mai?), dans l’espoir d’assécher les investissements étrangers à Taiwan et de contraindre l’île au retour à la mère patrie.

Enfin, Jiang croit que le dossier taiwanais doit rester aux mains des « vétérans »: pour rassurer la vieille garde (Liu Huaqing, Zhang Zhen), et pour justifier son propre maintien aux affaires, après l’issue de son mandat présidentiel en 2003. Jiang pourrait alors conserver (jusqu’en 2007) ses casquettes de patron de l’Armée Populaire de Libération et du Parti Communiste Chinois. En tout état de cause, il garderait le « vrai » pouvoir, par la fidélité des jeunes loups par lui nommés (Hu Jintao, Li Changchun, Wen Jia bao), et par sa chasse gardée sur le crucial dossier taiwanais –  sa légitimité!

 


Argent : Autoroutes – 3ème réseau mondial!

• Qui l’eût cru en 1990, où la Chine possédait moins de 500 km d’autoroutes? Dix ans après, avec 11605km, elle revendique le 3ème parc mondial, précédée par les seuls Etats-Unis et le Canada.

La moitié du réseau s’est constituée (avec soutien international comme BM et ADB) entre 1992 et 1998, l’autre, en deux ans. Toutefois ce chiffre recouvre des situations diverses : autoroutes nouvelles, modernisation d’axes existants, à quatre voire trois voies.

Pour le 10ème Plan (2001-2005), l’effort se poursuivra, notamment suivant la stratégie de désenclavement de l’Ouest, qui inscrit à elle seule 11 projets nouveaux sous 12 mois. Presque toujours gérés par les provinces, ces chantiers présentent de nombreux bénéfices, mis à part celui du désenclavement: peu mécanisés ils ancrent sur place une forte main d’oeuvre peu payée, qui freine l’exode rural; et le savoir-faire chinois (hérité de l’URSS pour la partie "ponts") permet de faire l’impasse sur le recours à l’étranger.

• Au 1er trimestre, la consommation s’est ressaisie, haussant de 10%. Nonobstant, la guerre des prix s’aggrave dans les principaux secteurs "produits de masse" – signe de suréquipement productif.

Dans le climatiseur, Chunlan, un des leaders, baisse ses prix de 15 à 20%, forçant la réaction en chaîne. Effet espéré : la faillite sous cinq ans pour 85% des 50 groupes concurrents.

Même phénomène dans l’automobileGénéral Motors offrirait 20000Y sur sa Buick, et Dongfeng Citroën Automobile Corporation des primes à l’assurance et au Service Après-Vente. Cette guerre du marketing enraye l’embellie de la consommation : de janvier à avril les prix de détail sont restés en déflation : 1,9% sur 12 mois.

• Avec Shanghai International Group (Sig), la mairie de Shanghai se dote de son nouveau bras financier, au capital de 600MUSD, destiné à gérer une partie de ses avoirs (boursiers, bancaires et industriels). SIG reprend les actifs boursiers de la SITIC, et ceux de la Shanghai Finance Securities, firme de courtage de la mairie.

La SIG aura donc deux divisions autonomes, une boursière (Shanghai Securities) et une financière : réforme calquée sur celle de la Beijing Industrial Trust and Investment Corporation de Pékin, holding restructurée en avril. L’objectif est triple:

[1] se conformer à la loi boursière de 1999, imposant le cloisonnement entre bourse et autres finances,

[2] faire sa part de restructuration des "ITICS", inévitable après la faillite de la Guangdong Industrial Trust and Investment l’an passé, et

[3] garder le contrôle local de ce secteur très lucratif, sans le céder au niveau "national", comme elle avait du le faire pour Shenyin Wanguo, passé sous pavillon du pékinois Everbright.

 

 

 

 


Pol : Pensions: Les grands moyens

• Neuf ans après la Guerre du Golfe, Air China reçoit d’un Comité de Compensation de l’ONU une 1ere tranche, sur 14MUSD dus par l’Irak en dommages subis : destruction de ses agences à Bagdad et Kuwait City, vols spéciaux de rapatriement, et immobilisation de quelques appareils avec frais de parking, sur le tarmac d’Amman (Jordanie).

L’embarras de Pékin se lit dans l’occultation par la presse de l’identité du payeur: la Chine apprécie d’être remboursée, mais pas d’apparaître parmi une coalition occidentale, qui bénéficie des sanctions (rappelant celles, 150 ans plus tôt, des traités inégaux et des guerres de l’opium) contre un régime du Tiers monde, son allié traditionnel.

• Dans le Shaanxi, le pouvoir explore un moyen nouveau pour faire face à un fléau de moins en moins contrôlé : le défaut de paiement de leurs contributions sociales par les Entreprises d’Etat ruinées (à ce jour, le trou dans la caisse s’élève à 37,6MMY).

153 d’entre elles viennent de se voir notifier, jusqu’à la régularisation, leur barrage à toute source de financement – entrée en bourse, subsides, création de nouvelles sociétés. Leurs directeurs seront sur la liste rouge des promotions, des achats de voiture, et des visas pour l’étranger.

Cette mesure pourrait être purement ignorée par des firmes au bord du gouffre, elle pourrait aussi précipiter, par ces dépenses improductives, leur faillite – ce qui peut être aussi un des objectifs recherchés, pour peu qu’elles règlent, avant de disparaître, leurs ardoises sociales

 


Temps fort : Bourse – nouvelles expériences

Le mince succès de Petrochina en Bourse de New York en mars (3MMUSD récoltés contre 10 attendus) n’a pas découragé pouvoir et Grandes Entreprises d’Etat, face au marché des capitaux. Au moins 3 groupes iront à NY en 2000 : Unicom (télécoms), Sinopec (pétrole) et Baoshan (aciers), ainsi que dans l’internet, Sohu et Netease. Depuis 1999, Unicom met de côté 1,8MMY pour

rembourser ses JV "CCF", devenues illégales. Leur coût était de 1,4MMUSD : la différence sera compensée par des stock options.

La Commission de régulation boursière s’apprête à laisser les 4 banques publiques vendre 25% de leurs parts : c’est leur seule chance de recapitalisation, depuis le "chèque" offert par l’État (270 MMY en bons du Trésor) en 1998. Face à l’OMC et à la Bank of International Settlement (BIS), les banques doivent justifier d’un ratio de solvabilité de 8%, qu’elles n’ont pas (en 1999, la China Construction Bank atteignait 5,37%). D’où l’urgence d’aller en bourse -et de se restructurer plus sévèrement. C’est ce que veut faire l’ICBC en congédiant 20% de son personnel, en fermant 25% de ses 30.000 branches (420M de comptes), en s’ouvrant à la banque électronique et Internet, et en s’installant à Séoul, HK, Tokyo et Singapour.

Enfin, Pékin préparerait un fonds d’investissement à partir de ses propres titres d’Entreprises d’Etat (pour n’en garder que 30%), afin de faire face à la spirale des coûts des retraites dues, évalués entre 2700 et 13000MMY par an). Formule magique pour l’Etat : [1] l’épargnant achète le titre du fonds de placement, pas celui des Entreprises d’Etat, qui sont ainsi protégées du « risque » de privatisation;[2] la diversité des titres composant le fonds, diminue le risque pour la petite épargne, [3] laquelle, d’un seul coup, refinancera le secteur public, constituera un second pilier de sa retraite, tout en donnant à l’État les moyens de payer les pensions, malgré le défaut de paiement des firmes publiques.

 


Petit Peuple : Hong Kong a le tofou dans le nez

• L’histoire qui suit aurait pu se produire en France avec le Münster, ou en Angleterre avec le Stilton. La Chine revendique une tradition enthousiaste et millénaire du tofou, ce fromage de soja goûté, disent les instituts de sondage, par 80% de la population. Parmi les centaines de variantes de ce produit de base ("spaghetti", "lasagnes", "sauces", "lait","yaourt" etc.),

Une espèce se distingue par l’exceptionnelle ténacité de son fumet : le  chou doufu (litt. "tofou puant"), vieilli durant des semaines.

A Hong Kong, ce fromage a été la base olfactive d’émeutes, d’un comité de quartier, et d’actions en justice à répétition. Ng Shiu-ping, dans le quartier populaire de Mongkok, tient une des toutes dernières fromageries de Hong Kong, à la fureur sans bornes des riverains lassés de leur note mensuelle de pressing et de la grève des visites par leurs amis. Entre Ng et la justice, c’est la guerre : depuis juin 1999 elle a été taxée cinq fois, la dernière fois de 1500USD, pour infraction au "règlement de contrôle de la pollution atmosphérique". Opiniâtre, Ng, qui a déjà dépensé l’an passé 9000USD en hottes filtrantes, continue le combat : "nous allons investir dans d’autres équipements. Il faut bien vivre." Les supporters du "chou doufu" noyé dans la sauce piquante ou étuvé aux haricots noirs et aux oignons, opinent du chef. Parmi ceux-ci, Gong Li, la star du cinéma chinois, surprise en 1996, de retour de Taiwan (autre base stratégique de ce produit offensif), le fromage dans le sac!

 


Rendez-vous : Chen Shui-bian, Président

•15-20 mai Pékin : 4ème. Conférence Informatique Asie

•16-18 Canton : Salon Boulangerie/Confiserie