Le Vent de la Chine Numéro 13

du 5 au 11 avril 1998

Editorial : Citroën – Wuhan : complet brouillard !

Le plafond lourd de pluies sur Wuhan (Hubei, 1100km à l’intérieur des terres) reflète le climat rude qui règne sur DCAC, deuxième investissement français en ce pays, JV de 2 très grands groupes, Citroën et Dongfeng (DFM).

Au plan technique, pourtant, c’est un sans faute, avec ces trois ateliers de presse «ferrage» (assemblage) et peinture immaculés, aux chaînes robotisées, aux équipements nec plus ultra dans leur genre. Et vu les contrôles de qualité (doubles de la meilleure concurrente, VW), la ZX- (Fukang, 240 voitures/jr) devrait être, de l’avis du client, la meilleure voiture produite aujourd’hui au Céleste Empire.

Le problème serait plutôt côté ventes.

Avec -au mieux!- 1941 véhicules vendus en janvier – février 1998, elles auraient chuté de 75% par rapport à novembre -décembre (4000/mois).

Pire, les 28000 ZX vendues en 1997 n’ont été payées qu’à 50%, soit 2,5 MMY d’impayés.

Même misère au niveau des fournitures: depuis janvier, faute d’être payée, Citroën-France ne livre plus de «collections» (pièces importées).

Les 132 JV locales elles, n’ont d’autre choix que de fournir à crédit, avec des retards de paiement supérieurs aux 2 mois prévus par contrat: DCAC est prise «à la gorge» par les dettes triangulaires, comme une firme d’Etat!

Syndrome qui a justifié à lui seul l’escale wuhanaise du Secrétaire d’Etat français Jacques Dondoux: pour négocier avec la Chine une (dernière!) aide d’urgence, 850 MFFr, et financer l’import des pièces "d’origine" pour 2 ans de plus – indispensable, pour maintenir la JV à flot, après le 1er juin!

 


A la loupe : SACRED, UN DES ÉQUIPEMENTIERS

Un exemple parmi les quarter vingt deux présents en Chine: Sacred, n°1 français du caoutchouc auto, a signé dès décembre 1995 sa JV pour produire en Chine -à Wuhan, surtout pour DCAC. JV à 60/40% avec Zhong An (n°1 chinois, de Yichang, Sichuan), portant sur un investissement de 40 M FFr.

L’aide publique consistait en un prêt «Codex» de 25% des montants payés (soit 10M pour l’instant), remboursables à partir de 5 ans.

Dès 1997, débutait la production, notamment grâce à 3 presses à injection (150t et 400t).

Production de durites, joints de vitre, butées etc.). L’agrément  "DCAC" a été obtenu en mai 1997. Toutefois Sacred vise d’autres marchés -auto ou non- de production de caoutchouc moulé sous pression. Nombre d’expatriés: quatre.

A Wuhan, Sacred exprime des problèmes assez comparables à ceux de Citroën :

1. retards paiement/capital du partenaire,

2. retard de reconnaissance du statut «high tech» -qui libérerait avantages fiscaux et imports hors taxe de matériel,

3. barrières frontalières intérieures -difficultés de vendre hors de la province,  

4. retards de paiement de 6 à 8 mois par DCAC: selon le PDG de Sacred, «Il n’est pas concevable que des … poids lourds nationaux…se fassent financer par les PME»!

 


Joint-venture : Un ‘jardin à la Française’ industriel

Wang Shouhai, nouveau maire de Wuhan, maintient la tradition locale de francophilie : rôle repris à la Shanghai de l’ancien régime, et qui peut rapporter gros.

Déjà par le passé, bon nombre de groupes français se sont vus offrir des conditions fort alléchantes pour venir s’installer à Wuhan – qui affiche, comme atout principal, celui de plaque tournante ferroviaire, routière, aérienne et fluviale de toute la Chine, avec un port sur le Yangtzé, accessible à des cargos de 10000t.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet du "Jardin industriel français", lancé dès 1994 à Paris par Mme Wu Yi, alors patronne du MOFTEC.

En bordure de la zone de Développement Economique et Technologique de Wuhan, 31 km² à 15 kms du centre-ville (où se trouve déjà la DCAC et la plupart de ses équipementiers), le « jardin » occupera 1 à 2 km² le long de l’autoroute 318 qui traverse la ville d’Est en Ouest et la relie(ra) à Pékin.

Appelés par Wuhan : des groupes actifs dans l’automobile (bien sûr!), le médical, l’instrument de précision, les télécoms, l’électronique et l’agro-alimentaire, notamment biologique. « Un projet fort bien présenté », a commenté le Secrétaire d’Etat Dondoux, devant la maquette. Aux industriels français de suivre!

 


A la loupe : DCAC : fiche technique!

Contrat : négocié 1987-mai 1992. Citroën verse 60% de l’investissement, moyennant 25% du capital (de 2,7MMY). 4% revient à la Société Générale, 1% à BNP, 70% à DFM.

Partenaire : DFM, n°2 national du camion, 300 filiales, 350 000 emplois.

Financement : 7,5MM FF, dont 4,6 payés par la France (PSA, Etat, banques); y compris 2 avances des pièces importées. Sur ce montant, 2,5MM FF d’équipements ont été commandés en France ou Europe, dont ½ à PSA.

Production: 1992 : montage; 1996 : lancement des usines de Wuhan (presse/assemblage/ peinture) et Xiangfan (moteurs, boîtes, suspensions). Taux d’intégration locale: 81,5%.

Équipementiers: 82 (surtout de France) pour 132 JV; (valeur =60% du produit final)

Vente : dès 1995, suite à défaillance de DFM (et imprévoyance côté français) DCAC doit monter en urgence un réseau commercial autonome: 7 (puis 9) directions régionales, 280 «agents» agréés (vente et/ou après-vente); aujourd’hui en vente : 2 modèles de ZX (1,4l et 1,6l). Un 3ème, encore secret (+ grand, coffre + large), est annoncé.

Personnel : 5800 employés. À terme (pour production de 150 000 unités): 10 000;

Expat : 46, qui deviendront 30: un par direction, et les contrôleurs/qualité. Salaire moyen: 3500Y (1000Y directs, 1500/logement, 1000/charges).

Incident : oct 1997, un directeur chinois disparaît d’un train sans laisser de traces -selon certains, avec des fonds de la J.V..

Explication d’un haut cadre de DCAC: « Nous ne pouvons douter de l’intégrité de cet homme qui a travaillé près de nous toutes ces années. Mais il était un des pères fondateurs de DCAC, et venait d’apprendre sa mutation imminente : nous pensons qu’il n’a pas supporté cette nouvelle, et s’est suicidé».

 


Argent : Histoires de manifestations

Histoires de manifestations    

Wuhan, oligopole de 7,3 M d’habitants (dont 1/2 environ, seulement, avec permis de résidence: tous les autres y vivant à différents degrés de clandestinité), vit un rapport étrange entre population et pouvoirs publics. Contrairement à des villes de la côte, Pékin ou Shanghai, plus sophistiquées, riches, et autoritaires, Wuhan semble jouir d’un fort degré de liberté, la police se gardant d’intervenir pour y défendre lois et règlements. Il suffit, pour s’en rendre compte, d’observer le trafic, le long des artères (interminables et sans grâce) reliant Hankou, Hanyang et Wuchang, les trois «villes» séparées par le confluent du Yangtzé et de la Hanshui.

Le mépris des panneaux et feux de circulation, n’est égalé que par la «timidité» de la police à intervenir. Comme le décrit un Chinois local, «à Wuhan, l’Etat se réserve deux pouvoirs: celui du fusil, et celui du pinceau (de la plume, ndlr). Pour le reste, on fait ce qu’on veut»!

Ce qui explique aussi, tolérées par un pouvoir bon enfant, les nombreuses manifs qui bloquent sporadiquement le centre ville ou l’entrée de la place de la mairie: sit-in (avec tabourets pliants) de petits vieux protestant contre leurs retraites misérables; manifs d’usines en faillite, impayées depuis des mois (ce qui semble être la règle salariale universelle de Wuhan); congestion du coeur de la ville par des dizaines de milliers de  (san lunche, tricycles, qui sont 200 000 à travers Wuhan), balayant les tentatives publiques d’interdire ce moyen de transport folklorique et ingérable…

La dernière manifestation, à Wuhan en mars, a eu pour auteurs les ouvriers paraplégiques de l’usine « Xinhan » de matière plastique. Trop populaire, le directeur avait réussi à augmenter les salaires et éponger une dette de 3MY. L’autorité, par ailleurs, cherchait à «fusionner» Xinhan avec Taihe, usine privée, qui en voulait moins au personnel, qu’au terrain excellemment situé de son usine… Les handicapés ont simplement interdit l’accès au nouveau boss, et affiché des (dazibao, posters) déclarant : « nous n’avons pas confiance en des patrons parachutés » : la mairie a préféré lâcher du fil !

Guerre aux mauvaises dettes

Zhang Daizhong, vice-maire de Wuhan, saisit le taureau par les cornes: trop de firmes au bord de la ruine s’accommodent finalement assez bien de leur état et, sans chercher à payer leurs dettes, « mangent » les subventions qui les maintiennent hors de la faillite.

D’après China Economic Times, les intérêts non récupérables feraient 20% du total.

Le nouveau règlement édicté par la mairie, interdit aux firmes endettées, de donner des primes aux employés, d’acheter voitures, maisons, titres boursiers et bien sûr de se faire coter en Bourse ou de créer de nouvelles entreprises. Tandis que leurs patrons n’ont plus le droit d’accepter des voyages somptuaires à l’étranger, et que leur indice de crédit doit être raboté.

Par ce code draconien, Wuhan espère rehausser la cote de la ville, comme site d’investissement : le «plus» espéré à moyen terme, sous forme de crédits de l’étranger, étant supérieur au manque à gagner à court terme en dépenses somptuaires de la nomenklatura.

 


Pol : Wuhan, aéroport expérimental ?

Wuhan, aéroport  expérimental ?

De dimensions modestes, mais neuf et raisonnablement organisé, l’aéroport Tianhe de Wuhan -édifice, vient d’être choisi comme «cobaye» pour une expérience délicate : la gestion en JV sino-étrangère.

Décision difficile à prendre pour Pékin, car les aéroports, par nature, font partie du système stratégique de sécurité nationale, sujet sensible. Mais la Chine de 1998 admet son échec à attirer des capitaux étrangers dans les aéroports, vu leur mode actuel de gestion peu performant, les lourds investissements à y opérer (de 100MUSD à 1MMUSD) et la durée d’immobilisation.

Le nouveau cadre réglementaire de la CAAC, à publier d’ici quelques mois, prévoit la possibilité pour l’étranger d’investir jusqu’à 49% du capital enregistré de l’aéroport, notamment dans les services au sol, la maintenance des appareils, et l’hôtellerie. Wuhan prépare donc, avec un groupe hongkongais non publié, son entrée sur ce marché, avec prise de participation financière et introduction de méthodes de management modernes. À suivre.

Wugang, deux fois éconduite à la Bourse.

Pour la seconde fois, les aciers de Wuhan, filiale du groupe fer et acier, Wugang, sont contraints de reporter à des jours meilleurs leur cotation en Bourse (parts « H », vente à l’étranger).

La 1ère fois, le report avait été imposé par la chute des bourses et monnaies du Sud-Est Asiatique. A présent, c’est la trop faible mobilisation des investisseurs qui retarde le lancement. Réaction nullement limitée au cas de Wugang : aucune des firmes chinoises tentant leur chance en bourse à l’étranger ces mois-ci, n’obtient de succès : la confiance n’est pas là!

Qu’on ne s’y trompe pas : Wugang, avec sa production de 7Mt d’acier par an, passe pour un groupe de bonne qualité en Chine, aux instruments modernes, et (par exemple) à faible pollution (Pékin ne peut en dire autant). Wugang est d’ailleurs pressentie pour une fusion avec 2 aciéries shanghaïennes, dont la prestigieuse Baoshan. Prochaine tentative en Bourse, après mai, avec la publication de l’audit (en cours), de l’exercice 1997. Ceci, à condition que la bourse, et le marché international des charbons et aciers, fasse d’ici là meilleure figure.

 


Temps fort : DCAC DANS LE BROUILLARD

Mais pourquoi ce baril de poudre, allumé sous une JV saine, au marché assuré (qui a quadruplé ses ventes en 1997)?

1. Les acheteurs, à 80% Entreprises d’Etat, sont insolvables, et un nouveau règlement à Wuhan, interdit aux patrons endettés, d’acheter des véhicules. 

2. Le marché n°1, celui des taxis (à Wuhan, 12000 unités, à 98% en «ZX»), est saturé.

3. le cloisonnement régional du marché perdure : Shanghai fait tir de barrage technique, pour interdire ses rues à la wuhanaise ZX, au profit de «sa» Santana.

4. 5 ans après la signature, DFM, le partenaire chinois, n’a toujours pas acquitté sa part du capital (manquent 30M USD); DFM, dont la situation est ultra précaire, avec des livraisons impayées depuis 3 à 5 ans et une production de camions de 200 000 en 1994, amputée du tiers, 3 ans après.

5. L’Etat n’a pas tenu sa promesse d’aide d’1MMY au titre de la création du réseau de distribution (donnée aux 2 JV de VW, Shanghai et Changchun).

Enfin, les négociations se poursuivent cette semaine en France entre Jacques Dondoux et Zhu Rongji (6 avril à Paris, le 7 à Nice), pour équilibrer l’effort de sauvetage.

Face aux 850M FFr de Paris, Pékin offrirait 500 MY (prêt) à DCAC, et un emprunt obligataire (350MY) pour financer les ventes – 87 000 voitures en 1999.

DCAC, qui avoue «ne pas avoir prévu au départ un tel crédit au client », espère d’ici quelques années -2003-2005?- un succès de ventes indiscutable, lors du passage de la Chine à la propriété privée: «cela donnerait », dit un responsable, «peut- être un chiffre inégalé au monde» -et la récompense des duretés de cette Longue Marche!

 


Petit Peuple : Le mystère du bus brûlé

L’origine criminelle d’un bus le mois dernier à Wuhan ne fait aucun doute.

Tant par le nombre de morts (16 officiellement – plus, selon sources locales) que par le lieu symbolique du drame (sur un des deux ponts du Yangtzé, reliant Nord et Sud du pays). La presse locale est restée des plus discrètes – black out. Trois histoires circulent :

1. celle (romantique) des amants désespérés,

2. celle du paysan transportant de la dynamite et allumant impunément sa cigarette (accident fréquent dans les trains), 3. et celle, jugée par des témoins chinois la plus plausible, de militants ouighours cherchant à porter leur révolte musulmane hors de leur Xinjiang -un « accident » de ce type a déjà eu lieu à Pékin en octobre, dans un bus à quelques centaines de mètres du siège du 15. Congrès du Parti – il avait fait 2 morts.