Le Vent de la Chine Numéro 31 (2019)

du 8 au 14 septembre 2019

Editorial : Contradictions chinoises

Alors que l’économie chinoise perd de la vapeur, il faut à tout prix trouver des relais de croissance. Dans ce but, le Conseil d’Etat dévoilait, le 26 août, 6 nouvelles zones de libre-échange (FTZ) aux missions bien distinctes : trois sont frontalières (Heilongjiang, Guangxi, Yunnan) et visent à renforcer le commerce avec leur voisins (Russie, Vietnam, Laos, Birmanie, Thaïlande). Deux autres (Jiangsu, Shandong), provinces côtières plus riches, devront développer les échanges avec le Japon et la Corée. Le Hebei lui, s’ouvrira à l’industrie pharmaceutique et au biomédical dans la zone Jing-Jin-Ji. Ces FTZ ont pour objectif premier de booster le développement de ces provinces, tablant sur leur avantage géographique et servant ainsi les ambitions de l’initiative Belt & Road (BRI). Cela signifie que la Chine disposera de 18 FTZ, dont une dans chacune de ses provinces côtières. Jusqu’à présent, elles ont attiré 70 milliards de yuans d’investissements étrangers et comptent pour 14% des IDE dans le pays. Pour stimuler leur attractivité, de nouvelles mesures visent à simplifier les procédures d’enregistrement et réduire le nombre d’autorisations nécessaires pour opérer dans ces zones. Début août, le gouvernement annonçait également doubler la taille de la FTZ de Shanghai (120 km2 supplémentaires) pour y inclure la zone voisine de Lingang. C’est là qu’est installée la « Gigafactory 3 » de Tesla, dont le lancement de la ligne de production ne devrait plus tarder.

Pourtant, le succès est plus que mitigé pour la toute première FTZ du pays, située à Waigaoqiao (Shanghai). Lors de son inauguration en 2013, elle devait supplanter Hong Kong en tant que première place financière asiatique, notamment grâce à un yuan convertible pour les comptes de capitaux. C’était avant que l’Etat ne parte en lutte contre la fuite massive des capitaux hors de Chine, deux ans plus tard. Aujourd’hui, il faut répondre à une quarantaine de critères pour effectuer une transaction bancaire depuis la FTZ. Du coup, des centaines de comptes restent inactifs, et les banques y assurent donc un service minimum. Ainsi, ces zones spéciales, anciennes comme nouvelles, ne pourront être attractives tant qu’elles seront prises en étau entre les directives conflictuelles de l’Etat : s’ouvrir aux investissements étrangers, tout en contrôlant strictement les sorties de capitaux.

Dans une certaine mesure, c’est aussi la conclusion d’une étude parue début septembre, menée par le célèbre militant écologiste Ma Jun, directeur du Centre pour la Finance et le Développement de l’Université deTsinghua, en collaboration avec le cabinet londonien Vivid Economics et la fondation américaine ClimateWorks. D’après ce rapport, les « nouvelles routes de la soie » menacent sérieusement l’objectif de l’accord de Paris (COP-21) de contenir le réchauffement climatique à +2°C, contredisant ainsi les engagements pris par l’Etat chinois en matière de protection de l’environnement. En effet, les 126 pays ayant accepté de participer à l’initiative BRI chinoise, représentent 28% des émissions de CO2 mondiales. Mais s’ils poursuivent à leur rythme actuel, ce chiffre passera à 66% en 2050. Se basant sur l’empreinte carbone du développement d’infrastructures dans 17 pays BRI (dont Arabie Saoudite, Indonésie, Iran, Pakistan, Philippines, Russie, Singapour, Vietnam …), le rapport calcule que le réchauffement global sera de l’ordre de 2,7 °C. Dans le secteur énergétique, entre 2000 et 2016, 80% des investissements chinois à l’étranger concernent les énergies fossiles (37% en charbon, 30% en pétrole, 13% en gaz naturel), 17% pour l’hydroélectrique, et seulement 3% pour le solaire et l’éolien.

Les auteurs soulèvent ainsi le manque de cohérence des engagements climatiques de la Chine : réduire les émissions sur son sol mais favoriser leur augmentation dans des pays étrangers, au nom du « droit au développement » dont elle est ardente supportrice. Li Gao, chargé au climat, commentait : « en principe, les entreprises chinoises ne devraient pas proposer des technologies désuètes et polluantes, mais cela dépend des ‘standards‘ des pays clients » – et surtout de leur portefeuille. L’étude estime que les émissions des pays BRI d’ici 2050 pourraient être réduites de 39% s’ils optaient pour des technologies plus « vertes ». 12.000 milliards de $ seraient nécessaires pour « carboniser » ces projets d’infrastructures.

Manifestement le gouvernement chinois, réglé sur une série d’objectifs parcellaires et à court ou moyen terme, ne voit pas encore les contradictions entre eux, et n’est pas encore prêt à assumer une vision holistique pour allier croissance et environnement à long terme – question de maturité. Mais la Chine, comme tout le monde sur Terre, doit se laisser le temps de grandir.


Hong Kong : Les confidences de Carrie Lam

Alors que la crise hongkongaise poursuivait sa dangereuse escalade depuis trois mois, elle prenait un tournant inattendu en l’espace de quelques jours.

Le 2 septembre, un enregistrement audio de la cheffe de l’Exécutif, Carrie Lam, fuitait. S’adressant à un public d’hommes d’affaires Hongkongais, elle se voulait rassurante en affirmant que « Pékin ne s’était pas donné de date limite pour régler la situation, ni n’avait l’intention de faire intervenir l’armée (APL) à Hong Kong ». En effet, pas question pour la Chine d’anéantir le fruit de tous ses efforts pour améliorer son image sur la scène internationale par une incursion musclée. Puis Mme Lam se confiait : « ma marge de manœuvre est très, très, très restreinte. Je démissionnerais sans hésiter… si je le pouvais. ».

Le lendemain, lors d’une déclaration cette fois officielle, Carrie Lam se montrait « confiante en sa capacité à conduire Hong Kong hors de l’impasse ». Mais comment Mme Lam comptait-elle s’y prendre ? Elle qui, jusqu’à présent, s’était montrée inflexible, une attitude considérée comme « arrogante » par une large majorité de Hongkongais.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour le savoir : 24h plus tard, elle annonçait le retrait du projet de loi d’extradition contesté, pour de bon ! Plus précisément : le gouvernement introduira une résolution auprès du Parlement lorsque les sessions reprendront en octobre. Elle minimisait touteois ce geste, affirmant qu’il ne reflétait pas un changement de position de sa part, puisqu’elle avait déjà annoncé sa suspension le 15 juin. Mme Lam promettait également de faire examiner d’éventuelles bavures policières par l’IPCC (Independent Police Complaints Council) et d’engager une série de dialogues avec des représentants de la société civile pour aborder les problèmes fondamentaux de l’île (prix de l’immobilier, inégalités des revenus, justice sociale, opportunité d’emploi pour la jeunesse…).  

Certains questionnent le timing des évènements : la fuite des édifiantes confidences de Carrie Lam était-elle volontaire ? Elle aurait ainsi pu vouloir adoucir les insulaires pour qu’ils réservent un bon accueil au retrait du projet de loi.

Pour le leadership, la marche-arrière de Mme Lam présente deux avantages. D’abord, cette dernière, en laissant comprendre que l’initiative venait d’elle, que Zhongnanhai « comprenait, respectait, supportait » sa décision, exonérait Pékin de toute responsabilité. Pourtant il ne fait aucun doute que le gouvernement central soit à l’origine de ce revirement. Ensuite, le régime compte sur cette maigre concession pour ramener l’ordre à Hong Kong avant les célébrations du 70ème anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine le 1er octobre, même s’il est fort probable que les réjouissances soient organisées avec grande discrétion sur l’île.

Pour le collectif, c’est une petite victoire, acquise grâce « à une stratégie d’alliance entre modérés et plus engagés ». Mais les radicaux n’en démordent pas, c’est « trop peu, trop tard », déplorait Joshua Wong. Pourquoi Carrie Lam a-t-elle attendu aussi longtemps pour répondre à la demande n°1 des manifestants ? Peut-être n’avait-elle pas reçu le feu vert de Pékin, qui pensait tester dans la durée la détermination du mouvement. C’était un mauvais calcul, puisqu’il a basculé vers une contestation plus profonde, où il n’est plus uniquement question de tuer un projet de loi.

Pour se démobiliser, ils réclament l’arrêt des poursuites judiciaires à l’encontre des manifestants arrêtés et l’abandon de la qualification « d’émeute », la démission de Carrie Lam, le suffrage universel direct (au cœur du mouvement Occupy Central de 2014), mais aussi l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante (COI) sur les violences policières, n’ayant pas confiance en l’impartialité de l’IPCC. La nomination par Mme Lam de deux nouveaux membres n’y changera probablement rien… Pourtant, certains analystes estimaient que le retrait de la loi, cumulé à l’ouverture d’une COI, aurait pu mettre définitivement un terme aux manifestations. 

Mais Carrie Lam en a décidé autrement, espérant qu’une seule mini-concession affaiblisse suffisamment le mouvement : les modérés rentreront chez eux, et les radicaux croiseront le fer avec la police, puis feront face à la justice.

Difficile de prédire avec certitude la suite des évènements. Nombreux étaient ceux qui présumaient que la suspension du projet de loi le 15 juin suffise à calmer les esprits, et pourtant, ils étaient 2 millions à défiler le lendemain. Des actions étaient déjà prévues le week-end du 7-8 septembre, suivant le slogan « cinq exigences, pas une de moins ».

Et dans l’hypothèse où les tensions s’apaisent, quel sera l’avenir politique de la plus impopulaire des Chief Executive ? Elle qui révélait ne plus pouvoir marcher dans la rue sans craindre d’être agressée… Il lui sera difficile de terminer son mandat qui court jusqu’en 2022, trois ans durant lesquels la moindre étincelle pourrait remettre le feu aux poudres.


Politique : 4ème Plenum, hiatus factionnel ou retour à la normale ?

D’ordinaire, le Plenum du Comité Central du Parti se tient au moins une fois par an. Il est le rendez-vous incontournable lors duquel sont décidées les politiques à venir, suivant un agenda bien précis. Or, un brouillard de mystère entoure le 4ème Plenum du 19ème Comité Central, annoncé pour mi-octobre : plus de 580 jours se seront écoulés depuis le 3ème Plénum de février 2018 – un record dans l’ère post-maoïste. Deux théories s’opposent pour interpréter ce hiatus.

La première explique cette longue attente par l’éternelle lutte factionnelle au sommet, qui aurait empêché Xi Jinping d’être en mesure d’organiser ce 4ème Plenum plus tôt, faute d’avoir su dompter ses adversaires politiques. Pour l’analyste politique Alex Payette, « Xi Jinping évite les rencontres qu’il ne peut pas contrôler ». Mais alors, après que la campagne anti-corruption ait purgé des « tigres » par dizaines, qui peuvent bien être ceux qui s’opposent encore au Premier Secrétaire ? Les regards se tournent vers les sphères d’influence et bastions historiques (notamment la Commission Politique et Légale) de l’ancien Président Jiang Zemin et l’ex-n°2 Zeng Qinghong, leaders de 93 ans et 80 ans.

L’agenda du 4ème Plenum donne également du grain à moudre à cette thèse. En 2018, la tenue exceptionnellement rapprochée des 2ème et 3ème Plenums (à moins d’un mois d’intervalle) se justifiait par l’amendement de la Constitution pour supprimer la limite des mandats présidentiels, puis par un plan massif de réorganisation des agences gouvernementales. Or, le 3ème Plenum traite traditionnellement des réformes économiques. Certains supputaient donc que le 4ème Plenum discuterait de ces questions. Mais il n’en sera rien : Xinhua, l’Agence nationale de Presse précisait qu’il aurait pour objet « la gouvernance du Parti, dans un contexte de bouleversements inédits ». Certains lisent entre les lignes de cette annonce des enjeux liés à la sauvegarde du Parti et de ses intérêts, au renforcement de son contrôle sur la société, ainsi que du pouvoir de Xi Jinping, son « cœur ». Mais pourquoi omettre à nouveau les questions économiques, pourtant urgentes alors que le train de l’économie chinoise perd de la vapeur ? Certains supposent que Xi n’aurait pas été capable d’obtenir un consensus sur la stratégie à adopter dans la guerre commerciale avec les USA. Le soudain rétropédalage en mai dans ses tractations avec les Etats-Unis serait un indice de cette division au sein du Parti, tout comme la dissonance entre la ligne dure publiée par les médias et les appels au calme lancés par les négociateurs. En suivant cette hypothèse, si Xi ne remporte pas cette bataille d’influence, il sera incapable de conclure tout accord commercial avec les USA.

Une seconde théorie voit plutôt en ce 4ème Plenum un « retour à la normale » : ce n’est pas le 4ème Plenum qui est en retard, ce rendez-vous ayant souvent lieu en automne, mais plutôt le 3ème qui était (très) en avance ! Et comme pour faire taire les rumeurs de dissensions au sein du Parti, Xi Jinping était dépeint dans les médias comme le « leader du peuple » (un surnom auparavant réservé à Mao) lors de sa visite au Gansu. Le retour de ce sobriquet aurait-il fait l’objet d’un consensus durant l’été, poussé par le besoin d’un leader fort, de la trempe du Grand Timonier, qui sera capable de relever les multiples défis auxquels fait face la Chine ? Tous les paris sont ouverts, en attendant mi-octobre…


Monde de l'entreprise : Cohue chez Costco
Cohue chez Costco

Alors que les poids lourds de la grande distribution s’y sont cassé les dents (Tesco, Lotte, Carrefour, Metro…), Costco, le roi de la vente en gros, ose à son tour tenter sa chance, inaugurant son premier hypermarché à Shanghai le 27 août. Une heure après l’ouverture, c’était déjà la cohue dans le magasin de la chaîne américaine. Entre 10.000 et 20.000 clients se ruaient sur les fameux poulets rôtis de la chaîne (cf photo), des bouteilles de Moutai à moitié prix, ou plus étonnant, des sacs à main de luxe ! Ici, la moitié des produits sont importés.

La recette du succès de Costco est basée sur une adhésion annuelle (au prix de 299 RMB) permettant aux clients d’y faire leurs emplettes à des prix de gros. Pour cela, Costco fait des économies en exploitant son entrepôt de stockage comme des rayons, mais aussi en limitant emballages et décorations inutiles. Naturellement, sa marge brute, autour de 11%, est moins élevée que celle de la grande distribution traditionnelle (20% à 25%), mais suffisante pour dégager au dernier trimestre un résultat net global de 906 millions de $.

Alors que l’on assiste au lent déclin des supermarchés au profit du e-commerce, pourquoi Costco croit-il en sa bonne étoile chinoise ? D’abord, le groupe n’est pas exactement un nouvel arrivant sur le marché chinois : il y était déjà implanté depuis 2014 par l’entremise d’un partenariat avec Alibaba, pour vendre sa propre gamme de produits Kirkland. Sa boutique sur Tmall est déjà suivie par 1,45 million d’abonnés. Cette expérience lui avait permis d’apprendre à mieux connaitre ses clients chinois. Il était aussi aux premières loges pour constater les écueils de ses concurrents étrangers, arrivés dès les années 90 mais n’ayant pas su faire évoluer leur modèle au rythme des consommateurs. C’est précisément sur leur appétit pour de nouveaux concepts que Costco mise.  Il n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir tenter l’aventure : suivant une stratégie similaire, l’allemand Aldi, déjà présent sur Tmall depuis 2017, ouvrait en juin à Shanghai ses deux premiers magasins.

Mais passé l’effet de mode, les clients se bousculeront-ils toujours au portillon ? La plupart des marques étrangères font l’objet d’une certaine frénésie à leur arrivée sur le marché chinois, un état de grâce qui ne dure pas toujours (cf les déboires de Marks & Spencer). De plus, un magasin très fréquenté n’est pas forcément synonyme de fortes ventes. Chez le géant suédois IKEA, les nombreux visiteurs qui font la sieste dans les lits d’exposition ne sont pas ceux qui passent à la caisse. Et la Chine est grande : même si Shanghai est un succès (Costco envisage déjà d’ouvrir un second magasin dans la ville), rien ne garantit la même réussite dans les provinces, où le public est moins accoutumé aux produits étrangers. Surtout, le client chinois, converti au confort de la livraison à domicile, peut rechigner à retourner en supermarché, d’autant plus s’il est obligé d’y payer une cotisation annuelle. Cela peut expliquer la faible expansion des Sam’s Club, dans le pays depuis 1996, sous le même modèle commercial de la carte de membre. En deux décennies, cette filiale de Walmart n’a ouvert que 26 magasins et n’est parvenue à fidéliser que 2 millions de membres. Autre obstacle potentiel, les consommateurs chinois n’ont pas l’habitude des achats en gros, n’ayant pas la place de les stocker dans leur appartement. Surtout, la guerre commerciale tombe mal : le géant du discount a déjà dû remplacer nombre de ses produits américains par des avatars australiens pour maintenir ses prix bas malgré les taxes douanières. Les prochains mois seront donc déterminants pour le plus célèbre des grossistes, mais la chance ne sourit-elle pas aux audacieux ?


Petit Peuple : Shanghai – Lai Zhaoqian, faiseuse d’empereur (2ème partie)

Résumé de la première partie : Dotée d’une inextinguible ambition, Lai Zhaoqian avait pour but de rencontrer un homme du sérail, auquel elle puisse s’associer pour le porter jusqu’au faîte de l’appareil. Ce fut chose faite lorsqu’elle fit tomber sous son charme Huang Taiyang, jeune Secrétaire du Parti.  

En 1999, Lai Zhaoqian, la femme d’affaires, et Huang Taiyang, le secrétaire du Parti débutèrent leur fructueuse collaboration dans le district de la banlieue shanghaienne où il venait d’être nommé. Amants depuis un peu plus d’un an, ils prirent garde cependant de ne pas partager la même demeure, ni de montrer leur relation de façon trop ostentatoire. C’est que les cancans fusaient, aussi vite que les jalousies. Pour autant, il était important que leur liaison fût connue, afin de faire miroiter à leurs interlocuteurs le soutien qu’ils pourraient espérer obtenir de leur relation : elle, jouant le rôle d’auxiliatrice préparant et négociant les dossiers et lui, celui de source de passe-droits, grâces d’impôts ou de licences.

Comme pour faire écran à l’illégalité de leurs pratiques, ils adoptaient volontairement le style d’un couple jeune et branché. Lai s’exhibait dans des tenues sans cesse renouvelées, courtes et audacieuses, des meilleures griffes italiennes ou françaises. Chaque mois, elle invitait le gratin local à ses vernissages d’artistes montants, qu’elle repérait et promouvait. Secret de polichinelle, son secrétaire du Parti ne manquait jamais d’apparaître « comme par hasard », en tenue de golf chic, pullover bleu pervenche noué autour du cou et brodequins de sport américains. Encore trentenaires, ils formaient un couple moderne, suscitant l’admiration par leur mépris des convenances. Sans illusion ni jalousie, ayant simplement à l’esprit ses objectifs à long terme, elle lui présentait ses amies jeunes et ambitieuses, lui fournissant ainsi un vivier sans cesse renouvelé d’expériences sensuelles.

C’est aussi dans ces lieux semi-publics que Huang recevait ses solliciteurs et que les affaires se concluaient dans un coin discret, deux hommes plantés devant un tableau. Comment faire pour expulser de leurs terres quelques fermiers dans le but d’y construire une résidence de standing ? Aucun problème ! Au bout de quelques semaines, l’affichette dûment signée et tamponnée était apposée sur les murs visés : l’arrêté d’expropriation était justifié par quelque chantier d’utilité publique, hôpital, gare ou échangeur routier. Invariablement, une fois les fermes démolies, le projet de chantier officiel disparaissait, remplacé par des tours ou villas dont la publicité s’étalait, tapageuse, au bord des autoroutes voisines. Huang et Lai recevaient alors leur commission secrète, en cash ou en participations :  au faîte de sa gloire, la femme d’affaires détenait 17 co-entreprises, toutes dans les districts administrés par son homme.

Tout en prospérant, Lai n’oubliait pas de faire campagne pour son compagnon. Devant tous milieux, elle vantait en permanence sa stature d’homme providentiel, aux talents multiples et sans limites, d’administrateur et d’homme de cœur, d’un homme présidentiable en quelque sorte. A l’issue des vernissages, les profits des ventes étaient remis par Huang en personne à des représentants de monastères bouddhistes ou taoïstes, sous la forme d’un chèque géant, lors d’une cérémonie en grande pompe où les caméras tournaient et les flashes des journalistes crépitaient.  

En 2009, Huang fut promu patron du Jilin, fief de dizaines de millions d’âmes à la frontière coréenne. Une fois de plus, il était le plus jeune cadre de la République à se voir confier le contrôle d’une province – à 37 ans. C’était une belle étape, un pas de géant dans la course au pouvoir suprême. Il partit immédiatement pour Changchun, la capitale de la région nordique, où Lai se dépêcha de l’y rejoindre. Un superbe cadeau de bienvenue l’attendait : un penthouse de 350m² dans le quartier neuf et huppé de la ville, gracieusement offert par un promoteur qui recevrait en échange, quelques mois plus tard, la légalisation de son usine laitière.

D’autres affaires suivirent, toutes juteuses. Il y avait tout à faire sur cette terre du nord-est, artificiellement peuplée 50 ans plus tôt par ordre de l’empereur rouge, puis transformée au fil des décennies en « ceinture de rouille » par la ruine et désertion de ses usines obsolètes. En quelques années, Lai put prendre pied dans des investissements-clés, centrales thermiques, fermes géantes de maïs ou d’élevage laitier, équipementiers automobiles, ou imagerie médicale.

En 2012, le politicien Huang reçut une promotion encore plus brillante, celle de Secrétaire du Yunnan. C’était aussi un poste à risques : d’autres cadres du Parti s’y étaient cassé les dents. Ce Yunnan lointain et tropical restait en retard chronique et, d’année en année, recevait d’énormes subventions au titre de chantiers d’équipement de rattrapage. C’était d’une telle situation qu’héritait à présent Huang.

Qu’on ne s’y trompe pas : telle aisance et tels succès apparents ne délivraient pas Huang de ses peurs. Auprès de Lai, quand ils étaient seuls, il avouait ses hésitations et l’envie de faire marche arrière, tant que faire se pouvait. En effet, le risque était lourd, et la victoire finale tout sauf acquise. Le jeu en valait-il la chandelle, se demandait-il ? Elle le rassurait avec force, en véritable meneuse de leur union bipolaire, mais secrètement elle ne pouvait s’empêcher de partager ses craintes.

Lai Zhaoqian voulut en avoir le cœur net et obtenir un indice irréfutable de la destinée suprême de son homme. Elle le fit à sa manière, en bonne fille de Bouddha et du Tao. A son géomancien préféré dans un monastère réputé, elle apporta la photo de Huang, assortie de ses données astrales. Moyennant une grosse prime, le prieur procéda à un rituel complexe tiré du Yi Jing, le livre ésotérique chinois du destin. Le verdict dépassa toutes ses espérances : les astres le confirmaient, Huang avait les gênes d’un cadre aux destinées nationales !  

Exaltée et abandonnant toute prudence, Lai se lança dans un projet audacieux. Auprès d’un couturier de renom qui habillait la moitié de l’aréopage dirigeant, elle commanda un éclatant manteau de soie de Suzhou (Jiangsu). D’un ocre éclatant chamarré de fils d’or et d’argent, l’épais brocard était produit à façon. Entre tissage et confection, la commande exigea quatre mois d’ouvrage, pour un prix inimaginable. A l’automne, au jour le plus favorable selon le feng shui, Lai porta la tenue à Huang, se répétant 100 fois le discours inspiré par le devin. Mais son appréhension fut vite dissipée : loin de s’emporter ou de rejeter l’offre impériale, Huang la saisit avec émotion, la palpa, l’admira puis s’en ceignit les épaules, acceptant ainsi la destinée qu’elle impliquait. Déambulant dans son parc privé, dans les allées tapissées d’or par les feuilles de gingko, les surplis de la parure resplendissaient au soleil couchant. Tout doute l’avait quitté : il se sentait prêt à diriger la Chine (黄袍加身 , huángpáo jiāshēn ), et le ferait avec elle.

Les rêves de gloire de Huang et sa maîtresse deviendront-ils réalité ? Vous le découvrirez la semaine prochaine dans la dernière partie de cette histoire. 


Rendez-vous : Semaines du 9 au 22 septembre
Semaines du 9 au 22 septembre

31 août – 15 septembre : Coupe du Monde masculine de basket-ball (FIBA) dans 8 villes chinoises (Pékin, Shanghai, Wuhan, Nankin, Canton, Shenzhen, Foshan, Dongguan)

6 – 15 septembre, Chengdu : CDMS – Chengdu Motor Show, foire internationale spécialisée pour l’automobile et les accessoires

8 – 11 septembre, Shanghai : CIFF – China International Furniture Fair, Salon international du meuble et de l’ameublement pour la maison, l’hôtellerie et le bureau

9 – 11 septembre, Pékin : CIOF – China International Optics Fair, Salon international de l’optique

9 – 12 septembre, Shanghai : China International Furniture Expo / FMC , Salon de la fabrication et des fournitures pour l’industrie du meuble et du design

11 – 12 septembre, Hong Kong : Belt & Road Summit, 4ème sommet du projet BRI

11 – 13 septembre, Shenzhen : International Biotech and Healthcare Expo, Sommet et salon international de biotechnologie, des équipements médicaux et des services de santé

17 – 21 septembre, Shanghai : CIIF – China International Industry Fair, Foire industrielle internationale pour les industries du métal, machine-outil, systèmes de contrôles numérique, automatisation industrielle, appareils électriques, abrasifs, outils de coupe…

17 – 21 septembre, Shanghai : Robotics Show, Salon international du robot et des équipements industriels

18 – 20 septembre, Shanghai:  LED China, Salon mondial de l’industrie des LED (signalisation, éclairage, affichage, applications, composants et équipements…)

18 – 20 septembre, Shanghai:  RubberTech China, Salon dédié aux machines et outils de traitement du caoutchouc, produits chimiques, additifs et matières premières liés à cette industrie

18 – 20 septembre, Pékin: China Aviation Expo/ Airport & Air Traffic Expo China, Salon international de l’aéronautique et de l’aviation

18 – 20 septembre, Shanghai : Waterchem + Tech, Salon international des technologies de traitement de l’eau

18 – 20 septembre, Shanghai : China International Adhesives and Sealants Exhibition, Salon professionnel international des colles et adhésifs en Chine

   19 – 21 septembre, Pékin: China Horse Fair, Salon international du cheval

20 – 22 septembre, Shanghai : Expat Show Shanghai, Salon des services et produits à destination de la communauté d’expatriés à Shanghai