Le Vent de la Chine Numéro 21

du 6 au 12 juin 2010

Editorial : La politique chinoise, statue de sel

Que Donald Tsang, Gouverneur de Hong Kong ait banni (31/05) du parc Victoria la «statue de la démocratie», installée comme chaque année par des étudiants, est un fort symbole de la bataille du souvenir qui se joue en Chine depuis la nuit du 03/06/1989. Tsang agit moins dans l’espoir (vain) de dissuader 50.000 jeunes de commémorer le bain de sang que par souci de «bonne attitude» envers la maison mère.

Il se trouve qu’en même temps à Pékin, Li Changchun, tzar de la propagande, déplore les «lacunes idéologiques» de la jeunesse – comme Jiang Zemin 21 ans plus tôt, au lendemain du drame. Ces réactions témoignent du fait qu’une génération après, la demande en démocratie reste vive, à Hong Kong comme sur le continent.

Si ce souvenir agite, c’est aussi à cause de l’approche du 18 (shibada), 18e Congrès de 2012, d’où sortira l’équipe succédant à celle d’Hu Jintao. Une liste circule sur Twitter, prédisant comme 1er Secrétaire, Xi Jinping, vassal de Jiang Zemin et non de Hu Jintao. Ce dernier garderait toutefois sous sa coupe le Conseil d’Etat (qui irait à Wang Qishan, l’actuel manitou de l’économie) et le Parlement (confié à Li Keqiang son dauphin). Depuis ce poste, Li Keqiang pourrait maintenir le verrou sur toute réforme politique à l’avenir. Par ailleurs émergeraient, au Comité Permanent, des étoiles montantes telles Zhou Qiang, Wang Yang, sans oublier Bo Xilai, le joker de l’avenir.

Autre signe de la guerre de succession : le bal des promotions.

En sus de secrétaires nommés en avril tel Zhou Qiang (au Xinjiang), Hu vient de placer Xu Shousheng au Hunan, Yuan Chunqing au Shanxi, et Zhang Baoshun à l’Anhui. Ces deux derniers sont issus du sérail de Hu : de la tuanpai 团派 ou Ligue de la jeunesse que Zhang Baoshun présida en 1991—et Hu Jintao avant lui.

Auréolé par le nettoyage des triades et la croissance rapide de Chongqing dont il est le Secrétaire du Parti, Bo Xilai fait un «coup» médiatique en invitant 42 pontes de l’internet à une grand’messe destinée à ressusciter la hongyan (红 岩 «falaise rouge»), campagne maoïste surgie à Chongqing aux temps héroïques clandestins, qui militait pour la pureté du Parti et contre la corruption «décadente». Pourquoi ?

Bo Xilai est banni loin de Pékin en raison de son individualisme flamboyant qui inquiète, et au nom d’une tendance du Parti à ne pas favoriser l’aristocratie rouge, le « gang des petits princes »- Bo Xilai est fils de Bo Yibo, ex-compagnon de Deng Xiaoping.

Or, en brandissant ces oripeaux de marxisme dur, Bo semble accuser ses rivaux de bourgeoisie. Quoique lui-même ait envoyé son fils aux meilleures études british (Harrow, Oxford). Son but apparent : forcer son retour aux affaires en 2012, évitant la retraite que lui préparaient ses adversaires. Mais le coup est risqué. Cette tentative de déterrer une idéologie dure ne rassurera personne, et devrait s’aliéner la masse grandissante des intellectuels et bourgeois…

Bo a pour lui la faiblesse de Xi, suite au ratage imprévu de son entrée à la Commission militaire chinoise. Pour reprendre l’initiative, Xi prescrit aux cadres, dans la revue Qiushi, d’éviter le jargon dans leurs discours et d’y mettre du fond. Comme pour dire que lui au moins agit, et que la résolution des problèmes est la manière de servir son pays, plus que les chants des sirènes révolutionnaires.

Enfin Xi et Bo, candidats au pouvoir suprême, sont confrontés à la paralysie d’un appareil figé dans une idéologie vieille de 20 ans. C’est une crise, que vient d’expliciter Yuan Tengfei, professeur d’université, en osant dénoncer Mao comme «le plus grand bourreau de l’histoire», son Mausolée comme «encore plus négationniste» que le temple tokyoïte de Yasukuni. La réaction du régime trahit son impuissance croissante, face à une opinion toujours plus mature et informée: Yuan Tengfei n’a été que légèrement puni …

 

 


A la loupe : Wen Jiabao monte au créneau de l’Asie : Inde, Mongolie, Myanmar

Inde (27/0501/06): que la volonté politique de rapprochement entre ces colosses de l’Asie soit moins forte que les méfiances, se lit dans la simple date de la dernière visite d’un président indien en Chine : K.R. Narayanan en 2000, 10 ans en arrière. Cela se voit aussi aux tensions militaires de 2009, et au recul des échanges, à 43MM$ contre 52MM$ en 2008.

A Pékin, les leaders sont convenus de reprendre les palabres sur le tracé des frontières. Delhi espérait le soutien chinois à sa demande d’un siège permanent au Conseil de sécurité. Mais Pékin, qui a ce stade, ne soutient ni Delhi, ni Tokyo, ni Berlin, l’a déçu en ne proposant qu’un siège tournant pour l’an 2011-2012.

Chine et Inde se reprochent aussi mutuellement de ne pas jouer franc jeu commercial (marché indien impénétrable aux télécoms chinois, marché chinois imprenable en pharmacie, infrastructures, finances). Au terme des débats, Patil ne put signer que deux déclarations d’intention sur des sujets mineurs (sport, aviation). Ce qui ne l’empêche de repartir satisfaite, prétendant avoir rempli son contrat : arracher le dialogue à 10 ans d’ornière.

Mongolie, 01/05 : quelques heures passées à Oulan Bator avec son homologue Sukhbataar Batbold, ont au contraire été très productive pour Wen Jiabao, leur permettant de signer neuf accords de coopération en infrastructures, éducation et énergie nucléaire, à commencer par des fournitures mongole de minerai d’uranium. Wen apportait un chèque de 500M$, en prêt.

Myanmar (Birmanie), (2-3/06) : s’agissant d’un pays allié, ce sont deux jours que Wen Jiabao accorde à la junte des militaires, temps de signer d’autres contrats (pétroliers, commerciaux, d’éducation) et de les conseiller sur leur projet mal parti d’élections cette année, désavoué par l’Occident et par l’opposition d’Aung San Suu kyi

NB : il est fascinant d’observer Pékin testant hors de son sol ce système électoral qu’il n’aime pas, mais dont il souhaite étudier les avantages et inconvénients. Toutes les approches étant bonnes, pour concilier à l’avenir stabilité, croissance et maintien au pouvoir

 

 

 

 


Joint-venture : Entrechats pour le Conseil de Sécurité

Étrangement, la Corée du Sud se dit « prête » à déposer sa plainte au Conseil de Sécurité contre le Nord pour le torpillage de sa corvette (46 morts le 26/03), mais hésite, prétextant attendre « le meilleur moment ».

Bien des tractations se déroulent en coulisse.

Yu Myung-hwan, ministre sud-coréen des affaires étrangères a confié à la chaîne BBC que Pékin serait désormais prêt, avec son pays et le Japon, à imposer des sanctions financières à Pyongyang qui, selon lui, a agi pour motif «intérieur», pour «détourner l’attention d’autres problèmes». Selon lui, Wen Jiabao, lors du sommet trilatéral de Jeju, s’est comporté de façon « courtoise et compréhensive », c’est-à-dire avec plus de solidarité que ne l’admettent les communiqués.

Pour sa part cependant, la Chine s’inquiète des exercices que préparent les marines sud-coréennes et américaines au large de la Corée du Nord : son ambassadeur à Manille craint qu’ils ne «compliquent les choses». Alléguant un «temps inapproprié», elle ose même désinviter R. Gates, le secrétaire de la défense américain attendu le 4/06.

Ce désaveu est aussi dû, bien sûr, aux ventes d’armes américaines à Taiwan, et au sursis que l’armée US vient d’obtenir du Japon pour sa base d’Okinawa… Tout ceci nous force à relativiser l’embellie des relations sino-américaines, au moins au plan militaire !

 

 


A la loupe : Wen Jiabao monte au créneau de l’Asie : Corée du Sud, Japon

La Chine est bien consciente de la condition sine qua non qui se pose à elle, pour se hisser au premier rang des nations : tisser ses liens industriels, commerciaux et politiques avec les continents, à commencer par l’Asie. Mais depuis 18 mois, la locomotive peine dans la montagne de sa diplomatie régionale : commerce et projets communs font du sur place et la méfiance remonte, sous le poids de la récession, et du problème ressurgi de la Corée du Nord.

Confronté au spectre du protectionnisme et des replis nationalistes, le pouvoir ne peut se permettre de rester assis Après avoir reçu la Présidente indienne Pratibha Patil, le 1er ministre Wen Jiabao reprend son bâton de pèlerin, en tournée à travers Corée, Japon, Mongolie et Birmanie, pour relancer la machine d’intégration et de liens, sans jamais rien céder sur aucun dossier de fond, tout en combinant opération de séduction et projets de coopérations pragmatiques…

Corée du Sud (29-30/05): il s’agissait du «trilogue» évoqué au VdlC n°20, entre Président coréen et 1ers ministres nippon et chinois. Sous la tension de l’attentat maritime du 26/03, on a vu Wen Jiabao, sans léser son alliance avec le pays du matin calme, s’ingénier à réciter aux pays voisins ses formules de solidarité, tout en remettant «à plus tard» son propre verdict. Il exprime la valse hésitation chinoise entre deux types de liens inconciliables : la fraternité socialiste d’hier, « indéfectible » jusqu’à la déraison, et la construction d’une union multinationale de l’avenir, technique et sociale, inspirée par l’Europe.

Les échanges avec Séoul ont chuté de 16% en 2009, à 156MM$. Mais la convalescence régionale les ont faits repartir à +50% au 1er trimestre, permettant d’espérer franchir 200MM$ en décembre 2010, 300MM$ en 2015 si l’accord tripartite de libre échange voit d’ici-là le jour. A ses partenaires, Wen proposait un traité de protection des investissements, un secrétariat destiné à renforcer recherche et standardisation: autant d’outils innovants, précurseurs d’une confédération ou union asiatique.

NB : au chapitre « charme », Wen Jiabao prit son bain matinal de foule sud-coréenne dans un parc de Séoul, joggant et défiant quelques jeunes au badminton.

Japon (31/05-01/06): tout en réitérant ses appels à la patience sur l’affaire du Cheonan, Wen s’efforça aussi de séduire Tokyo par son image ronde de «père de famille» : autre jogging, échange de quelques balles de baseball avec des étudiants, soirée-ballet, «haiku» (en chinois) sur l’amitié, rencontre avec l’Empereur Akihito… autant de scénettes simples, efficaces, très étudiées pour rassurer.

Sur le fond, quoiqu’il revoie pour la seconde fois en 24h son collègue Hatoyama, rien n’est sorti des entretiens. Les deux hommes sont convenus de reprendre le dialogue interrompu sur le partage (pétrolier) de la mer de Chine, la sécurité des produits alimentaires, et le passage de la marine chinoise entre les îles nippones. Tokyo aurait rêvé que la Chine renonce à sa percée militaire vers l’océan Pacifique. Wen Jiabao s’est contenté d’offrir à Hatoyama un « téléphone rouge », pour communiquer plus vite en cas de crise. Pour autant, Hatoyama, apparemment non déçu, promettait de venir à l’Exposition de Shanghai pour la fête nationale nippone ce mois-ci : promesse de Gascon ! Dès le 2/06, il démissionnait, désavoué par l’opinion pour avoir renoncé à déménager la base américaine d’Okinawa. Pékin n’attendait pas une heure pour féliciter son successeur, l’ex-ministre des finances Natao Kan.

NB: si les politiciens font du sur place, les businessmen vont de l’avant: Taobao et Yahoo-Japan viennent de créer la 1ère galerie virtuelle, rassemblant leurs 250M de clients et leurs 450M de produits en ligne, pour laisser e-Bay des USA, loin derrière (90M de clients).

 

 

 

 

 

 


Pol : Grève Honda, suicides Foxconn – les leçons

Couvant depuis trois semaines, éclatant le 26/04, la grève «Honda» fut une première en Chine, sous bien des aspects -puissance, organisation, impact, succès. Quatre sites furent bloqués par l’action d’un seul (celui des transmissions). Le syndicat unique tenta (en vain) de briser à la matraque l’action des ouvriers, lesquels les dénoncèrent plus vif encore que «les capitalistes». Manifestement dotés d’un pouvoir autonome, ils obtenaient -au moins +24% de paie (4/06) -une partie du deal est restée secrète…

L’affaire des 10 suicides chez Foxconn s’achève aussi sur une énigme. Michael Phillips, de la clinique anti-suicides de Shanghai, pense que ni la pauvreté, ni la modernisation trop rapide du pays ne peuvent expliquer la vague fatale -puisqu’en Chine en 20 ans, le taux de suicide a baissé de 57%. Pour cet expert chevronné, c’est le moment d’une enquête minutieuse pour comprendre la cause, et concevoir une stratégie nationale de lutte anti-suicide en Chine. Leslie Chang (US), auteur de Factory Girls, une enquête sur les ouvrières chinoises, avance une cause différente : un univers d’ados pour la 1ère fois séparés du village, forcés de tout apprendre d’un coup, travail, amour, trahison, exploitation… Pression forte qu’ils doivent affronter impréparés, d’où risque de suicide !

 

 


Temps fort : Chronique de la mort annoncée du Hukou

Avec une réactivité surprenante, le pouvoir a réagi aux explosions sociales récentes, à la vague d’infanticides, à l’épidémie de suicides – Foxconn, et à la grève Honda.

La presse évoque le «coefficient de Gini», l’écart de biens entre pauvres et nantis. A 0,5, ce coefficient en Chine a dépassé la cote d’alerte de 0,4 où la stabilité sociale ne peut plus être assurée. Entre autres, la partie salariale du PIB (celle distribuée en salaires) aurait régressé de 56,5% en 1983 à 36,7% en 2005. Le reste étant empoché par les caisses des entreprises et l’appareil. «Or,» dit Yang Yiyong, directeur d’un centre de recherche de la NDRC (National Development and Reform Commission), «ces problèmes sociaux … résultent de … l’écart de fortune ».

Accusé, le «hukou» 户口, carte d’identité résidentielle en vigueur depuis les années ’50. C’est elle qui permet aux villes de discriminer le paysan migrant, le privant des services de base. Une ville comme Shenzhen n’a que 3millions de citadins légitimes, face à 12millions de citoyens gris privés d’hôpital, d’école pour leurs enfants, de couverture maladie ou chômage. Ils ne peuvent non plus épouser une fille de la ville (dont même les parents vont imposer la rupture). Son salaire est plus bas, son emploi plus dur, et l’envolée de l’immobilier leur interdit l’achat de logis.

Cependant, cette discrimination systémique menace aujourd’hui de paralysie la machine sociale -industrielle, voire politique. Avec une rapidité suspecte, Honda comme Foxconn ont instantanément procédé à une forte réactualisation du salaire, indice d’un marché de l’emploi qui bascule en faveur du demandeur. Selon Merill Lynch, la classe d’âge de 30 à 39 ans, où se puisent les cohortes des migrants, a régressé de 22% en dix ans. En même temps, nombre de ces ruraux trouvent désormais des usines à leur porte, en Chine du Centre : plus besoin d’aller migrer dans la jungle sans coeur des métropoles de la côte. L’Etat voit un autre handicap émerger dans la pauvreté des migrants: leur incapacité à consommer davantage, et donc renforcer le marché intérieur pour relayer celui perdu à l’exportation…

Or, on l’a dit, l’Etat a réagi vite et fort – comme s’il venait de subir un électrochoc. Par exemple, au 1er juillet, le salaire minimum dans Pékin augmente de 20% à 960¥ -100.000 bénéficiaires sont attendus. D’autres hausses comparables sont enregistrées ailleurs dans le pays. Ceci est une des 1ères mesures d’une stratégie de la NDRC, de correction de la distribution de la richesse nationale, qui pourrait être inscrit au plan quinquennal (2011-2015) et qui devrait aussi réviser la taxation des bas revenus, et introduire celle de l’immobilier spéculatif. Dès le 31/05, le Conseil d’Etat émet des lignes directrices enjoignant les villes à ouvrir leurs services de bases aux migrants. Plus tard, le hukou laissera place à la carte d’identité citoyenne– quand la sécurité sociale sera accessible à tous, entre autres. Probablement accéléré par les dernières explosions sociales, ce projet se discute depuis des années dans 6 ministères, parmi lesquels sécurité publique, agriculture et protection sociale. Il s’agit d’un remodelage fondamental des règles du régime, avec des implications encore mal perçues pour les droits du citoyen.

Comme tout défi de tel ampleur, lancé dans l’urgence de surcroît, le virage prendra des décennies à se matérialiser. Il a au moins l’avantage de marquer la fin d’une injustice historique : c’est un des aspects « non durables » du système socialiste hérité de Deng Xiaoping, qui entame son démantèlement, pour éviter l’implosion du régime !

 

 


Petit Peuple : Pékin – le corbeau et le Mozart

C’est en décembre 2006 au Beijing Concert Hall que débuta l’éphémère carrière de Wang Yi, génie musical. En 1ère nationale, l’Orchestre symphonique de Chine (CNSO) donnait son «Ode à la Chine» : à peine éteinte la dernière note, la salle en extase multiplia rappels, vivats, salves de bravos. En habit noir, Wang Yi rendait modestement ses baisers à la foule, repassait le bouquet de fleurs à la violoniste soliste…

Dès le lendemain, la presse communiquait l’engouement contagieux: par sa profondeur lyrique, la 1ère oeuvre de cet auteur de 54 ans, dépassait le «Requiem » de Mozart. Wang était la preuve vivante que la Chine s’éveillait ailleurs que dans le business, aussi dans les arts. En un mot : Wang Yi écrivait la musique par laquelle la nation allait se régénérer—rien moins.

D’ailleurs, Wang, génie absolu, prouvait ses talents en d’autres domaines, comme vice président de la CSRC (l’agence de régulation boursière), pressenti comme prochain vice gouverneur de la banque nationale de développement -la CDB.

La révélation de son génie avait eu des signes annonciateurs. Dès 2005, Espoir, chanson de son répertoire avait été sacrée hymne de la bourse de Shenzhen. En septembre 2005 à Pékin, pour le 60ème anniversaire de la fin de la guerre sino-japonaise, le pianiste Yin Chenzong avait donné une autre de ses pièces : on en parlait encore.

La carrière de Wang se poursuivit tumultueuse. En 2007, Ode fut donnée 35 fois par le CNSO (un tiers de ses concerts), explosant le record des ventes de billets avec 8M¥ à travers le pays. Dès janvier 2008, le temple mondial de la musique, l’Opéra de Vienne, jouait l’oeuvre en présence de l’auteur…

Mais voilà qu’à l’été, la belle machine grippa. Wang fut jeté en prison pour fraude dans le cadre de ses fonctions bancaires. Les langues se délièrent. «L’Ode» n’était que fumisterie, assemblage de 12 chansonnettes composées avec un simple logiciel—car notre Mozart ne savait pas lire, moins encore écrire les notes. Un escadron de nègres avait été recruté pour rendre ces oeuvrettes présentables.

Il faut bien à présent l’avouer : Wang était avant tout financier d’Etat, de ces princes de la finance rouge à l’ego surdimensionné dont tous dépendent pour les crédits de la mère poule socialiste. Immensément courtisé, les flatteries lui étaient montées à la tête, jusqu’à se prendre pour un génie, ce sur quoi nul ne trouvait opportun de le démentir.

Sa vocation, il l’avait attrapée par hasard lors d’un voyage de complaisance au Tibet : sur ce plateau immaculé, il avait fait trois rengaines, les avait entonnées un soir devant Guan Xia, le chef titulaire du CNSO. Or Guan Xia, à l’époque (2003) avait bien du mal à trouver les 20M¥ nécessaires pour boucler son budget et payer ses violons. Aussi jouant l’émerveillement, le futé chef lui avait spontanément offert d’inscrire sa pièce au répertoire de l’orchestre, moyennant son généreux mécénat. De cette alliance contre nature devait naître une sulfureuse symbiose. En tournée permanente, à 1M¥ par soirée dont 20% de profit net, le CNSO donnait l’Ode à guichet fermé partout dans le pays. Clientes de l’Orchestre ET de l’organe de Wang Yi, elles faisaient la queue pour acheter la soirée, avant d’obtenir l’emprunt sollicité : la banque CITIC (Pékin), celle de Bohai (Tianjin), les maisons de courtage Southern, Huaxia, la mairie de Wuhan, les motos Lifan (Chongqing)… Personne n’y perdait rien -sauf la musique.

Comble de bizarrerie, Wang Yi, n’a pas été puni pour sa fraude lyrique, mais pour avoir détourné les fonds de l’Etat. Les censeurs auraient donné cher pour éviter de dévoiler le pot aux roses. Mais le trou dans la caisse était bien là, et les limiers financiers n’ont rien pu faire pour dépanner leurs collègues de la culture…

20 mois plus tard, après bien des tractations au sein du club du pouvoir, retomba le couperet de la justice : convaincu d’avoir empoché 12M¥ de 1999 à 2008,  le financier véreux écopa de la prison à perpétuité. Sous l’angle lyrique, il paie le prix fort pour avoir confondu le génie et le donnant-donnant. Ou encore, pour s’être laissé aller, comme le corbeau de la fable, à écouter les flatteurs, ce qui en chinois se dit : « rendre à quelqu’un son compliment » : 礼尚往来, « lǐ shàng wǎng lái ».

 

 


Rendez-vous : A Shanghai, le Salon de l’aluminium

8-10 juin, Shanghai : Transport Logistic China

9-11 juin, Shanghai : Salon de l’Aluminium

9-11 juin, Canton : ENVIRO, Salon int’l de la protection de l’environnement

9-12 juin, Canton : Salon int’l de l’éclairage

10-14 juin, Chongqing : Salon auto