Le Vent de la Chine Numéro 39 (2023)
Sa dernière visite remontait à novembre 2020, à l’occasion des 30 ans de la zone économique spéciale de Pudong. Il aura fallu attendre trois longues années avant que le Président chinois ne remette les pieds à Shanghai pour 48 heures (28-29 novembre), sachant qu’avant la pandémie, Xi Jinping avait pris l’habitude d’y aller une fois par an. En ville, personne n’a oublié la brutalité du confinement imposé pendant plus de deux mois au nom de la politique « zéro Covid ». Ce n’est donc pas pour tester sa cote de popularité que Xi Jinping fait le déplacement dans la « Perle de l’Orient », mais plutôt pour signaler à qui aurait pu en douter, que l’état de l’économie chinoise – « inquiétant » diraient certains – a toute son attention.
En effet, comme chacun le sait, chaque visite en province du Secrétaire général du Parti est hautement symbolique et ses destinations sont soigneusement choisies pour refléter les priorités du moment. Ainsi, lorsque le leader chinois a un message d’ordre politique à faire passer, il se rend de préférence à Yan’an (Shaanxi), le berceau de la révolution, voire dans le « Dongbei » (Nord-Est du pays). Mais lorsqu’il s’agit d’économie, c’est plutôt Shanghai, Shenzhen ou Canton qui sont préférées, en référence à la fameuse tournée d’inspection de Deng Xiaoping dans le Sud du pays en 1992, qui signala la reprise de la politique de réforme et d’ouverture.
Néanmoins, lors de ce déplacement, à la grande déception des analystes, Xi Jinping n’a fait aucune annonce qui aurait pu signaler un changement de cap économique. Ce « mutisme » pourrait signifier l’absence de consensus au sein du leadership sur les nouvelles stratégies de développement à adopter pour revigorer l’économie. Voilà qui expliquerait le report inattendu du 3ème Plenum du 20ème Congrès, traditionnellement consacré aux questions économiques, à 2024.
En attendant, Xi Jinping, accompagné de son chef de cabinet, Cai Qi, du vice-ministre en charge des finances, He Lifeng, du secrétaire du Parti de Shanghai, Chen Jining, et de son maire, Gong Zheng, a visité la Shanghai Futures Exchange, principale bourse chinoise des matières premières (pétrole, cuivre, caoutchouc…), ainsi qu’une exposition dédiée à la tech, avec un intérêt particulier pour les circuits intégrés et un robot humanoïde. Le leader a également présidé un symposium sur la région du « Delta du Yangtze », l’un de ses projets « signature » prônant davantage d’intégration entre Shanghai, le Jiangsu, le Zhejiang et l’Anhui (provinces voisines mais concurrentes). Enfin, le dirigeant a inspecté des logements sociaux destinés aux travailleurs migrants.
Ce programme reflète les priorités de Xi, à savoir développer un système financier qui soutient « l’économie réelle », réorienter le secteur immobilier pour qu’il réponde mieux aux besoins de la population et tendre vers l’autosuffisance technologique. Pour rappel, la mégalopole héberge le leader chinois des semi-conducteurs SMIC, qui a réussi à produire des puces de 7 nanomètres malgré les sanctions américaines, ainsi que le spécialiste de la reconnaissance faciale, SenseTime, placé par Washington sur liste noire.
Même sans faire d’annonce-choc, le dirigeant chinois aurait pu profiter de ce déplacement à Shanghai pour rassurer les 253 multinationales étrangères qui y ont élu domicile (record national) et qui ont pu directement constater pendant la pandémie que la moindre perturbation de leur chaîne d’approvisionnement en Chine pouvait avoir des répercussions sur leurs activités dans le monde entier.
Xi Jinping semble avoir délégué cette tâche au Premier ministre Li Qiang, qui a inauguré le 28 novembre à Pékin un nouveau salon, baptisé le « China International Supply Chain Expo » (CISCE).
Après avoir mis l’accent sur le potentiel que représente le marché chinois en lançant successivement deux foires (l’une à Shanghai, dédiée aux importations en 2018 ; l’autre à Hainan, consacrée aux biens de consommation en 2021), le leadership cherche cette fois à valoriser ses avancées technologiques, notamment dans certaines industries stratégiques (les énergies vertes, les véhicules électriques, la « smart » agriculture…) pour se rendre indispensable aux yeux d’investisseurs étrangers devenus dubitatifs.
L’objectif : lutter contre le « dérisquage » des chaînes d’approvisionnement, devenu le mot d’ordre à Washington et dans bon nombre de capitales européennes. Hasard du calendrier, la veille de l’inauguration de la CISCE à Pékin, la Maison Blanche dévoilait un plan d’action censé renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement américaines.
Cependant, ce n’est pas tant le « découplage », le « dérisquage » ou le « reshoring » qui poussent les investisseurs étrangers à y réfléchir à deux fois, mais un climat d’affaires sacrifié sur l’autel de la sécurité nationale (loi anti-espionnage, loi sur la protection des données…), et à cela, même 1000 salons n’y feraient rien.
L’embellie sino-australienne aura été de courte durée. On se souvient qu’à la suite de l’appel de Canberra pour une enquête internationale sur les origines de la pandémie de COVID-19 en 2020, la Chine avait imposé des droits de douanes prohibitifs visant la plupart des exportations australiennes. La levée de ses sanctions et restrictions depuis 2022 a permis une relance des échanges commerciaux : les importations chinoises en provenance d’Australie ont augmenté de 12 % sur un an en octobre. Enfin, début novembre, le Premier ministre australien Anthony Albanese a rencontré son homologue chinois Li Qiang à Pékin, pour relancer le dialogue annuel des dirigeants, sept ans après qu’un différend diplomatique eut mis un terme à leurs réunions annuelles.
Selon Li Qiang, la Chine est disposée à travailler avec l’Australie pour renforcer le dialogue, approfondir la confiance mutuelle, gérer correctement les différends et développer les relations bilatérales. « Le potentiel de coopération entre la Chine et l’Australie est énorme », a-t-il affirmé.
Reprenant le fameux slogan du « win-win », le Président Xi Jinping a déclaré que des relations stables entre Pékin et Canberra servaient les intérêts des deux pays, en envoyant ainsi un « signal clair » que la Chine était prête à sortir des tensions récentes.
Le jeu d’équilibriste de l’Australie consiste à chercher à relancer les échanges commerciaux tout en reconnaissant une différence géopolitique majeure : « Même s’il existe des différences entre nous, l’Australie et la Chine bénéficient toutes deux de la coopération et du dialogue » a ainsi déclaré Albanese.
La Chine, de son côté, vise à pacifier ses relations régionales afin de défaire l’influence grandissante des Etats-Unis sur des pays riverains de plus en plus inquiets des ambitions géopolitiques de Pékin et de moins en moins dépendants de son marché intérieur. La formule utilisée par la Chine en ce moment est celle qu’a choisi Xi Jinping pour illustrer le renouveau du partenariat avec l’Australie : il s’agit d’éviter la « politique de blocs ».
C’est qu’en effet, Pékin s’est fait une spécialité des relations bilatérales « séparées » et voit d’un mauvais œil les rapprochements entre pays tiers qui les sortiraient d’une vassalisation programmée. En outre, l’Australie se situe pour la Chine au cœur de sa stratégie globale de l’Océanie et de ses îles-Nations comme les îles Salomon, désormais placées sous l’emprise financière et sécuritaire de Pékin. C’est pourquoi Xi Jinping a affirmé que son pays est « prêt à davantage de coopération trilatérale et multilatérale avec l’Australie pour aider les pays du Pacifique Sud à renforcer leur résilience en matière de développement, changement climatique et autres défis ».
Cependant deux semaines après ces retrouvailles prometteuses d’une éclaircie sur le front sino-australien des échanges, un incident est venu apporter une note disharmonieuse.
Le 20 novembre, le destroyer chinois CNS Ningbo a fait fonctionner son sonar tandis que des plongeurs de la marine australienne étaient sous l’eau pour tenter de dégager les filets de pêche qui emmêlaient les hélices de leur navire HMAS Toowoomba. Et cela alors même que le Toowoomba a informé le Ningbo que des opérations de plongée étaient en cours, mettant les plongeurs en danger et les forçant à sortir de l’eau et que l’opération se déroulait dans la Zone Economique Exclusive (ZEE) du Japon. Ainsi, le lendemain, le Premier ministre Anthony Albanese lui-même a critiqué la Chine pour « une rencontre dangereuse entre des navires de guerre chinois et australiens ». Albanese a expliqué qu’un plongeur australien avait été blessé lorsqu’un destroyer chinois a utilisé un sonar alors qu’il se trouvait à proximité d’une frégate australienne dans les eaux internationales. Albanese a insisté sur le fait que c’était « un incident regrettable », « dangereux et peu professionnel de la part des forces chinoises » qui pourrait « causer des dommages » aux relations de l’Australie avec la Chine.
L’incident en soi n’est pas nouveau. Les militaires américains, canadiens et australiens se sont également plaints à plusieurs reprises « des actions dangereuses de la marine et de l’armée de l’air chinoises » dans le Pacifique occidental que Pékin considère en partie comme sien.
Cependant, le véritable problème vient sans doute moins de l’incident lui-même que de la réaction chinoise qui loin de reconnaître une erreur, une faute ou un manque de jugement a dénié d’abord tout incident : le porte-parole du ministère chinois de la Défense, Wu Qian, ayant rejeté les allégations de l’Australie comme étant « complètement fausses ». Ce démenti de Pékin est systématique lorsque les faits pourraient incriminer la Chine.
Plus encore que le déni, la Chine a contre-attaqué en remettant en cause le récit de l’événement par l’Australie comme étant lui-même la cause du trouble et du déficit de confiance : « Nous exhortons la partie australienne à respecter les faits, à cesser de lancer des accusations imprudentes et irresponsables contre la Chine, à faire davantage pour renforcer la confiance mutuelle entre les deux parties et créer une atmosphère positive pour le développement sain des relations entre les deux pays et les deux armées ».
Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, déclarant que l’armée chinoise était très disciplinée et se conformait au droit international, a même ajouté : « Nous espérons que la partie concernée cessera de semer le trouble aux portes de la Chine et travaillera avec nous pour maintenir conjointement la dynamique d’amélioration et de développement des relations sino-australiennes ».
C’est là aussi une spécialité de la « sharp » diplomatie publique de la Chine : accuser les accusateurs d’être les véritables fauteurs de troubles, blâmer comme perturbateurs ceux qui résistent à sa pression tout azimut.
Une semaine plus tard, le 28 novembre, la Chine a exhorté l’Australie à l’informer des mouvements de sa marine dans les zones « contestées » en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale. Le ton du haut responsable chinois est devenu même menaçant en soulignant qu’« un petit incident entre les armées pourrait dégénérer », exhortant le gouvernement australien à « agir avec une grande prudence ».
Revenant sur l’épisode du sonar et le justifiant maintenant par des raisons de souveraineté, après avoir nié qu’il soit arrivé, Pékin a contre-attaqué en déclarant que la présence des navires de la marine australienne en mer de Chine méridionale constituait une forme de pression géopolitique contre laquelle Pékin ne pouvait que se rebeller : « Les navires de la marine australienne étaient là en réalité pour ‘contenir la Chine’. » La Chine présentant son émergence comme irrésistible, tout frein à celle-ci est dit s’opposer « au sens de l’histoire ». Mais du point de vue de l’Australie, il s’agit de faire respecter la liberté de navigation conformément au droit international dans une zone, la mer de Chine méridionale, où transitent les deux tiers du commerce australien.
Ainsi, malgré le voyage à Pékin d’Albanese et la visite à Sydney (28-30 novembre) de Liu Jianchao, directeur du département international du Comité Central du Parti, les relations sino-australiennes restent tendues (deux investissements dans les terres rares par des entreprises chinoises ont été bloqués par le Conseil d’examen des investissements étrangers cette année) et les différents peinent à être résolus. Alors que la Chine cherche à renouer des alliances, l’incident pose à nouveau la question soit du degré de sincérité de Pékin et de sa duplicité, soit du degré d’autonomie des forces armées et de leur dangerosité. Une telle ambiguïté peut d’ailleurs très bien être choisie pour rendre sa stratégie encore moins lisible pour ses adversaires.
Alors que débute le mois de décembre, il faut se rendre à l’évidence : le tant attendu 3ème Plénum du 20ème Congrès n’aura fort probablement pas lieu avant le début de 2024. Historiquement, les « troisièmes plénums », qui font directement suite au premier Plénum (durant lequel le leadership du Parti est ajusté) ainsi qu’aux « Deux Sessions » (qui font office de remaniement ministériel au sein du Conseil d’État) – mettent l’accent sur les questions économiques. En fait, on considère que le 3ème Plénum représente le point de consolidation de la nouvelle équipe et la fin de la transition entre l’équipe sortante – soit celle de feu Li Keqiang – et celle de Li Qiang. Normalement, le 3ème Plénum signale également le début de la mise en place de nouvelles stratégies de développement.
Comment alors expliquer ce report d’un rendez-vous politique déterminant ? Cela pourrait être lié aux nominations tardives à la tête de la nouvellement créée Commission Financière Centrale ainsi qu’à la Commission Centrale du Travail Financier. Les tensions qui existent entre le premier ministre Li Qiang – qui « dirige » la première – et le vice-premier en charge des finances, He Lifeng – qui dirige la seconde – jouent nécessairement sur la planification d’un 3ème Plénum, et notamment le fait que Li Qiang se voit relégué à une position « d’exécutant » au sein de son propre Conseil d’État.
En effet, la seconde commission – dont la mission est d’unifier le leadership du Parti et de superviser le « Party-building work » au sein du système financier – est, lorsque l’on observe les préférences de Xi Jinping, techniquement plus importante que la première. Ce faisant, il est possible que le délai soit en partie le résultat des luttes intra-Parti et lié au fait que Li Qiang ne soit pas prêt à accepter sa défaite face à He Lifeng.
Ceci dit, l’absence de Plenum pourrait également être liée à la situation de la Chine au plan international, mais particulièrement de sa relation tendue avec les États-Unis et de la mort lente de la « Belt & Road Initiative » (BRI), qui fête pourtant son 10ème anniversaire cette année.
En effet, au sommet de l’APEC, Xi n’a pas réussi à obtenir ce qu’il était vraiment venu chercher, soit un allègement des sanctions et un fléchissement de la position de Washington envers Taïwan. Le sommet ne réussit non plus pas à convaincre les milieux d’affaires et les investisseurs occidentaux que la Chine est à présent « open for business ». Avec l’avancée continue du Parti et de ses institutions au sein du secteur privé, les investisseurs étrangers ont raison de ne pas croire au discours pro-réformes qui émane de Pékin. Même le commentaire de Xi portant sur l’absence d’un « plan d’invasion » visant Taïwan n’a pas vraiment réussi à convaincre. Au contraire, ce commentaire, qui ne revient pas sur la possibilité pour réunifier Taïwan par la force, risque de créer encore plus de tensions entre lui et le haut commandement de l’APL, car cela suggère que tous les exercices militaires qui visent à intimider Taïwan ne seraient en fait qu’un spectacle très coûteux depuis le début…
Il est également improbable que la BRI, perçue à tort comme une porte de sortie pour l’économie chinoise et comme une stratégie d’influence politique qui pourrait altérer le paradigme hégémonique, puisse résoudre les problèmes auxquels le Parti fait face à l’heure actuelle. La Chine, ou plutôt les épargnants chinois, ne sont tout simplement plus en mesure de financer les projets servants à écouler les matériaux de construction, la main d’œuvre et les biens manufacturés des entreprises domestiques. Et c’est sans parler de l’énorme dette, de moins en moins performante, qui pèse sur la BRI, que l’on pourrait qualifier de « puits sans fond où l’argent disparaît ».
Ce faisant, nous pensons que les tensions qui existent au sein du Conseil d’État, en plus d’une situation externe qui ne semble pas prête de changer ni de se stabiliser, expliquent pourquoi Pékin semble vouloir préférer attendre avant de tenir le 3ème Plenum qui devra présenter les principaux points qui formeront, potentiellement, ses nouvelles orientations économiques et stratégies de développement. Cela dit, et Xi en est conscient, repousser ce genre de rendez-vous politique trop longtemps mène directement aux spéculations quant à l’unité et la stabilité du leadership.
Enfin, pour que le plénum puisse avoir lieu – et serve à quelque chose, le Parti n’aura d’autre choix que de répondre à des questions cruciales telles que « comment répartir les coûts liés à sa dette croissante ? », « comment compenser le déclin des secteurs de l’immobilier et de l’infrastructure ? », « comment augmenter de manière durable les revenus et de fait, la consommation des ménages ? ».
Trouver une solution à l’une seule de ces questions, même pour une équipe bien préparée – ce qui n’est pas le cas pour l’équipe de Li Qiang – n’est pas une tâche facile. De plus, tenter de développer les secteurs de pointe et les nouvelles forces productives tout en jonglant avec le besoin de mettre en place des mesures visant à réduire l’impact climatique de la Chine dans le cadre d’une bureaucratie léniniste endurcie, frise l’impossible à ce stade.
Malgré le fait que certains s’obstinent à voir la Chine comme étant le prochain hégémon, considérant l’ensemble des problèmes économiques sur la table pour le Parti (sans parler du déclin démographique, des soulèvements populaires fréquents…), Xi est encore loin d’être en mesure de réaliser sa « communauté de destin commun pour l’humanité », à moins, bien sûr, que l’Occident ne lui en donne littéralement l’occasion.
Xi tentera de continuer à démocratiser les institutions internationales en incluant les pays du Sud et, bien sûr, de contourner les sanctions américaines pour renforcer son programme d’intégration civil-militaire. Mais avant que cela ne soit à sa portée, ne serait-ce que de loin, la Chine doit développer des capacités d’innovation indépendantes et renforcer son appareil de réglementation financière pour atteindre une certaine forme de « prospérité commune » grâce à la demande intérieure. À ce titre, il est peu probable que Xi réussisse à « make China great again » dans un avenir proche.
Voilà un dialogue que l’on n’attendait plus : le 26 novembre, la Chine, le Japon et la Corée du Sud ont convenu de relancer leur coopération et d’ouvrir la voie à un sommet pour apaiser les tensions entre voisins asiatiques.
Rappelons que le premier sommet entre les trois grands pays d’Asie de l’Est, la République populaire de Chine, le Japon et la Corée du Sud (deuxième, troisième et douzième économies mondiales) s’est tenu en 2008 à Fukuoka (Japon). Son but était de promouvoir l’économie régionale sur la base de relations trilatérales solides et d’envisager des mécanismes d’assistance mutuelle en cas de catastrophe naturelle. A l’origine, l’idée vînt de la Corée du Sud en 2004 pour donner un cadre plus institutionnel et pérenne aux réunions de « l’ASEAN + 3 ». Depuis 2011, les trois pays ont institué un secrétariat de coopération trilatérale à Séoul, nommé sur une base tournante de deux ans.
Cependant, le dernier sommet s’est tenu en 2019 et depuis bientôt 5 ans, les relations trilatérales sont à l’arrêt, voire en régression, en profonde déshérence… La faute n’en revient pas seulement aux trois années de césure mondiale lors de la pandémie de Covid-19, mais aussi à la Chine qui a continué à développer une « diplomatie de la puissance »* à l’égard de la Corée du Sud et à questionner la souveraineté du Japon sur certaines îles de la mer du Japon comme les Senkaku. Mais la faute (ou le mérite – selon le point de vue où l’on se place) en revient aussi à la diplomatie active de Joe Biden* qui a réussi à favoriser un climat de confiance entre le Japon et la Corée du Sud.
En effet, en août dernier, les dirigeants politiques des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon s’étaient rencontrés à Camp David. La rencontre entre Joe Biden, Yoon Suk Yeol et Fumio Kishida était historique parce qu’elle institutionnalisait (à travers la mise en place d’une série de plateformes trilatérales allant de la cyberdéfense aux droits de l’Homme en passant par la finance), un rapprochement entre les trois pays aux intérêts géopolitiques désormais convergents.
Ainsi, en une référence à peine voilée aux accords de Camp David et visant l’alliance de Séoul et de Tokyo avec Washington, le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi a déclaré lors de ce sommet trilatéral préparatoire que les trois pays devraient « s’opposer à la démarcation idéologique et résister à la mise en camp de la coopération régionale ».
Encore faut-il que la Chine ait quelque chose de neuf et de valable à proposer. Car si le rapprochement entre Japon, Etats-Unis et Corée du Sud s’intensifie, c’est parce qu’il est bénéficiaire aux trois pays. C’est dans cette optique que Wang a appelé à reprendre « dès que possible » les négociations sur un accord de libre-échange trilatéral. Yoko Kamikawa, son homologue japonaise, a déclaré qu’une plus grande coopération trilatérale contribuerait en effet à la paix régionale.
Pourtant, malgré le caractère trilatéral de la rencontre, elle a été surtout le lieu de rencontres, de discussions bilatérales et de communiqués disjoints.
Ainsi d’un côté, Park et Kamikawa ont condamné le lancement par la Corée du Nord de son premier satellite espion et ont dénoncé les accords d’armes entre Pyongyang et Moscou (un point qui bien sûr n’a pas pu être repris par Pékin puisque la Chine est le principal sinon seul « pays ami » de la Russie et de la Corée du Nord).
De l’autre, Park a rencontré Wang pour l’inviter à Séoul et renforcer les communications stratégiques en plaidant, comme de coutume, pour que la Chine « encourage la Corée du Nord à éviter de nouvelles provocations et à s’engager sur la voie de la dénucléarisation ».
Côté chinois, Wang a exigé de Park que la Corée du Sud « ne politise pas les questions économiques et technologiques » – les sanctions américaines sur les semi-conducteurs étant sans doute au cœur de la volonté de Pékin de se rapprocher de Séoul et de Tokyo et de les enjoindre à résister aux pressions des Etats-Unis pour participer à l’ « encerclement » technologique de la Chine. Pour Wang, les efforts américains visant à renforcer les liens avec Séoul et Tokyo attisent les tensions régionales et déclenchent une confrontation.
Difficile de dire quel sera l’impact de ce sommet trilatéral. Tout dépendra en réalité de la Chine. Si les trois ministres des Affaires étrangères chinois, japonais et sud-coréen des affaires étrangères ont promis de préparer une rencontre au plus haut niveau pour l’année prochaine, rien ne permet de présager du futur : un nouvel incident sino-japonais autour des Diaoyutai/Senkaku, un nouvel incident frontalier ou essai nucléaire de Pyongyang et tout pourrait être remis en question.
D’autant que la diplomatie chinoise reste fort paradoxale. D’un côté, la Chine cherche à ménager ses voisins pour ne pas qu’ils tombent tous sous influence américaine (avec des pays déjà « captifs », sinon particulièrement réceptifs comme la Malaisie, le Cambodge, la Thaïlande et la Birmanie). De l’autre, Pékin semble croire que la seule puissance puisse emporter la conviction : ce que la Chine veut d’abord, c’est être assez puissante militairement et économiquement pour que les pays voisins n’aient pas d’autre choix que de se soumettre. Le discours de la Chine se réduit souvent de plus en plus à celui-ci : « soyez raisonnables, faîtes comme on vous le demande et tout ira bien, l’harmonie sera préservée ». L’harmonie avec des caractéristiques chinoises signifie remplacer la pax america par la pax sinica dans le Pacifique – c’est-à-dire promettre la guerre (informationnelle, militaire, économique) à tous ceux qui refuseraient la « paix ».
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* On se rappelle que le 8 juin, l’ambassadeur de Chine en Corée du Sud, Xing Haiming avait déclaré : « ceux qui parient sur la défaite de la Chine regretteront sûrement leur décision à l’avenir ». Devant le caractère contre-productif d’une telle « diplomatie de la puissance », la promesse d’une réunion entre Chine, Japon et Corée du Sud doit-elle être vue comme une tentative de rectifier le tir ? Le fait est que Pékin craint que Washington et ses principaux alliés régionaux ne renforcent leur partenariat à trois.
** A quelques mois d’élections cruciales pour l’avenir du monde aux Etats-Unis, les commentateurs politiques américains pointent la valeur de la diplomatie Biden qui a accompli en Asie-Pacifique plus que la plupart de ses prédécesseurs immédiats : renforcement du QUAD, création de l’Aukus (programme entre l’Australie, du Royaume-Uni et des USA, qui comprend notamment la livraison de sous-marins nucléaires à Canberra – au grand dam de la France), renforcement et approfondissement de l’alliance militaire avec les Philippines (alors que Duterte prétendait vouloir même mettre fin au traité de défense mutuelle de 1951), vente soutenue de matériels militaires à Taïwan (4 milliards et 500 millions de $ depuis 2021) et donc rapprochement entre le Japon et la Corée du Sud qui lui-même s’inscrit dans celui entre le Japon et l’Australie et le Japon et le Vietnam.
Ils filent en gros essaims ou à la file indienne, colonisent les trottoirs et remontent les rues à contresens. Ils ne s’arrêtent jamais, manient le guidon de leurs scooters électriques comme une console de jeux et évitent de justesse la catastrophe à chaque coin de rue. Ils surgissent et pilent au dernier moment, écrasent parfois un chien et renversent aussi des piétons. Les yeux fixés sur leur GPS, ils démarrent en trombe au feu vert, font tomber leur chargement en plein milieu de la route, se font houspiller parce qu’ils ne vont pas assez vite ou parce qu’ils vont trop vite. Dans n’importe quelle grosse ville de Chine, les coursiers des plateformes de livraison de repas, les fameux waimaiyuan, sillonnent les rues à toute vitesse, masse mouvante sans visage, silhouettes engoncées dans des vestes jaunes, bleues ou vertes, un casque mal attaché sur la tête.
Liang Ningjing travaille pour Meituan depuis plus de deux ans. La plus grosse entreprise de livraison de nourriture en Chine redresse la barre après l’impact de la pandémie en 2022 et emploie plusieurs centaines de milliers de personnes.
Sa veste jaune sur le dos, il a commencé par enchaîner les courses – jusqu’à 10 à l’heure de pointe du déjeuner – grimpant une centaine de marches par jour et s’effondrant, tout habillé sur son lit, à peine rentré chez lui. À ce rythme d’enfer, il arrivait à gagner 10 000 RMB par mois, de quoi vivoter dans l’un des immeubles de Gaoloujin, dans la banlieue est de Pékin, où de nombreux migrants habitent en colocation, et envoyer la majeure partie de sa paie chez lui, dans un village du centre de la province du Henan où vivent ses vieux parents, sa sœur et ses deux neveux.
Au début, quand le client se plaignait d’avoir trop attendu, Ningjing se confondait en excuses. Nouveau venu, il récupérait les courses dont ses collègues, plus expérimentés, ne voulaient pas : les livraisons aux adresses incomplètes, dans des résidences aux entrées interdites, dans des bureaux où il n’est pas possible de laisser la commande à l’accueil. Le temps s’écoule à attendre le client et il coûte cher au livreur. En moyenne, un livreur gagne moins de 5 RMB par course, mais il est pénalisé si la commande arrive trop tard, une amende de 3 RMB qui a du mal à passer, surtout quand le livreur n’y est pour rien.
C’est ce qui s’est passé à plusieurs reprises pour Ningjing, toujours au même endroit, dans cette énorme résidence de 250 000 m² comprenant 11 tours d’habitations dans le district de Chaoyang. Les applications Meituan ou Ele.me indiquent une route aux livreurs qui les emmènent à l’entrée ouest de cette résidence, l’entrée principale. Or les gardes leur refusent invariablement l’entrée et leur demandent de se garer devant l’entrée nord, « l’entrée de service ».Le temps d’arriver là-bas, la commande est livrée « trop tard » selon l’application et c’est le livreur qui trinque. Si le livreur choisit un autre itinéraire que celui proposé par l’application, celle-ci lui demande de faire demi-tour, souvent au détriment du code de la route. Ningjing a tout essayé : parler aux gardiens, demander au management de la résidence, appeler le service consommateur de Meituan pour leur expliquer le problème et leur demander de changer la route calculée par des algorithmes, rien à faire…
Alors, les livreurs expérimentés font tout pour transférer à d’autres, les nouveaux, les commandes à livrer là-bas, certains préfèrent même appeler le client pour dire que la commande a été perdue et leur offrir un remboursement sur WeChat. Cela leur coûte moins cher que d’être pénalisé. Cette situation absurde, ajoutée à toutes les histoires qu’il voit passer sur les réseaux sociaux où le livreur se retrouve harcelé, injurié et puni de manière injuste, a fini par révolter Ningjing. Il s’est souvenu de son impétuosité de jeunesse, de ce combat qu’il avait gagné contre son école technique qui avait tenté de lui subtiliser le salaire gagné pour un job d’été que l’école avait arrangé. Il n’allait plus se laisser faire !
Vêtu de sa veste jaune Meituan comme Zorro, son masque, Ningjing intente un procès contre la résidence pour discrimination et réclame 12 000 RMB de dommages et intérêts, une somme qu’il compte utiliser pour venir en aide à ses collègues dans le besoin. Se présentant avec sa veste dans le hall d’accueil de plusieurs cabinets d’avocats, il a choisi pour le défendre celui dont les gardes à l’entrée ne l’ont pas refoulé. Et c’est encore vêtu du jaune Meituan qu’il s’est présenté au tribunal pour sa première audience, non pas pour pavaner comme les nobles d’autrefois qui portaient le jaune pour montrer leur prospérité, mais bien pour prouver, au contraire, que l’habit ne fait pas le moine (不要以貌取人, bùyào yǐmàoqǔrén)… Et comme toutes ses courses, Liang Ningjing n’abandonnera pas en cours de route, il ira jusqu’au bout !
Par Marie-Astrid Prache
NDLR : Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article s’inspire de l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors de l’ordinaire, inspirée de faits rééls.
5 – 7 décembre, Canton : PharmChina, Salon international de l’industrie pharmaceutique et de la santé
5 – 7 décembre, Canton : NFBE – Natural Food And Beverage Expo, Salon international des aliments naturels et des boissons santé
5 – 8 décembre, Shanghai : Labelexpo Asia, Salon international de l’industrie de l’impression et de l’emballage
5 – 8 décembre, Shanghai : Marintec, Salon international et conférence sur l’industrie maritime
17 – 19 décembre, Shanghai : China Wedding Expo, Salon du mariage
17 – 19 décembre, Shanghai : Photo & Imaging, Salon chinois de la photo et de l’image numériques
12 – 14 janvier, Pékin: ALPITEC CHINA 2024, Salon international des technologies de la montagne et des sports d’hiver
26 – 28 février, Shenzhen: LED CHINA – SHENZHEN 2024, Le plus grand salon mondial de l’industrie des LED. Signalisation, éclairage, affichage, applications, composants et équipements…
29 février – 2 mars, Shanghai: CHINA HORSE FAIR 2024, Salon chinois international du cheval, sport et loisirs