Le Vent de la Chine Numéro 38 (2017)

du 27 novembre au 3 décembre 2017

Editorial : Froidures hivernales

■ Quoique sans ambassades depuis 1951, Pékin et le Vatican vont échanger en 2018 des expositions : 40 pièces de la Renaissance partiront du Musée Pontifical Anima Mundi, qui lui recevra 40 pièces du Trésor de la Cité Interdite. Chaque expo inclura aussi un tableau signé Zhang Yan, offerts en mai par Xi Jinping au pape François. Qu’on ne s’y trompe pas, ces expositions n’annoncent pas la reconnaissance réciproque des ces deux piliers idéologiques et spirituels. Elles sont programmées faute pouvoir conclure les négociations. Pas prête, paralysée par ses contradictions internes, la Chine de Xi prie l’église catholique de prendre son mal en patience…

■  Turbulences pour le milliardaire Wang Jianlin, fondateur du groupe Wanda. Après avoir conclu une promesse de vente de 73 de ses hôtels en Chine à Guangzhou R&F (Fuli) et 13 de ses parcs à thème à Sunac, pour un total de 9,6 milliards de $, Wanda se déclare prêt à étudier « toute offre commerciale » pour sa branche hôtelière à l’étranger (R-U, USA et Australie). Cela fait suite à l’interdiction bancaire édictée par Xi en juin 2017, marquant ainsi la fin du flirt entre le régime et ses grands tycoons—pas seulement celui de Wanda, mais aussi ceux de HNA, Fosun et Anbang. Lentement étranglé, Wanda pourrait vendre ses hôtels, supermarchés, parcs à thèmes et cinémas. Le geste esquisse aussi la fin d’une ère du crédit facile. Wanda doit se recentrer sur son corps de métier : la construction.

■ En Corée du Nord du 17 au 20 novembre, l’émissaire chinois Song Tao, président du département international du PCC, n’a pas été reçu par Kim Jong-un, le jeune Père Ubu du petit régime enclavé. Pour Pékin, la rebuffade est d’autant plus choquante que le climat semblait s’alléger. La Chine reste un des rares pays à tenter de calmer l’humeur va-t-en-guerre de Trump. Refusant de traiter Pyongyang de « sponsor du terrorisme »,  la Chine prêche dans le désert ses appels au dialogue. Mais d’un autre côté, elle a accepté la dernière salve de sanctions contre le Pays du matin calme, ce qui pourrait être une raison du refus de Kim de recevoir Song Tao. Peut-être aussi ce pays très secret pâtit-il sous une chancellerie byzantine, aux procédures internes compliquées, comme d’un minuscule pays qui se voit grand…

En tout cas, un Song Tao stoïque a souligné à Choe Ryong-hae, vice-président du Parti des travailleurs, le besoin de « renforcer l’amitié traditionnelle ». Puis Pékin a critiqué Washington pour avoir sanctionné des firmes chinoises et nord-coréennes ayant commercé entre elles, en contravention aux dernières sanctions. Et si Air China suspend sa liaison Pékin-Pyongyang (22/11), ce n’est pas par représailles, mais par manque de clients—c’est l’hiver !

■ Voici enfin un homme dont on ne pleurera pas la chute : Lu Wei (cf photo, avec Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook) le flamboyant patron de l’administration de l’internet, chargé depuis 2013 des grands ciseaux du monde virtuel, de ce que les 731 millions d’internautes avaient le droit de voir, de dire ou de suivre sur la toile chinoise. Lu Wei, 57 ans, est accusé de « graves violations à la discipline » – de corruption. Côté cour, cet ancien chef de l’agence Xinhua énonçait en 2015 son crédo « la liberté sans ordre n’existe pas ». Mais côté jardin, cet homme très courtisé a dû avoir du mal à refuser les offres alléchantes des riches compagnies du web. Lu est remplacé par le très discret, Xu Lin, 54 ans, un allié de Xi Jinping.  Cela dit, le filet de la censure n’est pas prêt de se desserrer : le 23 novembre voyait la disparition de Skype, fournisseur de téléphonie par internet, des portails de téléchargements en Chine. En 2017, l’App Store (Apple) a rayé de ses listes 674 VPN (virtual private network) jusqu’alors tolérés, qui eussent permis aux internautes de la « grande muraille virtuelle »…


Diplomatie : Zimbabwe, Birmanie, la Chine en eaux troubles

À 8000 km l’un de l’autre, Zimbabwe et Birmanie, jeunes républiques issues de l’après-seconde guerre mondiale, font face à une période troublée. Dans les deux cas, ces remous (chute de Mugabe, le leader historique au Zimbabwe, et guerre ethnique en Birmanie) voient dans leur sillage une forte activité chinoise en sous-main. Or, en ces évolutions parallèles, nul hasard : championne en stratégie internationale, la Chine voit dans ces pays des zones essentielles pour son avenir, son rayonnement régional. Le moment est venu d’agir !

– Avec le Zimbabwe, la relation est ancienne et privilégiée. Avant l’Indépendance, quand le territoire, encore colonie de la Couronne, s’appelait « Rhodésie », Mao forma en Chine de jeunes révolutionnaires tel Emerson Mnangagwa, qui devient à 75 ans le successeur de Robert Mugabe, 93 ans.

Aux années 1990, quand Mugabe dut réprimer des conflits ethniques, la Chine le protégea de condamnations au Conseil de Sécurité de l’ONU. En 2000, Mugabe s’inspira de Mao pour exproprier et éliminer les propriétaires terriens (les Farmers blancs), plongeant ainsi le pays dans la ruine mais marquant sa dictature de terreur et s’assurant une gloire durable. Entre 2000 et 2014, après Cuba, Côte d’Ivoire et Ethiopie, le Zimbabwe était le 4ème bénéficiaire de l’aide chinoise. En 2015, à Harare, Xi Jinping déballait un paquet de 12 contrats, d’énergie, de fibre optique, de pharmacie, d’aéroport et de centrales, pour 4 milliards de $. Il ajoutait une école militaire, un système radar, des avions-chasseurs, des half-tracks et des fusils d’assaut AK-47.

Avec Moscou, Pékin était le seul allié de cette dictature mise au ban de la société des nations. Pékin soutenait le Zimbabwe en raison des gains exceptionnels à en attendre, son sol et son climat—mine d’or agricole en friche—et son sous-sol richissime en minerais et pierres précieuses. Sa position centrale en Afrique australe lui promettait de rayonner à l’avenir vers d’autres pays du continent noir, par « routes de la soie » interposées.

À partir de 2016 pourtant, la relation se détériora. Lassé de devoir « dépanner » son allié en urgence, Pékin lui reprochait une gestion désastreuse. En particulier depuis 2011, sa « loi d’indigénisation » forçait l’étranger –sans exception pour la Chine– de céder à des Zimbabwéens la direction de leurs entreprises. Deux groupes chinois perdaient alors le contrôle de leurs parts dans la mine de diamants de Marange.

Alors, Pékin ne se gêna plus pour soutenir Mnangagwa, vice-Président, « plus pragmatique » et « tout aussi amical ».

Début novembre, les choses s’accélérèrent. Mnangagwa « disparut », peut-être aidé par la Chine. Il était menacé de mort par Grace Mugabe, la seconde épouse du dictateur, de 42 ans sa cadette, qui visait le pouvoir. Le 14 novembre, C. Chiwenga, général en chef zimbabwéen se rendit à Pékin, en une visite présentée comme « de routine ». Huit jours après, Mugabe était déposé et Mnangagwa resurgissait, Président par intérim, prêt à lancer une campagne électorale sous contrôle de l’armée, et se faire réélire en janvier 2018.

Face aux troubles, Pékin se drape d’un manteau de neutralité. Selon un expert chinois, Mnangagwa pourrait rapidement abroger la loi d’indigénisation, pour relancer les investissements chinois. La Chine joue gros. Avec Mnangagwa, elle espère élargir son contrôle sur les mines, les infrastructures, relancer l’économie du pays pour en faire une vitrine du développement à la chinoise, déployer depuis son sol ses projets d’« initiative ceinture et route » (BRI) !

– En Birmanie, l’affaire des Rohingyas offre à la Chine une opportunité unique de mettre un terme à 6 ans de froid avec son voisin, et de le détourner de son flirt avec l’Occident. En 2011, après 40 années d’« amitié » idéologique étouffante, Naypyidaw se détachait de la Chine. Elle s’offrait alors des élections libres, un ravalement de façade démocratique sous la houlette de son égérie Aung San Suu Kyi.

Mais l’armée n’avait pas relâché son emprise. En 2010, la traque des Rohingyas débuta, chassant en 7 ans 600.000 musulmans ethniques vers le Bangladesh. Dès lors à l’ONU, Russie et Chine retrouvèrent leur rôle de « grand frère protecteur » contre les condamnations de l’Occident.

Puis le 18 novembre, Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères se rendit dans les deux capitales, sustenté d’un plan de paix prévoyant cessez-le-feu, négociations bilatérales entre Birmanie et Bangladesh, et aide internationale. La Chine a un intérêt direct à pacifier la zone :  son futur corridor industriel du Yunnan jusqu’à Calcutta, via Birmanie et Bangladesh, doit bénéficier à 440 millions d’habitants. Pékin prépare dans l’Etat de Rakhine (terre des Rohingyas) un port en eaux profondes à 7 milliards de $… Mais rien de tout cela, mais même l’oléoduc et le gazoduc déjà en place, ne sont viables tant que subsiste l’incertitude des Rohingyas.

D’abord peu convaincu, Dacca (Bangladesh) commence par rejeter le plan. Mais son objection ne tiendra pas longtemps : dès le 22 novembre, Naypyidaw et Dacca annoncent la signature d’un traité signifiant le retour des réfugiés vers l’Etat de Rakhine leur terre d’origine « dès le mois prochain ».

Est-ce faisable ? Difficile à y croire, alors que les villages des exilés ont été brûlés et leurs terres saisies. Un léger signe d’espoir, côté Birman, tient au récent limogeage, dans la junte militaire, du général considéré comme le « fer de lance » du pogrom contre les Rohingyas. Mais un simple limogeage peut-il suffire à changer le cours de l’histoire, et sous quel équilibre d’alliances la Birmanie veut-elle vivre à l’avenir, entre Occident en Chine ? Tout cela reste à établir.

 


Technologies & Internet : La Chine, superstar de la R&D

Toujours plus, la Chine s’impose comme une puissance de la recherche et développement. N. Aguzin, CEO Asie-Pacifique de JP Morgan (1ère banque mondiale en capitalisation) prédit qu’en 2027, elle détiendra le quart des 500 plus grosses compagnies de la planète, et 20% de son PIB (contre 14% en 2016, selon Banque Mondiale). Une de ses forces est l’innovation dans le monde des affaires : en « FinTech et AssurTech » (technologies de l’assurance et de la finance), paiement mobile, automation, intelligence artificielle…

En matière scientifique, deux projets récemment dévoilés, laissent rêveurs.

-Le 18 novembre, l’Académie des technologies de propulsion satellitaire annonce une flotte de fusées nucléaires réutilisables, destinées à l’exploration et l’exploitation minière, et le tourisme spatial. Li Hong, son président, décrit l’objectif, éminemment politique : en propulsion satellitaire conventionnelle, la Chine veut rattraper les Etats-Unis dès 2020. En 2025, une navette devra assurer l’approvisionnement régulier de la station chinoise géostationnaire. 2030 doit voir le lancement d’une base lunaire, et de missions vers Mars, à finalité touristique et de recherche de minerais. Aux années 2040 démarrera la fusée nucléaire – dont l’avantage sera de suppléer à l’énergie solaire, une fois sortie du système solaire.

-L’autre projet technologique étonnant est en cours à Nagqu, 4ème ville du Tibet (24.000 habitants). L’objectif est de faire pousser une forêt, 1000 mètres au-dessus de la barrière d’altitude mondiale pour ce type de canopée—Nagqu se trouve à 4500m au-dessus du niveau de la mer. Soutenu par le Président Xi Jinping, ce projet comporte un champ de panneaux solaires autour de 20 hectares de plantation expérimentale, sillonnée en sous-sol d’un serpentin d’eau chaude, complanté en pins, sapins et cyprès.

Ce n’est pas la première tentative : depuis 20 ans, des essais privés se succèdent, motivés par une promesse publique de 100.000 yuans par arbre en cas de succès. Les autochtones ont tenté des plantations sous serres géantes, d’autres sous engrais spéciaux, ou encore arrosées d’eau chaude, ou protégeant les ramures par film plastique. Toutes ont échoué.

Emanant du ministère des Sciences et Technologies, ce nouvel essai prétend réchauffer de quelques degrés le pergélisol, pour enrayer l’arrêt de la « lignification » (de la production de bois par l’arbre). Resté secret, le coût de l’opération s’élève en dizaines de millions de yuans. Durant le 19ème Congrès, le Président Xi s’enquit de l’avancement du projet, destiné à soutenir… le moral des troupes ! En effet, selon le journal de l’Armée Populaire de Libération, les soldats postés pour des années au « Toit du Monde », peuvent tout endurer—sauf l’absence de bois, de forêts et de bosquets !

Au demeurant, une majorité de chercheurs chinois émettent leurs doutes sur le projet. D’un coût exorbitant (« la forêt la plus chère du monde »), il comporte aussi le risque de détraquer l’écosystème d’altitude, à commencer par sa chaîne alimentaire. Ours, renards, loups et lièvres dépendent d’une flore de haute montagne. La plantation d’arbres exogènes sous climat modifié fait risquer pestes et épizooties qui ne sont pas étudiées a priori, et peut-être sans remède.

-Un dernier projet porte à réfléchir : celui de la futuropolis de Xiong’an, à 140 km au sud de Pékin. Appelé par Xi Jinping à servir d’exemple du « rêve de Chine», ce chantier qui démarre sur le site de Baiyangdian fait l’objet d’investissements colossaux, tel une ligne de chemin de fer qui relie le satellite urbain à 1h20 de la capitale.

En sus d’un habitat haut de gamme parsemé de lacs et de canaux, Xiong’an doit devenir le « business hub » de la Chine du Nord, capable de rivaliser avec Shanghai et Shenzhen. Les industries vertes, biopharmaceutiques et électroniques doivent relayer leurs aînées vieillissantes du ciment et de l’acier. Le modèle à suivre est Shenzhen, ce miracle chinois qui convertit en 30 ans une pauvre bourgade de pêcheurs en une Silicon Valley.

Mais Qiao Runling, urbaniste à la NDRC (le chef d’orchestre de l’économie du pays) déclenche l’alarme : Baiyangdian et le Shenzhen de l’époque ne se comparent pas. Sur sa ligne de départ, le futur Xiong’an est dépourvu de tout réseau de PME, de tradition d’initiative privée, et d’un réseau fiable de crédit et d’industries. Pauvre depuis toujours, il a toujours été administré par le Parti, avec des directives de haut vers le bas. « Faute d’une vigoureuse réforme du marché et de la liberté d’entreprise, prévient Qiao, le miracle risque de faire long feu ».

Pour conclure, la multiplication de tels projets rend hommage à l’imagination de leurs auteurs, et aux moyens financiers illimités qui les appuient. Sur le fond, ces mirifiques projets de conquête « nucléaire » de l’espace, de forêt au-dessus de toutes les forêts, ou d’éco-cité dans une région reculée, correspondent avant tout à une logique politique, dans un pays où la quasi-totalité des projets sont publics et adoptés sous une grille de lecture idéologique. Ils répondent à un vieux rêve autoritaire de résoudre tous les problèmes par la technologie et l’investissement en masse, sans passer par la case « réforme ». Le succès de Xiong’An, voire de tout le développement futur de la Chine, pourrait en définitive dépendre de sa capacité à réformer.


Monde de l'entreprise : Partagé, le vélo se rebiffe
Partagé, le vélo se rebiffe

18 mois : c’est le temps qu’il a fallu pour créer une « bulle », entre la naissance du vélo partagé et l’éclatement de son marché. 
Ofo et Mobike naquirent au tournant 2016. Mais dès octobre 2017, les investisseurs respectivement menés par Alibaba et Tencent, ont forcé les groupes à lancer des palabres de fusion. Ofo « pèse » un milliard de dollars et Mobike, trois. L’argument pour justifier une alliance peut paraître improbable : occupant ensemble 95% du marché, Ofo et Mobike ne peuvent accéder à la rentabilité que réunis. Cette affirmation confirme un soupçon évoqué depuis des lunes : leurs millions de petites reines déversées dans les rues n’ont pas permis à ces géants d’empocher le moindre fen (份, centime), vu leurs tarifs dérisoires (0,5 à 1 ¥/h), voire leur gratuité lors d’incessantes promotions.

Aujourd’hui, les faillites se multiplient. N°6 national avec 700.000 vélos partagés, Bluegogo n’honore plus les demandes de restitution de caution, doit 200 millions de ¥ aux fournisseurs, et avoue 200 millions de pertes d’actifs. Wukong, 3vBike et DingDing ont déjà baissé pavillon. Même des firmes municipales comme Huantou Wuhan, 40.000 petites reines) jettent l’éponge… La 1ère cause est la concurrence : plus le parc urbain augmente, plus le ratio d’usager par vélo baisse, initialement autour entre 6 et 10, aujourd’hui sans doute de 2 à 3. Une autre cause est l’incivilité : en six mois, Wukong a perdu 90% de son parc roulant, dégradé ou volé. Aussi, les coûts d’entretien explosent : souvent de basse qualité, les vélos malmenés doivent être réparés – les remplacer est souvent moins cher. Constatant l’anarchie des usagers qui déposent les vélos n’importe où, les mairies imposent à l’opérateur de les déplacer à ses frais vers des sites règlementaires : autant de dépenses exponentielles que la firme ne peut pas répercuter sur l’usager – concurrence oblige.

Les leçons à tirer sont amères : pour ces vélos partagés, il n’y a pas de solidarité partagée. Le modèle d’affaires n’est pas viable en l’état actuel du marché. L’avenir est sans doute déjà là, en pointillé : Ofo et Mobike, une fois fusionnés, vont achever le reste de la concurrence. Dès lors, ils pourront s’organiser : règles d’usage, aires de stationnement, tarifs. Quant à l’usager, il sera forcé de revoir son comportement, car son incivilité pourra lui faire perdre de précieux points de « crédit social » ! 


Monde de l'entreprise : Branle-bas dans la grande distribution
Branle-bas dans la grande distribution

Une fois de plus, Auchan fait parler de lui. Le groupe français s’associe avec Alibaba, n°1 chinois du e-commerce, en le faisant entrer au capital de Sun-Art, sa joint-venture à 77% avec le taïwanais Ruentex (RT). Avec plus de 450 hypermarchés de marques Auchan ou RT, Sun-Art tient 15% du marché chinois de la grande distribution, devant Wal-Mart (10%).

Mais à l’ère du e-commerce, toutes les grandes chaînes de magasins  souffrent : dans les années 2000, leur chiffre d’affaires augmentait entre 15 à 25%. Mais de janvier à septembre 2017, celui de Sun-Art n’a progressé que de 2,2%. En 2016, il empochait tout de même 8,2% des 500 milliards de $ que représentent le marché de l’alimentaire – meilleur score du pays. 

Or, Alibaba est anxieux de pénétrer ce marché : dépenser pour se nourrir est un geste pluriquotidien, tandis  que changer de téléphone portable ne se fait que tous les 18 mois. Ainsi se fait le mariage : pour 2,9 milliards de $, Alibaba rachète à Ruentex 32,16% de Sun-Art, et Auchan consolide son leadership avec 32,18% – Ruentex en garde 4,7%. Alibaba entre dans Sun-Art à vil prix, avec une décote de 24%, justifiée par la chute persistante du commerce traditionnel.

L’opération vise à intégrer les deux types de commerce, et de créer des services par l’ouverture à Sun-Art de « l’écosystème digital d’Alibaba » déclare L. Holinier, CEO de Sun-Art. Avec ses « big data » moulinés dans ses logiciels d’interprétation, Sun-Art anticipera plus vite l’évolution du comportement des clients et les tendances du marché. Les produits frais pourront être commandés sur Tmall, plateforme d’Alibaba, et livrés depuis l’un des magasins de Sun-Art (Auchan ou RT) le plus proche, qui apporte à Alibaba le réseau d’entrepôts qui lui manque. Or, pour les produits frais, la vitesse de livraison est un critère déterminant. De son côté, sur le non-alimentaire, Sun-Art pourra rediriger ses clients vers une gamme illimitée de produits sur Tmall.

Les autres chaines de magasins dont Alibaba est propriétaire ou co-porpriétaire (ceux hyper-connectés Hema ou encore Lianhua, Bailian, Intime, Suning) poursuivront leur vie séparée jusqu’a nouvel ordre.

Face à cette révolution, comment va réagir Carrefour, dont les ventes s’effritent chaque trimestre ? On le saura le 23 janvier, quand A. Bompart, son PDG-monde depuis l’été, annoncera le plan de relance. Il pourrait vouloir à son tour chercher un partenaire local, comme le n°2 du e-commerce chinois JD.com, mais ce dernier est déjà à 12% sous contrôle de Wal-Mart.


Petit Peuple : Hangzhou – Les vies successives de Xu Zhongbao (1ère partie)

Dans son institut de beauté, lumineux et aux tapisseries fleuries, à la mode du Hangzhou des années 2000, Xu Zhongbao, 34 ans, n’était pas peu fier de ses cabines de massage, du coin maquillage, de la zone réservée aux manucures…

Xu pouvait se dire bien servi dans la vie : son mariage avec Yuling, la  fille-enfant d’un avocat d’affaires, et ses années d’épargne lui avaient permis d’acquérir et d’équiper dernier cri son centre de soins esthétiques en plein centre-ville.

Le salon affichait complet—la journée démarrait bien. Sauf que ce matin, Zhang Yile, masseur, fixait d’un œil noir son épouse Li Hua, elle aussi employée au salon. D’ordinaire généreuse en clins d’œil aux hommes, Li Hua cette fois gardait profil curieusement bas, hagarde et comme partagée entre exaspération et terreur. Entre ces deux-là à l’évidence, la nuit s’était mal passée. L’atmosphère électrique contrastait avec le ciel d’azur du Zhejiang en mai. Xu se demandait comment empêcher la crise d’éclater.

Or, il n’eut aucune chance, vu la violence de l’attaque subite : à la cantonade, tout à trac, Zhang accusa sa moitié d’avoir découché. Sans se démonter, Li Hua lui tint tête, rétorquant que lui-même, loin d’être un parangon de vertu conjugale, ferait mieux de se taire. Mais alors, Zhang se jeta sur l’infidèle, lui assénant un formidable coup à la tempe, la faisant s’affaisser inanimée. Alors, braillant de terreur, les clientes s’éparpillèrent dans toutes les directions, tandis que le mari se mettait en œuvre pour proprement étrangler son épouse. N’écoutant que son courage, Xu fonça pour détacher les mains de Zhang du cou de la coiffeuse—mais n’étant pas adepte de l’autodéfense, ne vit pas venir le crochet du gauche sur son nez – le sang jaillit. Alors, fou de rage, Xu se positionna derrière le forcené qui reprenait sa tentative de strangulation : il lui enfonça alors ses pouces dans les orbites, indifférent à ses hurlement, jusqu’à ce qu’une force supérieure finisse par lui faire lâcher prise, celle des policiers, emmenant l’entrepreneur menotté…

La suite eut lieu au tribunal, trois mois plus tard. Suite au pugilat, Zhang avait à jamais perdu la vue. Pour cette raison le juge, l’estimant assez puni, ne lui infligea pas de peine pour sa tentative de meurtre sur son épouse. Il n’en alla pas de même pour Xu, contre qui Zhang avait porté plainte, l’accusant de préméditation. L’argument fut retenu et Xu écopa de six ans fermes !

Pour Xu, ce fut une descente aux enfers. Entre les quatre murs de la prison, il n’avait ni ciel, ni liberté de ses pas, ni aucune des fantaisies qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. Finis, les bons restaurants, les karaokés entre amis, le marivaudage avec ces belles filles pimpantes et reconnaissantes au sortir du salon. Il n’y avait plus que le lever à 6h du matin, l’extinction des feux à 20h, les paillasses, les petites frappes sans envergure, et les paumés comme lui, pris dans le filet du destin.

Les malheurs arrivent toujours en escouade : deux ans après, une Yuling ne supportant plus l’absence permanente de son mari, réclama le divorce. Et comme il s’y refusait, elle vendit le salon – c’était son droit, la majorité du capital provenant de papa.

De toute manière, Xu se noyait sous les dettes : il avait été condamné à verser un lourd pretium doloris à Zhang, et son avocat ne venait plus le voir au parloir que pour lui réclamer ses honoraires en retard.

Cette vente fut néanmoins pour Xu un vrai crève-cœur—ce salon, c’était la preuve de sa réussite, la fierté de sa vie… Et pourtant, le pire était encore à venir. Pour le presser au divorce, Yuling se mit à appeler tous les jours sa belle-mère, lui serinant chaque jour les soi-disant turpitudes de son fils avant le drame… Elle lui causa telle honte que la septuagénaire, désespérée, s’éteignit en 2003.

Pour Xu, l’annonce du décès de sa mère et de funérailles auxquelles il ne put assister, causa chez lui un feu ardent de désespoir. Il souffrait de la disparition de celle qui lui avait donné la vie. Faisant face aux êtres malveillants de sa chambrée, il ne voyait plus de raison de se battre. Avec un bout de fer trouvé sur le promenoir, il tenta de se trancher les veines. Il fut sauvé par le maton Bao, qui l’avait à la bonne, puis interné 3 jours à l’infirmerie. Il tenta ensuite de se pendre en pleine nuit, à l’aide d’un drap tressé accroché aux barreaux du vasistas. Un détenu donna l’alerte, et le gardien vint à temps l’aider à le décrocher. Le jour suivant, deux geôliers, dont Bao, vinrent le voir au dispensaire pour l’adjurer de rester au monde des vivants. « Nous le savons depuis le 1er jour, lui firent-ils, tu n’es pas criminel, tu n’es pas comme les autres. Tu n’as pas eu de chance, c’est tout ! Conseil d’ami : pense à ta sortie. 2006, c’est demain ».

Cette phrase résonna dans la tête de Xu. Dès le lendemain, il commença à s’intéresser à ses codétenus. Discrètement, il se mit à écouter les délits dont chaque « délinquant invétéré » (怙恶不悛, hù’èbùquān ) se faisait gloriole : leurs cambriolages et vols à la tire, leur jeu du bonneteau qui les fait gagner à tous les coups, les vols en bande organisée. Il apprit le rôle spécifique du rabatteur, du pisteur, des bousculeurs, les carambouilles sur internet et 100 autres arnaques.

Ainsi, à sa sortie en 2006, à 40 ans, il devait repartir à zéro. Il connaissait bien toutes les combines de la pègre locale, ainsi que bien des bandits célèbres dans le milieu. Mais bien sûr, tout cela ne lui servirait à rien. Xu n’avait aucune idée de l’avenir qui l’attendait, mais il se connaissait assez pour savoir que jamais il ne tremperait dans la mauvaise vie…

Voulez-vous savoir comment rebondira Xu? La suite vous attend comme de coutume… au prochain numéro !    


Rendez-vous : Semaine du 27 novembre au 3 décembre 2017
Semaine du 27 novembre au 3 décembre 2017

27- 30 novembre, Shanghai :  Shanghaitex, Salon international de l’industrie textile

28-30 novembre, Xiamen : PHARMACHINA, Salon international de l’industrie pharmaceutique

1-3 décembre, Chengdu : Salon international du tourisme

1-3 décembre, Shanghai : Shanghai International Money Fair, Rendez-vous de l’industrie chinoise de la finance

3–5 December 2017, Wuzhen, Zhejiang, 4ème Conférence mondiale de l’internet