Le Vent de la Chine Cahiers d’été

du 19 juillet au 29 août 2020

Tourisme : Zhang Yan, figure de proue de la revitalisation du village de Heqiao (Zhejiang)
Zhang Yan, figure de proue de la revitalisation du village de Heqiao (Zhejiang)

Niché au cœur des montagnes du Zhejiang à 4 heures de route de Shanghai, He Qiao (河桥) est un village de 3 500 habitants, n’ayant pas bénéficié de la croissance rapide que la Chine a connue ces dernières années. Le hameau commence à se réveiller grâce au dynamisme – entre autres – d’une dénommée Zhang Yan (张雁), 44 ans. Après avoir travaillé pendant 20 ans à Shanghai dans le secteur de la construction, Zhang Yan est revenue en 2014 dans son village natal avec le rêve de le développer.

À son retour, elle a d’abord entrepris de faire de sa maison familiale – une ancienne bâtisse traditionnelle de la campagne chinoise – un lieu de villégiature prénommé Pi Di Han Lou (僻地寒楼, « un endroit simple hors des sentiers battus »). Après avoir rénové trois étables en pierre et construit une cabane dans un arbre, ces chambres d’hôtes ont été mises en locations à partir de 2015. Le succès a été immédiat. Dès le premier mois, elles lui ont rapporté 13 000 CNY (1 700 €), sachant que le salaire annuel local avoisinerait les 10 000 CNY (1 300 €).

Malgré ce démarrage prometteur, Zhang Yan décida cinq mois plus tard de fermer temporairement afin de réfléchir à la direction qu’elle souhaitait donner à son établissement. Pour elle, pas question de faire du chiffre à tout prix ! Zhang Yan désirait attirer un autre type de clientèle, plus attentive à l’environnement, au sens large du terme. La patronne souhaitait également être maître de son rythme de travail et être en mesure de se dégager du temps pour d’autres projets… Alors, elle décida de mettre un terme à son partenariat avec la célèbre agence de voyages Ctrip, qui prélève une commission pour toute réservation sur sa plateforme. Les négociations pour sortir Pi Di Han Lou du système de réservation ont pris fin en 2016. Sans surprise, son revenu chuta, Ctrip étant sa source principale de clientèle… Mais Zhang Yan misa sur son réseau ( plus de 10 000 contacts sur WeChat) et le bouche-à-oreille pour relancer ses affaires. Un pari gagnant puisqu’elle boucla l’année avec un revenu de 600 000 CNY (75 000 €). Poursuivant sur sa lancée, en 2017 elle enregistra une hausse d’un tiers du chiffre d’affaires (800 000 CNY, soit 100 000 €). 

Portée par ses premières réalisations et un business florissant, Zhang Yan réinvestit l’argent gagné dans la construction de trois autres maisonnettes : une « maison-lune », une « maison-hobbit » (cf photo) et une grande cabane qui trône au bout du terrain, surplombant le potager et la rivière. Ce faisant, Zhang Yan faisait le choix de l’originalité et de la qualité, témoignant de l’expérience acquise depuis la rénovation de ses premières chambres trois ans plus tôt. À la fin de l’année 2018, elle évaluait son chiffre d’affaires à 900 000 CNY (113 000 €), puis atteignait le million de yuans (125 000 €) lors de sa quatrième année d’opération en 2019.

Tout ne s’est pas fait sans difficulté. Encore aujourd’hui, Zhang Yan (à droite sur la photo) doit sans cesse faire face à une résistance au changement qu’elle apporte ainsi qu’à la force de l’habitude, à commencer par celle de sa propre famille. Si celle-ci s’est montrée enthousiaste à propos de son retour au village, les désaccords concernant ses idées de transformation de la maison ont été nombreux. Certains de ses proches continuent de s’opposer systématiquement à ses nouvelles idées avant de finir par les adopter une fois qu’ils en voient l’utilité. Les villageois sont aussi surpris, désarçonnés par ses méthodes : quand eux démolissent leurs vieilles maisons pour construire du grand et du neuf, censé prouver leur réussite, et se débarrassent de leurs vieilleries, Zhang Yan elle, récupère ce qu’ils jettent, créé à partir de l’existant… Elle se heurte également aux enjeux du management : recrutement (difficile d’embaucher lors de la récolte du bambou par exemple), répartition du travail, gestion des conflits, motivation du personnel, arrêt d’une collaboration… Enfin, même si sa clientèle vient essentiellement des villes et provinces voisines (Shanghai, Hangzhou, Zhejiang, Anhui…), l’isolement géographique du village, sans véritable réseau de transport, est un frein indéniable. Alors, elle se démène, fait beaucoup par elle-même et, grâce à sa persévérance et sa force de persuasion, elle fait bouger les lignes et le regard des autres a commencé à évoluer.  

Au moment du Nouvel An chinois 2020, l’épidémie du Covid-19 marque un coup d’arrêt brutal : plus aucun client ne viendra de janvier à avril… À cela s’ensuit la perte d’un ami cher. Suite à un changement de règlementation, la maison d’hôtes qu’il gérait a dû fermer ses portes du jour au lendemain. Il en est mort de tristesse… Comme tout entrepreneur en Chine, Zhang Yan a bien conscience que tout peut s’arrêter subitement. Loin d’être naïve, elle sait bien qu’elle ne doit pas trop s’attacher à son entreprise, et qu’elle doit se tenir prête à avoir une porte de sortie, juste au cas où…

Alors, elle explore de nouvelles pistes, tente de se diversifier. Grâce au boom du e-commerce en Chine, Zhang Yan se lance avec un petit réseau dans la vente de produits agricoles locaux ; un commerce qui rapporte 100 000 CNY (13 000 €) dès les premiers mois. La jeune femme ne s’arrête pas là. Dans la vieille rue, elle restaure un local pour en faire un restaurant français, tente de faire venir une boulangère de Hangzhou (杭州), et envisage un espace de travail collaboratif rural afin d’inciter les jeunes à venir s’installer en campagne.

Ayant eu vent de son action, le département touristique de Lin’an (临安), chef-lieu de la région, la contacte pour rejoindre leur initiative de revitalisation de la région, quoiqu’elle ne soit pas membre du Parti. Après plusieurs réunions dans les bureaux du gouvernement, elle se voit ainsi nommée responsable d’un réseau de maisons d’hôtes afin de les aider à se développer comme elle a réussi à le faire, en alliant développement et enrichissement dans le respect du cadre et des ressources locales. Cette soudaine promotion ne vient pas sans responsabilités et contraintes, mais offre à Zhang Yan un soutien indéniable pour accomplir son objectif premier : revitaliser Heqiao. Depuis peu, c’est tout le village qui est en rénovation : les routes et les canalisations sont refaites, les bâtiments publics rénovés et les habitants, inspirés par l’exemple de Zhang Yan qui fait figure de pionnière, lancent leurs propres projets. La transformation est lancée.

Par Margaux Alamartine

Instagram : @pidihanlou

Retrouvez le parcours de Zhang Yan en video :


Art : Rencontre avec Xu Bing, maître du faux-semblant
Rencontre avec Xu Bing, maître du faux-semblant

Originaire de Chongqing, Xu Bing crée comme s’il ne voulait laisser au monde que la trace de ses pensées, comme s’il ne voulait pas alourdir la planète d’encore plus d’objets et d’artefacts, fussent-ils des œuvres d’art. C’est pourquoi l’artiste de 65 ans préfère réutiliser les objets du quotidien, les matériaux les plus simples, les traces numériques déjà produites, pour créer une œuvre originale et universelle, inspirée de son histoire personnelle, ballotée par les soubresauts de son pays…

Interviewer Xu Bing (徐冰), artiste majeur de la post-modernité, est un privilège rare. En l’attendant dans son atelier pékinois, je revois les images émouvantes de son chef-d’œuvre « Dragonfly Eyes » (蜻蜓之眼) projetées sur grand écran. Ce film de 2017 raconte en 81 minutes l’histoire de la jeune Qing Ting, mais pour lequel il n’a tourné aucune scène. Au lieu de cela, il a entrepris une recherche de vidéos disponibles sur internet et de séquences de caméras de vidéosurveillance. Un travail titanesque, achevé aussi grâce au talent de son monteur, Matthieu Laclau, français installé à Taïwan depuis des années, et celui de la scénariste Zhai Yongming.

« Square World »

Autour de moi, de grands panneaux couverts de caractères tracés par Xu Bing, qui excelle par ailleurs dans l’art millénaire de la calligraphie, attirent mon attention. Je ne décèle pas tout de suite ce qui amuse au premier regard toute personne capable de lire le mandarin : ces caractères qui ressemblent à des idéogrammes ne veulent absolument rien dire, car chacun d’entre eux est composé de lettres latines déformées composant un mot anglais. Ce texte écrit dans la langue de Shakespeare, avec des mots ressemblant à des caractères chinois, désarçonne tout autant les tenants des deux cultures, les renvoyant dos à dos à leurs habitudes, leurs certitudes et leurs références culturelles définitivement brouillées.  

« Background stories », Water Village

Non loin de là trône un autre « trompe culture » d’une tout autre nature : un dessin très grand format, qui représente un vaste paysage de nuages, d’arbres et de montagnes, dans la plus pure tradition des dessins à l’encre des grands maîtres du passé. Estompes, dégradés, coups de pinceaux comme autant de témoignages des gestes sûrs de celui qui les traça à la surface du papier. Pourtant, ce n’est pas un dessin : pas d’encre, pas de trait, aucune intervention graphique. Le mystère se révèle dès que je passe derrière l’œuvre qui livre un amoncellement de papiers découpés, de bouts de ficelle et de petits morceaux de bois. Tout un bric-à-brac de récupération qui, assemblé de manière précise, projette une image sur la feuille qui est en fait un vaste écran translucide. C’est une source de lumière placée derrière l’œuvre qui, en projetant les ombres de ces rebuts, les transforme de l’autre côté de l’écran en un magnifique paysage subtil et nuancé.

Dans une salle contiguë, une dizaine de petites mains s’activent autour d’une œuvre en cours de réalisation : un vaste tableau constitué d’étiquettes cousues à l’intérieur de nos vêtements. Xu Bing les a collectionnées afin de les rassembler en une vaste fresque, où chaque étiquette joue le rôle d’un pixel, trouvant sa place en fonction de sa couleur pour donner corps à l’esquisse dessinée par l’artiste. Conforme à sa ligne qui consiste à n’utiliser que des matériaux modestes, anonymes, ces centaines d’étiquettes appartiennent à des marques de vêtements inconnues : My Mo, Miracle ou Mirror…

« Book From the Ground »

La longue discussion qui suit avec le maître permet de mieux saisir ses intentions. A l’évidence ses intuitions, son jeu avec les techniques qu’il explore, ses combinaisons d’univers, prévalent. Pour Xu Bing, « le monde est devenu un immense studio de cinéma ». Un constat qu’il applique à son film « Dragonfly Eyes », qui est le produit d’une époque, celle de l’abondance infinie de vidéos sur le net, mais aussi des limites techniques de l’année de sa création. Aujourd’hui, l’artiste n’envisage pas un second opus selon les mêmes procédés. En revanche, il travaille sur un nouveau projet de film, se basant uniquement sur une phrase qu’il a écrite. À partir de là, une équipe du MIT aux Etats-Unis (où l’artiste a vécu 17 ans) utilise les ressources de l’intelligence artificielle pour dérouler un récit à partir de vidéos toujours repérées sur le web. Dès lors, des centaines de scénarios sont envisageables… « Un défi passionnant », commente l’artiste.

« Book From the Ground »

Mais il ne faut pas s’y méprendre : ce sont avant tout les idées qui intéressent Xu Bing, les procédés techniques étant uniquement au service de sa vision artistique. C’est alors que l’artiste se saisit de son smartphone pour me montrer quelques pages de « Book from the Ground ». Créé en 2003, ce livre est entièrement écrit en symboles de traitement de texte. Ainsi, l’histoire sera comprise par tous, quelle que soit sa langue ! Jusqu’à ce jour, cette œuvre continue d’évoluer. En parallèle, il a compilé un dictionnaire permettant à chacun de traduire un texte en anglais ou en chinois, en cette nouvelle écriture faite de symboles universels. Comme un retour aux prémices de l’écriture d’avant les caractères chinois ou les hiéroglyphes, lorsque les mots étaient des images parlant à chacun… 

Finalement, quel regard porte l’artiste sur notre monde écartelé entre tradition et postmodernité, entre artisanat et technologies de pointe, entre la Chine et les Etats-Unis ? D’après lui, rien ne sert de se battre pour essayer d’arrêter des torrents plus forts que soi. Il se rappelle le temps de la révolution culturelle, à laquelle il était impossible de s’opposer… « La technologie est à la fois pleine de possibilités et porteuse d’inquiétudes », explique Xu Bing, « mais au final, elle sera ce que nous en ferons ».

Par Jean Dominique SEVAL


Art : Les fresques du 21ème siècle de He Jian
Les fresques du 21ème siècle de He Jian

Se jouant des époques, hybridant trivial et spirituel grâce à un humour fin et une pointe d’absurdité, le peintre He Jian ridiculise la société contemporaine et la vie moderne. En adoptant les techniques anciennes de la peinture au pinceau pour peindre des scènes quotidiennes et des souvenirs d’enfance, il met en scène des manifestations vulgaires de richesse et d’excès contemporains, dans la langue vernaculaire visuelle de la Chine ancienne. « Mes images tentent généralement de capturer les sentiments complexes causés par un mélange culturel sans précédent, ainsi que les douleurs associées aux souvenirs et au temps qui passe » confie l’artiste.

Inspirée par les photographies qui ont circulé en masse sur les réseaux sociaux au début de l’épidémie de Coronavirus, témoignant alors de la pénurie de masques, l’oeuvre « Visages 2020 » 面孔 connaît un vif succès… et transforme déjà un événement recent en un passé aux allures lointaines, presque irréel.

He Jian (何剑), né en 1978 dans le Sichuan et diplômé des Beaux-Arts de sa province natale en 2000, a développé tout au long de sa carrière un style d’expression artistique distinctif, inspiré des fresques du temple Yongle du 14e siècle dans la province du Shanxi.

Ses œuvres, au premier regard, apparaissent vieillies, semblant nécessiter une restauration intensive… Un effet obtenu en superposant plusieurs couches de pigments sur une mince surface de papier de riz, que l’artiste vient ensuite travailler pour exprimer des sujets et thèmes contemporains.

Juxtaposant ces techniques anciennes – et extrêmement méticuleuses – avec des sujets quotidiens et plutôt triviaux (souvenirs, objets, moments de fête), He Jian transporte ses œuvres – et ses spectateurs – dans une dimension temporelle unique.

Li Jianguo 李建国的秘书, 2008

Ses peintures sont pensées comme des scénarios dans lesquels il prend soin d’orchestrer soigneusement personnages et décors propres aux moments de vie qu’il souhaite incarner, aux histoires qu’il souhaite célébrer : une capture des scènes les plus typiques, qui caractérisent selon lui la vie « à la chinoise » prise dans le contexte d’un monde globalisé.

Représenter ses contemporains est primordial pour He Jian, et il prend ainsi soin d’analyser ses personnages sous toutes les coutures : leur âge, leur genre, leur statut social, leur gestuelle, avant de les saisir à travers leurs moments de loisirs, de travail ou de fête.

Hommes d’affaires, étudiants, couples et enfants sont ainsi soumis à l’examen scrupuleux de l’artiste, tandis que les machines à coudre, les jeux vidéo, les radios, les gâteaux de naissance, les bouteilles de whisky et d’alcool chinois, reliques du passé et objets du présent, obtiennent une place de choix dans le grand théâtre de l’artiste.

Tune up the Radio 放⼤的收⾳机, 2015

Plutôt que défier la tradition, He Jian l’utilise afin de mettre en lumière une continuité entre passé et présent. Entre ses mains, elle devient l’outil idéal pour capter l’essence des liens qui déterminent et unissent l’histoire chinoise : les petites histoires de chacun qui résonnent à travers une culture entière. 

Super Girl 超级女声, 2013-2017

He Jian a reçu une attention croissante du monde de l’art à l’international et a participé à de nombreuses expositions en Chine et à l’étranger.

L’artiste est représenté par la galerie Art+ Shanghai, où une sélection de ses œuvres est actuellement visible. 

Par Caroline Boudehen

IG: @caromaligne

 


Art : La vie en rose selon Wang Xin
La vie en rose selon Wang Xin

Artiste multimédia, Wang Xin (王欣) a choisi comme matériau de prédilection… la spiritualité. Explorer les voies de l’esprit, enquêter sur les relations qu’entretient l’être vivant avec lui-même, ses oscillations entre conscience et inconscient sont devenus les fils rouges qui conduisent sa pratique artistique, et qu’elle décline en plusieurs sujets.

Au moyen d’installations, l’artiste questionne ainsi le rapport à la mémoire, à travers l’individu, son intimité́ et ses rêves. Selon Wang Xin, la mémoire a une vie propre, qui dirige l’individu à qui elle appartient…. A moins que ce ne soit l’inverse ? Fascinée par le subconscient et son impact sur l’être, Wang Xin en dévoile sa vision à travers des œuvres multimédias, et, surtout, interactives. Elle utilise parfois la réalité virtuelle (VR), car selon l’artiste, celle-ci est « capable de transporter les êtres, leur faire vivre un rêve éveillé ».

Le monde de Wang Xin a souvent été rose (« Rose-color series »), non parce qu’elle associe la couleur à une tendance féminine, mais parce qu’elle la trouve particulièrement vibrante… Évoquant désir et profondeur, elle est la couleur idéale pour relier l’être à son intimité, et à sa mémoire vécue ou rêvée.

A l’image d’un hypnotiseur, l’artiste, à travers ses installations et images en mouvement, modifie la perception du spectateur pour affecter son subconscient.  «8HZ Spiritual Care Unite » est par exemple une installation interactive, dans laquelle l’artiste utilise la technologie CG – une application d’infographie destinée à créer des personnages et mondes virtuels – pour donner vie à un guérisseur spirituel fictif. 

8HZ Spiritual Care Unit

Invité à entrer, à s’allonger dans l’installation conçue comme une unité de soin futuriste, puis à se connecter à ce guérisseur à travers un écran, le visiteur devient un patient… venant recevoir un « soin spirituel ». Plusieurs « sessions de coaching spirituel » lui sont alors proposées, à chacun de choisir celle qui lui correspond le mieux…

C’est via son travail sur l’inconscience que Wang Xin creuse ses deux autres thèmes de prédilection : les systèmes du monde de l’art et le post-humanisme. Elle incorpore un langage fort et des signes pour défier le statut de l’artiste et le fonctionnement du marché́ de l’art. Simultanément, ses slogans audacieux fustigent sa propre position et sa relation au monde de l’art, tout en critiquant l’écosystème de l’art en général.

Wang Xin est née en 1983 dans la province du Hubei. Diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Chine, elle a été lauréate du Prix d’Excellence Pierre Huber Création en 2007, puis obtenu un MFA en 2011 à la School of the Art Institute de Chicago. Elle collabore avec de nombreux artistes et institutions. L’installation « 8HZ Spiritual Care Unit » est actuellement exposée (et à tester) dans l’espace IAG du TX Huaihai-Youth Energy Center à Shanghai, dans l’exposition « Wild Cinema » jusqu’au 31 aout 2020.

Par Caroline Boudehen

IG: @caromaligne


Art : Lin Fanglu, l’artisanat traditionnel à la pointe de l’art contemporain
Lin Fanglu, l’artisanat traditionnel à la pointe de l’art contemporain

Lorsque Lin Fanglu (林芳璐) a vu pour la première fois les femmes de la minorité Bai (Yunnan) effectuer le liage et la teinture par nœuds (« tie-dye ») dans une cour du village de Zhoucheng en 2014, elle a immédiatement été captivée par les formes texturées complexes générées par ce type de couture. « Il s’en dégageait une puissance primitive » se souvient Lin Fanglu. En effet, cette technique traditionnelle de teinture à l’indigo remonte à plus de 1000 ans, et est désormais classée au patrimoine culturel immatériel au niveau national.

Elle décide alors de rester dans le village pendant plusieurs mois afin d’apprendre les processus de réalisation auprès des femmes Bai : le nouage, le trempage, la teinture, le chauffage, le séchage, l’enlèvement des ficelles et le ponçage des tissus. Un processus fastidieux qui demande un temps long d’initiation pour en maîtriser chaque étape.

A force de persévérance, l’artiste affine ses compétences et parvient à les utiliser dans le cadre de son expression artistique. Avec un dessin en tête, l’artiste pince, plie, roule et presse les morceaux blancs de tissu de coton et de lin mélangé, pour obtenir les formes qu’elle veut et les fixer par couture et reliure. Elle entortille les nœuds avec stratégie, qui sont alors placés dans une cuve dans laquelle les racines écrasées de Radix Isatidisune herbe médicinale chinoise – fait office d’agent de teinture. Les parties entièrement immergées et exposées au colorant deviennent alors bleu foncé, tandis que celles étroitement cousues se révèlent dans une teinte plus claire. Combinés, ces contrastes se déploient en une série de motifs riches et uniques.

She, 2016

Les œuvres réalisées par Lin Fanglu incarnent un profond hommage aux femmes Bai, mais aussi, et plus largement, aux métiers anciens et à la place des minorités dans le monde.

En combinant l’artisanat traditionnel avec l’art contemporain, la jeune artiste attribue à son œuvre une signification profonde « plus radicale et originale » et questionne la place des femmes dans la société. En effet, dans les divers plis, les nœuds détaillés et les textures complexes résonne une douleur, les tensions et pincements exercés dans le processus sont des marques puissantes, d’une matière travaillée et violentée… dans laquelle il serait difficile de ne pas déceler des métaphores. Comme celle de la lutte des femmes Bai pour un changement vers le statu quo : « Mon œuvre symbolise leur détermination à grandir et à s’envoler », confirme l’artiste.

Elopement Rhapsody, 2017

Inspiré par l’esprit de ces femmes Bai, Lin Fanglu a également utilisé les techniques de couture par nœuds pour créer des meubles et objets d’une vie courante aux formes enchevêtrées et audacieuses, et motifs complexes. Elle parvient ainsi à connecter des métiers ancestraux à des usages quotidiens. Ce faisant, elle fait résonner des voix silencieuses et oubliées dans le monde du 21e siècle.

Née en 1989 à Dalian (Liaoning), Lin Fanglu a terminé sa maîtrise et son baccalauréat Design de produits à l’Académie Centrale des Beaux-Arts (CAFA) de Pékin en 2016. En 2011, elle a participé au programme d’échange à l’Université d’Art et de Design de Karlsruhe en Allemagne, et à l’Université des Arts de Tokyo au Japon. Ses séries d’indigo ont été sélectionnées pour plusieurs expositions, notamment au Musée d’Art de l’Académie Centrale des Beaux-Arts et au Parc des Expositions de Pékin. Son travail « Iron Drum Sofa » a été collectionné par le London Zero-Carbon Pavilion lors de l’Exposition Universelle de Shanghai en 2010. Elle a été nommée Jeune Designer de l’année et marque innovante de l’année à la China Architecture Decoration Association en 2016. Elle a récemment participé à la première Biennale des colorants naturels, au China National Silk Museum en 2019. En 2020, elle est finaliste du Prix d’artisanat Loewe Foundation.

Lin Fanglu est représentée par la galerie Art+ Shanghai, où des œuvres sont visibles.

Par Caroline Boudehen

IG: @caromaligne


Art : Ni Youyu, artiste-explorateur
Ni Youyu, artiste-explorateur

Peinture, sculpture, installation, collage, ready-made… qu’importe le media pourvu qu’il réponde au mieux aux questionnements de l’artiste. Interrogeant la relation de l’homme au temps, à l’espace et à la nature, Ni Youyu (倪有鱼) mène une quête immémoriale entre les brocantes du monde entier et son atelier shanghaien.

Diplômé en 2007 de la Shanghai Academy of Fine Arts, Ni Youyu commence sa carrière artistique avec la peinture traditionnelle chinoise et la calligraphie, dont il conservera la technique méticuleuse dans l’ensemble de son œuvre. Très vite, sa curiosité insatiable le pousse à expérimenter d’autres pratiques, s’essayer à des techniques et des médias variés, élargir son spectre afin d’élaborer sa propre vision artistique, afin d’aborder des questions « que tout le monde se pose depuis la nuit des temps », affirme-t-il.

Solar System, 2015

Son thème de prédilection ?  La place de l’homme dans l’univers. « Ce qui sera toujours contemporain, c’est la façon de répondre à la plus ancienne des questions de l’humanité…L’univers est commun à l’homme et à l’artiste. Mais en tant qu’artiste je dois apporter une opinion, une perspective différente, car faire de l’art a, et apporte, du sens », explique Ni Youyu.

L’artiste se joue de la relation au temps par l’espace : sa série « Inch of time », règles en bois constituées d’erreur de mesures, car « basées sur son ressenti de ce qu’est un centimètre ou un millimètre », considère par exemple la relation entre « temps et distance » et son rapport à la norme. Basées sur le ressenti, ces règles deviennent des sculptures autonomes.

Dust, 2015

Ni Youyu explore aussi la galaxie, à partir de photos de la NASA ou de l’artiste Thomas Ruff, il la « recopie » minutieusement sur des tableaux en bois noir, avec le matériau le plus pauvre : la poussière. Sa série « Dust », dont chaque œuvre nécessite entre 300 et 400 heures de travail, est proche d’une pratique méditative, à travers laquelle l’artiste repositionne exactement chaque étoile sur son tableau.

Mais Ni Youyu consacre également un temps incalculable à écumer l’univers… des brocantes du monde, afin d’y collecter des milliers de photographies. Des images anonymes, en noir et blanc, représentant des paysages, ou des scènes de vie aux époques oubliées, qu’il essaie ensuite de lier entre elles, afin de créer des scènes imaginaires. Mais des années peuvent s’écouler pour qu’une photo s’accorde à une autre… Un temps nécessaire pour trouver « le » lien. « Ces images proviennent du Japon, de Londres, New York, Bruxelles, Paris, Berlin…  Lorsque je trouve la connexion entre deux photos qui appartiennent à des siècles différents, des lieux si variés mais pourtant qui semblent en parfaite harmonie, c’est beau… et troublant », confie l’artiste.

The last sunset in the Museum 博物馆的余晖, 2019

La découverte de sa technique « Golden Water Washing » – désormais sa signature – est aussi le fruit d’une trouvaille, qui est depuis devenue un outil essentiel dans sa recherche esthétique sur le temps. En effaçant à l’eau certaines parties de ses ébauches en acrylique, Ni Youyu s’intéresse aux traces qui persistent sur la toile, les « fausses marques de vieillissement » qui insufflent une allure vieillie et rugueuse à ces parties du tableau, au fond et à la forme. C’est un déclic, devenu une recherche assidue d’équilibre entre ces deux parties de l’œuvre, qu’il mêle au fil de ses tableaux. La série « Deceptive Light » conçue selon cette technique, à l’allure précieuse, a été réalisée avec de simples pigments dorés – et non des feuilles d’or, comme on pourrait le supposer.

Ancient Archive Specimen – Rearrangement, 2019 古标本籍 维护中

Représentations de musées imaginaires aux œuvres fictives, les toiles troublent le rapport au temps et au réel. « Elles ne sont qu’illusion », précise Ni Youyu. Là où la lumière devrait « éclairer », elle éblouit, et déçoit… Une évocation du mythe de la caverne de Platon ?

Forêts, galaxie, espaces imaginaires, aveuglants et à tendance hostile… L’artiste situe l’homme dans sa grande solitude et sait l’ancrer dans l’époque contemporaine. Sans cesse inspiré d’idées nouvelles qui surgissent brusquement de sa vie quotidienne, Ni Youyu les emmagasine dans ses innombrables carnets de croquis, dont il ne se départit jamais. « Je voulais devenir écrivain avant » avoue-t-il. D’ailleurs c’est ainsi qu’il conçoit ses expositions : un livre dont chaque œuvre serait un chapitre.

Ni Youyu est né en 1984. Il vit et travaille à Shanghai. Il a reçu le prix « Contemporary Chinese Art Award » en tant que « Meilleur artiste émergent » en 2014. Il est représenté par la galerie Perrotin en Asie et la Galerie Obadia à Paris.

Par Caroline Boudehen

IG: @caromaligne