Le Vent de la Chine Numéro 34 (XX)

du 17 au 23 octobre 2015

Editorial : Plenum, et combat des chefs

Le 7 octobre à Zhongnanhai (siège du gouvernement), le Bureau Politique fixa les dates du Plenum du Comité Central au 26-29 octobre, et son agenda : le vote du 13ème Plan quinquennal 2016-2020 (un héritage de l’URSS). Quoiqu’encore non-publié, le Plan commence à transparaître dans ses grandes lignes. 

Suite au dévissage boursier de l’été, la priorité change : la refonte des institutions passe au second plan derrière la défense de la croissance et l’objectif d’économie à hauts salaires. Il faut éviter le « piège des classes moyennes » condamnées à l’effritement de leurs revenus par l’incapacité à monter sur la chaîne de valeur. D’ici 2020, la croissance devrait rester à 6,8% à 7% par an. Les réformes financières viendraient plus tard, telle la levée des contrôles des capitaux, la réforme de la taxation ou l’internationalisation du yuan… 

Une priorité ira à l’éradication de la pauvreté : d’ici 2020, les derniers 70 millions de pauvres devraient passer la barre des 2300¥ de revenu par an. Les chantiers d’Etat vont se poursuivre : 73 milliards de $ pour 27 lignes de métro, 1000km de rails entre Pékin, Tianjin et le Hebei, 1,9 milliards de $ dans l’internet, un plan pour attirer l’investissement étranger au Dongbei... Au-delà d’un certain plafond, ce modèle de croissance par la dette publique ne fonctionne plus – il coûte, sans rapporter. Mais Pékin espère renouer avec la profitabilité en prolongeant l’ investissement hors-frontières, dans le cadre des «  Routes de la soie ». Le CECP (Corridor Economique Chine-Pakistan) sur 2800km de routes, zones industrielles et voies ferrées, coûtera 46 milliards de $, dont 34 milliards en énergie. Ainsi, la Chine se prépare une rente à long terme (celle du remboursement, et celle du rendement), et renforce en attendant sa zone d’influence. 

À la veille du Plenum, le Président Xi Jinping semble l’homme fort. Deux ans de campagne anti-corruption ont écarté ses rivaux. Ayant placé aux postes-clés des centaines d’alliés, Xi a les coudées franches pour renforcer le Parti, le contrôle social, l’ordre moral socialiste. Il révise le « Code d’Ethique et l’Ordonnance disciplinaire » pour punir les fonctionnaires fautifs. Il place des cadres du Parti dans les ONG et le syndicat unique. Il veut interdire aux internautes de surfer sous un pseudo. Pour Xi, un seul avenir : le Rêve de Chine (中国梦 ; zhōngguó mèng), par le lien raffermi entre Parti et Peuple. 

Et c’est alors que vient la surprise : Li Keqiang, le 1er Ministre, remonte la pente, suit sa propre voie et donne de la voix, soutenu par la presse qui loue son courage et ses compétences. Or, le programme de Li est bien différent de celui de Xi : le Président veut réintroduire la morale (socialiste) dans le mode de vie des cadres, tandis que Li souhaite oublier l’idéologie, insuffler une dynamique dans l’économie, transférer les ressources des conglomérats vers le secteur privé, les migrants et le monde rural. 

Résultat : les deux hommes ne parlent pas le même langage . Le meilleur exemple en a été le plan de réforme des entreprises d’Etat, en plein grand écart entre l’influence de Li (les mesures de dérégulation) et celle de Xi (le maintien du Parti dans la direction de la firme publique). De même, Xi critiquait en juillet la Ligue de la jeunesse, base de pouvoir de Li, et l’exhortait à se montrer moins « aristocratique » et plus « proche du peuple ». Ainsi, entre Xi et Li, une fissure discrète apparaît. Les deux hommes mènent chacun leur programme, et ne se citent jamais. Mais combien de temps ce tandem pourra-t-il maintenir cette entente tacite ?


Portrait : Tu Youyou, (encore) un Nobel qui dérange
Tu Youyou, (encore) un Nobel qui dérange

Le 5 octobre à Stockholm, Mme Tu Youyou, 84 ans, partagea avec deux autres lauréats (étrangers) le prix Nobel de médecine, qui récompensait sa découverte de l’artémisine, traitement antipaludéen. 

Née en 1930 à Ningbo (Zhejiang), Tu avait étudié la pharmacopée traditionnelle chinoise (TCM) à l’université de Pékin auprès du professeur Lou Zhicen, référence mondiale de cette discipline (cf photo d’époque). 

En 1967, elle fut appelée à participer au « Plan 523 » de recherche, militaire et top secret, pour trouver un traitement contre la malaria. Ce fut un des seuls projets épargnés par Mao (avec celui des « deux bombes atomiques et un satellite ») durant la Révolution Culturelle – tous les autres ayant été enterrés, qualifiés de « bourgeois ». Mao faisait cette exception pour cause idéologique : le paludisme dévastait la Chine du Sud, mais aussi le Vietnam en guerre contre les Etats-Unis, et Mao répondait ainsi à l’appel de Hô Chi Minh. Aussi le régime mit « le paquet » : avec Tu Youyou, travaillaient 500 chercheurs de 50 instituts. 

En 1969, reprenant les rênes d’un Plan 523 en échec, Tu partit six mois pour Hainan, l’île tropicale touchée par ce fléau. Elle y vit mourir grand nombre d’enfants, faute de remède. Vu le risque, elle avait dû laisser sa fillette en pensionnat, son mari étant envoyé en rééducation à la campagne. En 1970, elle fit le tour des praticiens en Chine du Sud confrontés au virus. Ceci lui donna l’idée de faire lire par son équipe toute la littérature médicale antique. Ce faisant, ses chercheurs passaient outre la campagne de l’époque contre les « quatre vieilleries » (破四旧 po si jiu) – tout héritage culturel. De la sorte, l’équipe repéra 2000 remèdes dont quelques centaines furent testés. 

Parmi tous, l’infusion d’armoise du docteur Ge Hong retint l’attention. Ecrit au IVème siècle dans les « Prescriptions d’urgence à avoir sous le coude », l’infusion servait toujours dans les campagnes, avec un taux de guérison de 60 à 80%. À son laboratoire, sur des souris, Tu obtint un succès comparable. Mais selon les préparations, le remède s’avérait instable. Tu devina alors que le principe actif pouvait être altéré par la décoction à 100°C.
Elle essaya une ébullition à l’éther, à 35°C. Et là, le taux de guérison passa à 95%, chez la souris, puis chez les médecins qui s’étaient eux-mêmes inoculé le virus. Le remède était découvert, dûment enregistré en 1978. Tu reçut un « 2 ème prix national » de 5000¥, tandis que la propriété du brevet était partagée entre six équipes participantes. 

Mais la gloire fut éphémère : Tu et son équipe retombèrent dans l’anonymat. Durant les décennies suivantes, l’Occident adopta l’artémisine – quinine et chloroquine étant affaiblies face à des souches résistantes de malaria. En 2011 enfin, Tu recevait le prix américain Lasker-DeBakey (250.000$), tremplin vers le Nobel.

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Cette distinction braque le projecteur sur la TCM, toujours dans l’ombre face à la médecine de l’Ouest. Hors de Chine, la filière pourrait faire l’objet de plus de recherche, en médecine préventive notamment. En Chine, recevoir plus de budget : les 44.000 centres de soins TCM, 4% du parc médical, tout en dispensant 15% des soins, ne reçoivent que 2,4% des crédits.
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L’annonce du prix déclencha en Chine un concert de louanges, dont celles du 1er Ministre Li Keqiang.
Mais des critiques s’élevèrent, contestant à Tu la paternité de l’artémisine pour l’attribuer « à l’équipe ». En effet, le professeur Li Guoqiao entre autres, depuis Canton, avait en 1974 amélioré le remède en l’extrayant d’une espèce voisine d’armoise, celle « annuelle ». Un fait que Tu ne conteste nullement.
Ces critiques formulaient un rejet inavoué par l’Establishment scientifique d’une femme ex-médecin aux pieds nus et « san wu » (三无) : sans doctorat, ni formation à l’étranger, et surtout sans siège à l’Académie des Sciences. Et pour cause : régulièrement nominée à l’Académie, Tu en avait toujours été rejetée. 

A l’étranger, une autre polémique surgit – contre la tour d’ivoire scientifique chinoise qui maintient dans l’ombre une chercheuse dont la découverte sauve aujourd’hui 200.000 patients par an (50% en Afrique). Questionnement d’autant plus dérangeant que cette institution de gloire scientifique compte pour membres des gens de moindre mérite, tels magnats d’affaires ou fils d’ex-Président de la République.

Ici, se remarque l’inconfort évident du régime chinois lors de tout octroi de Prix Nobel à un(e) Chinois(e). L’écrivain Gao Xingjian (Nobel de littérature en 2000) est en exil en France. Le pamphlétaire Liu Xiaobo (Nobel de la paix en 2010) est en prison pour dissidence. Même l’écrivain Mo Yan (primé en 2012) se voit prié de se mettre en sourdine…
Le jury Nobel dérange à double titre : étant étranger, et donc incontrôlable, il souffle à l’opinion chinoise des valeurs autres que celles du gouvernement. C’est à la fois le prix inévitable de l’ouverture à l’international, et l’expression du fossé séparant la Chine du reste du monde.


Spatial : «Terre chinoise, me recevez-vous ?»

Le patron de la NASA, Ch. Bolden, voit rouge : la coopération spatiale avec la Chine est bloquée aux Etats-Unis, à cause d’un vote du Congrès !

Pourtant l’opportunité est réelle. Au 66ème Congrès international d’astronautique (12-16 octobre) à Jérusalem, Zhou Jianping, chef du programme spatial chinois, offrait à tout partenaire de s’associer à la nouvelle station orbitale de son pays, prévue pour 2022. 

Les conditions de coopération sont incroyablement ouvertes : durant les dix années de vie de cette structure habitée, tout pays ou agence spatiale internationale aura loisir d’héberger des équipes d’astronautes, des expériences installées, voire des modules autonomes, « wagons spatiaux » à ajouter à la station-mère (cf photo).
Européens et Russes se sont rués sur l’occasion, signant des accords préliminaires. L’ASE, agence européenne, a débuté la formation d’astronautes à cet effet. Mais pas les Américains, obligés de snober la proposition. 

La faute en revient à Frank Wolf, membre républicain du Congrès qui, profitant de l’esprit anti-communiste fort en cette assemblée, a su rassembler assez de voix pour faire interdire quatre ans « automatiquement reconductibles » tout travail de la NASA avec le programme spatial habité chinois. La raison alléguée est la volonté de punir la Chine pour sa répression politique des dissidents, et la crainte de soutenir son avancée technologique en partageant avec elle le savoir-faire de pointe américain. Depuis l’automne, Wolf est à la retraite—mais son verrou demeure.

En peu de temps, le programme spatial chinois a conquis ses lettres de noblesse en investissant lourdement et en rachetant de la technologie russe,
Pékin s’est approprié tous les outils nécessaires à un début de conquête de l’univers : une fusée Long March 2F, une station spatiale Tiangong 1 (sur orbite), un programme systématique d’alunissage, et bien d’autres.
Dès 2018, des voyages par de nouveaux lanceurs (5B, et Long March 7) permettront de satelliser la station-mère. Deux missions de spationautes effectueront des travaux de montage. Suite à quoi, viendront s’ajouter deux modules. Les missions habitées comporteront 3 à 6 hommes (ou femmes) pour une durée de 6 mois. Un télescope extérieur viendra compléter l’ensemble. 

Devant ce « parlement » mondial de l’astrophysique, Bolden a promis que le veto du Congrès ne serait plus là pour longtemps. Sur cette belle parole : « quiconque rêve de l’espace, ira forcément vers ceux disposés à mettre leurs astronautes sur orbite ! » 


Investissements : Pacte transpacifique – Pékin, deux pieds en dehors

Après 7 ans d’efforts, Barak Obama boucle le plus ambitieux chantier de son second mandat : le TPP, « Partenariat Transpacifique » est conclu le 5 octobre à Atlanta entre 12 pays riverains du Pacifique entre Amériques, Asie et Océanie

Le TPP impressionne de par son ampleur – 800 millions de consommateurs, 40% de l’économie mondiale, 30.000 milliards de $ de PIB par an – et par son champ d’action, incluant tous secteurs. Il coupe ou allège 18.000 positions tarifaires, notamment pour tout produit textile. Il prétend bannir protectionnisme et piratage, et impose de hautes normes environnementales, anticorruption (transparence des marchés) voire éthique (part de salaire dans la valeur générée).
Or l’accord laisse la Chine à la porte, au nom (ou sous prétexte) de ces normes trop élevées pour elle.

Certes, ses auteurs déclarent n’exclure personne, mais la méfiance envers Pékin se ressent dans la voix d’Obama : « en économie planétaire, nous ne pouvons laisser la Chine fixer seule les règles ». Elle est plus encore claire dans celle d’Ashton Carter, Secrétaire à la Défense : « pour nous, le TPP est plus qu’un porte-avions. Il va aider à préserver un ordre international conforme à nos valeurs et nos intérêts ».
Néanmoins, le contenu du TPP est encore difficile à évaluer. Pascal Lamy, ex-secrétaire général de l’OMC, prédit un résultat « modeste » : pour obtenir l’accord des partenaires, Obama a dû en fin de compte lâcher du lest. 

Il n’empêche : Obama se targue d’un accord « inclusif », bénéfique même aux PME.
Sous 15 ans, le bœuf américain verra sa taxe au Japon baisser de 38% à 9%, et l’automobile nippone entrera aux USA à des conditions imbattables. Par l’export de crevettes, poissons, et de médicaments, et par un afflux d’investissements étrangers, le Vietnam escompte 11% de PIB supplémentaire en 2025. Le quota de sucre australien vers les USA passera à 152.000 tonnes (+23%). Les pays laitiers du TPP prétendent tripler leur traite, pour couvrir les besoins asiatiques…

Trois dispositions « à problèmes » vont cependant faire couler de l’encre : 
– la clause du « règlement des contentieux entre investisseurs et Etats », où un lobby peut contourner une loi, même environnementale, s’il trouve une cour d’arbitrage internationale pour la désavouer ;– la tentative des lobbies américains (tels pharmaceutiques) pour rallonger la validité de leurs brevets—une démarche bien protectionniste ; – le « renforcement de la transparence sur les marchés biotech agricoles », euphémisme pour une tentative de forcer l’ouverture des marchés aux OGM.

Aux Etats-Unis même, les adversaires à la ratification du TPP ne manquent pas, brandissant souveraineté nationale, principes démocratiques, et parfois mus par des considération de rivalité politique.
Telle Hillary Clinton, une des auteurs du TPP, mais qui le renie à présent, une fois candidate à l’investiture démocrate aux présidentielles de 2016… Toutefois selon les observateurs, ces remous ne devraient pas empêcher le TPP de passer au Congrès : le vote doit se faire à la majorité simple et sans amendements. 

Et la Chine, face à ce show dont elle est écartée ? Curieusement, elle ne lui réserve pas si mauvais accueil —quoiqu’elle risque d’y perdre jusqu’à « 2,2% » de son PIB, dixit Ma Jun, chercheur à la Banque Centrale. L’expert Wang Yong positive : « avec ses normes de pointe, le TPP stimulera la Chine à aller plus vite dans ses réformes ». Et le ministère du Commerce soutient du bout des lèvres le pacte, « comme tout ce qui peut accélérer l’intégration régionale ». 

À cette modération magnanime, Pékin a une bonne raison : la force est de son côté.
Ses échanges avec l’ASEAN pèsent déjà 500 milliards de $, dont 90 hors taxes.
Avec 5 des 12 pays du TPP, elle a déjà signé un accord bilatéral de libre-échange.
Du 12 au 16 octobre à Séoul, elle négociait en outre avec 15 pays dont l’ASEAN un accord « RCEP », rival du TPP, qu’elle espérait conclure d’ici décembre.
Comme autres outils, elle a aussi, ses banques qui prêtent à l’Asie déjà plus que la Banque Mondiale et l’ADB (Asian Development Bank) réunies (119 milliards de $ en 2015). Elle a aussi comme autre fer au feu, sa nouvelle stratégie de redéploiement des Routes de la Soie… 

En résumé : la Chine est en avance sur les USA en traités de libre-échange, et commence à se détourner des accords bilatéraux, vers ceux multilatéraux—plus puissants et rentables.
La suite du scénario semble déjà écrite en pointillés : d’ici quelques années (pour ménager les susceptibilités) la Chine pourrait vouloir entrer au TPP.
Déjà Taro Aso, le 1er Ministre japonais, « ennemi » de Pékin, l’invite à demi-mot au TPP –et accélère d’un commun accord la réconciliation : l’entrée chinoise au pacte « contribuerait à la sécurité du Japon et à la stabilité régionale ».
Ainsi ce TPP, initialement conçu pour restaurer l’influence américaine (« pivot ») sur l’Asie, serait ré-aiguillé : plutôt que d’isoler la Chine, il l’aidera à aller vers des modes de fonctionnement favorisant les échanges, et la démocratie par le commerce.


Monde de l'entreprise : Taxe de piété filiale pour entreprise privée
Taxe de piété filiale pour entreprise privée

Cette étrange nouvelle nous vient droit de Canton : depuis trois ans, une chaîne de salons de coiffure prélève 10% du salaire des employés (célibataires) et 5% (mariés), pour l’envoyer chaque mois à leurs parents à la campagne. 

Tel qu’expliqué par un des cadres de la firme, c’est pour inciter à la piété filiale ces figaros néophytes, et garantir aux auteurs de leurs jours un minimum vital. Les candidats sont d’ailleurs prévenus d’emblée : s’ils ne sont pas d’accord avec cette mesure intrusive, ils peuvent tout simplement aller chercher du boulot ailleurs!

En ce pays à fort exode rural, le problème de la piété filiale est réel : pour des jeunes à peine sortis du village, la liberté d’un salaire, des amis et des distractions de la ville, peuvent faire oublier le sort de parents âgés sans pension.
La tendance est si aigüe qu’en 20 ans, pas moins de deux lois ont été votées : l’une de 1996, spécifiant la responsabilité économique des jeunes adultes envers leurs parents sans ressources ; l’autre de 2013, imposant à ces jeunes des visites régulières. Mais en pratique, de tels textes pavés de bonnes intentions sont impossibles à imposer. D’où l’initiative de cette entreprise, qui assène en sus à ses coiffeurs des séminaires réguliers sur leurs devoirs familiaux… 

Cette mesure RH nous en rappelle une autre, où une société de Chongqing encourageait les relations sentimentales de ses ingénieurs en remboursant leurs notes de frais (diner, fleurs…).
Dans les deux cas, la direction empiète résolument sur l’intimité des salariés, réorientant leurs choix de vie. 

Ces deux cas sont représentatifs de jeunes compagnies (comme des millions de PME chinoises), créées à une époque postrévolutionnaire. Dépourvues de tradition d’entreprise, elles ont par contre une culture familiale confucéenne et autoritaire. Avec un tel viatique, elles s’attèlent avec volontarisme aux problèmes relationnels de leur personnel à peine sorti de l’adolescence.
Et ce faisant, elles créent sous nos yeux, sans états d’âme, une culture d’entreprise très différente de celles qu’on pourrait trouver en Occident.


Petit Peuple : Hengyang (Hunan) – le piège de la belle (1ère partie)

En 2010 à Hengyang (Hunan), Wu Yuping, rayonnait d’une beauté qui ne devait rien au hasard : la concubine y mettait un soin jaloux, y passant le plus clair de son temps. Chaque jour à la piscine, elle se forçait à une heure de natation, suivie d’une de Pilates. Chaque semaine elle faisait son parcours de golf, suivi d’un massage. Elle s’offrait une séance chez le coiffeur, une de manucure, et un masque facial pour raffermir son admirable plastique. Avant les beaux jours, elle payait des fortunes pour des soins blanchissant sa peau qui la mettaient à son avantage, face aux autres filles condamnées à voir leur derme assombri par un hâle estival. 

Cette discipline féroce était nécessaire, pour rester en tête. Sur le marché local, la compétition entre belles était rude, face à un stock limité d’industriels, spéculateurs et surtout cadres du Parti – des quadra ou quinquagénaires assez riches pour s’offrir leurs services. 

Le souci s’aggravait chaque année. Yuping redoutait de subir « des ans, l’irréparable outrage ». A 32 ans, elle ne pouvait plus empêcher de fines ridules d’apparaître aux commissures des paupières et des lèvres. Et quand Zhao Anmin, son protecteur depuis 4 ans, directeur de l’office municipal des affaires aquatiques, la rejoignait, elle remarquait la lassitude dans ses yeux, la froideur dans leurs ébats.

Aussi fut-ce sans surprise qu’elle reçut ce jour de mai 2010, le factotum de Zhao pour lui signifier sans manières son renvoi. Zhao régla le loyer du coquet appartement jusqu’à fin août, et son cachet mensuel. Il étala sur la table du salon les liasses de billets roses de 100¥. « Tu as trois mois devant toi », déclara-t-il avant de décamper, lui souhaitant bonne chance. 

A peine le secrétaire sorti, Yuping explosa en cris, pleurs et rage. C’en était trop ! Voilà tout ce qui restait de 4 ans de vie de couple, de promesses creuses de divorce et de remariage, époque de grand oral permanent durant lesquelles elle avait tout donné et vécu en tremblant. Pour rien.

Yuping pensait à « la légitime » : après ses années de nuits blanches passées à grincer des dents, celle-là pouvait pavoiser à présent ! A défaut de beauté, elle avait pour elle la loi, les guanxi (pistons), le pouvoir. Au fond, ces cadres étaient tous les mêmes : tout en s’amusant avec des jeunettes, ils se gardaient de franchir la ligne rouge. Fille de général, l’épouse de Zhao n’était pas femme à se laisser impunément bafouer, contrairement à Yuping, enfant de la balle, qui se retrouvait désormais à la rue avec pour tout potage, sa jeunesse fanée. 

Mais en son chagrin, l’amante plaquée ne perdait pas la tête : elle gardait des cartes en main. Elle connaissait par cœur les idiosyncrasies de son ex. Elle savait le moment où il réclamait ses plaisirs, son type de canon féminin, d’habit, de parfum. Il y avait de quoi tirer vengeance, et Yuping n’allait pas se laisser enterrer. Certes, elle s’en doutait, elle était déjà remplacée. Mais qu’importait ? Le directeur des eaux ne reculerait pas devant une passade de plus. 

Tissant son plan, elle s’assura d’abord la collaboration de deux vieux amis, pour la logistique. Ils surent obtenir les faux papiers, le compte en banque qui allait avec. Ils descendirent sur Shenzhen, frontière de Hong Kong, acheter la caméra miniaturisée (planquée dans un bouton de veste).

Puis la bande se mit à bombarder Zhao d’e-mails aguichants, signés d’une femme fictive. L’homme, comme supputé, mit peu de temps à mordre à l’hameçon. Bientôt, le rendez-vous fut pris dans un hôtel de Changsha (cf photo). Zhao fut reçu par une séduisante permanentée auburn, tout à fait son genre. S’ensuivit une nuit folle, que le cadre rétribua d’un beau cachet, en remerciement de ses talents déployés.
Sept jours plus tard au bureau, 

Zhao eut le cauchemar de sa vie, décachetant une enveloppe qui convoyait un CD, preuve de ses immorales fredaines. Pour en détruire la source, les auteurs réclamaient 100.000¥ sur un compte bancaire sous 2 jours, sous peine de voir une copie parvenir à sa femme, une à son supérieur hiérarchique, et une autre à la Commission Municipale de la Discipline du Parti. Sa carrière en serait brisée !

Avec cette invitation à payer par virement bancaire, il faut bien dire que la bande avait frappé très fort, prenant un risque fou : si Zhao, refusant le chantage, fonçait se plaindre à la police, il ne faudrait à cette dernière que quelques heures pour les pincer… 

Mais le risque était mince : quand Li Xu, un des complices, releva le compte, par internet, il poussa un cri de victoire, repris par Yuping et les comparses : le directeur avait payé sans moufeter. Il confirmait ainsi l’axiome des escrocs, selon lequel Zhao ne pourrait pas dénoncer l’arnaque sans se trahir. Et dès lors, les bandits n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin : tous les patrons qu’ils englueraient à leur « piège de la belle » (美人计měirén jì), préféreraient payer sans broncher, et oublier au plus vite la malheureuse affaire… Wu Yuping avait fait plus que se venger : elle venait d’inventer l’escroquerie parfaite, ou presque !

Notre bande d’escrocs va-t-elle s’arrêter là ? Vous le saurez sans faute au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 19 au 25 octobre 2015
Semaine du 19 au 25 octobre 2015

15 octobre- 4 novembre : Canton, Foire de Canton

19-20 octobre, Tianjin : China Mining Congress Expo, Salon et Congrès chinois de l’industrie minière

19-21 octobre, Shanghai : ICE Asia, Salon de l’industrie du papier

20-22 octobre, Shanghai : Première Vision, China, Salon du textile européen

20-23 octobre : Visite d’Etat du Président Xi Jinping au Royaume—Uni

Bioenergy Conference21-23 octobre, Shanghai : IBSCE, Salon et conférence sur la bioénergie

21-23 octobre, Shanghai : MTM, Salon consacré aux technologies des tubes et tuyaux

21-23 octobre, Suzhou, Fastener Trade Show, Salon international de la fixation