Le Vent de la Chine Numéro 28
Cet été, la Chine a vu se poursuivre une bataille intense entre le Président Xi Jinping, et les bastions conservateurs arc-boutés sur leurs privilèges – voire leur simple survie.
Le chef de l’Etat et du Parti semble jouer le tout pour le tout, tel ce 26 juin, où au Politburo, il se disait prêt à « aller jusqu’au bout dans sa lutte contre la corruption, au mépris de sa vie ou de sa réputation ».
Vingt mois de chasse aux corrompus ont fait tomber 34 « tigres » (ministres /gouverneurs) et 2000 « mouches » (cadres). Le problème est que, durant cette phase, Xi n’a rien réalisé du grand plan qu’il avait annoncé avec son 1er Ministre Li Keqiang, de recomposer les rapports entre le Parti, l’économie et la société.
Tout ce qu’il a fait, a été de frapper dans toutes les sphères sociales au sein du Parti et en dehors, des religieux aux journalistes, avocats, chefs d’entreprises ou célébrités. Dès lors, Xi risque de s’aliéner un à un ses alliés potentiels : il doit présenter des résultats au 4ème Plénum du Comité Central d’octobre. Heureusement pour lui, il se savait porté par l’opinion, appréciant sa détermination à briser les nantis.
Le 29 juillet, il fit inculper Zhou Yongkang, 71 ans, (depuis 12 mois aux arrêts, mais encore protégé par ses alliés) pour « corruption multiple ». Zhou, comme son acolyte Bo Xilai, était un pilier maoïste hostile à poursuivre la réforme de Deng. Les deux hommes avaient trempé dans une tentative de coup d’Etat.
Puis lors du traditionnel conclave balnéaire à Beidaihe (06-12/08, Hebei), face la soixantaine de décideurs tétanisés par des enquêtes anticorruption, Xi obtint sans peine le feu vert pour une série de décisions capitales.
Le 22 août, 110ème anniversaire de la naissance de Deng Xiaoping, il annonça une série de réformes de rupture, qu’il justifiait ainsi : « faute d’audace, nous risquons de courir à notre perte, pour le Parti et la nation ».
Xi s’applique à fragiliser les conservateurs : Jiang Zemin (son pénultième prédécesseur), et les deux lieutenants placés par lui dans l’actuel Comité permanent, Liu Yunshan, gardien de l’idéologie et Zhang Dejiang, Président du Parlement. De la sorte, Xi n’aurait plus à attendre 2017, sa 2nde législature, pour entamer ses grandes réformes.
Xi déteste le ton compassé des média, leur censure. Le 18 août, il déclare vouloir les rendre « influents et crédibles », en les fusionnant aux réseaux sociaux. Du coup, Xinhua et Le Quotidien du Peuple se permettent de stupéfiantes audaces, des gags politiques, les photos d’un camp mongol secret pour conservateurs corrompus…
Xi fait arrêter des leaders à la CCTV, et 18 hauts cadres à l’Education nationale, autre secteur dont Liu est patron : camouflet !
Zhang lui, se voit reprocher son obstruction à l’inculpation de Zhou, à la fermeture des camps de rééducation, sa main lourde sur la gestion de Hong Kong…Sous tant d’attaques, ces deux hommes sont fragilisés.
Le 21 août, Xi s’attaque aux consortia publics dont les CEO devraient perdre jusqu’à 70% de leurs salaires, et leurs budgets, souvent dépensés en frais de prestige. Là aussi, on devine un double objectif stratégique (affaiblir ces Etats dans l’Etat), et tactique : récupérer des fonds, pour la politique sociale d’avenir.
Selon une source anonyme sur internet, le « projet central n°1 » fait bâtir un mausolée-musée à Shaoshan (Hunan – cf photo), pour déménager de la Place Tian An Men, la dépouille de Mao Zedong en 2016. Tardivement, précise la source, Pékin veut honorer cette dernière volonté du « Timonier » de reposer au sol natal.
Dans l’APL, l’ancien Etat-major installé par Jiang Zemin est sous enquête, tels les généraux Xu Caihou (30/06) et Guo Boxiong (12/08). En 20 mois, Xi a déjà nommé 11 généraux « à lui », sur les 34 que compte l’armée. Liu Yuan, fils de Liu Shaoqi et son homme lige, s’apprête à passer n°2 à la Commission Militaire Centrale.
Ainsi, Xi Jinping tisse une toile dont pourrait émerger au 4ème Plenum un tournant historique : en cette période fiévreuse et passionnante, la Chine change de visage !
Un critère peu usuel mais efficace pour mesurer le développement d’une nation, est le degré de sophistication de ses assurances. Or ce mois-ci, la Chine présente trois nouvelles assurances, suggérant ainsi son désir d’élargir son parapluie contre les imprévus.
Depuis 2008 et le scandale du lait maternisé teinté à la mélamine, la confiance des Chinois en la qualité de leurs aliments reste basse.
Aussi la chaîne de distribution Suning Redbaby a imaginé ce joli coup pour combattre ce préjugé, tout en augmentant sa part du marché : en cas de rappel du produit, l’assureur Ping An (n°2 national) paiera jusqu’à 2000 ¥ la boite d’1,8 kg de lait en poudre, acheté sur son site ou en boutique. L’assurance est gratuite pour les 40.000 premières boites.
Ceci est rendu possible par la remontée de la sécurité des produits. Réorganisés, les services d’hygiène font d’immenses efforts pour remonter la pente.
En cours de gestation, cette autre assurance est conçue pour maintenir hors du besoin les « shīdú » (失独), personnes âgées « orphelines » de leur enfant unique.
Du fait du système contraignant de limitation des naissances, la majorité des familles n’ont qu’un enfant. Mais 76.000 jeunes décèdent par an, laissant père et mère proches de la misère. Il existe bien une prime nationale (340¥ par parent en ville, la moitié au village) payable à 49 ans révolus, mais des centaines de milliers se la voient refuser, étant migrants. Le 14/08, la Cour intermédiaire de Pékin a rejeté la plainte de 3400 « shidu » contre le défaut de paiement de la mairie…
L’assurance projetée serait subventionnée par le gouvernement et couvrirait les frais médicaux, d’invalidité, d’enterrement et une maigre pension…
Mais ni la date, ni le montant ne sont publiés pour l’heure—et les juristes ne taisent pas leurs doutes sur la capacité des gouvernements locaux surendettés, à supporter une telle charge.
Catastrophes naturelles, crues ou canicule causent en Chine des dégâts annuels au coût cataclysmique—le séisme du Sichuan en 2008, causa 845 milliards de ¥ de pertes.
Mais en matière d’indemnisation, la différence est que les assurances chinoises n’en couvrirent que 5%, contre 30% en Occident.
Aussi depuis, l’Etat cherche un mode de répartition des risques, que les seules assurances ne peuvent supporter.
Le système qu’annonce Wang Zuji, n°2 à la CIRC (la Commission Nationale de tutelle des Assurances), impliquerait assureurs, réassureurs, région, Etat, et les particuliers. D’ici 2020, Wang espère arriver à un contrat permettant un remboursement de 3500 ¥ par victime.
Mais qu’on se garde d’espoir excessif : pour être accepté par les assurances, le système doit avant tout être rentable—et il y a encore loin de la coupe aux lèvres !
De longue date, Tibet et Xinjiang sont des zones turbulentes, prônes aux troubles. L’été qui s’achève n’a pas failli à cette réputation : ces « territoires autonomes » aux fortes communautés ouighoure et lamaïste, ont eu chacun leur dose d’incidents.
Attentats à répétitions au Xinjiang
– Au Xinjiang, l’Etat dénombrait en 1 an plus de 200 morts dans des attentats. Or le 28 juillet près de Yarkand (Sud), ce bilan empira en quelques heures : pour des raisons inconnues (des entraves au Ramadan qui s’achevait le lendemain), des centaines d’émeutiers égorgèrent aux carrefours 37 civils (sans doute des Han), avant d’être exécutés par la police (59) ou arrêtés (215).
Attribuée par la Chine à l’ETIM, groupuscule séparatiste, c’est l’attaque terroriste la plus violente en ce pays depuis 2009. Pékin désigne le cerveau de l’attaque : Nuramat Sawut, en fuite.
Le 30 juillet, trois jeunes fanatiques assassinèrent Jume Tahir (cf photo), 74 ans, imam de Id Kah, la plus grande mosquée de Chine à Kashgar, seconde ville du Xinjiang.
Contraint à avouer à la TV, un des attaquants, 19 ans, expliqua que Tahir, ancien député à l’ANP et vice-Président de l’Association Islamique était devenu « impie », en collaborant avec la Chine. C’est pour Pékin un revers à sa politique de fidélisation du clergé, qui se voit rejeté d’une partie de ses ouailles.
Dernière attaque en date, le 1er août à Hotan, 9 desperados étaient tués par la police, un était pris.
Dans ces attentats, la Chine rend coup pour coup. Des dizaines de djihadistes arrêtés ont été condamnés à mort ou à de lourdes peines, d’autres exécutés (treize le 18 août, huit le 24 août).
Le régime a pu saisir et diffuser comme pièces incriminantes des vidéos tournées par des commandos, ainsi que les confessions de plusieurs de ces combattants tel M. Memetrozi, co-fondateur de l’ETIM et livré en 2003 par le Pakistan. Il est condamné à perpétuité.
Face à cette recrudescence d’actes violents, le Président Xi Jinping a préconisé la fermeté.
D’ailleurs, 15 cadres ouighours viennent d’être punis pour fautes graves (19/08) : des membres du Parti et même des policiers ont été accusés d’avoir couvert des terroristes et diffusé des fausses informations, voire rediffusé des documents intégristes ou de technique terroriste venus de l’étranger par internet…
Zhang Chunxian, le Secrétaire du Parti, emploie tous les moyens pour endiguer les attaques, les débordements religieux.
Parmi les moyens non répressifs envisagés figure… un dessin animé de TV en préparation pour diffusion nationale : 104 épisodes racontant la légende de Fragant, princesse ouïgoure du XVIII. siècle qui fut la concubine de l’empereur Qianlong.
Une autre gamme de moyens est économique : le « jumelage » de 13 villes du Xinjiang avec autant de sœurs plus riches de l’Est du pays.
Enfin, un TGV à 23 milliards de $ de 1770 km doit fonctionner d’ici décembre et mettre Urumqi à 12h de Pékin.
Un Tibet en convalescence ?
– Au Tibet, face aux débordements au Xinjiang, les troubles constatés été ont été de moindre ampleur, mais néanmoins bien visibles : 40 arrestations le 25 juillet, 10 blessés voire 5 morts vers le 10 août à Ganzi, suite à des différends ayant dégénéré avec les forces de l’ordre.
Par rapport au passé récent, le plateau semble toutefois en convalescence, avec notamment la quasi-fin des auto-immolations par le feu (129 depuis 2009, une seule en mars cette année).
Ici aussi, la Chine choisit le chemin de fer pour intégrer et développer la région : pour 2 milliards de $, la prolongation de la ligne Pékin-Lhassa vers Shigatze est ouverte, avalant la distance en 2h au lieu de 5h.
Enfin, pour ces deux territoires reculés, on peut s’interroger si cette constante action de fermeté et d’investissement économique, associée à une forte migration d’arrivants Han, est bien la stratégie gagnante.
Depuis des années, la Chine entière, au sein et en dehors du Parti communiste chinois, s’interroge sur la question fondamentale : « faut-il garder profil bas, voie de la sécurité, ou s’affirmer face au monde, voie du risque » ?
La 1ère option, dite « couvrir la lanterne et préférer l’ombre » (韬光养晦, tāo guāng yǎng huì ) était celle de Deng Xiaoping. La seconde, « viser réussite et grandes réalisations » (奋发有为, fènfā yǒuwéi ) est celle de Xi Jinping, qui a délibérément éludé la première citation dans son dernier discours du 22 août (cf. édito).
Cette question en fait, importe à tous les secteurs d’activité publique –défense, diplomatie, industrie, arts…
Trois constats
Tout en se déchirant entre ces deux pôles, la société chinoise entière semble d’accord sur trois constats :
– le monde d’hier n’est plus (flux monétaires, nouvel ordre mondial…) et tout est à revoir,
– la Chine ne peut plus rester à l’écart du jeu géopolitique,
– elle a besoin d’une attitude cohérente et unique, sur le plan économique face à l’Union Européenne ou aux Etats-Unis, en négociations climatiques face à l’ONU, ou en affaires militaires face au Vietnam ou au Japon en mer de Chine.
Quelle ligne de conduite dans la campagne anti-corruption ?
Dans sa campagne anti-corruption, ce débat laisse aussi trace, ainsi que la réponse prônée par le chef de l’Etat : l’action de Xi Jinping est autrement plus assertive que celle de ses prédécesseurs, avec 182.000 enquêtes en 2013 (contre seulement 10 à 20.000 en 2012), et 25.000 sanctionnés dans les 6 premiers mois de 2014 pour le seul délit de « train de vie extravagant ».
Wang Qishan, le grand chantre de cette campagne, a fait preuve d’une créativité débridée, visant à occuper ce terrain vierge de la répression des fraudes : en plus d’un an, des milliers d’inspecteurs furent envoyés à travers les provinces.
Méthodes nouvelles : à Shanghai, à Canton, des boites aux lettres furent installées dans des campus tel celui de Fudan, récoltant 2000 dénonciations le premier mois. Dans le Guizhou, des cadres furent invités à la prison de Kaili pour rencontrer leurs malheureux ex-collègues, histoire de les faire réfléchir.
Des centaines de pratiques sont révisées, telle celle des « brevets bidons » déposés par des commissaires de police, qui permettaient à leurs auteurs de couvrir leur propre corruption. Wang Lijun, l’ex-homme de Bo Xilai, en avait déposé 254.
De même, les compagnies que ces cadres avaient montées (tel les 40 du commissaire de Tianjin dans le stationnement, la maintenance des routes) sont dissoutes, et leurs titulaires arrêtés. Dans les tribunaux, les procureurs surveillent désormais les remises en liberté, pour empêcher les riches détenus de racheter l’annulation de leur billet d’écrou.
A l’inverse, pour survivre à ce maelström moraliste qui menace leurs affaires, les hôtels se dépêchent d’effacer une étoile ou 2 à leurs frontons, et les transporteurs aériens rebaptisent « business » leur 1ère classe , afin de conserver quelques clients.
Dans cette tempête, le système devient instable : Wang exige que tout résultat d’enquête locale, soit notifié à Pékin pour vérification.
De même, dit-il, « cette campagne ne peut-être qu’un début, appelé à durer jusqu’à ce que l’on trouve un système définitif de police et de justice permettant d’appliquer la loi ».
Ce qui en bon français, s’appelle une justice, voire une presse indépendante. C’est peut-être le résultat attendu, voire inéluctable, si Xi Jinping reste fidèle à sa logique et croit en sa démarche !
Après le vote de la loi antitrust en 2008, les trois entités de tutelle entament aujourd’hui sa mise en œuvre, ce qui provoque un véritable séisme du côté des entreprises.
Depuis 2013, les
Puis les choses s’emballèrent. En janvier 2014, les enquêtes de la NDRC démarrent dans 9 secteurs, visant 1000 entreprises. En août, les premiers résultats sont publiés : une frappe contre 30 groupes étrangers. 100 inspecteurs fouillent les bureaux de Microsoft dans 4 villes, puis ceux de Daimler (Mercedes-Benz) et de ses distributeurs dans 5 autres. La marque est accusée de facturer ses pièces détachées en moyenne 12 fois le prix de celles installées sur un véhicule neuf – une amende salée est à attendre. De nombreux autres constructeurs étrangers sont épinglés : VW, BMW, Audi…
Rétrospectivement, les infractions dénoncées sont de 4 types :
– La
corruption, tel chez GSK (pharmacie) ou Dumex (lait maternisé) qui payaient les médecins pour l’exclusivité de leur prescription.
– L’
entente, chez ces 12 équipementiers nippons taxés de 1,24 milliards de ¥ pour avoir organisé des quotas de pièces par province, assortis de prix imposés. C’est aussi le cas de quatre distributeurs de BMW, taxés de 1,63 millions de ¥ pour « prix fallacieux » et « fixés ».
- L’intégration verticale, punie déjà depuis 10 ans en Europe et aux Etats-Unis : des groupes très puissants sur leur marché tels Microsoft (95% en Chine) ou
Qualcomm (32%), imposent leurs prix et conditions. Microsoft aurait caché à l’Etat le montant réel de ses ventes de licences et imposé aux clients en marge du Windows, son logiciel Media Player. Qualcomm lui, aurait bien sûr gonflé ses prix. Sans lui en effet, et sans son unique concurrent le taiwanais Mediatek, il n’y aurait pas de 3G dans les smartphones et tablettes. Pour cet abus de position dominante, l’amende pourrait atteindre 1,3 milliard de $ soit 10% de son revenu local en 2013.
– Pas encore sanctionnée, mais dans le collimateur des média, une dernière pratique ne manque pas d’étonner les experts : celle de firmes telles Starbucks (café) ou Land Rover (4×4) qui parviennent à imposer en Chine un
prix très supérieur par rapport au reste du monde, malgré la présence d’une concurrence à prix raisonnable. Le client chinois choisit sciemment la marque !
Certaines actions de la NDRC sont litigieuses, telle sa tentative d’imposer à trois équipementiers de Stuttgart, d’entrer en JV et donc de remettre leur technologie et 50% des profits à un concurrent chinois. Toutefois, la démarche est peut-être vouée à l’échec : d’autres accessoiristes plus importants, tels Bosch n’ont pas fait l’objet d’une telle démarche, qui peut effectivement être interprétée comme une spoliation, et causera, si la NDRC insiste, la montée au créneau de gouvernements, voire de l’OMC.
Face à cette offensive des administrations chinoises, les producteurs étrangers font le dos rond—et pour cause : désormais une grande part de leurs profits se font sur ce marché, un des rares encore en progression.
Tous les groupes automobiles ont annoncé des baisses immédiates des pièces (de 12 à 38%), Qualcomm réclame un règlement à l’amiable, et le CEO de Microsoft, Satya Nadella, se rendra fin septembre à Pékin pour tenter de régler l’affaire. A ce stade, la Chambre de Commerce Européenne via son Président Jörg Wuttke, est la seule à se plaindre haut et fort, moins sur le fond que sur la forme d’ailleurs.
A la NDRC, de gros efforts sont faits pour présenter la démarche comme équitable, pour créer un système réglementaire protégeant le consommateur. Elle invoque aussi le manque de personnel pour faire appliquer la loi, et sa relative inexpérience après seulement 6 ans de fonctionnement.
L’apparent favoritisme en faveur des firmes locales peut s’expliquer par la toute puissance de certaines d’entre elles : les appuis politiques de consortia publics sont souvent supérieurs à ceux des administrations de tutelle. C’est le cas des lobbies du tabac ou du pétrole…
Fait insolite, les entreprises suisses semblent moins frappées par la machine antitrust : soit parce que ses groupes se sont prémunis à temps par une protection juridique adéquate et une pratique de prix inattaquable, soit par le biais de son accord de libre échange signé l’an passé.
Finalement, cette mise en place de la machine antitrust est-elle essentiellement protectionniste, ou bien un outil dans l’arsenal devant mener la Chine vers l’Etat de droit ? On y verra plus clair, sans doute, dans une dizaine d’années. Mais entre ces deux options, instinctivement, on miserait plutôt sur la seconde.
Dans les années ’80 à Yacheng (île de Hainan), titulaire d’une formation médicale primaire, Chen Qingzu rêvait d’une carrière de » médecin aux pieds nus », dans la tradition de ces praticiens de la Révolution Culturelle, qui soignaient le peuple avec plus de volontarisme et d’emprunts au Petit Livre Rouge qu’à la science d’Esculape…
Hélas pour lui (sinon pour ses patients), c’était l’époque du grand tournant, où cette médecine aléatoire disparaissait, inexorablement bannie des salles de consultation du pays. Faute d’avoir eu droit à une scolarité normale, à un diplôme universitaire, Chen devait se contenter d’une carrière paramédicale comme employé subalterne, tout en voyant devant lui parader les chirurgiens et médecins. Humilié, le rêve de sa vie éclaté en fumée, il ne s’en était jamais remis et gardait en son cœur une amertume secrète.
Dans son hôpital toutefois, 15 ans plus tard, il eut l’occasion de faire, par hasard, la découverte qui devait inverser le cours de son destin. Médicalement parlant, c’était une tendance insidieuse et inquiétante. Chaque semaine, toujours plus nombreuses, de très jeunes femmes débarquaient angoissées, attendaient des heures entre cabinet de consultation et salle de radiologie, avant de repartir en pleurs. Peu de jours après, en urgence, elles se présentaient devant la salle d’opération des cancers du sein. Or dans ces couloirs, Chen, qui n’avait pas les yeux dans sa poche et qui bavardait volontiers avec ces femmes en détresse, devait vite constater le point commun entre elles : toutes, depuis l’adolescence, portaient des brassières serrées à l’extrême et tirant vers le haut, à seule fin de mettre en valeur leurs appâts naturels et d’attirer le regard du mâle.
Un jour n’y tenant plus, auprès d’une patiente qui venait d’échapper de justesse à la mastectomie, il entonna un plaidoyer vibrant. Il l’adjura, tant qu’il était temps, de changer de haut, pour un soutien-gorge plus aéré, plus respectueux de son anatomie. A la surprise de Chen, suite à son homélie, la fille convertie, quitta la pièce sur le champ pour les toilettes, dont elle ressortit brassière à la main, qu’elle lui offrit en témoignage de son éternelle gratitude.
Chen avait découvert sa nouvelle mission dans la vie : il se mit à hanter les lycées, les universités, à y faire des conférences. Il déclina les statistiques d’ablation du sein et de mortalité associée. Sur écran, il décrivit les ravages du « Wonderbra » à coussinets artificiels, des baleines métalliques, ces « amies de vos poitrines, qui leur veulent du mal ». A chaque fin de séance, il n’omettait point de suggérer aux demoiselles, aux mamans venues les chaperonner, de lui remettre ces sous-vêtements dont il venait les libérer. Avec sa campagne atypique, Chen venait à point nommé et répondait à un besoin profond : le succès fut phénoménal, et depuis, jamais démenti. Les médecins applaudirent à tout rompre et les étudiantes, subjuguées, le laissèrent repartir avec des valises pleines de leurs brassières. En cercles concentriques, toutes les provinces firent appel à lui, le priant de venir à leur tour les éclairer.
En 20 ans, il a récolté 5000 de ces hauts de toutes matières (coton, synthétique ou soie), couleurs (blanche, saumon, rouge pivoine ou chair), formes (bandeau, plongeant ou triangle), taille des bonnets (de « A » à « F »), avec ou sans froufrous, dentelles, passementerie ou bretelles – tous gardant en commun leur avarice de volume, promesse d’un serrage optimal des seins opprimés. Ces trophées, depuis novembre 2013, Chen les expose dans son salon, musée unique au monde. Vu la taille modeste de la pièce (10m2), ces bonnets recouvrent tous les murs, sagement classés côte à côte et reproduisant par ondulation le doux moutonnement de « la mer qu’on voit danser, le long des golfes clairs ».
Dans son dos bien sûr, les sceptiques abondent, en son quartier et sur internet, accusant Chen de pensées malsaines et perversion soutiffiste. On n’est d’ailleurs pas tout à fait sûr de pouvoir l’absoudre de telles accusations, tant il entretient le flou, comme à plaisir – n’hésitait-il pas à s’exhiber en ville, torse nu en soutien-gorge pour se donner en spectacle « 出乖 露丑 » (chūguāi louchoulòuchǒu) ?
Aujourd’hui même, loin de se satisfaire de son actuel trésor de guerre, il prétend doubler la mise à 10.000 pièces. Or 10.000, c’est le chiffre impérial en culture chinoise, celui des Dieux et de l’éternité, qui suggère un fantasme chez notre homme : celui de passer à la postérité comme empereur des célestes mamelles. Toujours est-il que par ce biais, notre travailleur de la santé a réussi à éveiller la classe féminine à sa santé mammaire, et sans doute sauver des centaines de jeunes femmes à un sort cruel parfaitement évitable. Dernièrement, Chen défend même la thèse des gynécos européens qui préconisent (sauf pour les femmes les plus fournies) l’abandon pur et simple du soutien-gorge, estimant que ce dernier a en fait pour effet négatif de priver la poitrine de toute musculation.
Fière de son héros, la mairie de Yacheng veut lui offrir un vrai musée, tant pour renforcer l’effet de sa croisade que pour se profiler elle-même au niveau national. Beau résultat, pour un homme qui, au départ avait seulement voulu s’arracher à un destin de carabin raté. Il faut noter, au passage, le lieu où se déroule notre aventure :
Hainan, refuge notoire de forbans et d’insoumis. Cette île tropicale conforte ainsi sa réputation de non conformisme et de mépris du qu’en-dira-t-on. Enfin, la croisade de Chen est aussi bien représentative de son époque : d’une Chine tout juste sortie d’une Révolution, qui vient de s’éveiller et reste à l’affût de toute opportunité de changer la vie, le train-train, la routine : « cours camarade, la Révolution est devant toi, et la poitrine libre ! ».2-5 septembre, Shenzhen : CIOE, Salon international de l’optoélectronique
3-5 septembre, Pékin : CIOF, Salon international de l’Optique
3-5 septembre, Shanghai : Lighting Fair, Salon des produits et technologies d’éclairages électriques
3-5 septembre, Shanghai : Moda Shanghai
3-5 septembre, Shanghai : OI – Oceanology international China, Salon de l’offshore et des industries maritimes
3-5 septembre, Shanghai : SIBT, Salon des technologies de construction intelligente
8 septembre : Fête de la mi-automne (cf photo)
8-11 septembre, Xiamen : CIFIT, Foire internationale de Xiamen
10-12 septembre, Shanghai : CITEXPO, Salon international du pneu