Le Vent de la Chine Numéro 1

du 5 au 11 janvier 2014

Editorial : Les vœux de Xi Jinping et l’héritage de son maître à penser

Xi Jinping Voeux 2014Deux faits forts marquèrent le tournant de l’année en Chine : la visite du 1er nippon Shinzo Abe au temple controversé de Yasukuni, et la nomination du Président Xi Jinping à la tête de la « Commission pour les réformes » (30/12), une des deux instances suprêmes créées par le 3ème Plenum du Parti.

 - Cette promotion par le Bureau Politique était attendue. Elle confirme l’avancée de Xi Jinping vers un pouvoir qui enterre 20 ans de binôme entre Président et 1er ministre. Désormais, les deux commissions (celle de sécurité et politique étrangère & celle de réformes) sont aux mains de Xi.
Li Keqiang, initiateur de la réforme depuis 2007, semble confiné à la gestion des affaires courantes. 

Pour autant, il n’est pas avéré que les deux hommes soient en conflit, ni que le train du changement doive pâtir de cette évolution. En effet, Li comme patron de la réforme, aurait risqué de ne pas résister aux formidables lobbies, princes rouges et intérêts cachés (pétrole, banque, fiefs régionaux…). Tandis que Xi a démontré une capacité à briser les pouvoirs rivaux. 

En charge de la conception et de la réalisation des réformes, il va devoir en 2014 prendre des mesures d’une audace inégalée en des décennies : briser l’explosion de la dette publique (+ 67% depuis 2008), remodeler les consortia publics pour les rendre plus réactifs aux signaux du marché, freiner la croissance, augmenter la productivité (améliorer l’environnement), équiper les villes… 

Xi Jinping BaoziXi vient aussi d’émettre un subtil message en déjeunant à Pékin (28/12 – cf photo) dans un restaurant populaire de raviolis, pour 21¥ payés de sa poche. C’était pratiquer son propre appel à la simplicité frugale

L’acte fait écho au message de Nan Huaijin, qui fut son mentor jusqu’à sa mort (septembre 2012). Ce grand-maître en bouddhisme Chan, en confucianisme et en taoïsme, était l’apôtre d’un style de gouvernance à l’écoute des aspirations du petit peuple. Xi, qui passe pour demeurer fort influencé par sa doctrine, salue ainsi son maître. 

Présentant ses vœux à la nation pour 2014, Xi adopta un style nouveau, d’un patriote aux fortes valeurs familiales, avec quelques photos de ses proches dans son bureau et ses trois téléphones d’alerte.

Hu Jintao Voeux 2013Changement de style 

Xi Jinping (ci-dessus) lors de son allocution du 31 décembre 2013, dans son bureau, affichant un style moins compassé que ses prédécesseurs.

En témoignent les vœux l’an dernier, de l’ancien Président Hu Jintao pour l’année 2013 (ci-contre).

– L’autre événement est choquant. Après son prédécesseur Koizumi en 2006, Abe ose retourner à Yasukuni, temple où reposent 14 criminels de guerre, et dont les prélats nient les massacres perpétrés par les troupes du Mikado dans les années ’30 hors frontières. La visite fut condamnée par les USA, l’UE et la plupart des pays d’Asie. 

L’acte est blessant et inutile dans une perspective de bon voisinage. Mais pour Abe, farouche nationaliste, il y a urgence. Le Japon est désormais fort remonté contre les visées agressives chinoises sur ses îlots Senkaku, revendiqués par Pékin sous le nom de Diaoyu.
Xi Jinping a d’abord répondu avec retenue, comme pour se donner le temps d’évaluer les risques. Il suggéra (30/12) qu’aucune rencontre n’aurait lieu avec Abe durant son mandat. Une réponse molle, preuve peut-être qu’il peut se le permettre, qu’il contrôle ses troupes, et son opinion dûment muselée. 

A la base, néanmoins, on a cette expansion musclée de l’APL depuis 18 mois en mer de Chine, la confiscation aux Philippines de Scarborough Shoal (2012), les incursions incessantes, l’annonce de la « zone d’identification-défense » sur les eaux contestées. 

Pourquoi cette accélération nationaliste

Une clé de lecture jusqu’à présent sous-estimée, est celle des ressources en matières premières cachées en mer de Chine, les milliards de m3 de gaz, de barils de pétrole, de kg de nodules polymétalliques (manganèse) désormais identifiés. La Chine a des besoins incompressibles en ressources pour sa croissance, et les moyens (militaires et diplomatiques) de se les approprier. 

Il semblerait que c’est la voix de Nan Huaijin, très écouté de son vivant par la classe politique et grand prêtre de la morale chinoise, aussi le défenseur du « soft power », qui retenait jusqu’en 2012 les faucons et leur impatience à conquérir un « espace vital » hors frontières. De fait, les deux dates coïncident, celle de son décès et celle de la lancée maritime chinoise. 

Précisons pour conclure, que la Chine est loin d’être seule en ce cas. Aujourd’hui, la dernière course planétaire aux matières premières est lancée – avec tous les risques de dérapage qu’elle implique.


Aviation : COMAC : l’aéronautique chinoise parée au décollage

C’est un projet national immense : 9,6 milliards de $ de budget (voire 15 milliards de $, selon Aviation Week), 8000 employés dont 3000 ingénieurs. Les meilleurs experts nationaux et équipementiers mondiaux sont associés : entre Shanghai et Xi’an et autres sites d’ AVIC, la COMAC prépare les deux premiers gros porteurs du pays. 

L’ARJ-21 (cf photo), qui sort cette année après 12 ans d’efforts, est un moyen courrier (2225km) de 78 à 90 places, équipé de deux réacteurs turbofan (US).

Cousin de l’A320 (158-174 places), le C919, devrait voler en 2015 et sortir en 2017. Petit clin d’œil : le « C » de COMAC (ex: C919) suggère China, et surtout la relève des « A » de Airbus et des « B » de Boeing, et son code « 9xx » annonce une série : les C929 et C939, projets d’avenir, visent les 300 et 400 places. 

La COMAC, une affaire d’Etat

Dès le début en mai 2008, COMAC était une affaire d’Etat : la Chine ne voulait pas laisser à l’Europe et à l’Amérique le monopole de l’aéronautique civile, surtout avec le second marché intérieur mondial et plus de 2000 commandes d’ici 2019. Pour créer sa propre filière, le pays pouvait compter sur une base technologique solide, fruit de 50 ans de production d’appareils militaires, d’une R&D complétée par des importations massives d’équipements et de rétro-ingénierie systématique. 

Aussi les moyens furent donnés : parrainage des Académies des Sciences et de l’Engineering, supervision directe d’un vice-1er ministre, priorité budgétaire et de licences administratives. « Dès le départ, se rappelle un industriel expatrié, les trois principaux patrons de COMAC, dont l’actuel Président Jin Zhuanglong, étaient ceux du programme spatial ».

L’ARJ-21

– Pour l’ARJ-21, la certification CAAC (locale) est espérée fin 2014, après 2200 vols (4200 heures), et les 2/3 des tests réalisés sur quatre prototypes. D’ici 2020, COMAC veut monter 50 ARJ-21 par an, et engranger des centaines de commandes en plus des 300 actuelles. A vrai dire, l’ARJ-21 est le premier « bébé », qui essuie les plâtres d’une équipe très jeune et devant apprendre tout à la fois. 

Sur l’agenda du programme, le projet lancé dès 2002 a connu des retards importants, et des problèmes sur le train d’atterrissage, la nacelle moteur et les calculs de commande en vol qu’AVIC, l’entreprise responsable au départ, avait cru pouvoir réaliser seule. Un mal nécessaire est la sévérité extrême des superviseurs et politiciens au niveau des normes et de la certification : il faut tout « boulonner » pour se donner le temps d’apprendre, maitriser le sujet et éviter toute catastrophe qui ruinerait l’image d’une industrie naissante. Ce qui explique en grande part les cinq années de retard de sortie de l’appareil et les questions sur ses performances commerciales et techniques.

Le C919

C919 Simulateur Fuselage'– Pour le C919, le rythme s’accélère. Deux prototypes de pièces viennent de sortir fin décembre, débutant des centaines de tests sur le simulateur de fuselage, également juste livré (cf photo à gauche). D’ici 2017, date de sortie théorique, bien d’autres tests auront eu lieu, sur 6 appareils, faisant évoluer le concept. Pour le moteur (un « LEAP 1C » de CFM, filiale de Safran Snecma), le premier test sur banc d’essai a eu lieu en septembre. 2013. Le test en vol sera pour mai 2015, sur un Boeing 747 modifié pour l’occasion – le pylône d’arrimage du réacteur à l’aile vient d’être livré par Comac.

C919

Symptôme des conditions ayant présidé sur sa naissance, le C919 offre un curieux mélange d’avancées techniques et de retard sur ses aînés. Points positifs, on note les fonctions importées et la conception générale. Les gammes d’Airbus et de Boeing sont mises à jours régulièrement depuis 30 ans, mais n’intègrent pas tous les progrès réalisés depuis. COMAC a été la première à choisir en 2009 le moteur « LEAP » (C) de nouvelle génération. Autre modernisme, les ailes et la carlingue sont en alliage d’aluminium et lithium, la queue et le cockpit, en fibre de carbone.

De même, COMAC a fait le choix d’associer les meilleurs mondiaux à l’équipement. Pour l’avionique, c’est le français Ratier-Figeac (filiale United Technology). Pour l’électronique ludique, c’est Thales, et pour le train d’atterrissage, c’est Lieber (Allemagne). En plus des moteurs, Safran Labinal (en JV avec COMAC) assure aussi le câblage (qu’il s’agit de faire passer par différentes circuits à travers l’appareil). Et Zodiac fournit les sièges, les équipements de cuisine, toilettes et toboggans d’évacuation. 

Comac Centre R&D ShanghaiPar contre, COMAC peine à rattraper sur l’intégration.  » Ils travaillent comme on faisait en Europe il y a 30 ans, dit cet expert, avec des champions dans toutes les divisions, mais chacun ‘en silos’, aveugle aux travaux du voisin« . Le groupe dispose de très peu de généralistes au savoir transversal, capables d’aider à assembler et optimiser les technologies importées. 

Au plan commercial, Guo Bozhi, patron de l’Institut de recherche et de design, rêve de 2200 ventes du C919. Une incertitude demeure toutefois sur la certification. Pour l’instant, un grand problème de méthodologie existe, et ce modèle évolue depuis plus de 3 ans sans aucune vérification par les agences américaine (FAA) et européenne (EASA) de certification, ce qui risque de retarder de plusieurs années l’entrée en service international. Même ainsi, le C919 peut espérer 1000 ventes locales. Dès maintenant, 400 commandes fermes sont engrangées. Le plus audacieux acheteur étant CCB Leasing avec 50 commandes, suivie des branches leasing des banques ABC et ICBC (45 chacune) – score bien supérieur à celui de l’A320 en ses premières années ! 

Face à l’arrivée de ce nouveau venu sur leur marché, les étrangers (équipementiers et groupes aéronautiques) réagissent de façon diverse. Généralement, le projet chinois est pris de plus en plus au sérieux, et en privé au moins, on salue la méthode. 

Quid du risque d’une concurrence chinoise de demain, alliant économie d’échelle et maturité technique ? « De toute manière, selon ce témoin, ce n’est qu’une question de temps. A nous de maintenir notre avance par la recherche. Nul n’a le monopole éternel de son marché ». 

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Safran en Chine : total 1500 employés 

Usine de Suzhou : éléments de moteurs, de trains d’atterrissage (exportés et montés ailleurs, USA, Europe, Mexique…)
Shanghai : nouvelle usine de câblage
Chengdu : centre de maintenance de moteurs (100 par an) 
Suzhou : nouvelle usine de tablettes pyrotechniques pour génération de gaz d’airbags (pour 7 millions de voitures d’ici 2016).
Xi’an :  usine de nacelles moteurs
Guiyang : fonderie de précision pour les aubes de turbine
Beijing : fabrication de pièces moteurs hélicoptères 


Sécurité Alimentaire : Wal-Mart, l’âne et le renard

Pas de chance pour Wal-Mart, une fois de plus au cœur d’un scandale alimentaire. En 2011, un de ses magasins était pincé à étiqueter « bio » du porc qui ne l’était pas, puis un autre, à vendre du canard périmé.Suite à quoi la chaine avait investi 100 millions de $ sur 3 ans en labos de contrôle et en formation. 

<p>Hélas, le 02/01, la série noire se poursuit avec des lots d’âne « 5 épices » testés positifs à l’ADN de renard. Des faussaires avaient mêlé à l’âne cette viande musquée mais bon marché (1¥ le kg), cédée par les élevages une fois la fourrure prélevée. 

Fait rare dans le monde commercial, Wal-Mart, après avoir fait retirer les lots litigieux, n’a pas hésité à dénoncer son fournisseur : Fujude de Yucheng (Shandong), précisant que des administrateurs de la compagnie étaient déjà détenus et que Wal-Mart s’apprêtait à porter plainte. 

Le préjudice est lourd. A Shanghai, Sh. Rein, de China Market Research, estime à 2,3% les parts de marché perdues en Chine par Wal-Mart en 3 ans sur ces problèmes de qualité. Pire, ce sont les ménagères les plus aisées, formatrices des opinions des autres, qui désertent. « C’est pour nous une leçon, commente G. Foran, CEO du groupe. Nous devons investir encore plus dans le management des fournisseurs ». 

Effectivement, l’enjeu est de taille. Wal-Mart qui a 400 magasins en Chine, en prépare 110 de plus. Et le marché de l’alimentaire est en plein essor, aujourd’hui à 1000 milliards de $, et qui doit atteindre 1500 milliards de $ en 2016, selon un Institut de la Distribution.


Economie : La Dérégulation, sésame du désendettement

Pudong Crise De La DetteIncontournable, le thème de la dette publique s’impose dès les 1ers jours de 2014, suite à la publication de l’audit des 31 provinces et 33 000 cantons, de juin à sept. 2013. Couplé à la nomination de Xi Jinping à la « Commission de réformes », cet audit confirme que désormais, le patron de l’économie n’est plus le 1er Ministre mais le Président. Et les nouvelles sont assez négatives pour justifier à l’avenir des mesures exceptionnelles. 

Les dettes des provinces seraient passées de 10,7 trillions de yuans en 2010 à 17,89 trillions (2,930 trillions de $), ce qui signifie un tiers du PIB. Mais en 3 ans, cet endettement a explosé de 67% : c’est clair, le modèle d’investissement cesse d’être viable. 

Le problème principal, tient à une croissance soutenue par l’investissement public, qui génère plus de 50% de celle-ci. Croissance par des chantiers peu rentables : bâtiments de prestige, métros… Or, selon l’audit, seuls 50% des entités publiques ont la capacité de rembourser les emprunts, dont la moitié arrive à maturité en 2014.
Pour les autres, le prêteur ne recouvrera pas son capital, et le débiteur devra réemprunter pour payer les intérêts (« roll-over »). Mais on est en bout de cycle : cette année, les intérêts de la maison Chine atteindront 620 milliards de ¥ (à 3%), voire 1,45 trillions (à 7%) – soit jusqu’à 11% du PIB, qui sont perdus en projets sociaux, financement des écoles, de la santé ou de l’urbanisation par exemple. 

En soi, la dette publique globale (provinces et Etat central), à 56% du PIB (selon Tao Wang, de l’UBS) n’est pas insupportable, mais son accélération est annonciatrice d’un coût à payer, qui va croître à rythme hyperbolique en cas d’inaction du pouvoir. En clair, le crédit disparaît, moins par l’effet d’une politique d’austérité que par les emprunts de refinancement.
Fin décembre 2013 a connu un bref affolement des prêts inter banques à 8,94% (redescendu au 2 janvier 2014 à 4,89% suite à l’intervention de la BPdC). Autre phénomène significatif : la recrudescence du crédit gris, à des taux de 24 à 50%/an. De 2010 à 2012, il a doublé à 36 trillions de ¥ : les banques, en 2013 (janv-oct.) n’assurent plus que 53% du crédit, contre 92% en 2002.

Que va faire Xi Jinping ? D’après N. Lardy (Petersen Institute), il renforcerait la part des recettes fiscales aux provinces, pour les aider à assumer leurs charges sociales, en échange d’une promesse qu’elles honorent leurs dettes.
La quasi-totalité des analystes s’accordent à dire que l’Etat ne laissera ni pouvoir local, ni banque, en faillite par peur d’un effet d’avalanche.
Zhou Xiaochuan, gouverneur de la BPdC, préconise trois mesures : accélérer l’entrée des banques privées, parachever la liberté de fixation des taux (le coût de l’argent, qui va augmenter), et déréguler le cadre des investissements.
Enfin, selon l’expert M. Pettis, Pékin vise la suppression des subventions cachées aux acteurs publics au détriment des foyers. A commencer par le taux d’intérêt virtuellement négatif, compte tenu de l’inflation. L’objectif, selon Pettis, serait de casser la croissance, bien au dessous des 7% souvent prédits à moyen terme. Ainsi, le recul de l’investissement serait compensé par la productivité, la relance des PME et des services, et une accélération du revenu des ménages de 2 à 3% supérieur au PIB. Un cercle vertueux donc, et une croissance durable –à condition que l’Etat parvienne à faire avaler la potion amère par le secteur public.


Investissements : Mexique – Chine : Cartels contre Triades !

Lazaro Cardenas, port en eaux profondes, est pour la Chine la porte du Mexique sur sa côte Pacifique. Hutchison Whampoa , le géant mondial de Li Ka-shing, qui détient 12% du marché planétaire, y a implanté une zone de 48 hectares (4 appontements, 1,48km de quais) à plus de 300 millions de $. 

Dès 2012, le port traitait 1,2 million de conteneurs de 20 pieds, et veut dès 2020 dépasser Los Angeles avec 8 millions de « boites ». L’exportation de minerai de fer (cf photo, un vraquier chinois à Lazaro Cardenas)vers la Chine décolle, dépassant en 2013 4 millions de tonnes contre 1,25 tonnes en 2012. 

En retour, la Chine livre à Lazaro Cardenas, la base chimique pour la production de méta-amphétamines (195 tonnes saisies en janvier 2012, dans 12 conteneurs). 

Seul problème : ce trafic était à 100% aux mains d’un redoutable cartel mafieux, les « templiers ». Par extorsion et assassinats, il a tout l’Etat de Michoacán sous sa coupe : mines, transports routier et maritime, douanes… Le cartel gagnait 2 milliards de $ en 2013, soit 50% du PIB de l’Etat. 

Dans un effort désespéré, en novembre 2013, l’armée mexicaine a pris le port d’assaut, arrêté les administrateurs corrompus. Mais Mexico sait, comme les entrepreneurs chinois, que l’hydre reste bien vivante, et le contrôle d’Etat, éphémère…

Des investissements chinois sont déjà sur place, comme DMU, groupe minéralier aux 600 actifs locaux et 30 concessions. Gomez, le parrain des « templiers », redoute leur arrivée : « trop, c’est trop, dit-il sur Youtube, et puis les Chinois ont aussi leurs mafias » !


Petit Peuple : Yaoba : le pieux retour du fils prodigue

Ces dernières années à plusieurs reprises, le législateur s’est efforcé d’imposer aux jeunes d’assurer aux parents un soutien matériel et même affectif (quelques visites).  Ceci pourrait suggérer une dérive des « petits empereurs » vers l’égocentrisme et l’oubli des principes confucéens.

Il y a sans doute du vrai, surtout dans les cas où ces jeunes ont migré en ville, laissant les vieux au village. Mais les apparences sont trompeuses, et la réalité s’avère souvent plus nuancée, comme l’illustre le cas de Deng Qiming, 27 ans, de retour à sa ville natale de Yaoba (Sichuan) pour s’occuper de sa mère, après avoir quitté une situation en or à l’étranger. 

En octobre 2012, Deng posa ses valises pour reprendre la pâtisserie de son père. Depuis, une à deux fois par semaine, il se lève aux aurores pour confectionner ses 黄粑  « huangba« , petits gâteaux de riz gluant parfumé au sucre de palme, feuilles de galangal ou pousses de bambou. C’est un travail fastidieux : le huangba ne supporte pas l’approximation. 

Chaque fois, Deng doit faire tremper le riz gluant, le sécher et le faire cuire à la vapeur. Il lave les feuilles de galangal, les découpe en lanières et les plonge dans le riz. A côté, il prépare son sirop, par réduction du jus tourné à la spatule de bois en son chaudron. Une fois la pâte faite, il l’étale sur un marbre, la découpe en cubes propres et nets, puis les emballe avec dextérité dans des feuilles de banane (notre photo). En moyenne, chaque fournée prend 72h. Certes, le labeur est récompensé par les acheteurs venus de loin acquérir cette succulente rareté. En basse saison, Deng vend 2000 huangba par jour et 50.000 pendant le chunjie – les Sichuanais raffolant de leur gâterie locale. 

Jusqu’en octobre 2012, Deng vivait à Pontianak, métropole indonésienne où il dessinait des applications locales pour les smartphones de Huawei. La vie était douce et son salaire avantageux, à 200.000¥ par an sans compter les primes d’expatriation (repas, logement) allouées par sa société.
A l’issue de sa scolarité, un bon score au Gaokao lui avait permis d’intégrer la faculté d’architecture de Jilin (Nord-Est). 3 ans après, il s’était réorienté vers un master d’électronique à Chengdu, avant de rejoindre en 2011, l’équipe de Huawei, géant des télécoms qui l’avait d’abord envoyé à Londres puis en Indonésie, tremplin d’une prometteuse carrière. 

Si Deng décidait subitement en 2012 de tout briser pour rentrer au pays, c’était suite à un tournant dramatique dans sa vie : son père venait de décéder. Ce départ prématuré, à 55 ans, causa chez le jeune hom-me une tempête de remise en cause. Aux obsèques, il vit sa mère seule et de santé fragile, mais qui insistait pour tenir la pâtisserie de son mari, par piété. La ville entière ne le connaissait plus que sous ce sobriquet de « huangba Deng », pour le délice de ses gâteaux. Deng repartit à Pontianak, le cœur rongé de remords. Il réalisait soudain la vérité du dicton « quand les enfants pensent aux parents, c’est souvent trop tard  » (子欲养而亲不待, zǐ yù yǎng ér qīn bù dài). 

Après Proust, Deng découvrait le dédale secret des intermittences du cœur, du temps retrouvé, des odeurs d’enfance. Il revoyait le père touillant son riz gluant et lui en donnant parfois une cuillérée -la meilleure du monde. Toutes ces images le poursuivait dans ses songes. Jusqu’à ce qu’il arrive à sa décision : il démissionna en septembre pour retourner à la maison aux côtés de sa mère. Il le faisait sans la prévenir, pour lui épargner des efforts désespérés pour tenter de le dissuader. 

Soit dit en passant, il reçut à l’arrivée des monceaux de critiques de la bourgade, choquée de voir un des rares ayant réussi à se faire accepter des lumières de la ville, retourner à cet univers inconfortable du Sichuan. Mais Deng n’en a cure : en bon technicien doublé d’un entrepreneur, il a formulé son projet, qui tient la route. Retourner au pays n’est pas nécessairement venir s’y réenterrer dans sa pauvreté. Deng veut réinventer le métier du père, selon les moyens modernes, pour un marché rémunérateur. Voilà un défi à sa mesure, et qui pourrait faire sa fortune. 

D’autant que la publicité du projet est gratuite, les médias étant éblouis par ce cas de piété filiale conjuguée à une vision éco-technique moderne : « il ne faut pas laisser la technique du huangba en friche, conclut Deng, et à condition de s’y mettre à fond, on peut réussir n’importe où et dans n’importe quel domaine ». Les vœux du Vent de la Chine l’accompagnent !