Le Vent de la Chine Numéro 34-35

du 3 au 9 novembre 2013

Editorial : Avant le Plenum, la dernière ligne droite

A travers la Chine, la traque du groupuscule Nouveaux citoyens se poursuit, mouvement réclamant la publication des fortunes privées au sein du PCC : 18 arrestations depuis mars 2013. Mais l’action semble « souple », sans vivacité – le procès de trois d’entre eux à Xinyu (Jiangxi), fut ajourné le 28/10, sur demande des avocats.

La répression s’applique aussi à l’autre bord de l’opinion, au sein du Parti : 8 apparatchiks ferroviaires sont punis (21/10) pour 100 millions de $ de fonds publics dépensés en « divertissements ». Liu Yunshan, chef de la Propagande, appelle (20/10) à « intensifier l’étude du marxisme, comme soutien théorique au grand renouveau de la nation ».
Ces actions font partie de la campagne d’« éducation » et « ligne de masse » de Xi Jinping.
Objectif : réduire les extrêmes à gauche comme à droite, pour rassembler une majorité autour de son «Rêve de Chine» socle des réformes au programme du 3ème Plenum des 9 au 12 novembre 2013

Annoncée tardivement, cette date est un symptôme des divisions internes du Parti. Pour les résoudre, depuis l’été, il a fallu plus que des négociations : de véritables assauts contre des bastions conservateurs, et leurs leaders. C’est ainsi qu’il faut interpréter la création par Xi Jinping d’une équipe indépendante de limiers, sous la direction de Fu Chenghua (police pékinoise), pour éplucher les comptes de Zhou Yongkang, l’ex-chef de toutes les polices. Or, comme pour réagir, Zhou, début octobre, réapparaissait en public pour soutenir la politique de Xi et la réforme, qu’il combat pourtant depuis si longtemps… 

Autre angle intéressant : le renforcement du rôle de la loi dans l’action publique, un pas vers l’Etat de droit.
Le 29/10, un règlement interne prévoit de renforcer supervision et sanctions contre les « styles de travail indésirables, formalisme, bureaucratie, hédonisme extravagance »… 

Une fois les ultras ralliés (à contrecœur bien sûr) au principe du changement, la lutte se transpose sur ses modalités, car il n’y a pas une, mais cent plans de réforme : 

– Le « document 383 » du Centre de recherche du Conseil d’Etat, inspiré par Liu He (cf. portrait) reflétant les idées de Xi Jinping et de Li Keqiang, est le plus audacieux. 

Wu Jinglian, le plus ancien économiste du pays, avertit : sans réforme politique (exclue pour l’instant), le 3ème Plenum ratera la « fenêtre de tir » pour remettre le pays sur ses rails, à temps. 

– la Cour Suprême (son Président, Zhou Qiang) réclame l’abolition des Comités du Parti dans les tri-bunaux, pour l’indépendance de la justice et la fin d’une importan-te source de corruption des juges. 

‘ Quels sont les fruits à attendre du Plenum

Au Comité Permanent, Yu Zhengsheng, le n°4 promet un tournant « sans précédent pour la société et l’économie » (26/10).
Les réformes seront « coordonnées » pour tirer plus de croissance d’une meilleure interaction entre Parti, marché et société.
Les changements viseront 8 domaines, à savoir finance, taxation, droit foncier, actifs publics, sécurité sociale, innovation, invest. étrangers et gouvernance.
L’idée maîtresse est de réduire les tampons administratifs, communautariser les fonds de pension, rendre le yuan convertible sous 10 ans, permettre aux paysans de vendre leurs terres collectives sur une place financière commune avec le sol des villes (ce qui forcera les expropriateurs à payer le prix du marché). Le hukou, permis de résidence, disparaîtra sous 10 ans. La fiscalité sera refondue, pour donner plus de moyens aux provinces, en échange d’un fort recul des expropriations… 

La plus grosse difficulté concernera les consortia d’Etat, encore confortablement isolés de la concurrence en tant que « piliers stratégiques de la nation ». Il s’agirait de remplacer leur ombrelle de la SASAC par 4 fonds souverains, sur le modèle de Temasek (Singapour), chacun doté de règles spécifiques : sécurité sociale, service public, industries stratégiques ou innovantes, et sécurité nationale. 

Mais ce cadre nouveau recherché sera à l’évidence ardemment combattu par les lobbies et les clans les plus huppés du régime, dont il écornerait les privilèges.


Investissements : Un canal de Panama bis, chinois ?

PanamaInsolite, ce projet de Wang Jing, milliardaire pékinois. En 2020, il veut ouvrir au Nicaragua, un canal rival de celui de Panama ( cf photo), capable de traiter les plus grands bateaux du monde (18000 TJB).

 Cette semaine à Pékin, 21 hommes d’affaires et politiciens latino débarquaient, dirigés par L. Ortega, le fils du Président, pour convaincre. La HKND, compagnie de Wang, possède la concession du canal pour 50 ans.
A 41 ans, Wang Jing « pèse » selon Forbes 1,4 milliard $. Son groupe d’affaires, Xinwei (pièces téléphoniques) a été visité par des grands noms du pays, dont Xi Jinping, et le projet est soutenu par le consortium ferroviaire CRCC – Pékin est derrière ! 

Mais bien des questions interpellent sur sa viabilité. 

Pourquoi un second canal, quand Panama en cours de doublement de capacité pourra accueillir presque autant ? 

L’export du gaz de schiste américain, par lequel Wang Jing justifie l’ouvrage, ne serait rentable qu’avec de très gros navires – mais ce canal, triple en longueur de Panama, pose des problèmes techniques (relief, stabilité, zone sismique) et peut-être insurmontables. 

Un autre atout serait de renforcer la présence chinoise aux portes des Etats-Unis (mais avec quel bénéfice ?), et enfin, d’aider le Nicaragua à « rechanger de Chine », la patrie du sandinisme ayant opté pour Taïwan en 1990. 

Mais payer 40 milliards de $ (coût minimal) pour arracher à Taiwan une de ses 21 voix à l’ONU, semble déraisonnable. En définitive, la motivation primordiale pourrait bien être le goût du challenge, enraciné dans la mentalité chinoise.


Société : Presse – des manoeuvres en eaux troubles

Le 18/10 Chen Yongzhou, reporter au New Express, de Changsha (Hunan) est arrêté, accusé de calomnie et de faux dans sa série de 15 articles accusant de fraudes le groupe Zoomlion, industriel en machines de construction.

Or, avec une rare témérité, la rédaction en chef défendit son homme, affirmant avoir revérifié les allégations de Chen, elle réclama sa libération (cf photo). De nombreuses voix vinrent l’appuyer. L’Association nationale des journalistes enjoint le ministère de la Sécurité publique de garantir la survie du journaliste et de traiter le cas « dans l‘équité et le droit ».  La SARFT, tutelle de la presse et du livre, rappelle son attachement aux « droits légitimes » des média…

Puis le 27/10, patatras : Chen paraît à la TV menotté, crane rasé et en tenue de détenu, pour avouer avoir reçu ses informations de concurrents (non précisés) de Zoomlion, et les avoir publiées sans rien vérifier, sous sa signature, grassement payé. 

Du coup, la tutelle annonce des sanctions sévères contre…le journal privé, dont le rédacteur en chef va sans doute devoir partir. 

On ignore cependant toujours la vérité. La vénalité est hélas monnaie courante parmi la presse chinoise, mais un « coup de Jarnac » ne peut être exclu.
Le résultat, en tout cas, est double : Œ non seulement une lassitude envers la censure est universellement exprimée, mais les défenseurs de la presse libre (et privée) sont ridiculisés !


Société : Attentat à Tian An Men – la question ouïghoure resurgit

Meng Jiangzhu, ministre de la Sécurité publique, n’a aucun doute : l’attentat Place Tian An Men du 28 octobre sur l’heure de midi, a été soutenu par l’ ETIM, mouvement terroriste du Xinjiang. 

Avec trois passagers à son bord, un 4×4 blanc s’est engagé sur une piste piétonne, 400 mètres avant la Cité Interdite avant de s’encastrer dans les barrières et de s’enflammer devant le célèbre portrait de Mao Zedong. L’attentat aura fait 5 morts (dont les 3 passagers d’une même famille, le conducteur, sa mère et son épouse) et 38 blessés parmi les touristes. Une « chasse à l’homme » à travers Pékin s’ensuivit et plusieurs suspects/complices ont été arrêtés. Tandis que Peng Yong, le commandant de la région militaire du Xinjiang, a, sans tarder, été démis de ses fonctions.

La communauté ouïghoure est très inquiète des répercussions et de se sentir davantage marginalisée.

Tiananmen Attentat


Juridique : Une nouvelle loi en faveur du consommateur

Ce vote à l’ANP du 25/10 est dans l’air du temps. Li Keqiang, le premier ministre, veut rétablir chez le consommateur une confiance ébranlée par une longue série de scandales. La loi de 1995 incluait trop de dispositions en faveur des industriels – l’amendement du 25/10 remet les pendules à l’heure. 

Les édiles font la chasse aux clauses abusives (tels ces 100¥ par kg remboursés par les compagnies aériennes en cas de bagage perdu) et invitent commerçants et prestataires à réviser de telles pratiques, illégales à partir du 15 mars 2014. La compensation de produits défectueux sera portée au triple du dommage (3,8 milliards ¥ de ce type de produit auraient été écoulés de 2010 à 2012). 

Les vendeurs sur internet verront leurs sanctions renforcées en cas de fraude. Le client pourra plus aisément retourner la commande et en cas de litige, la preuve sera à la charge du vendeur. Un autre point nouveau et important : la protection des données personnelles, jusqu’alors revendues par listes entière. Désormais, ces données collectées par les sites d’achat en ligne, devront rester secrètes sous peine de lourdes amendes. Enfin l’Association Nationale des Consommateurs change de statut et pourra se porter partie civile dans des actions collectives : c’est une première ! 

En même temps, à la CCTV, Samsung (et Apple avant lui !) et Starbucks se font épingler : l’un pour son piètre service après-vente sur ses appareils, l’autre pour ses prix en Chine, les plus élevés du monde ! On sent ainsi la volonté de l’Etat de rectifier une permissivité établie au fil des années – et de commencer par les groupes étrangers.


Environnement : Hiver et charbon font mauvais ménage

Pollution HarbinEn juillet, une étude sino-américaine ( PNAS) concluait que les Chinois au nord de la rivière Huai (axe Henan/Jiangsu) vivent 5 ans et demi de moins que ceux du sud, sous l’effet des effluents du charbon.

 D’où pour tous, une réelle inquiétude à l’approche de l’hiver : dès l’allumage de ses centrales le 20/10, Harbin (Heilongjiang) subissait une nuée de smog de 1000µ/m3! (cf Photo). Aussi, l’Etat, les villes cherchent fiévreusement la parade. 


Moyennant le remplacement de 2800 chaudières résidentielles et industrielles, Shanghai annonce pour 2017 la mise au ban du charbon. Et comme Pékin, elle veut porter la part des transports en commun, y compris en banlieue, à 50% d’ici 2015. 

Pékin (qui a dépassé les 300µ cette semaine) lance un plan de gestion d’urgence : en cas de forte pollution pendant plus de trois jours, les voitures privées ne sortiront plus qu’1 jour sur 2 (en + de leur jour interdit par semaine), les chantiers fermeront et les usines réduiront le débit de 30%. Hélas, l’effet sera limité, puisque 70% des effluents pékinois viennent du Hebei et Shandong

Cependant Pékin et Shanghai sont parmi les rares à pouvoir se permettre de troquer la houille pour le gaz. Le reste de Chine du Nord ne le peut, faute de disponibilité : aujourd’hui, le méthane est rationné et les nouvelles centrales au gaz sont interdites. 

Un autre obstacle est « culturel » : la volonté de l’Etat de laisser les citoyens s’organiser, n’est pas sans limites. 
La loi révisée de l’Environnement, à voter en décembre 2013, limitera à 13 le nombre d’organismes, tous étatiques, habilités à ester contre des usines ou centrales pour émissions excessives. L’impératif de stabilité sociale met le régime le dos au mur.


Portrait : Liu He, forgeron de la réforme
Liu He, forgeron de la réforme

Liu He 2Quand en mai Tom Donilon, l’envoyé spécial d ’Obama vint à Pékin préparer avec Xi Jinping le prochain sommet sino-US, ce dernier lui présenta Liu He, jusqu’alors inconnu, et lui conseilla d’échanger avec cet homme « important pour lui ». 

De fait, ce cadre discret, ayant passé 30 ans de carrière dans le plus hautes sphères mais dans l’ombre, s’avéra un économiste brillant, à contre-courant des idées officielles au PCC : hostile au protectionnisme, militant pour l’accès de l’étranger à des domaines chasse gardée, services, finance, santé…

Né à Pékin en 1952 d’une haute famille, Liu a fréquenté l’école 101, pépinière de cadres, aux côtés de… Xi Jinping ! A 18 ans, il part soldat en Mongolie Intérieure – une manière de se protéger de la révolution culturelle. 

En 1974, il se retrouve à Pékin « ouvrier-cadre » (un poste enviable!) dans une usine à haute technologie pour l’époque, celle municipale de télégraphie sans fil. A 26 ans, il intègre l’excellente université Renmin et obtient son doctorat à 34 ans. En 1987, il entre au Conseil d’Etat comme chercheur au Centre de recherche en développement qui planifie la politique industrielle long terme. En 1988, il est vice-directeur au département « recherche » à la NDRC (National Development and Reform Commission).

Il est dès lors sur les rails : comme beaucoup d’espoirs du régime, on l’envoie étudier en 1991 aux USA, à Seton Hall (New Jersey), puis à Harvard

Après son retour, titulaire d’un nouveau master, il intègre en 1998 le Groupe Central des Affaires financières et économiques, dont il devient en 2003 n°2, à 51 ans. Cette institution secrète, cerveau de la réforme en Chine, est un club de réflexion sur tout sujet (du sort des migrants au prix de l’énergie), dont les rapports sont lus par, et inspirent le Conseil des ministres, le Bureau Politique et le Comité Permanent. Il recrute parmi des banquiers, industriels et hauts cadres les plus influents (Wen Jiabao, Wang Qishan, Zhou Xiaochuan) : c’est parmi eux que Liu puise aujourd’hui nombre de ses alliés. 

Son bilan de carrière en impose : Liu a contribué à l’élaboration de 4 plans quinquennaux, et gardé la confiance de trois Présidents successifs, Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping.

En 2008, il est l’auteur du Grand Plan anti-crise qui déversa 600 milliards de $ sur l’économie et sortit la Chine de la récession avant les autres. Un autre succès est la création d’un réseau d’infrastructure admirable (2000 hôpitaux, la plus longue ligne de TGV au monde, Pékin-Canton, des milliers d’écoles…). 

Au passif toutefois, il n’a pu empêcher que la manne financière du Grand Plan revienne aux seuls consortia publics, oubliant le privé et les PME. De ce fait, la dette de l’Etat a triplé à peut-être 20 trillions ¥ en 5 ans, notamment à cause de projets somptuaires et non rentables. 
Mais ce dérapage lui permet aujourd’hui de rebondir, en formulant les dernières campagnes-choc de Xi Jinping : la corruption et la refonte de la taxation.

Liu He fut aussi propulsé à la tête de nombreuses institutions de recherche industrielle. Il entre au Comité Central en novembre 2012, et n°2 de la NDRC en mars 2013, en charge de l’élaboration du document de travail des réformes du 3ème Plenum

Au plan personnel, cet homme pragmatique recherche toujours la juste mesure, entre l’hyper-libéralisme et l’économie planifiée. En ouvrant les clubs de réflexion aux professionnels de haut niveau, il a peut-être inventé la méthode du régime depuis 1990 pour faire reculer le maoïsme dans les esprits : petit-à-petit, à force de transparence et de franc parler. À la mode socratique, pour porter à réfléchir, il aime répondre à une question par une autre question. Il ne craint pas de rencontrer des étrangers seul à seul – il se sait soutenu par le pouvoir suprême.
Détail parlant, à 62 ans, il est un des rares à ne pas se teindre les cheveux d’un noir de jais, et à assumer ses tempes grisonnantes : il sait que son analyse, souvent imbattable, marquera plus ses interlocuteurs que son apparence. 


Diplomatie : Tapis vert diplomatique – pour le pire et pour le meilleur

Xi Jinping Medeved Beijing 23 OctSur le front diplomatique, on assiste à une déferlante de visites et d’initiatives, signes de l’énergie déployée depuis toujours par ce pays pour (re)prendre sa place dans l’ordre mondial : 

– Avec le Japon, la situation n’en finit pas de s’envenimer, à propos de l’archipel des Diaoyu-Senkaku. 

Pékin multiplie les incursions en périphérie – bombardiers et garde-côtes des deux pays se croisent en grondant. Sh. Abe, le premier ministre nippon, autorise ses forces à abattre tout drone chinois dans son espace aérien. Les deux camps se taxent d’« arrogance », d’« irresponsabilité », et la presse chinoise appelle même à la guerre : « assez discuté »! 

Un vieux témoin, S. Rittenberg pense que Xi Jinping cherche à acculer Tokyo à admettre l’existence d’un problème sur l’archipel, ce qu’il dénie. Le climat délétère pousse le laitier nippon Meiji à sortir du marché chinois du lait maternisé – au moment où tous les étrangers renforcent leur production, face à une forte demande. 
Dans cette spirale infernale, des hommes gardent tête froide: en marge du Beijing Tokyo Forum (26/10, Pékin), l’ex-1er ministre Y. Fukuda et le ministre des Affaires étrangères Wang Yi discutent courtoisement des heures durant, sur la meilleure stratégie collective pour remettre la relation sur ses rails… 

– Avec la Russie, après 10 ans, les pays ont pu enfin « toper-là ! » sur le contrat pétrolier du siècle. cf photo Xi Jinping et Medvedev, le 23/10 à Pékin. Chaque année d’ici 2023, Rosneft livrera 10 millions de tonnes de brut à la CNPC, pour un coût global de 85 milliards de $.  Gazprom livrera 38 milliards de m3, puis 60 milliards de m3/an, selon une formule tarifaire convenue. 

Ce deal était si difficile, car alléguant l’énormité de son marché, Pékin voulait une ristourne, et Moscou craignait de casser son prix imposé à l’Europe. L’accord fut trouvé, car la Chine a besoin criant de gaz, et Rosneft, de cash pour payer le rachat (55 milliards de $) de TNK-BP, la JV sibérienne de BP. Par ce contrat, et d’autres, la Chine va dépasser d’ici 2020 les USA comme 1er importateur, frôlant le quadruplement à 9,2 millions de barils/jour sur 2005. Avec la Russie, un grand chemin a été parcouru depuis les 30 ans de guerre froide entre ces deux géants, qui s’achevaient en mai 1989.

– Face aux Philippines aussi, c’est l’embellie.
En septembre, Manille accusait la Chine d’avoir coulé des fondations en béton sur l’atoll de Scarborough, non loin de son île de Palawan. Mais le 24/10, toute honte bue, B.Aquino, le Président philippin avoue son erreur : ces blocs étaient en fait de vieilles structures, sans danger.
Déjà en 2011, les Philippines reprochaient à l’APL de préparer un chantier sur un autre îlot qu’elles revendiquent dans les Spratleys (l’Amy Douglas Bank). Autre signe de réchauffement, Philex Petroleum (Philippines/UK) négocie avec CNOOC pour une exploration conjointe dans le Reed Bank, autre zone en litige. 

Ici aussi donc, progrès, par rapport à septembre où Aquino annulait son voyage à Nanning (Guangxi) pour la Foire China ASEAN, quoique son pays en fut l’invité d’honneur : c’était suite à la demande par Pékin qu’il retire sa plainte devant une cour d’arbitrage de l’ONU sur le litige en mer de Chine du sud (avec revendications de 5 pays). .Ces concessions d’Aquino peuvent répondre au changement d’attitude perceptible à Pékin, qui tente d’infléchir sa ligne dure, et de positiver ses relations avec ses voisins pour prévenir la constitution d’un glacis de défense sous la houlette américaine. 

– Jamais deux sans trois : l’Inde elle aussi, est tout sourire, après l’accord de défense signé à Pékin par les premiers ministres Li Keqiang et Mannohan Singh (23/10) pour prévenir tout conflit dans les Himalayas à l’avenir. 


Agroalimentaire : Le Bio en Chine : mirage ou Eldorado ?

TomatesEn Chine depuis 2007, il est chic de s’approvisionner Bio auprès de groupes tel BOBC : 50.000 familles dans Pékin, reçoivent sur abonnement leur colis hebdomadaire de produits bio.

<p>En 2012, le bio chinois atteignait 2,3 millions d’hectares, second producteur derrière l’Australie. Avec une croissance annuelle évaluée à 30%, le bio va-t-il brûler les étapes pour occuper le 1er rang ?

La réponse des professionnels est non : « on en est loin, il n’y a pas de filière bio en Chine ».
Et de fait, les 2,5 milliards de $ de ce marché chinois font mince, face 120 milliards de $ du marché mondial en 2012. Une raison est son prix exorbitant, à 40¥/kg de pomme de terre, contre 5-8¥ au non bio. Or, note un expert israélien, « ailleurs au monde, le différentiel ne dépasse pas le double ».  
Aussi pour Ma Aiguo, directeur au ministère de l’Agriculture,« le bio en Chine est encore perçu comme un luxe ». 

Selon l’ITC de Genève, 40% des usagers sont cadres de 30/40ans, 10% des familles pour leurs jeunes enfants, 10% des vieillards et malades, et 7% des expatriés – un marché de niche

De même en 2007, les fermes certifiées taient 2.500, avec 100.000 actifs : une goutte d’eau dans la mer des 130 millions de paysans. Comme l’exprime cet agronome français, « la Chine de 2013 en est au niveau de la France des années ’50. Les paysans ne rêvent qu’à la ville, et voient dans leur tâche le pire des métiers. Le bio ne pourra décoller qu’une fois l’exode rural achevé. Alors, les « rescapés » pourront commencer à réinventer l’agriculture ». 

Serre Plantation

★ DES NORMES QUI VOULAIENT TROP BIEN FAIRE

Pour lui, la faiblesse des normes et contrôles fait qu’« on peut au mieux parler d’agriculture raisonnée

Aucun produit ne répond aux normes mondiales de traces d’engrais, de pesticides ou de métaux lourds ». Paradoxalement, dès 2001, le pays a introduit un cadre réglementaire unique, qui aurait dû favoriser l’expansion de la filière.

 Mais il est trop complexe et lourd, avec 3 labels « non nocif » (wu gonghai 无公害), « vert » (lüse shipin 绿色食品) et « haute qualité » (youji shipin 有机食品). Le cadre est donc illisibles pour la ménagère et pire, ne reconnaît pas les labels étrangers, ce qui torpille import et export. 

La situation des contrôles est encore pire. La Chine compte pas mins de 23 organes de certification rivaux – en pratique, pour obtenir son label «vert», un bakchich suffit, selon plusieurs sources. Dès lors, les fraudes arrivent, tel ce porc faussement labellisé bio en 2012 au Wal-Mart de Chongqing. Et par suite, le client éviter ces produits ruineux et sans garantie. 
Historiquement, ce retard s’explique par une méfiance de l’Etat, longtemps obnubilé par l’objectif d’autosuffisance. Ce n’est qu’après le scandale du lait à la mélanine (2008) que l’Etat a constaté la crise, et repris conscience des réalités : dès lors, le critère de la qualité repasse au 1er plan.

Panier Légumes

★ VERS UN NOUVEAU DÉPART ?


Un frémissement est perceptible dans la réforme du bio : un code barre national à 17 chiffres se prépare pour tout produit bio. On discute à l’international de la reconnaissance mutuelle des labels, et les gouvernements locaux commencent à subventionner les exploitations bio. 

A l’avenir, l’Etat veut agrandir les fermes familiales à 5 ha, contre 225m² à 750 m² actuellement… 

La Chine commence à s’intéresser au bio et à le protéger… Il se trouve qu’en Chine, par ailleurs, 80% du marché du bio est tenu par les chaînes de supermarchés. C’est une chance, car la grande distribution étrangère pousse à la formation d’associations de producteurs, spontanément émergées ces dernières années. 

L’allemand Metro a choisi une poignée d’associations pour porter leurs membres en peu de temps à un niveau de qualité internationale.
Carrefour, quant à lui, travaille sur un large spectre d’associations (534, et 1,2M de fermiers) pour les initier aux saines pratiques.
Ces 5 dernières années, il a dispensé plus d’une cinquantaine de formation dans 28 provinces, pour initier les coopératives agricoles aux fondamentaux commerciaux, qualité et sécurité alimentaire. Une nouvelle étape vient d’être lancée en signant avec ses fournisseurs un contrat collectif sur trois ans, pour les meilleures coopératives. Carrefour forme gratuitement des formateurs, qui de retour au village, doivent disséminer les techniques raisonnées.
Chaque année, l’association doit atteindre des paliers d’amélioration. En échange il lui est garanti un volume d’achat direct, en fin de programme : car le légume n’attend pas, et perdre sa récolte est la hantise de tout paysan. Par ce biais, Carrefour aujourd’hui dérive 40% de son approvisionnement en achats directs (360.000 tonnes en 5 ans, et 1,6 milliard de ¥), mais vise une augmentation constante.

Mais

★ HYAP : UNE ASSOCIATION QUI A LE VENT EN POUPE

Un exemple est HYAP, groupement de Qingpu près de Shanghai, fondé en 1993 entre 30 fermiers à l’initiative d’un d’entre eux, Chen Chunming, aujourd’hui le Président. 

Aujourd’hui, HYAP assole 330 hectares grâce à 1500 ouvriers agricoles, dont 90% venus de l’extérieur. 150 hectares sont en serres, qui produisent 100 types de légumes à l’année, exceptées deux semaines de maintenance en août. Les 200 hectares restants sont dédiés au riz .
L’association loue les serres, fournit engrais et semences, formation et conseils, et vend. Pour ce service essentiel, elle ponctionne 40% du profit, réinvesti en infrastructures—et en dividendes aux 25 actionnaires actuels. Aujourd’hui, deux halles de 20.000 m² se construisent, chambres froides et aires de conditionnement (tri, lavage, emballage, étiquetage). Elle a aussi son laboratoire de tests (5 biologistes) et ses bureaux.

Pour les détenteurs de serres, la vie est aisée. Selon Chen Chunming, en 2012, une famille de cinq personnes, louant 8 serres (le maximum permis), peut employer manœuvres et réaliser 300.000 yuans de profits. 

En 2003, Carrefour achetait à HYAP pour 1 million de ¥. En 2012, il emporte pour 40 millions, et 25% de toute sa production. Pour atteindre ce but, HYAP a dû suivre les cours d’agronomes de Carrefour, et respecter les normes : ses légumes poussent avec 90% d’engrais (fientes de poulet étuvées 15 jours à 70°), réduisant sérieusement l’engrais chimique. La qualité est conforme aux normes chinoises : les 200 contrôles de Carrefour par an n’aboutissent au rejet que de 5% des lots testés. Pour autant, Chen Chunming rejette à ce stade l’idée de produit vraiment organique, sans engrais ni pesticide : « pour l’instant, on vend tout : l’agriculture bio n’offre aucun intérêt ».

Tracteur


Monde de l'entreprise : La créativité est Haier
La créativité est Haier

Haier Zhang Ruimin Ouverture Usine Amman Jordanie 2005Haier, une apparition météorite

Quelle est au juste le degré de créativité en Chine ? L’explosion industrielle de l’Empire du Milieu est-elle due à sa capacité à innover ou à copier ? On voit ici, face à face, deux paramètres antinomiques ancrés dans la culture chinoise :  le goût du jeu, du non-durable, de la transgression, ‚ une vitalité imaginative, une première place mondiale en nombre de brevets par an, et le constat que les produits occidentaux (vélos, biscuits, PC ou prêt-à-porter féminin) sont plutôt réinventés que copiés. 

Or, à ce sujet, un nom est souvent cité en exemple : Haier, le conglomérat de l’électroménager de Qingdao (Shandong), qui s’est hissé en 29 ans, d’un rôle d’obscur joueur provincial, à celui de 1er producteur mondial, rivalisant avec les leaders internationaux.

En 1984, Qingdao Fridge (son nom d’alors), entreprise d’Etat, était en quasi-faillite. En désespoir de cause, la mairie avait remis les clés à Zhang Ruimin (cf photo), jeune cadre encore bas dans la hiérarchie mais piaffant d’énergie. Sa première tâche fut d’emprunter, à une coopérative ouvrière, l’argent pour les salaires. La seconde, de faire le bilan, qui était désastreux : la qualité était mauvaise – un réfrigérateur sur quatre était déficient – et restait encore au mur, un panneau interdisant de cracher et faire ses besoins dans l’atelier…

Un électrochoc

Zhang se mit donc en tâche de recréer un esprit d’entreprise auprès du personnel. Electrochoc : après plusieurs plaintes de clients, il fit détruire à la masse 76 frigos défectueux. Puis il appliqua un mélange de discipline paramilitaire et de primes à la performance, à l’initiative et à l’excellence. La stratégie était inspirée d’Allemagne dont Zhang revenait, et de Corée du Sud dont les Chaebols investissaient au Shandong. Cet idéal de « ferveur d’entreprise » tombait à point chez Haier, pour relayer la foi révolutionnaire en perte de vitesse. Pour W. Fischer, professeur de management à l’IMD de Lausanne, Zhang était en quête d’un business model alliant technique occidentale et émulation créative chinoise – « le meilleur des deux mondes », selon le PDG. 

Haier Uk Brochure 2012Sous ce stimulus, dès les années ‘80, Haier monta en qualité et en gammes, permettant un nouveau départ. Dès 1999, le trésor de guerre des ventes permit à Haier de racheter des concurrents à la traîne, privilégiant ceux avec de bons produits mais de mauvais patrons, sachant qu’un simple renforcement de management permettrait de les renflouer. Pour l’expansion étrangère, au lieu d’aller comme la concurrence vers les pays en voie de développement, avec bas prix et basse qualité, Haier choisit l’Allemagne et les USA, confiant de trouver la main-d’œuvre qualifiée et d’en apprendre l’expérience. De fait, aujourd’hui, ses normes dépassent, notamment en terme d’économies d’énergie, celles du Japon.

Une révolution du business model

 En 2005, estimant que « l’avenir se prépare par beau temps », Zhang Ruiming entreprit de bouleverser le groupe, qui marchait bien, pour le réinventer. Réfléchi depuis des années, son nouveau concept était d’associer sur internet tous les acteurs, dans l’entreprise et en dehors, à la création des produits. Mais ce faisant, il pénétrait dans une terra incognita. Il prétendait mettre en place une industrie « managée sans patrons ». 

Brisant les divisions et filiales, il subdivisa les 80.000 employés en 2.000 « équipes autonomes » (自主经营体,zìzhǔ jīngyíng tí), qui naissent et meurent autour d’un projet. Employés, mais aussi fournisseurs, revendeurs et clients soumettent des projets de production (produit, composant, R&D…). La décision se fait par vote des mêmes acteurs : devenu chef d’équipe, l’auteur du projet gagnant recrute ses hommes à travers le groupe. Les collaborateurs sont libres de rejoindre ou quitter ces équipes autonomes. Celles-ci sont responsables de leurs coûts et profits, dont elles se partagent une partie. De la sorte, l’an dernier, un chef d’équipe recruté à l’extérieur a gagné 1,5 million de $. Les équipes sont aussi encouragées à faire appel en permanence aux partenariats et à la sous-traitance, pour attirer sans cesse de nouveaux partenaires et ressources. Une fois l’objectif atteint, ces équipes sont dissoutes et leurs membres réaffectés. 

Haier Cave à VinsDétail insolite : dans l’équipe, un autre cadre, l’auteur du second meilleur projet, lors du vote, fait office de « poisson-chat ». Si durant trois mois, les objectifs du business plan ne sont pas atteints, le « poisson-chat » supplante le leader.

Avec cette épée de Damoclès, le leader est ainsi forcé à ne jamais s’endormir. Zhang a inventé cette fonction en observant les poissonniers : dans les bassines de saumons vivants, pour les empêcher de tomber en léthargie, ils ajoutent un poisson-chat, qui dévore tout poisson assoupi…

Par sa souplesse, ce modèle a permis à Haier un choc d’adrénaline, quadruplant ses ventes de 6,5 milliards de $ en 2000, à 26 milliards de $ l’an passé. Dernièrement, KKR, major mondial de l’investissement à risque, a pris 10% des parts de Haier (500 millions de $). Mille produits de niche ont été conçus, comme ce mini-frigo intégré à une table de PC, ou ce freezer permettant aux crèmes glacées de sortir fondantes. Haier a tiré le meilleur des subventions d’Etat à l’électroménager en milieu rural, en proposant des réfrigérateurs spéciaux conçus pour résister aux rats, ou des machines à laver capables de fonctionner remplies de pommes de terre. Dernièrement, le groupe « planche » sur les produits avec domotique, intelligence intégrée et commandes à distance par wifi. 

Les limites du système

Haier Foire Las VegasUn tel système a forcément ses lacunes. En terme d’ image, même en Chine, celle du groupe et de ses produits n’est toujours pas associée à celle d’une qualité supérieure. 

D’autre part, la nouvelle structure est instable : tant d’énergies libérées rendent aléatoire le contrôle par la direction. Zhang n’en a cure : « un environnement instable et dynamique est la meilleure manière de préserver la flexibilité des gens »…

C’est donc un mode de production et d’organisation industrielle radicalement inédit qui est sur le banc d’essais chez Haier. Est-il applicable hors de Chine, voire durable en Chine-même ? Cette pression à la productivité au nom d’une « intimité » entre le citoyen et la firme, a quelque chose d’inquiétant. Ce modèle est-il humaniste ? Saura-t-il faire sa place aux aspirations « non-productives » de l’être humain vers d’autres projets tels les enfants, l’art, la religion ou le sport ? L’avenir du modèle, sa durabilité tient toute entière dans la réponse à cette question.