Le Vent de la Chine Numéro 21

du 15 au 21 juin 2013

Editorial : La fête du Dragon dans la voie lactée

Chaque année depuis 2265 ans, la Chine célèbre la « fête des bateaux dragons ». La légende remonte à l’an 278 avant JC : en pleine guerre des Royaumes Combattants, l’Etat de Qin prit celui de Chu. Quoique banni et en exil, Qu Yuan (屈原), poète et citoyen de Chu, fut très affecté par la disparition de sa patrie. Le 5ème jour du 5ème mois lunaire, dit duanwu (端午), il se jeta dans la rivière Miluo. 

Les locaux qui lui portaient un immense respect, se jetèrent sur leurs barques pour tenter de sauver Qu. Quand ils le surent noyé, ils battirent l’eau de leurs rames, durant des jours, pour affoler les poissons et les empêcher de picorer sa chair. Puis dans le même souci, ils allèrent jusqu’à leur jeter du riz pour les détourner de la dépouille de leur héros. Dès lors, tous les éléments de la « fête des bateaux dragons » étaient réunis.
Emballé dans des feuilles de bambou et parfumé de fèves rouges, le riz devient le zongzi (粽子). Les barques aux longues nefs et aux proues de dragon, se livrent à des joutes spectaculaires, propulsées par des rameurs, au son du tambour à bord, tandis qu’en tous les temples, on honore les Dieux les plus divers, parfois de création très récente.

Depuis 2010, cette fête antique donne lieu à 4 jours fériés : trêve pré-estivale qui rend soudain aux villes, une semi-torpeur oubliée. Incidemment, le duanwu (12/06 cette année) est aussi le jour lunaire le plus long  dans l’hémisphère Nord… d’où ce thème du Dragon, symbolisant le soleil au zénith, et plus généralement l’Empereur et la gente masculine.

Pas par hasard, mais pour cette configuration météo spéciale, l’agence spatiale chinoise choisissait la veille du duanwu (11/06) pour procéder à la mise à feu d’une fusée Long March 2F, en présence du Président Xi Jinping, depuis la base de Jiuquan (Gansu). En 9 minutes, sans encombre, elle plaçait sur orbite le vaisseau spatial Shenzhou X, habité de trois « taïkonautes », Nie Haisheng, Zhang Xiaoguang et Wang Yaping – cette dernière étant une femme.

Wang avait déjà été entraînée pour le dernier vol habité du Shenzhou IX, mais le sort lui avait préféré l’autre femme de l’équipe, Liu Yang. 
Wang n’y perdra pas au change : elle part pour 15 jours (au lieu de 10 pour l’équipée précédente) et va participer à l’amarrage au laboratoire spatial Tiangong-1, sur orbite depuis 2011, ainsi qu’à bien d’autres expériences et missions pionnières, comme remplacer des pièces ou équipements mal dessinés dans Tiangong-1, ou pour Wang, donner un cours de physique par vidéo, à quelques millions d’élèves de primaire et de collège. 

Dix semaines après le retour sur terre des taïkonautes, ce laboratoire spatial sera décommissionné et retournera dans l’atmosphère, après avoir fourni à la Chine une moisson de savoir-faire pour construire sa prochaine station orbitale prévue pour entrer en service d’ici 2020. Plus tard dans l’année, la Chine tentera son premier alunissage (inhabité).

Par son orientation, ce programme dénote d’un curieux mélange de montée en puissance, et de remake anachronique. A coup de milliards de $ par an, la Chine refait des missions vieilles de dizaines d’années, sans gain scientifique à en attendre – sauf le savoir-faire qui lui, n’a pas de prix. 

De nombreuses missions lunaires habitées furent menées dès les années 1960-1980 par la NASA, et la première femme dans l’espace, il y a exactement 50 ans, fut la soviétique V. Teretchkova. Mais systématiquement, sans se laisser distraire, la Chine fait ses gammes, rattrape son retard. 
La Chine est dès aujourd’hui la première nation mondiale par l’intensité de son programme de lancements. A l’avenir, ceci ne peut qu’aboutir à une suprématie dans ce domaine spatial, du fait de l’incapacité de toute autre nation à suivre sa capacité d’investissement et à se doter d’une technologie de pointe à coût incomparablement moindre que celle des pays à économie mature.


Education : Le gaokao en perte de vitesse

Du 7 au 9 juin, tel un mouvement d’horloge, 9,12 millions de lycéens entraient dans 310.000 salles de classe, pour plancher sur l’examen le plus important de leur existence: le gaokao (高考), concours d’entrée aux universités. Ils y resteraient 9h, entre QCM, dissertations, épreuves de maths, chinois, anglais et sciences. Comme chaque année, un intense magma de folklore et de rites avait précédé : passage des parents dans églises et temples (avec encens et aumône), repas de nourriture cervicale au restaurant, remèdes pour la mémoire, massages, réservation d’hôtels à proximité du centre d’examen… Le portail Taobao offrait en vente 870.000 articles auspicieux, t-shirts, porte-bonheur et autres gadgets. Rarement, comme à Chongqing, des taxis attendris offraient leur service gratuitement. 

Hélas, pas d’examen national sans fraude. Cette année, le ministère avait pris les devants avec sévérité contre la triche électronique, où un complice, hors de la salle, reçoit les questions et y émet les réponses, par radio/internet, contre un pont d’or. A Jilin, où la ruse avait été très forte en 2012, la fouille écartait tout objet métallique, y compris les soutien-gorge s’ils contenaient des baleines en fer ! A Jincheng et Linfen (Shanxi), des signaux détectés furent brouillés, et le gaillard émetteur, pris la main dans le sac. 

Pas non plus de gaokao, sans drame : tel cet étudiant égorgé (heureusement sauvé) à la sortie de l’examen. Il fut plus chanceux que cette lycéenne, à Dingzhou (Hebei), courant sous des trombes d’eau vers son épreuve, qui tomba dans une bouche d’égout laissée ouverte, pour réapparaître noyée à 3 km de là, à une autre sortie d’égout. 

Comme chaque année, les sujets apparaissent souvent modernes, originaux, créatifs, parfois même un tantinet persifleurs. Comme ce sujet de maths à Pékin, proposant d’évaluer les chances statistiques d’arriver à Pékin dans une atmosphère de bonne qualité. Un autre sujet, philosophe, proposait de méditer sur la réaction qu’aurait Edison, l’inventeur du téléphone, revenant sur Terre, à découvrir dans le métro, tous les passagers armés d’un téléphone portable. 

Un très timide progrès social a permis à 4.500 migrants de passer l’examen, non dans leur ville d’origine – qu’ils ne connaissent le plus souvent pas – mais dans celle où ils vivent. 

Enfin, on a encore assisté cette année au recul du nombre de candidats. La session 2013 en compte 30.000 de moins que le cru 2012. Par rapport au pic de 2008, le gaokao 2013 engrange 1,38 million de participants de moins. A Pékin, ils n’étaient que 72.736, comparé aux 126.000 candidats de 2006. 

Ces chiffres en baisse s’expliquent par un pic de natalité déjà franchi—une société qui s’apprête à diminuer sous l’effet de 40 ans de planning familial sans faiblesse. Une autre raison est clairement la désaffection d’un système trop rigide, qui garde une foi aveugle dans la valeur du ba- chotage et se méfie de la créativité. Selon le ministère de l’Education, 400.000 jeunes étudient à l’étranger en 2013, soit +23% pour les étudiants et +31% pour les lycéens – dont 380.000, à leurs propres frais. Selon cette mère de famille ayant bloqué 1 million de ¥ pour l’écolage de son fils hors frontières, « c’est le prix d’un appartement en ville. Les Chinois s’enrichissent et l’éducation de nos enfants reste pour nous la valeur suprême ! ». En fin de compte, c’est cette évolution là qui devrait faire bouger les choses. Tout cela rend la réforme urgente —inéluctable.


Politique : Snowden à Hong Kong : Shéhérazade ou Robin des bois ?

Avant de s’enfuir des USA vers Hong Kong le 20/05, Edward Snowden, transfuge de la NSA, lançait une bombe en accusant son agence de hacker des millions d’individus à travers le monde, y compris à HK et en Chine. Sous l’angle de sa sécurité, le choix de cette retraite est subtil : Snowden se retrouve dans un « no man’s land » politique où pour l’instant ni Chine ni USA n’ont osé venir le chercher. Il dispose ainsi d’un peu de temps pour mener sa croisade morale. Pour lui, comme pour Julian Assange (Wikileaks), la mainmise croissante des Etats sur internet menace toujours plus les libertés individuelles.

Pour Pékin, l’affaire pourrait être alléchante : elle lui permettrait de débriefer un des rares hommes qui connait l’architecture du système d’espionnage américain sur internet. Car pour « payer » sa protection, le hacker de 32 ans devrait, telle Shéhérazade, raconter « tous les soirs une histoire », des noms, des réseaux… 

Mais cela suppose aussi de lourds risques pour la Chine :  elle se mettrait à dos un pays avec qui elle cherche à conclure une alliance ambitieuse, et ‚ encouragerait la trahison des secrets d’Etat, suivant un modèle « Robin des Bois » – une initiative qu’elle veut à tout prix décourager chez elle. 

Ainsi, depuis son arrivée, Snowden se terre et distille ses interviews, tandis que la Chine se tait, prudente. Hong Kong elle, par son Chief Executive, Leung Chun-ying, s’apprête à « gérer toute demande d’extradition…selon son système juridique ». Une formule ambigüe, qui devrait signifier qu’elle attend les ordres de sa tutelle, la Chine.


Joint-venture : La Chine, maçon du monde pour son propre usage

La Chine déploie ses ailes dans le génie civil international. Les trois projets qui suivent ont en commun de brasser des milliards de dollars, destinés à des foules massives d’usagers chinois, et quoique très loin du pays, d’assumer la grande majorité des frais et risques. En Biélorussie près de Minsk, sous la baguette du dictateur A. Lukashenko, une JV entre CNMIC et le pouvoir local va construire en 17 ans une ville de 155.000 habitants, reliée à Berlin et Moscou par autoroute et à Minsk par train rapide, éclairée et chauffée par une centrale nucléaire russe (8 à 10 GW). Minsk offre 20 ans de grâce d’impôt totale ou partielle. Les 5 milliards de $ budgétés sont assurés par des banques chinoises dont ExImbank et CDB -banques « politiques » de l’Etat chinois. Les taux d’intérêts sont bas. Seule condition: 50% des matériaux, de l’outillage et des maçons devront venir de Chine. Le choix du projet s’explique par sa localisation à 250 km de Pologne et de Lituanie, avec libre accès aux marchés russe et kazakh. Les employés seront alphabétisés à 99,6%, et payés 560$ par mois, moitié du salaire polonais. Il s’agit de créer une base productive chinoise aux portes de l’UE, pour en contourner la muraille de quotas, contingents et taxes en train de s’ériger à la frontière.

A Londres pendant ce temps, le groupe chinois ABP redéveloppe, avec son homologue britannique Stanhope, la zone industrielle désuète de Royal Albert Dock : 14 hectares de bassins et ateliers faillis qui deviendront les bureaux, logements et surfaces commerciales de la 3ème zone d’affaires de la capitale, proche de l’aéroport, sur le tracé d’une ligne de RER Est-Ouest d’ici 2018. Le chantier coûtera 1,5 milliard de $, dont 30% à charge d’ABP. Les promoteurs ne se cachent pas de vouloir faire une ville dans la ville, fonctionnant sous le fuseau horaire de Pékin, pour attirer les grands groupes asiatiques. Mis à part 20.000 emplois créés, les riverains n’auront rien du nouvel espace. Les prix seront exorbitants, mais une formule spéciale, prisée en Asie, devrait donner au parc un atout maître : les lots d’apparts, étages de bureaux seront vendus, et non loués, pour une durée de 175 ans.

Enfin au Nicaragua, une mystérieuse HK Nicaragua Canal Development Invest Co vient de recevoir pour deux fois 50 ans la concession d’un canal qui forera l’isthme entre les Amériques sur 286 km (cf photo). Avec 22m de fond et 20m de large, il recevra des navires de 250 000TJB, soit plus du double de la capacité du canal de Panama même après ses travaux d’agrandissement à 5,2 milliards de $. Ce nouvel ouvrage coûtera 40 milliards de $, entièrement à charge chinoise, même si le Nicaragua conserve théoriquement la majorité de la JV, à 51%. Le projet comporte aussi une ligne ferrée, un oléoduc, deux ports en eaux profonde, deux aéroports et un « collier de perles » de zones industrielles hors taxe.
Un tel projet va renforcer le pouvoir maritime chinois dans la zone et affaiblir l’américain. L’opacité du projet cache l’implication complète de l’Etat chinois. Seul risque, (immense il est vrai) : ce rêve très ancien n’a jusqu’à présent pas été réalisé, en raison de la fragilité tectonique et volcanique de cette région – les environnementalistes crient au désastre. Mais c’est la conception chinoise du risque ! 


Vu sur le web : De bric et de broc au Céleste empire
De bric et de broc au Céleste empire

Est-ce la fête des bateaux dragons ou l’ambiance de mutation entre deux ères, qui le provoque ? En tout cas, la presse fourmille d’histoires tantôt truculentes, tantôt délicates, toujours insolites. 

– Le 31/05, Wuhan (Hubei) annonçait sa dernière mesure pour faire respecter le planning familial : toute femme ayant un enfant hors mariage devrait s’acquitter d’une taxe de « compensation sociale », égale à trois fois le revenu annuel moyen.
Un tollé s’ensuivit durant la semaine, où la population fut autorisée à s’exprimer sur le sujet. Il y a discrimination du genre féminin et la mesure risque de provoquer une avalanche d’abandon de nouveau-nés ou d’infanticides. 

Sky City Changsha'

– A Changsha (Hunan), après des années d’études, le Conseil d’Etat autorisa la construction de Sky City – peut-être la plus haute tour du monde, à 838m, 220 étages. 

BSB le groupe chinois responsable, prétend bâtir en 90 jours (si, si !), grâce à une technique inédite de préfabriqué hors site. BSB n’en est pas à son coup d’essai, ayant déjà 20 constructions à son actif.
Sky City renfermerait 56 cours de tennis ou de basket en altitude, piscines, théâtres, un hôpital, des appartements pour 30.000 habitants, et quelques hectares de fermes hydroponiques verticales. L’air filtré sera 20 fois plus pur que la moyenne des villes, l’éclairage 100% par LED, les baies à quadruple vitrage. Un projet très remarqué et contesté—à suivre. 

– En dépit de (ou peut-être, grâce à) sa pauvreté, le district de Bama (Guangxi) est connu pour sa longévité, abritant plus de 80 centenaires. Il vient de perdre sa doyenne, Luo Meizhen qui veut emporter avec elle le record de vieillesse. Elle revendique 127 ans, ce qui lui aurait fait 15 ans lors de la guerre des Boxers en 1900.Mais son dossier révèle qu’elle aurait donné naissance à 61 ans… 

Luo Meizhen

C’est une des raisons pour laquelle le Guiness Record lui a refusé la palme – laquelle demeure aux mains momifiées de la française Jeanne Calment, décédée à 116 printemps.

– Depuis 2010, huit écrivains et producteurs vidéo new-yorkais ont un passe-temps particulier : ester en justice contre Baidu (1er moteur de recherche chinois) et le Conseil d’Etat leur réclamant des millions $ pour avoir fait censurer leurs œuvres et ainsi empêcher le public chinois de goûter leurs créations. 

Ils exigent donc compensation ! La Chine et Baidu se retranchent derrière la souveraineté nationale garantie (jusqu’alors) par la Convention de la Haye. Mais après 3 ans d’avatars et d’allers-retours juridiques, le juge Jesse Furman de Manhattan croit la plainte recevable. Les artistes ont 30 jours (au 10/06) pour énoncer le litige aux accusés à New York, et 120 jours pour le faire à Pékin, via les ambassades. Le tout, sans faire ombre à la souveraineté chinoise !

– Autre pratique pas banale : celle du dingzui (顶罪, « substituer le criminel »), où un sosie est payé pour être condamné à la place d’un riche ou puissant coupable.
Parmi les cas soupçonnés figurent celui de Gu Kailai, condamnée à perpétuité en 2012, et de Hu Bin (Hangzhou) en 2009. La pratique est antique, attestée dès le XIX. siècle. Mais de façon bien compréhensible, les autorités démentent en bloc. Condamné à 3 ans, Hu Bin est donc relâché en 2012 – mais qui est vraiment sorti ? 


Politique : Liu Zhijun, le procès-vérité

En avril 2013, la cour intermédiaire de Pékin inculpait formellement Liu Zhijun, l’ex-ministre de l’ex-ministère des Chemins de fer, pour corruption aggravée d’abus de pouvoir, d’avoir facilité promotions et contrats pour 11 personnes et d’avoir empoché pour 10,53 millions $ de dessous de tables. Ce qu’on lui reprochait surtout était cet accident de juillet 2011 entre 2 TGV près de Wenzhou ayant coûté 40 vies et surtout, fait perdre la face au système ferroviaire chinois. Pour tout cela, il risquait la perpétuité, ou la peine de mort. 

Puis le 11/06 arrivait son procès (cf photo) mené lestement en quelques heures, avec deux surprises de taille :
-Œ les fruits de sa gabegie concernaient non 10, mais 100 millions $, accompagnés de voitures de luxe, de 374 villas et de l’entretien d’un harem de 20 jeunes femmes à sa disposition.
– Nonobstant, le procureur, désormais, demandait la clémence : l’homme avait coopéré, rendu le fruit de ses larcins, et fait preuve d’émotion, pleurant le jour du procès !

Sur Weibo, la rumeur qui court que le pouvoir aurait décidé pour lui d’une peine légère, passe très mal.
Kaifu Lee, ex-PDG de Google-Chine, estime qu’il en va de la légitimité de tout le programme « Rêve de Chine » de Xi Jinping. 

Mais à l’évidence, Xi Jinping ne fait pas tout ce qu’il veut, et doit composer pour réunir la majorité nécessaire afin de faire passer les réformes de fond qu’il prépare, avec son 1er ministre Li Keqiang, pour le 3ème Plénum de novembre. Enfin, une rumeur ne fait pas toujours vérité : il faut attendre !


Petit Peuple : Guang’an – le fils retrouvé après 23 ans

En 1985 à Yaojiaba (près de Guang’An, Sichuan) naissait Huang Tun, à la fierté de ses parents, paysans. Ils le voyaient déjà ingénieur, commercial ou gaoganbu (apparatchik) – n’importe quoi, pourvu qu’il fût diplômé et fasse une carrière qui le protège à jamais de la pauvreté. En attendant l’école, le petit Tun fréquentait sagement le jardin d’enfant…

Mais le guignon rodait sous la forme d’une pègre à l’affût de leur fils, la seule richesse de ces gens vulnérables. Un sombre matin de 1990, quand Tun se rendait à sa maternelle avec sa mère, ils virent piler un véhicule, deux hommes masqués jaillir pour arracher le petit, avant de repartir, laissant un nuage bleuté nauséabond de gomme brûlée. Les cris de sa mère n’y changèrent rien : en 10 secondes, le sort de Tun venait de basculer à jamais. 

Ce kidnapping en Chine, n’ a rien de rare. Une agence fédérale US estime à 20.000/an le nombre d’enfants chinois ainsi volés. Un marché s’est créé, en conséquence du planning familial qui prive d’enfants mâles de nombreuses familles, heurtant leur foi confucéenne et l’espoir de soutien dans leur vieil âge. Compte aussi la légèreté relative de la loi face aux liens claniques et aux ententes locales. Envers cette pratique détestable, la police ferme les yeux et ne réprime que d’une main légère. 

Au commissariat, face aux parents éplorés, des agents levèrent les yeux au ciel. D’autres haussèrent franchement les épaules : leurs registres débordaient d’affaires similaires, et ils n’étaient pas équipés pour infiltrer la chaîne des kidnappeurs à travers tout le pays, de l’intérieur pauvre vers la côte riche. 

Pendant ce temps, le petit Tun, caché le jour, voyageait de nuit en bus avec son passeur, jusqu’à Sanming, Fujian (à 1500 km à l’Est). Là, il était livré à ceux qui l’avaient commandé : un couple stérile, qui paya très cher les gangsters, puis la police, pour l’enregistra le plus légalement du monde, sous le nom de Luo Gang (appelons-le désormais ainsi). 

Il ne manqua pas d’amour, mais ne réussit pas comme sa vraie famille l’avait rêvé. Deux ans après son enlèvement, ses parents adoptifs décédèrent. Alors les grands-parents prirent le relais, s’occupèrent de son éducation, mais sans parvenir à lui permettre de faire mieux que contremaître en bâtiment. 
Quoiqu’il en soit, le destin de Luo est exceptionnel et unique en ceci : à 5 ans, le petit prit la décision froide et raisonnée de combattre, toute sa vie, cette violence qui lui était faite. Avec une discipline militaire, il s’astreignit à cet effort bizarre et admirable : tous les soirs au coucher, il raviva en son âme tous les détails de sa vie antérieure, au village natal, quoiqu’il en ait oublié le nom. 

De la sorte, à 29 ans, quand il prit contact en 2013 avec baobeihuijia.com (« bébé rentre au foyer »), énorme association de victimes de kidnapping comptant 220.000 correspondants à travers les 30 provinces chinoises, il pouvait présenter une masse de données. A main levée, il avait dressé une carte du village autour d’un confluent avec deux ponts (cf photo). À son accent d’enfance, il pensait venir du Sichuan ou de Chongqing. 

À BBHJ, stupéfaits par la profusion de souvenirs, les experts surent qu’ils pouvaient faire quelque chose. Le dossier fut envoyé aux membres locaux, qui se mirent en chasse. Et peu après, remontait de Guang’An (Sichuan) la piste de ce couple de quinquagénaires pouvant répondre à la description. 
Dès lors les choses allèrent très vite. Consultant Google Map, Luo étudia la vue satellitaire, et sentant sa vue se brouiller de larmes, retrouva instantanément ses ponts, ses rues… Puis à Chongqing, il fit faire un test ADN : tout concordait, il retrouvait ses parents, son nom de naissance, tout en découvrant la demi-sœur que ces derniers avaient adoptés ensuite, pour faire taire le désespoir.

Maintenant, Luo/Huang est heureux et partage son amour entre ses deux familles : aujourd’hui chez ses parents à Yaojiaba, où il aide aux champs, demain à Sanming, où il s’occupe de ses grands-parents adoptifs, il veut se marier, rebondir dans l’avenir. Fier de n’avoir « pas transigé avec son devoir » (矢志不移, shǐzhì bùyí ) et d’avoir pu terrasser le dragon du passé !


Rendez-vous : Les rendez-vous de la semaine du 17 au 22 juin 2013
Les rendez-vous de la semaine du 17 au 22 juin 2013

17-19 juin, Pékin : Congrès mondial sur l’industrie et invest miniers

17-21 juin Pékin : CIMES, Salon de la machine-outils

19-21 juin, Shanghai : Offshore China sur les énergies éoliennes

20-22 juin, Chengdu : CEF, Salon de l’électronique

20-23 juin, Dalian : Boat Show, Salon nautique

21-23 juin, Pékin : BITE, Salon des industries du tourisme et des loisirs

21-23 juin, Shanghai : Luxehome, Salon int’l de la décoration intérieure

22-24 juin, Pékin : Luxury China, salon asiatique du luxe