Le Vent de la Chine Numéro 35

du 27 octobre au 3 novembre 2012

Editorial : Avant Congrès : un climat tendu…

Congress Salle

Sous l’angle des préparatifs du XVIII. Congrès du 08/11, la semaine qui vient de s’écouler a deux visages contradictoires : 

– En surface, un faux calme plat, induit par la censure et une prudence extrême des acteurs politiques.

– Dans l’ombre du PCC, une hyperactivité de palabres, compromis sur la composition du Comité Permanent, sur la lutte contre une opinion déterminée à freiner les réformes de marché. Une lourde concession aurait déjà été faite à cette aile gauche par la troïka des ‘3 Présidents’ Jiang Zemin (l’ancien), Hu Jintao (l’actuel) Xi Jinping (l’imminent) : l’abandon de Wang Yang (Secrétaire de la province de Canton), le plus progressiste des membres pressentis au Comité Permanent, rival de Bo Xilai, en contrepartie de la chute de l’ex-leader de Chongqing.

Justement les 23-26/10, le Bureau du Parlement (ANP) tenait l’ultime session avant le Congrès : c’était surtout pour clôturer le dossier Bo, l’exclure de son sein, lever son immunité et permettre sa condamnation judiciaire, en une course contre la montre d’ici le 08/11. Jusqu’au bout, une campagne de la rue et du Parti aura tenté d’enrayer sa descente aux enfers – le leadership aura tenu bon.

Conséquence de la chute de Bo, et de son « modèle de Chongqing » (une éphémère et anachronique tentative de faire revivre les valeurs gauchistes), le Parti semble prêt à opérer un début de démaoïsation. Adopté (22/10) au Politburo, le projet d’amendement de sa Constitution reprend les slogans hérités de Deng (le « socialisme aux couleurs de la Chine»), de Jiang (les « Trois Représentativités») et de Hu (la «conception scientifique de la croissance»), mais fait passer à la trappe toute référence à la « pensée de Mao ».

Cette déconstruction idéologique et le procès de Bo n’auraient pas pu se faire sans l’assentiment de Jiang. Or, on voit ce dernier, à 86 ans, multiplier les apparitions médiatisées, quatre en 15 jours. Parmi celles-ci, le 9/10 à Pékin, il recevait des membres de l’université « Océan » de Shanghai (son fief). Le 19/10, il faisait rappeler par le Quotidien du Peuple son statut de leader « qualifié » octroyé par Deng. Or 20 ans en arrière, préparant l’après-Jiang, Deng avait nommé Hu Jintao, empêchant ainsi l’empereur en titre de se perpétuer.

Pour Jiang, à présent en 2012, le fait de revendiquer pour lui aussi la « bénédiction » du patriarche, signale à tous qu’il est le « faiseur de roi » – en échange de concessions douloureuses, sur Bo Xilai par exemple… .
Selon la dernière rumeur, Hu Jintao serait réputé avoir réussi à placer, son allié Liu Qibao, 59 ans, secrétaire du Parti au Sichuan (un conservateur modéré) comme futur ministre de la Propagande au Conseil d’Etat.

Et Xi Jinping ? Tout en guerroyant pour imposer ses hommes dans les organes directeurs, il semble poursuivre les préparatifs d’un ambitieux train de réformes : celles des Chemins de fer, des Postes et de la production saline, en avant-première d’une refonte du cadre réglementaire et des privilèges des firmes publiques. D’autres grandes réformes annoncées, avec parcimonie de détails, concernent la finance (taux d’intérêt et yuan), et la taxation.

Pendant ce temps, la presse évoque en toile de fond la nervosité qui gagne sur un climat social frappé à la fois par le rétrécissement du marché de l’emploi, la hausse des prix alimentaires, et la série de scandales touchant à la vie privée, la fortune de ses leaders. Ainsi éclatent des émeutes écologiques de milliers de riverains à Yinggehai (Hainan, 22/10) et Ningbo (Zhejiang, 24/10). A Shanghai, un jeune patient est condamné pour l’assassinat de son médecin. Et selon les résultats de son enquête, le groupe Regus constate l’aggravation du stress chez presque 80% des travailleurs l’an passé.

Tout cela semblant chuchoter, montant depuis la base, un message unique : « réformer, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard ! ». Mais plongées dans leur guerre de succession, les sphères supérieures sont-elles en état de l’entendre ?


Portrait : Wang Huning, « 20 ans dans l’ombre, Deus ex machina…»
Wang Huning, « 20 ans dans l’ombre, Deus ex machina…»

 

Où qu’il aille, Hu Jintao l’emmène dans ses bagages : à la Maison Blanche comme dans une ferme du Henan, Wang Huning, attentif, est toujours à quelques mètres derrière lui. Depuis deux décennies déjà, Wang est le discret conseiller des dirigeants chinois. Avant d’assister Hu, Wang, insensible aux chapelles politiques, servait son prédécesseur, Jiang Zemin. Wang a même forgé leurs slogans : « triple représentativité » pour Jiang, « théorie scientifique du développement » pour Hu – formules depuis, inscrites à la Constitution.

Né en 1955 à Laizhou (Shandong), Wang Huning est un des personnages les plus atypiques de la classe politique chinoise, car il est avant tout un intellectuel. Diplômé en politique internationale à Fudan, francophone (5 ans d’études) et anglophone, il se familiarisa à la culture politique occidentale après avoir été « professeur invité » à Berkeley. Suite à ce cursus brillant, Fudan le garda (1989) comme professeur titulaire : à 25 ans, c’était le record de jeunesse dans la fonction. À 33 ans (autre record), il devenait recteur de Fudan. Et en 1995, Jiang Zemin le prit sous son aile, après avoir été qualifié de « talent incontournable » par Wang Daohan (alors maire de Shanghai).

Depuis 2002, Chef du Centre de recherche politique, Wang calibre les politiques futures, rédige les discours. Capable d’un formidable mélange de créativité, il rassure par son apparente absence d’ambition personnelle et a su se rendre indispensable de tous.
Séduit par le « néo-autoritarisme » (新权威主义, xīn quán wēi zhǔyì) à la mode de Singapour, Wang en fera son ouvrage de référence (publié dans les années 90), dont Jiang pouvait en réciter des passages entiers. 

Son principe ? Un gouvernement autoritaire est, dans un premier temps, indispensable pour assurer la stabilité politique et sociale. Cette stabilité permet de poursuivre les réformes économiques, de développer une classe moyenne, et in fine, d’établir les bases d’une démocratie libérale. Pragmatique et ouvert d’esprit, Wang, protégé par son statut de chercheur, affiche donc clairement son programme : serrer les boulons d’abord, puis permettre une démocratisation progressive – d’abord au sein du Parti, puis dans la société – et renforcer l’Etat de droit.

D’ailleurs cette année, un article signé de lui en 1986, est republié, prônant l’indépendance de la justice. Enfin, le 23/10, Yanqiu Shidai, organe du Parti, appelle à étudier le « modèle de Singapour », le Dada de Wang.

Ces « signes » suggèrent qu’il pourrait exercer une influence sur l’organe suprême, ces 5 ans à venir ! Présent au Comité Central depuis 10 ans, Wang devrait entrer à 62 ans au Bureau Politique en 2017.

Ce portrait est extrait de notre étude « Xi Jinping, la nouelle ère » parue fin 2012.


Défense : Purgée, l’APL resserre les rangs

Surprise le 23/10 au sein de l’APL : les généraux Liu Yuan (61 ans) et Zhang Haiyang (63 ans), sont écartés de la course à la CMC, le commandement collégial suprême de 12 sièges. Liu était le mieux placé, mais tous deux chutent, pour cause de liens avec Bo Xilai. Liu est aussi éliminé pour avoir tenté après l’éclatement du scandale, de dénoncer ses pairs en soutenant la campagne anti-corruption militaire de Hu Jintao.

Hu remettra-t-il son mandat de n°1 à la CMC lors du Congrès ? Ou bien briguera-t-il, comme le fit Jiang Zemin, deux ans de prolongation ? Si Jiang a lâché Bo, son protégé, permettant qu’il soit jugé, c’est peut-être comme concession pour que Hu s’en aille. En somme, la messe n’est pas dite !

Les 4 Départements généraux de l’APL viennent d’être pourvus, assurant leurs titulaires d’une place à la CMC. Après les mises à l’écart de Liu et Zhang, ces promotions apparaissent automatiques, sans suspense : le DG Politique revient à Zhang Yang, (l’ex-Commissaire politique de la Région Militaire de Canton, homme de Hu). La logistique revient à Zhao Keshi (l’ex-patron de la RM de Nankin). L’Etat-major va à Fang Fenghui (ex-RM de Pékin, homme de Hu), l’équipement à Zhang Youxia (ex-RM de Shenyang), et Ma Xiaotian reprend les commandes de l’aviation, et sa place à la CMC.

Xu Qiliang, prédécesseur de Ma Xiaotian, est pressenti comme un des deux vice-présidents de la CMC : pilote de chasse de 62 ans, promu au mérite (réputé proche de Jiang), il est aussi le chantre du spatial militaire. D’autre part, pour mars 2013, l’amiral Wu Shengli, commodore de la marine (67 ans, protégé de Hu), pourrait passer ministre de la Défense. Si ces deux promotions sont confirmées lors du XVIII. Congrès, elles renforceront la priorité déjà visible depuis 10 ans au moins, à l’émergence d’une marine et d’une aviation capable de rivaliser avec celles des Etats-Unis, en volume et en capacité opérationnelle – on en est encore loin.

On voit d’ailleurs dans ces nominations une limite à telle ambition : les quatre DG restent aux mains des forces terrestres, du fait d’une faille dans l’organigramme qui octroie à ces quatre structures la supervision de l’APL entière, et la gestion des forces au sol. Une nomination de Wu et/ou de Xu comme n°2 à la CMC pourrait donc annoncer davantage d’efforts vers un commandement interarmées, voire, vers la création d’un état-major des seules forces terrestres.

En fin de compte, à travers ces promotions nébuleuses à la tête de l’institution la plus secrète du régime, se confirme en filigrane la pratique éternelle d’élévation de « fils de princes », préparées jusqu’à cinq ans à l’avance. Mais il y a les accidents de parcours, telle l’affaire Bo qui a effrayé le Parti, l’incitant à débarquer les plus mouillés, tel Zhang Haiyang.

Et puis il y a ceux qui parlent trop, comme Liu Yuan. Ou encore Zhang Qinsheng le stratège, qui paie ses propos audacieux sur la 国家化 (guojiahua), « nationalisation » de l’armée (prétendant que la défense nationale doive prendre ses ordres de la République et non du Parti). Une faute impardonnable pour ce corps issu des mêmes familles historiques que les leaders politiques, dont la valeur première n’est plus certes l’ardeur révolutionnaire, mais la collégialité – la solidarité jusqu’au bout, même dans les fautes !


Joint-venture : Nucléaire – « A vos marques… »

Après Fukushima, et 19 mois de gel de construction de centrales nucléaires en Chine, le Conseil d’Etat (24/10) rouvre la vanne, selon des conditions draconiennes. Pour prévenir l’assèchement prévisible des cours d’eau, les centrales en Chine « Jaune » de l’intérieur sont interdites, d’où le blocage sine die de 3 chantiers au Hunan, Jiangxi et Hubei. Des normes rigides sont imposées, limitant les projets à la « 3ème génération » type AP1000 (Westinghouse), ou EPR (Areva). 

Les suites sont inévitables : les coûts augmenteront (80 milliards de $ pour porter les 15 centrales existantes aux normes), et les projections d’implantation vont plonger. En 2010, la Chine visait « 100GW » en 2020. Aujourd’hui, le chiffre réaliste est estimé à 60-70GW. Au ministère de l’Environnement, on admet que la sécurité du parc actuel « ne prête pas à l’optimisme », du fait du manteau d’arlequin des modèles existants (français, américain, russe ou locaux).

Un paragraphe intéressant du document prévoit l’« encouragement des investissements étrangers dans la construction de centrales nucléaires (et de toutes autres sortes de centrales électriques) pourvu que la partie chinoise en garde de contrôle ». C’est la main tendue à de nouveaux joueurs dans ce secteur, disposant de technologie et de capitaux, et voyant leur marché occidental pour l’instant bloqué pour cause d’opinion défavorable…


Joint-venture : Obama à Sany : la réponse du berger à la bergère !

Septembre 2012 : le Président B. Obama pose son veto au rachat de 4 fermes éoliennes dans l’Oregon par la Rall’s Corp, car trop proches d’une base navale, d’où un risque pour la sécurité nationale. C’est de Pékin que fuse la riposte de Wu Jialiang (PDG). En effet, Rall’s est une filiale indirecte du groupe chinois Sany, n°1 chinois national de l’équipement en BTP.

Chez Rall’s, la surprise est amère, car une des centrales au moins a déjà été rachetée avec permis d’opérer. En 22 ans, c’est la première fois qu’un président américain prend une telle mesure, sans apporter de preuve du risque de d’espionnage – signe de méfiance particulière. Aussi M. Wu évoque-t-il les « milliers d’emplois américains perdus par cette décision arbitraire », et porte plainte en justice américaine, qu’il estime « gagnée d’avance ».

Par ailleurs, à travers cette grosse colère, le géant chinois du camion-grue exprime davantage un « marche-ou-crève », une obligation de s’exporter ou périr. Alors, aux USA et en Europe, il met « le paquet ». A Peachtree (Géorgie), sa tête de pont aux USA, il a lancé son campus de 60 millions $ dès 2007 et prépare son centre de R&D à 100 millions $, destiné au marché local. Mais le temps presse, car si au 1er semestre, le groupe atteint un profit mondial de 1,3 milliards de $, le marché chinois, qui représente plus de 90% de ses ventes, n’augmente plus que de 1,56%. Il est donc urgent de renouer avec la croissance, en éreintant hors frontière la concurrence par des prix imbattables !

Dès cette année, ses ventes américaines progressent de 50% grâce à une stratégie commerciale agressive, telle cette garantie double de celle de la concurrence mondiale, étendue à 2 ans et 4000 heures d’usage. D’ici 2017, Sany compte produire et vendre à l’étranger jusqu’à 40% de son activité.
Mais ce plan se trouve compromis ces derniers mois par d’autres mauvaises nouvelles, hormis le veto d’Obama. En septembre, Sany demande à renégocier ses emprunts, notamment celui de la reprise à prix ruineux (360 millions d’€) de Putzmeister, n°1 mondial (allemand) de la pompe à béton. Et le 12/10, Zhou Wanchun, le PDG de la filiale Equipement, démissionne, à cause des mauvais chiffres de vente.

Enfin au-delà de la crainte pour la sécurité militaire, Obama a eu peut-être d’autres motifs pour son veto à Rall’s dans l’Oregon : 

❶ La razzia chinoise sur le marché mondial des énergies renouvelables, par son offre en équipements à prix de dumping – des rétorsions des USA, comme d’Europe, sont en route. 

❷ Le duel Obama-Romney pour les présidentielles, et l’impératif pour le candidat Président d’apparaître pugnace dans la protection contre la Chine.

❸ Le dernier motif se réfère à l’histoire. En 2005, pour 375 millions de $ Carlyle (USA), rachetait 85% de Xugong, groupe municipal en difficulté, alors n°1 chinois du BTP. Sany (le n°2) avait fait campagne contre le deal, invoquant des motifs « patriotiques », et soucieux en réalité d’empêcher Xugong de s’internationaliser. Sous la pression de ses puissants alliés politiques, Pékin avait arbitré en faveur de Sany : après 3 ans d’attente vaine, Carlyle jetait l’éponge.

Aujourd’hui, l’administration américaine, avec mémoire d’éléphant, fait à Sany ce qu’il fit (avec l’administration chinoise) à Carlyle 4 ans auparavant. C’est la « réponse du berger à la bergère », et il est plaisant de voir un groupe chinois défendre aujourd’hui si âprement la liberté du commerce !


Joint-venture : Aigle Azur, une aile française, l’autre chinoise

Hainan Airlines

Après deux ans de palabres dans l’ombre, Aigle Azur et HNA group (Hainan Airlines) signent le 23/10 une coopération qui fera date : le plus ancien transporteur aérien français, fondé en 1946 (douze A320) se laisserait racheter pour 40 millions de $ par le conglomérat semi-privé de 410 appareils et 12 filiales, propriété à 35% de George Soros

C’est la première entrée d’un transporteur chinois chez un européen, et il va droit au but en reprenant pour 48% des actifs – le plafond légal est de 49,9%.

Disproportionné, le mariage peut sembler risqué mais chacun y trouve son compte. Pour HNA, la « pépite », c’est Orly, où Aigle Azur a ses entrées. Dès cet été, grâce à deux A320 flambants neufs, Aigle Azur volera, en plus de ses 23 routes actuelles (Portugal, Tunisie, Mali, voire Russie) vers Pékin, 5 à 6 vols/semaine, éco + business. D’Orly, Paris n’est qu’à 14 km, contre 30 km de Roissy : plus confortable.

Tandis que pour Aigle Azur, le rachat permet de traverser une période délicate, entre récession et concurrence accrue sur les prix. A. Idjerouidène, le DG trentenaire de la compagnie, explique qu’à part devenir low-cost (ce que le groupe ne souhaitait pas), sa seule planche de salut viendrait du long courrier. Il évoque aussi, un rien mystérieusement, avec l’autre PDG Cheng Feng, les préparatifs d’autres lignes vers la Chine, sans précision : peut-être de l’acheminement, rendu possible par l’alliance avec HNA !


Argent : Fortunes cachées, puis révélées…

Dossier polémique du New York Times, 26/10 : dans les assurances, le diamant, le pneu, la résidence (luxe), les chantiers ou le traitement des eaux, le patrimoine familial du 1er ministre Wen Jiabao s’élèverait à pas moins de 2,7 milliards de $, amassé au confluent des sphères politiques et d’affaires, chinoises et asiatiques.
Dans le même style, en juin, Bloomberg évaluait la fortune de Xi Jinping à 340 millions de $, et les deux révélations semblent basées sur des fuites, au sein du PCC, des adversaires de ces leaders… 

Le ministère des Affaires étrangères dénonce la « calomnie souillant l’héritage historique » de Wen. Mais, à jour J-15 du XVIII. Congrès, la date de parution semble viser un effet maximal dans l’opinion.


Petit Peuple : Shangqiu – le Fugitif

En 1980 à Shangqiu (Henan), avec Li Yuan son frère aîné, Qingchun vivotaient de leur ferme, complétant leur maigre récolte par une activité de guérisseurs, aux remèdes antiques, mais pas d’une efficacité à toute épreuve. 

Une famille des environs leur avait amené une épileptique, les priant de la libérer « de ses démons ». Ils avaient une recette, un élixir d’alcool aux cendres d’encens : ils le préparèrent et le lui firent boire. 

Mais le lendemain, catastrophe : dans la nuit, la femme décédait à l’hôpital… C’est alors que l’âge leur fit commettre l’erreur fatale : au lieu d’aller s’expliquer, nos jeunots affolés se cachèrent. Pour le juge, ce fut l’aveu qui leur valut à chacun 15 ans fermes. Leur prison, à Zhoukou, était du style de nos bagnes d’antan, avec une différence : à 12 gardes pour 200 taulards, la surveillance était plus lâche. Dans le style Mao, la discipline était « autogérée » par les reclus mais se sauver n’en valait pas la peine : tôt ou tard, on était repris et là, le châtiment était sans pardon.

Qingchun fut l’exception à la règle : cet être jeune (24 ans), plein de sève, ne pouvait rester captif le meilleur de sa vie, pour une mort qu’il n’avait pas voulue, et dont il n’était en quelque sorte pas responsable, pas vrai ? 

Un soir de novembre 1980, il se trouva en un verger avec 20 autres bagnards, de corvée de taille des pommiers. Profitant de l’inattention générale, il se glissa sous un tas de feuilles, de branches élaguées. Le froid poignant de la nuit ne l’atteignait pas – sous sa cape de coton kaki, il avait passé en pelures d’oignon toute sa garde-robe. Après 10 minutes, un autre convict donna l’alerte. La battue fut lancée : il resta de marbre. Une heure plus tard, sacrant et pestant, les matons retournèrent avec les prisonniers qui leur restaient, faire leur rapport. 

Ainsi s’ouvrit la nouvelle vie. Il dormait caché le jour et circulait de ville en ville et se nourrissait la nuit, protégé des regards par sa crasse et ses haillons. Malgré sa misère, il sentait une exaltation princière, à avoir floué le système. Son statut de fugitif, transfuge de la loi, le parait d’une dignité antique, de celle des bandits d’honneur libres en leur montagne. 

Bon, il y avait aussi la faim, le froid, la maladie. Ainsi que ces cauchemars à l’aube dans les taillis, de la justice le prenant, main glacée au collet…Ce qui faillit lui arriver après un an de « belle ». Menotté, interrogé, il s’en tenait à son histoire, indifférent aux coups : il était orphelin, sans famille ni souvenirs. On le relâcha donc. S’il n’était vraiment que ce pauvre miséreux, il n’intéressait plus la police qui n’allait pas le réincarcérer et se mettre à le nourrir – et pis quoi encore ? 

Mais la leçon avait porté : il lui fallait un statut minimal… Il trouva un job dans une mine et fut accueilli sans question par des contremaîtres friands de ce genre de demi-citoyens en rupture de ban, taillables-corvéables à merci. 

A ce rythme, il s’usa prématurément. Mais il reprit la route. Miné de silicose, d’arthrite, il était hanté par la nostalgie de sa ferme natale : « chien perdu sans maison » (丧家之狗, sàng jiā zhī gǒu). Et c’est enfin à l’aube de l’hiver 2012, pour la fête de mi-automne, qu’il osa sauter le pas, retourner à Shangqiu. 

Le choc y fut grand. Sorti de prison 17 ans plus tôt, Li Yuan avait refait sa vie. Ses copains d’enfance étaient grands-pères, avec petits mômes sur les genoux…

Enfin, après avoir pleuré 2 jours, Qingchun comprit qu’il fallait avancer. Il se renseigna : c’est comment la prison de nos jours ? « On y travaille pour rien ou presque, lui répondit-on, mais à ce prix, on est soigné comme le fermier soigne son bœuf – même les maisons de retraite n’en donnaient pas autant ! » Voilà pourquoi, le 08/10 à l’aube, enterrant ses 32 ans de cavale, Li Qingchun tambourinait aux portes de la taule. 

Certes, il dut bientôt se rendre à l’évidence, la justice, dans l’intervalle, n’avait pas plus appris la compassion que l’humour, en lui confirmant ses 14 ans restants, alourdis d’un peu de « rab ». 

Au fond, a-t-il fait un si mauvais calcul ? L’été de sa vie, il l’a vécu libre et fier, et l’automne, il va le passer au chaud, payé par la République. Et le tout donne une vraie vie : s’ils savaient, (se prend-il à soupçonner) des millions de Chinois rêveraient de pouvoir en dire autant ! 


Rendez-vous : Les rendez-vous de la semaine du 29 octobre au 4 novembre 2012

Rdv

<p>29 oct. – 1er nov. Shanghai : PTC Asia, Salon de la transmission et du contrôle de puissance, l’hydraulique et la pneumatique, les techniques de l’air compressé, les moteurs à combustion interne et les turbines à gaz…

30 oct-1er novembre : Shanghai : CEF, Salon de l’électronique

1-2 nov. Suzhou : Fastener Trade Show, Salon de la fixation

1-4 nov. Shanghai : Shanghai Art Fair

1-3 nov. Shanghai : Salon de la maison et de la décoration

1-4 nov. Pékin : Pet Show, Salon de l’animal familier 

5-7 nov. Pékin : Conférence et Salon sur les panneaux solaires