Le Vent de la Chine Numéro 13
Après 15 ans de souveraineté chinoise, le Collège électoral de Hong Kong siégeait pour l’ultime fois avant le suffrage universel de 2017, selon le traité de rétrocession. En élisant Leung Chun-ying (25/03) Chef de l’exécutif, on assiste à un retournement qui eût été impensable lors des scrutins précédents.
Prenez Henry Tang, ex-Chef du Secrétariat, dauphin officiel de Pékin, adoubé depuis cinq ans. Suite à une série de maladresses teintées de morgue (maitresse niée puis avouée, construction sans permis d’un sous-sol à sa résidence de luxe), il perdit toute crédibilité. Du coup, 10 jours avant le vote, Wen Jiabao se retrouvait à soutenir la candidature de Leung au nom de son « appui par une vaste majorité », et Xi Jinping (le responsable du dossier Hong Kong) faisait sa pub dans les couloirs de la CCPPC, la Conférence Consultative Politique du Peuple chinois…
Cependant Leung n’était guère plus populaire. Les riches l’accusaient de ne jurer que par des logements sociaux à outrance, investissement « ruineux » ; les démocrates se souvenaient d’un Leung, fier partisan d’une réduction des libertés – la tentative d’amendement à « l’Article 23 » qui avait causé en 2003 et 2004 des marches de 500.000 opposants, incitant Pékin à enterrer l’impopulaire projet.
En fait, Leung comme Tang pâtissaient de l’héritage de D. Tsang, l’actuel leader, à qui l’on reproche une passivité face au coût de la vie (loyers de +60% en 3 ans), à la pollution de l’air, où Hong Kong détient le 8ème taux mondial de décès (43/100.000 habitants selon Clean Air Network). Autrement dit, les patriciens désignés par Pékin depuis 1997 pour diriger la Région Administrative Spéciale (RAS), semblent pécher par incompétence en gestion sociale et urbaine, autant que par parti-pris dans la défense des intérêts des « 200 familles ».
C’est dans cette atmosphère de défiance qu’arrive Leung, avec la question en filigrane : l’autonomie promise par la Loi fondamentale et le principe de Deng Xiaoping d’« 1 pays, 2 systèmes », sera-t-elle respectée ? Ou bien sapée par l’action invisible du Bureau de liaison de la RPC ? En effet, à peine les résultats connus, Leung lui faisait une visite de courtoisie de 90 minutes, réveillant à son sujet soupçons et craintes.
Autre surprise : la prise d’indépendance du Collège électoral. Quoique largement nommé par Pékin, il n’a accordé au vainqueur que 57% des voix contre 22% à Tang, 6% à A. Ho (le démocrate) et 15% de votes nuls – pire score d’un « Chief Executive» depuis 1997. On a aussi vu à cette occasion un scrutin « off» sur internet, genre de suffrage universel dissident : 223.000 personnes se sont donné la peine de voter, dont 54% sous forme d’abstentions, pour dire que ces candidats n’étaient pas les leurs.
Résultat : Pékin se préoccupe discrètement de ce vote «indiscipliné», tandis que la rue crie à l’«ingérence» continentale. Mais ce double mécontentement suggère que le bilan n’est pas si négatif que cela. [1] Le peuple sait bien que son bien-être dépend avant tout de la Chine. [2] Le régime se résigne à l’inéluctabilité d’un vote démocratique en 2017, car il ne peut se permettre de briser un statu quo, dont dépend la confiance de l’investisseur et le passage de son yuan au statut de devise.
Quant à Leung, il prend son bâton de pèlerin, visite les uns et les autres, rassure et promet de ne pas être un « yes man » une fois aux manettes, passé le 1er juillet 2012.
Tonnerre sur Hong Kong le 29/03: l’ICAC, l’indépendante agence anti-corruption, arrête Thomas et Raymond Kwok, patrons de Sun Hung Kai, 3ème fortune de l’île (15,4MM$).
Plus haute arrestation depuis sa création en 1974. Dans cette Région Administrative Spéciale (RAS) où les magnats décident de tout, cela ressemble à la fin d’une ère.
Elle arrive quatre jours après l’élection de Leung Chun-ying, prochain Chef de l’exécutif (cf article dans ce même VDLC) : point d’orgue d’une campagne très tendue, critique envers la classe politique, et la flambée des loyers depuis trois ans, servant ses intérêts. L’ICAC appréhendait aussi Rafael Hui, ex-chef du Secrétariat de 2005 à 2007, cheville ouvrière de l’élection de l’actuel patron du gouvernement Donald Tsang.
Et puis resurgit l’autre affaire Kwok, celle de 2008. Walter, l’aîné de la fratrie avait été évincé de la présidence de Sun Hung Kai suite à une querelle : ses frères et la vieille mère avaient convaincu la cour de sa subite « défaillance mentale ». L’aîné prétend avoir été écarté pour avoir tenté d’enrayer des pratiques douteuses au sein du groupe.
Or Walter, seul des trois, est resté en liberté : de là à le soupçonner d’avoir été à l’origine de la dénonciation, il n’y a qu’un pas, que franchissent les observateurs.
Cette affaire en tout cas éclabousse le Chef de l’exécutif présent, les 200 familles dans leur ensemble, et la dynastie Kwok. Libérés sous caution le 30/03, Thomas et Raymond gardaient la confiance du Board des directeurs du groupe, qui venait de perdre 5MM$ en bourse – pour commencer…
Comme en bien des secteurs en ce pays, la crise dope l’aviation et lui fait faire peau neuve – « marche ou crève ». À l’ABACE (Asia Business Aviation Conference & Exhibition), première foire aérienne de Shanghai (27-29/03), qui exposait 30 rutilants appareils, 10 jets à 30 millions de $ partirent dès le premier jour, affichant l’aisance des millionnaires dont 13% (selon Hurun) veulent s’offrir cet ultime signe extérieur de richesse. Le nombre de ces avions de 10-30 places passait de 32 à 132 en 3 ans, bien parti pour atteindre les 1.000 en 2020.
Ce gâteau tout frais attire du monde. Shanghai a depuis 2010 sa base de jets privés, Hawker-Pacific à Hongqiao. Elle ouvrira en 2015 la 2nde à Pudong, et réclame la baisse de la taxe d’importation (23%, contre 12% aux avions de ligne), l’augmentation du nombre d’aéroports (180, contre 15.000 aux USA) et de lignes accessibles.
Associant le même luxe à un prix plus bas, les avions-taxis ont un avenir plus brillant encore. L’industrie américaine (USA + Canada) mène la danse. Pour 2015, Minsheng revendique 90% du parc national, avec 100 avions dont 50 de Gulfstream commandés dès juillet (2,6MM$). Vistajet (Suisse-31 Bombardier) s’associe à Air China, et W. Buffett à Hony&Fung Invest. 48 de ces compagnies-taxi attendent la licence de la tutelle CAAC (Chinese Aviation Admin. Corp ), qui n’en accordera, sécurité oblige, que 30 d’ici 2015.
La construction suit et délocalise. Avec AVIC ( Consortium Aéronautique public chinois), le leader mondial Cessna prépare (23/03) une JV de montage à Chengdu. Pékin applaudit à deux mains : l’aviation est un pilier stratégique de son XII. Plan, durant lequel il voit augmenter de 50% le nombre des passagers, à 450 millions.
Mais il doit tempérer cet enthousiasme au vu des résultats de ses transporteurs en 2011, dont les profits passent tous en stall, -12% à China Southern, -39% à Air China, -9% à China Eastern. Une des causes est l’interdiction par la SASAC (State-Owned Assets Supervision and Administration Commission) de s’approvisionner en kérosène sur les marchés à terme. Elle date de 2008, quand China Eastern s’était retrouvé en « faillite socialiste », ayant perdu 2,2 millliards de $ en commandant un fuel cher, avant de voir le marché chuter.
Aussi, l’Etat vient de rendre aux transporteurs un droit d’approvisionnement par cette technique – plafonné à 20% des besoins.
Autre cause de déficits : le contrôle tutélaire des prix et de la concurrence entre compagnies soeurs ».
Du coup, les transporteurs réagissent, cherchant toujours plus à opérer hors du pays avec des partenaires extérieurs. Via son hub cantonais, Southern offre un Sydney-Paris à 1150$, moitié du tarif de Qantas. Lequel réagit en s’associant à Eastern pour étoffer depuis Hong Kong sa griffe low-cost, Jetstar, avec trois A320, puis 18 en 2015, vers l’Asie et la « Grande Chine », à tarifs limés de 50% sur la concurrence. Eastern encore, signe une déclaration d’intention pour partage de lignes, codes et fret avec Etihad, des Emirats.
Autant de marchés à créer à l’extérieur, faute de pouvoir les ouvrir « au pays ». Autant de petits gestes, prémisses de grands changements sous quelques années. Car les trois grands carriers chinois, désormais, sont tous dans la botte des dix plus grands mondiaux, par capitalisation et flottes.
Le 28/12, Sun Feng, chef de l’agence Banque de l’Agriculture de Jiangyin (Jiangsu), partit « en vacances » en Thaïlande en famille, suivi par le contenu de sa « banque grise », qu’il tenait en marge de sa fonction officielle. Elle contenait notamment les 8 millions$ du fonds de pension du village de Longsha, confié par Zhao Jidi, la Secrétaire du Parti. Le « trou de caisse » était de 16 millions de $, mais Sun n’a pas tout emporté : sa banque de prêts venait d’éponger de lourdes pertes, ce qui l’avait incité à disparaître. Le scandale causa l’arrestation de Mme Wu, employée à la Standard Chartered, qui avait hébergé un temps le magot. Puis le ministère des Finances réitéra (27/03) les consignes de prudence dans le placement des caisses de retraite.
C’est alors qu’advient un projet annoncé en mars par Wen Jiabao : décriminaliser cette banque grise, trop souvent le seul accès au crédit pour les PME. Ceci débute en projet pilote à Wenzhou (Zhejiang), où le 1er ministre avait découvert en octobre 80 patrons de PME, ruinés, suicidés ou en fuite.
Aussi, le Conseil d’Etat offre une réforme en 12 points, feu vert au crédit privé, aux fonds individuels, aux banques de village et coopératives de crédit—total curieusement limité à 200 millions¥ la 1ère année, extrêmement peu.
L’investissement à l’étranger s’ouvre aussi aux particuliers, en immobilier comme en industrie. Ceci répond à une promesse de Wen, avancer la réforme financière avant de céder le pouvoir en octobre prochain. Mais manque encore une pièce capitale : la dérégulation du taux d’intérêt !
Tim Cook, PDG d’
Apple tente de régler le cas honteux du sort des ouvriers Foxconn, son géant taïwanais sous-traitant en Chine.Le 30/03, les groupes signent un accord tripartite avec l’agence indépendante FLA (Fair Labor Association) : Apple et Foxconn devront financer des dizaines de milliers de création de jobs, porter l’horaire à 49h/semaine (contre couramment 60 heures/semaine), mettre le logis aux normes, éradiquer les accidents de travail…
La FLA vérifiera sur place, et certifiera. Pour la responsabilité sociale d’entreprise en Asie, l’accord s’annonce déjà comme un tournant historique, modèle et précédent.
Après la chute de Bo Xilai, la saga se poursuit.
[1] Des révélations d’abord.
Bo aurait fait torturer voire exécuter pour extorquer leurs biens, des hommes d’affaires qu’il accusait de mafia, « faisant reculer de 30 ans la réforme judiciaire en Chine » (selon He Weifang, professeur de droit, Pékin). Parmi les victimes comptent Li Jun (spolié de 700M$ avant de pou-voir fuir le pays), Gong Gangmo (industriel frappé de la perpétuité), Fan Qihang (immobilier, exécuté), et Li Zhuang, (avocat, condamné à 30 mois de prison pour avoir pris leur défense). Gu Kailai, épouse de Bo Xilai, est accusée par Wang Lijun d’avoir fait éliminer en novembre 2011 le Britannique Neil Heywood, proche de la famille, ayant placé leur fils Guagua dans la prestigieuse école de Harrows. Heywood est aussi réputé avoir été agent du MI6 britannique. Une rumeur avance que c’est ce crime qui a incité Wang Lijunà réclamer des explications à Bo, puis pour sauver sa vie, à fuir au Consulat américain de Chengdu. On ignore pourquoi Wang avait renoncé à rencontrer le Consul de Grande-Bretagne, à Chongqing-même.
À côté de ce scénario noir, le kidnapping de Zhang Mingyu apparaît anodin. L’édile de Chongqing fut arrêté à Pékin durant l’Assemblée nationale populaire (ANP) pour le réduire au silence, puis ramené à Chongqing par la route (23h) par 10 policiers, et enfin libéré la veille de la chute de l’ex-« roi rouge » de Chongqing.
[2] La purge des « pro-Bo » bat son plein à Chongqing, avec au moins 38 procureurs et juges démis, et des apparatchiks tels Chen Cungen, Président de l’Assemblée locale, Xia Zeliang (un secrétaire du Parti), et Wang Pengfei (un commissaire).
[3] Si le passé émerge par bribes, le présent reste trouble. Un flux convergent d’analyses envisage (cf VdlC n°12) un complot associant Bo Xilai et Zhou Yongkang (patron des polices et du système judiciaire) avec des proches de l’avant-dernier Président Jiang Zemin. Lors de la réunion du Comité Permanent du 07/03, 8 des 9 membres votèrent le limogeage et la mise en examen de Bo—sauf Zhou.
Depuis, on assiste à un double mouvement de l’Etat : – le dévoilement progressif et prudent des « fautes » de Bo Xilai, dont la principale semble être n’avoir pas rapporté à Pékin le décès suspect du Britannique, et – la tentative de restaurer un consensus. C’est ainsi que les ministres, les secrétaires provinciaux ont été consultés, ainsi que des anciens comme Zhu Rongji, Li Peng, Li Ruihuan ou Qiao Shi. Dans les débats internes, l’accusation de «trahison» n’est pas rare : contre Wang Lijun (pour l’escapade à Chengdu), contre Zhou (pour n’avoir pas lâché Bo)…
De fait, un projecteur nouveau s’allume, focalisé sur le patron des polices et du système judiciaire. Symptomatiques, pas moins de deux conférences nationales de police et de droit ont eu lieu en huit jours, autour du 20/03 à Shanghai, puis du 23 au 29 à Pékin. À chacune, Zhou émit des messages discordants. À Shanghai, où il fut empêché d’assister, il plaida par une lettre fréquemment citée, pour plus de démocratie et de transparence, adjurant de mieux respecter « le droit des citoyens à participer, à superviser les métiers de la politique et du droit ».
Tandis qu’à Pékin, Zhou présida les débats de 462 secrétaires de niveau provincial, municipal et de district, convoqués en urgence pour ce meeting de « formation » : là, Zhou s’en tint à une ligne strictement officielle, avertissant de respecter l’obédience aveugle au sommet de l’appareil.
Ceci est interprété, depuis Taiwan, comme un genre d’« assurance politique » pour le chef de l’Etat, qui peut partir serein en voyage à l’étranger, ayant bloqué dans la capitale tous les cadres de province sous surveillance… Si cela s’avérait authentique, la confiance serait loin de régner dans un ciel sans ride !