Le Vent de la Chine Numéro 39

du 5 au 11 décembre 2011

Editorial : Inde et Chine—Tempête à l’horizon

Voici bientôt 10 ans que Chine et Russie, qui ne s’aiment pourtant guère, ont épuré tout contentieux territorial.

Avec l’Inde, par contre, les choses vont moins bien : le 27/11, à 24h de se rencontrer, les deux pays reportaient leur 15ème session de délimitation frontalière, qui aurait dû traiter (entre autres) du cas des 90 000km² de l’Arunachal Pradesh, revendiqué par Pékin en tant que Sud-Tibet.

L’Inde avait proposé la date (28-29/11). Mais le hasard (?) avait fixé au même moment, en la même ville (Delhi) une conférence bouddhiste à 32 pays…dont le Dalaï-lama devait prononcer le discours de clôture. Pour Pékin, qui reproche de longue date à l’Inde d’immiscer le prélat dans leurs palabres territoriales, c’était désagréable. Il réclama donc un veto à la «tribune» offerteau Lama, ou le report du meeting. Mais qu’une puissance attende de Delhi qu’elle enfreigne son principe de séparation des religions et de l’Etat, n’était pas plus acceptable. Pour Pékin enfin, sa stratégie de refus de toute apparition du pontife lamaïste où que ce soit au monde, ne souffre pas d’exception. Moins encore depuis la série d’immolations de moines tibétains.  Aussi, il ne céda pas, même après les promesses de la Présidente Pratibha Patil et du 1er Ministre Manmohan Singh de ne pas assister au discours en litige. D’où l’abandon du meeting – au corps défendant des deux parties (coincées dans leur rôle)…

La nervosité chinoise a pu être exacerbée par un autre litige, en Mer de Chine du Sud. 

Le 12/10, le pétrolier indien ONGC Videsh signait avec PetroVietnam un contrat d’exploration au large des Spratley. La Chine, qui s’affirme toujours plus sur cette mer, protesta. Mais l’Inde tint bon, par la voix de son 1er min. au Sommet de Bali (18/11), et par celle du PDG d’ONGC (Indian Oil and Natural Gaz Corporation)   S. Vasudeva : « Cela fait 30 ans que nous exploitons le gaz de la région, depuis les blocs de LanTay et LanDo »… Le dépit de la Chine est fort : face à un tel « poids lourd », interdire les explorations deviendra plus hasardeux alors qu’elle ne se mesurait qu’aux Philippines ou au Vietnam. 

Autre contentieux, plus latent : la bataille pour l’influence sur l’Asie du Sud-Est – suite au déclin de la puissance commerciale et maritime américaine. Qui la remplacera, empochant du même coup son marché et ses voix à l’ONU ? 

Dans cette course, la Chine a débuté 10 ans plus tôt, mais semble aujourd’hui patiner, tandis que l’Inde progresse, même sur le terrain des pays en voie de développement alliés de la Chine depuis des décennies. Cette progression allant côte à côte avec une remontée des USA. En Birmanie (14/10) Thein Sein,chef de la junte, est reçu à Delhi, et le 30/11 reçoit H. Clinton pour une visite historique à Rangoon, éclipsant celle à Pékin d’un autre général birman (28/11) à qui   Xi Jinping, futur n°1, promet le renforcement des liens militaires.

Au Népal aussi, s’emballent les contacts avec Chine et Inde, qui l’enclavent au nord et au sud. B. Bhattarai, nouveau 1er ministre, consacrait sa 1ère visite en octobre à l’Inde. Wen Jiabao ira à Katmandou en décembre.

Le pays le plus chaleureusement acquis à la cause de la Chine est le Pakistan, qui lui doit deux réacteurs nucléaires et un soutien financier généreux. Les deux pays ont un besoin mutuel : celui de contenir le rival commun indien.

Conclusion : Chine-Inde veulent se rapprocher, mais ont du mal à trouver leurs marques pour y parvenir. Sachant pertinemment que leur « partage de l’Asie » et leur vocation de futurs leaders mondiaux passe par leur bonne entente, ils ont pris soin de se promettre, lors du report de la négociation frontalière,  de reprendre langue au plus tôt.

Mais tapis dans l’ombre, les démons veillent… Au sommet d’Honolulu (13/11), suite à l’offre américaine d’un « trilogue » avec l’Inde, Cui Tiankai, le vice-ministre des affaires étrangères, aurait répondu que l’Inde n’était pas une puissance au même niveau que Chine et USA un « dialogue » ferait donc amplement l’affaire. Charitablement colporté par un diplomate américain, ce dernier propos, véridique ou non, n’aidera pas à réchauffer les relations !


Défense : Un espionnage chinois fébrile

Le 2/11, le ministère chinois de la Défense assouplissait les critères d’entrée à l’APL, l’armée chinoise, dans le but avoué de doubler ses diplômés en kaki (fin 2009, 130 000 soit 5,7% des effectifs), offrant aux étudiants 75% de leurs frais de scolarité. Un des objectifs est de renforcer ses services de renseignements, quoique déjà parmi les plus hyperactifs et ramifiés.

Le 3/11, justement, 14 agences publiques américaines accusent devant le Congrès, Chine et Russie d’un effort sans précédent d’espionnage sur leur sol. Victimes : les firmes, mais aussi les universités et ministères. 

Les cibles de cette pêche sont la défense (maritime, aérienne, spatiale), l’IT, les matières 1ères (surtout celles rares, comme les terres du même nom), les énergies propres, les sciences de la vie. Certaines firmes savent avoir été hackées. D’autres l’ignorent – mais toutes sont victimes. Les dommages réels restent inconnus, certains groupes cachant leurs pertes. Ils pourraient s’élever, dit le rapport, à 1000 MM$/an.

McAfee, Symantec, experts mondiaux de sécurité de la toile, arrivent aux mêmes conclusions : des dizaines de groupes parmi les plus puissants du monde, voient pillés leurs secrets commerciaux et techniques.

Qui est derrière ? La plus grande prudence est de mise. On sait que les moyens mis en branle sont ceux d’un Etat, qu’ils impliquent des dizaines de milliers d’actifs furtifs, parmi les 450 millions d’internautes chinois. Il peut y avoir invasion par des milliers d’e-mails simultanés. Après pénétration des défenses, l’agresseur dépose dans l’ordinateur un logiciel espion qui exporte secrètement ses données.

C’était à prévoir : le cyber espionnage chinois coexiste avec le renseignement classique. Le 06/10, la presse moscovite révèle la détention depuis un an d’un Chinois qui tentait d’acheter des informations du missile S300. Autre technique, le barbouze « free-lance » : à l’aéroport O’hare (Chicago), une ingénieur, ex-chinoise et ex-employée de Motorola, est arrêtée avec plus de 1000 documents de l’entreprise. En échange de ce « butin », elle espérait un emploi chez la concurrence.

La Chine est aussi présente sur le créneau des technologies d’espionnage les plus récentes. Dès 2007 et 2008, ses stations au sol sondent les satellites américains de météo—quoique les USA ne s’inquiètent pas outre mesure, vu le retard technologique témoigné lors des visites. Ses drones se lancent sur la Mer de Chine et ses propres satellites furtifs se calibrent à partir de mires de 2km² dessinées au sol (photo).

Face à cette frénésie d’espionite tous azimuts, les USA, la nation la plus vocale, ont deux réactions. Face au Congrès, le sénateur républicain M. Rogers présentait semaine passée un projet de loi appelant, entre autres, FBI et CIA à aider ponctuellement les groupes américains à se défendre.

Et J. Lewis, patron du programme « technologie » au CSIS ( Center for Strategic and International Studies),dit les choses sans fard : « la Chine n’est pas la seule à espionner… bien des pays pratiquent la collecte de données électroniques… et si nous surveillons surtout ce pays, c’est que nos  nations se ressentent comme les deux rivaux potentiels ultimes, dans une spirale concurrentielle qui pourrait atteindre le point de conflit ». Brrrr !


Religion : Une ordination peu ordinaire

Le 30/11, de l’église Ste Marie de Yibin émanait une ambiance éloignée de la sérénité attendue pour l’ordination de Pierre Luo Xuegang : scanners et chiens passant un à un les fidèles, portables et caméras laissés à la porte du parvis. Luo devenait évêque coadjuteur de cette ville du Sichuan, avec l’aval du Vatican et de la Chine. 

C’était une embellie dans les rapports variables entre ces pouvoirs spirituel et temporel. Car les trois dernières ordinations depuis nov. 2010, avaient été célébrées sans l’accord du Pape.  Par contre   la «réconciliation» était gâchée par la présence de Paul Lei Shiyin, Président de l’Association Catholique Patriotique (ACP), un des 3 évêques réfractaires, excommunié de ce fait par Benoît XVI, mais qui participait physiquement à l’ordination, bravant l’interdit papal.

Aussi, le signal donné par cette cérémonie est pour le moins brouillé, et l’on est toujours dans l’« état de guerre » décrit par Joseph Zen Ze-kiun, cardinal de Hong Kong, où le pouvoir force les prêtres à assister à des ordinations sacrilèges, et où le Vatican excommunie.

Le conflit passe par une vieille question : qui choisit les évêques ? 

Un temps, le souci avait semblé résolu par un partage pragmatique : Rome soumettait sa « shortlist » et Pékin choisissait. Ce n’est plus le cas. Le vrai problème est ailleurs, dans l’autorité du Pape, et dans la normalisation. Si le Vatican et le PCC rétablissent des relations régulières, que fait-on de l’ACP, et de ses nombreux biens sous le soleil chinois ? Tant que cette question n’est pas réglée, point de salut !


Economie : Enrayer l’inflation, et après…

Si l’Etat serre la vis, l’économie tousse, et c’est normal. Depuis fin 2010, le frein est bien mis. Les banques voient leur marais du crédit asséché, et l’immobilier surgelé, causant en octobre une baisse des prix des logements neufs de 39% dans les 15 plus grandes villes , tandis qu’à travers le pays, le nombre de ventes reculait de 11,6%. Ce recul affecte l’économie entière : moins d’acier, moins de béton, et plus d’émeutes et de sabotages, par des propriétaires furieux de voir leur bien chuter en valeur, tandis que leur chèque mensuel à la banque lui, reste le même. 

Comment vont les banques ? En octobre, la CBRC a simulé leur réaction en cas de chute des prix de 50%, et du nombre de ventes de 30% : riches en cash, elles résisteraient sans peine, conclut l’organe d’Etat. Même optimisme au Fonds monétaire international (FMI), qui les voit assez solides pour affronter des « chocs isolés ».

Mais c’est oublier, dit Barclays, que la plupart des prêts sont garantis par du foncier, terrain ou bâti. Si les constructeurs ne peuvent plus vendre leurs appartements, ni les villes leur terrain, tout perd en valeur — l’appart, le sol, et l’hypothèque. D’après la CBRC, depuis janvier, les 4 grandes banques ont perdu 71MM$ en valeur boursière, et le 15/11, elle leur ordonnait d’accélérer les ventes d’actifs faillis, et de restructurer ceux des 6000 bureaux financiers urbains en faillite. Pour autant, le 30/11, deux des grandes banques, Banque de Chine et China Construction Bank (CCB),voyaient leur cote rehaussée par S&P, et pour 2012, l’immobilier devrait quand même voir ses invests monter de 14% – signes de l’intrinsèque santé de cette finance chinoise ! 

Nouveau patron de la CBRC (China Banking Regulatory Commission), Shang Fulin,joue sur du velours pour prévenir des avalanches de faillites. Justement, alors que recule l’inflation, à 5,5% en octobre contre 6,5% en mai, la publication (30/11) de l’indice des commandes des entreprises émet un feu orange clignotant, avec 49,0 durant le mois contre 50,4 trente jours avant. C’était le 1er passage en dessous de « 50 » depuis 2009, et un signe de ralentissement. Puis, dès le 1/12, Pékin édictait une coupe de 0,5% des réserves bancaires obligatoires, qui injecteront sur le marché 55 à 63MM$ de crédit frais.

Ainsi, la Chine voit désormais son grand danger, non dans l’inflation, mais dans la rupture de croissance. Signe des temps : quoique non concerté avec l’Ouest, ce geste était simultané avec un refinancement de la Banque Centrale Européenne par les banques centrales du Japon et des USA. Et ce, dans le même but : éviter le tarissement des circuits financiers et ralentir les dépôts de bilan. 

Cette semaine, suite à la conférence financière annuelle, d’autres mesures devraient suivre dans le même sens : peut-être l’allègement du fisc (+28% de taxes depuis janvier !), et des réserves bancaires (21,5% des actifs).

Le FMI avertit : le seul outil utile pour assainir l’économie chinoise serait la réforme du taux d’intérêt, pour permettre aux banques de se faire concurrence et pour ôter aux provinces le financement de leurs projets somptuaires et sans marché que l’actuel modèle économique favorise, éliminant au passage la finance grise et la source n°1 de la corruption.


Politique : Haro sur les prisons « noires »

Dernière campagne dans Pékin : pour six mois, la ville traque les geôles clandestines où croupissent les pétitionnaires provinciaux ayant eu le malheur de se faire repérer. 

Ces cachots banlieusards sont l’investissement collectif, défensif des bureaux des provinces. Les pétitionnaires montent à Pékin, après avoir subi un grief (expropriation, abus de pouvoir) non réparé par la justice locale. Ils ont souvent des preuves susceptibles d’inquiéter les caciques locaux, et en cas d’échec de leur démarche, il leur reste la presse pékinoise, assez protégée des « bras longs » provinciaux.

Aussi, ce leadership local a imaginé 10 ans en arrière, de faire appel à des «entreprises de sécurité» pour neutraliser les plaignants, repérés (parfois à leur accent !) autour des gares, des tribunaux et autres étapes incontournables de leur longue marche pour la justice. Enlevés, incarcérés des jours ou mois, ils sont aussi maltraités, pour leur faire passer le goût de se défendre. Une ONG recensait en 2010, 2 600 victimes – chiffre qu’elle estime très en-deçà de la réalité.

Sur ces « prisons au noir », Pékin fait le nettoyage :

[1]  à cause de l’illégalité du système, [2] souhaitant alléger la tension sociale en combattant publiquement la violence. Mais elle veut aussi [3] reprendre en main les 5 500 bureaux de représentation des villes, préfectures et provinces, dont l’action lobbyiste alimente inflation et corruption. Cela dit, les pétitionnaires gardent leurs doutes : pour une taule fermée, 10 demeurent, cachées ou pistonnées.


Santé : Sida : une progression enrayée

La journée mondiale du Sida, ce 01/12, permet de constater que lentement, la Chine remonte la pente. Au tournant du siècle, le pays inconscient et démuni d’un système de santé sérieux, frôlait la catastrophe. Il y avait eu les collectes clandestines de sang du Henan, pour production de plasma. Au Yunnan (proche du Triangle d’or), l’héroïne servait de vecteur. A Canton et partout, la prostitution diffusait le virus, et les routiers et voyageurs commerciaux le véhiculaient.

Mais dix ans d’efforts ont permis de reprendre le contrôle. Avec 48 000 nouvelles infections et 780 000 séropositifs en 2011, dont 154 000 en phase avancée (selon un panel d’experts internationaux), la progression du sida semble stabilisée. 

Les 28 000 morts de 2011, traduisent en fait un recul de 60% de mortalité sur huit ans : résultat «prodigieux» pour M. Stirling, de l’UNAIDS, obtenu d’abord grâce à un meilleur dépistage. 67,45 millions de tests (gratuits depuis 2003) ont été conduits de janvier à octobre 2011, + 16,5%, et ont permis de détecter 61000 porteurs.

Un autre agent de lutte a été un meilleur accès au traitement antirétroviral, gratuit aussi depuis 2003, qui permet aux malades d’espérer une durée de vie normale, tout en réduisant à 4% leurs chances de le transmettre. 

La Chine avance aussi dans la prévention, à petits pas. La sexualité est encore tabou en ce pays, et la population n’est pas encore au clair sur les moyens de protection contre les MST. Ainsi, la pub du préservatif a longtemps été freinée, comme une « incitation au vice ».

Au XII. Plan, le ministère de la Santé s’est donné pour objectif une baisse de 30% des décès, de 25% des nouvelles infections, ce qui suppose de doubler le nombre de tests et de faire passer l’accès à la thérapie antirétrovirale (moins de 50% à présent) à 80% en 2015.  Ce qui suppose aussi des progrès dans la lutte contre la discrimination. Les groupes à risques (homosexuels, toxicomanes, travailleurs sexuels) préfèrent se cacher pour éviter la stigmatisation. Si identifiés, ils perdent leur emploi et leurs amis, voire leur famille. 

De ce fait, estiment les experts, 3 séropositifs sur 5 préfèrent ignorer leur état. L’Etat a sa responsabilité, en bannissant les malades de la fonction publique, tels ces trois candidats professeurs, écartés de leurs postes pour séropositivité dans l’Anhui, le Sichuan, et le Guizhou, quoiqu’ayant réussi le concours. Déboutés en justice, ils lancent (28/11) une pétition comme dernier recours. 

Un autre progrès est à faire dans la reconnaissance des ONG, seules capables de faire le lien avec les groupes à risque dont 20% seulement, selon l’UNAIDS, sont atteints par les opérations de prévention. Pour l’instant, les ONG sont paralysées par le manque de moyens, subventions, collectes de dons, ce qui suppose une dérégulation plus libérale.

L’action publique doit aussi suivre plus étroitement cette population en rapide évolution. Ainsi, le ministère constate l’apparition d’une classe de victimes presque inexistante en 2007, sextuplée depuis : les hommes sexagénaires ne supportant pas leur solitude, qui contractent le virus via des rapports tarifiés et sans protection.

Enfin, même avec ces lacunes, la Chine peut se targuer d’un succès honorable. Elle a su limiter sur son sol la diffusion du sida : elle héberge 23% de la population mondiale, mais seulement 2% des séropositifs.


Petit Peuple : Pékin – la fin du monde, vue de Tian An Men

Suite logique du Petit Peuple précédent, notre histoire du jour met en scène un expatrié malchanceux. Hors-sujet ? Non, car selon les Grecs : «  eoton timoroumenos », rien de ce qui est humain (en Chine), ne peut être étranger à cette rubrique!

En 1985, du temps où Pékin était encore silencieuse et uniforme, un homme d’affaires français avait été envoyé par sa firme négocier l’ouverture d’une usine. Les désaccords le disputaient aux incompréhensions. Ainsi, Paris rêvait d’une production « sold in China », mais les Chinois visaient le réexport. Sur tels points d’achoppement, les palabres s’épuisaient depuis bientôt un an.

A l’hôtel des négociations de l’époque, le Xiyuan, Paul (appelons-le ainsi), moins de 30 ans, voyait s’égrener ses jours monotones, entre le business center où les télex tardaient interminablement et la salle de réunion au décor de calligraphies. Il se mit à la haïr, avec sa table en fer à cheval où il affrontait des hordes de cadres, jamais les mêmes, sur des dossiers trop divers pour qu’il les maîtrise tous. Sibyllins, ces ronds de cuir ne se départaient jamais d’une politesse glaciale, mais ne se privaient pas de commenter, sourires en coin, en mandarin (qu’il ignorait), ses propos à lui en anglais.

Ils venaient d’une dizaine de ministères, tous maîtres d’un tampon invariablement obligatoire. De temps à autres l’un d’entre eux, dans le couloir, réclamait sa petite enveloppe, ou bien un banquet qui selon lui accélérerait la conclusion : c’était le prétexte encore, à un concours de maotai, gnôle de sorgho, la hantise de Paul. 

Au fil des mois, Paul passa de l’enthousiasme à la neurasthénie. A titre de loisirs, il  regardait les cassettes vidéo, écoutait les audio qu’envoyait sa famille. A Noël, il reçut un colis saucisson, pâté, café qu’il se faisait à l’eau des thermos de sa chambre. Il dînait parfois avec les compatriotes, à son hôtel Jianguo. Aux grands jours, on tapait la belote…

Un beau lundi enfin, le contrat fut prêt.  Vêtu de son meilleur costume, Paul avait préparé son tampon et son Mont-Blanc. Autour du fer à cheval, tous étaient avec lui, prêts à signer, quand un petit homme chauve à besicles ringardes et costume élimé, se leva pour lui signifier d’une voix monocorde : maldonne, son instance restait insatisfaite. Du coup, avec ferveur, deux autres se joignirent à l’exigence de renégociation.

Paul alors, comme on dit en argot, « péta un câble ». D’un geste ivre, refusant désormais tout échange, il baissa son pantalon et se mit à s’épancher, dirigé vers ceux qu’il reniait désormais.

Médusés, les négociateurs le firent ramener manu militari à son hôtel pensant à du surmenage. Là, seul, perdu dans sa chambre, hagard, Paul tomba veste, cravate, chemise, pantalon. Nu comme un ver, impavide, il prit l’ascenseur, insensible aux cancanées ahuries de la camarade liftière.

Sur son passage dans le grand hall de l’hôtel, la foule se figea. Une fois sur l’avenue, il s’élança d’un trot joyeux et déjanté vers Tian An Men, le siège immémorial des plaintes populaires. Interloqués et ravis de l’aubaine, les passants le suivaient du regard. Très vite surgit la solution au choquant désordre occidental. Parvenu à peine au Magasin de l’Amitié, une escouade de jeunes soldats agrippa Paul, l’enroula dans une couverture, l’embarqua sans résistance dans une ambulance kaki, direction l’ambassade. Le lendemain, rhabillé, nanti d’un «billet de rapatriement» et de sa valise faite en catastrophe par un diplomate, Paul quittait le pays pour toujours, à bord du 1er vol  d’Air France.

Affaibli par un trop long calvaire, Paul n’avait pu résister à « la flèche tirée de l’ombre » (暗箭伤人 àn jiàn shāng rén). Il s’était défendu avec l’ultime moyen qui lui restait : la plainte du corps nu. C’était le même langage que celui de la dame de la semaine dernière – celui des humiliés de tous lieux et de tous siècles.


Rendez-vous : A Shenyang, Chengdu, Chongqing : les rencontres d’affaires Ubifrance – Le Havre Développement sur les Eco Cities

5-9 décembre, Shenyang, Chengdu, Chongqing : Rencontres d’affaires Ubifrance/Le Havre Développement sur les Eco Cités : « la ville, sobre en carbone »

6- 9 décembre, Shanghai : Salon sur l’exploitation du pétrole et du gaz en eaux profondes

7 – 10 décembre : Automechanika Shanghai

7 – 9 décembre, Pékin : Intersolar Asia, Salon sur les énergies solaires, photovoltaïques, thermiques

8- 10 décembre, Shanghai : SIFSE, Salon de la pêche et des produits de la mer

6 – 7 décembre, Pékin, puis le 10-11 dec, Shanghai : Access MBA (opportunités de MBA)