Le Vent de la Chine Numéro 31

du 25 septembre au 15 octobre 2011

Editorial : Deux affaires d’îles, en automne

L’automne qui s’installe, pose sur la Chine ses tons feutrés — permettant d’adoucir des nouvelles « insulaires » qui seraient autrement plus heurtées.

Telle la réponse « indignée » de Pékin à l’offre américaine de matériels de défense à Taiwan, pour 5,8MM$. Barak Obama avait pourtant pris soin de refuser les 66 chasseurs F-16 C/D modernes que l’île demandait. Il espérait faire passer le message à Pékin qu’il ne faisait que maintenir et non renforcer cette défense. Par ailleurs, un diplomate américain avouait que ces livraisons aériennes apportaient à l’île « tout ce qu’elle attendait » et que le total de ces ventes militaires à Taiwan avait atteint en 2 ans, 12 milliards de $, « plus qu’à n’importe quelle autre époque ».

Tout ceci fit dire au major Général Luo Yuan (vice Président de la CAMS, la Chinese Academy for Military Sciences) que les USA prenaient les Chinois «pour des idiots». 145 chasseurs insulaires allaient recevoir les meilleurs moteurs, radars, avionique et missiles du moment, leur permettant de conserver leur supériorité sur ceux continentaux, voire ceux de l’US Air Force. Aussi, Pékin avertit que l’affaire était « de nature à endommager, mais pas à faire dérailler la relation ».

Mais la diatribe fut faite mezza voce. Prévenue (en août, par le Vice Président J. Biden ), Pékin avait eu le temps de se préparer. Car il ne s’agissait pas d’aller trop loin, ni d’inquiéter les Taïwanais qui devront réélire Ma Ying-jeou (son meilleur allié) au scrutin de janvier. C’est ainsi que dans ce trilogue bizarre, rigide et complice à la fois, chaque partenaire s’efforce à la fois de provoquer l’autre et d’éviter le pas de trop…

Autre sujet chaud : le programme chinois d’insularisation, remède contre l’hyperurbanisation en zone côtière. C’est l’étape ultime, après celle du bétonnage des côtes, dont la Chine reconnaît désormais la nocivité. Selon le modèle de Yangshan au large de Shanghai, le programme-pilote approuvé en oct. 2010 par le Conseil d’Etat permet la création d’îles artificielles, valorisant les 20.000km de côtes et d’espace marin. Le Shandong est en pointe, avec 96 millions d’habitants compressés dans ¼ de France, entre 3 345 km de bord de mer. Huit sites d’archipels sont pressentis, dont Longkou. Là, pour 10MM¥ d’investissement, six îles émergeront en 2014, du déversement de 300 millions de m3 de terre et de roche. Sur les 35 km² gagnés, seront créés 100.000 emplois et du logement pour 300.000. Aux zones industrielles d’électronique, chimie ou mécanique s’ajouteront un port, la marina et un golf à la vue imprenable sur la mer. Ces travaux coûteront 100milliards de ¥uan, mais rapporteront le triple par an, dès 2020.

Sur le papier, les atouts sont imbattables. Ces terres vierges, appartenant à personne, permettent de contourner presque tous les règlements : pas de priorité à l’agriculture, ni de frais de relogement ou de démolition. Elles coûtent peu : 300¥/m² à la production, 1155¥/m² à l’adjudication. Les compagnies de remblai, telles Zhuoda ou Nanshan, seront aussi présentes, de la construction jusqu’à la vente et au management—concentration verticale permettant de maximiser les profits entre eux et les cadres.

Certes, il est des voix discordantes, en ce concert de « brave new world »: océanographes, anciens de la SOA ( State Oceanic Administration ) sonnent l’alarme. Repousser la mer, c’est reformater à l’aveugle relief sous-marin et courants. Liu Hongbin, professeur à l’université des Océans avertit des effets de ces îles sur la faune et la flore, pollution et sédimentation qui n’apparaîtront que bien plus tard. « Si le Shandong se lance dans la chimie lourde et rejette sans limite les effluents dans la fragile Mer de Bohai, la Chine aura bientôt sa Mer Morte » dit le promoteur Feng Yihou. Les écologistes espèrent que la SOA applique sa circulaire de 2007, prétendant limiter le nombre et la densité des îles artificielles.

Est-ce une coïncidence si cette affaire émerge en même temps que le scandale Conoco-Phillips, accusé de marée noire sur la même mer ? La différence de couverture dans la presse est flagrante, entre le « ramdam » autour de cet accident, malgré les efforts du groupe US pour limiter les dégâts, et le silence sur les mégaprojets de remodelage de toute la mer, au danger dix fois supérieur. Question de soutien en haut lieu. Mais les choses changent…


Agroalimentaire : Le riz hybride chinois recordman, mais…

Le 20/09, succès indéniable pour l’agronomie chinoise : à Longhui (Hunan), une sélection de riz hybride, le DH2525, vient de porter le record mondial de rendement à 13,9 tonnes à l’hectare, le double de la moyenne nationale (6,3), le triple de la mondiale(4,3). Technique classique distincte de la manipulation génétique (OGM), l’hybridation consiste en la fertilisation croisée de deux lignées parentales. Par sélection des plants, on développe des caractères tels la résistance (froid, sec), la valeur nutritive, le rendement…

Cette recherche a un père officiel : Yuan Longping, (cf. photo) 81 ans, directeur de la recherche nationalle sur le riz hybride depuis le centre de Changsha (Hunan). Dans les années ’70, il a l’idée de croiser des espèces avec une souche sauvage dont l’organe mâle est stérile et parvient, avec d’autres chercheurs, au séquençage à haut débit du génome du riz, ce qui lui vaut en 2004 le prix mondial de l’alimentation de l’ONU.

En riz, la Chine est à la pointe de l’hybridation, et y consacre le plus de moyens dans le monde. «La technique n’a pas modifié le patrimoine génétique du riz depuis sa domestication, 9 à 11 000 ans en arrière», estime Alain Bonjean, DG de Limagrain-Chine. Alors pourquoi un tel engouement officiel pour cette voie à l’ancienne ?

[1] C’est au bassin du Yangtzé que le riz serait né, dit une étude génomique de mai 2011 réalisée par Stanford (NY). Avec 30 millions d’ha en 2011, dont 60% en hybride, le riz est l’aliment de base pour 60% d’habitants. Pour l’Etat, cette riziculture spéciale est « un instrument d’autopromotion » vis-à-vis de la population. Le record, succès indéniable, est aussi « le fruit d’une évolution normale, 30 ans d’efforts menés depuis Deng Xiaoping»: en 2000, la Chine franchissait la barre des 10,5 t/ha, et les 12 t/ha en 2004.

[2] Pour les autorités, le riz hybride permet aussi une valorisation nouvelle du sol. Aujourd’hui, il a permis un gain de 15 à 20% en productivité : il libère des terrains autour des villes pour l’industrie et l’urbanisation. Ce qui explique une pression politique et commerciale pour son usage, perceptible dans les zones de culture traditionnelle rizicole.

[3] Enfin, depuis 10 ans, les semences de riz hybride chinoises s’exportent. Commercialement, ce n’est pas hyper rentable, mais elles deviennent une arme politique contre la malnutrition et un argument fort dans les échanges avec le Tiers-Monde. Par exemple, quand il s’agit d’obtenir les ressources minières ou énergétiques des «nouveaux amis africains», et d’autres pays pauvres d’Asie ou d’Amérique du Sud : la Chine ouvre une relation « affective », à long terme, en leur offrant un « package» global de développement, incluant une riziculture « made in China».

Mais ce riz hybride n’a pas que des qualités. Le chercheur Li Changping par exemple, dénonce son mauvais goût par rapport aux variétés traditionnelles ; ses besoins accrus en engrais ; sa résistance moindre aux crues et aux tempêtes, et surtout la dépendance du paysan envers ces semences qu’il doit acheter à chaque semaille (car l’hybride, bien que plus productif que la variété de base, doit être refabriqué chaque année—travail de spécialiste). Pour Li, compte tenu de tous ces handicaps, le véritable gain économique de l’hybride par rapport à la semence classique, ne serait que de 5 à 10%, et l’Etat devrait donc laisser l’agriculteur libre de ses options…

Enfin, dans son choix du « tout hybride », l’Etat chinois reste isolé : sur les 180 millions ha de riz dans le monde, seuls 20 millions ha sont hybrides—dont 17 millions au Céleste Empire.


Santé : Violence ordinaire à l’hôpital

Violence ordinaire à l’hôpital Tongren (Pékin): le 15/09, Xu Wen, professeur ORL, 43 ans, est poignardée par M. Wang, 54 ans, vengeance pour une opération ratée en 2006 (cancer du larynx), ayant imposé l’ablation des cordes vocales. Wang, selon l’hôpital, avait repoussé durant 4 mois la chimiothérapie prescrite et « connaissait les risques ». Xu est hors de danger, mais incertaine de pouvoir repratiquer.

Suite à ce cas, la presse cite de multiples cas de violences sur des médecins, par leurs patients, ayant causé mort ou invalidité. Cas extrême : le 10/01 à Qingdao, des parents agressent le chirurgien en train d’opérer leur proche…

Cause de tout cela, dit le prof Yang Weidong de la CAG ( Chinese Academy for Governance): « les malades n’ont pas confiance en leurs médecins ». De ce fait, il n’est pas d’hôpital en Chine sans une petite armée de vigiles pour contenir la meute de patients fâchés.

Le problème est vieux et complexe. Faute de couverture sociale complète, l’accès aux soins est refusé à 400 millions de Chinois (un sur trois n’arrive jamais devant le médecin). Ce système de santé est dépassé par l’ampleur de la tâche (après 20 ans de désinvestissement des pouvoirs publics). Les erreurs médicales ne sont pas rares et le Droit, encore dans les langes, ne sait pas les traiter. Enfin, les familles réagissent en clan, de façon primaire : en cas de mort, elles sont tentées par la loi du Talion.

Commentaire du Dr Wang Shan, Président de l’hôpital du Peuple : « cette tragédie illustre l’urgence d’introduire un médiateur, entre médecins et patients ».

BATAILLE ELECTORALE

Entamée cet été, la bataille électorale pour le renouvellement des assemblées locales prend une nouvelle tournure.

A la joute ordinaire des rivaux pour les 2 millions de sièges à pourvoir, s’ajoute celle des candidats libres face à l’administration. Jusqu’à présent, la loi permet à tout citoyen, majeur et sans passé judicaire, de candidater. Pourtant, dans la pratique, chaque scrutin voit un (seul) candidat par poste, lequel a été nommé par le Parti communiste chinois.

Les dernières élections de 2006, avaient vu une poignée de candidats à un ces postes d’édiles—voire un ou deux -éphémères- élus. En 2011, ils sont plus de 100 (voire des centaines ? Impossible à savoir—secret d’Etat). Plusieurs phénomènes majeurs convergent, telle la maturation des citoyens ou la recrudescence de la corruption parmi les cadres. Joue aussi, le phénomène des microblogs, incontrôlables par la censure, permettant de dénoncer les abus, tout en faisant campagne: «Les gens ordinaires connaissent mieux leurs droits» explique Liu Xiuzhen, retraité, candidat sur Pékin.

L’Etat déploie des moyens puissants et variés pour désinscrire les candidats et enrayer leurs réunions, même à domicile. A quelques semaines des votes, la stratégie semble payante-la grande majorité a disparu des listes. Mais chaque élimination, par son illégalité, semble décupler la détermination des écartés et de ceux qui les soutiennent : l’avenir est brouillé, mais probablement plus de leur côté.

 CINQ HOMMES POUR UN PRIX

La Chine écrit, exprime son devenir à travers des millions de romans/an (si-si!), la plupart en ligne sur internet et elle a bien sûr ses distinctions littéraires.

La plus prestigieuse, le Prix Mao Dun, décerné tous les 4 ans, vient de revenir (19/09) à cinq auteurs : Zhang Wei pour Vous êtes sur les hauteurs, Liu Xinglong pour son Marcheur du ciel, Massage de Bi Feiyu, Une phrase en vaut 10.000 par Liu Zhenyun, et Grenouille, par Mo Yan. Toutes ces valeurs sûres étant traduites ou en cours de traduction en français.

Quoique se frottant à des univers très variés (l’école rurale, une fresque historique, l’athéisme, les masseurs aveugles), ces écrivains ont presque tous ce point commun de chanter le terroir, le travail humble et les valeurs officielles, ou en tout cas pas dérangeantes… L’aspect parfois un peu terne du message est compensé par une belle écriture. Mais on peut se douter que le Mo Yan, et cette génération d’auteurs auront du mal à percer au plan mondial, vendant des millions d’exemplaires en toutes langues, comme le fait le japonais Murakami.

‘ Dans cette liste, un auteur fait exception : Mo Yan, l’incorrigible original, dont le roman traite de la gynécologie, du monde glauque du planning familial, des pistons du Parti, du sexe légal ou non. Et ce n’est pas un petit paradoxe que ce soit Mo, en toute humilité qui fasse cet aveu, le jour de la cérémonie : « En Chine, le livre à la hauteur de l’époque que nous vivons, reste à écrire ».


Culture : Super Girl disparait – pour mieux resurgir…

Le 16/09 au soir, marqua un petit deuil pour la jeunesse chinoise. Super Girl, son émission fétiche donnait son grand final, avant de baisser le rideau pour toujours. Plus tôt, la Sarft, tutelle de l’audiovisuel (State Administration of Radio, Film and Television), avait notifié à la chaîne Hunan-TV, le retrait de la licence en 2012, pour cause de dépassement répété du temps d’antenne, de «vulgarité» de l’habillage (voire du déshabillage) et des commentaires sur scène.

Super Girl Happy Girls» depuis 2007) était un remake d’«American Idol», concours de chant qui enflammait les foules de teenagers par les propos déjantés des candidates et des juges, et par ses éliminations avec pleurs —la Chine n’est pas coutumière de ce genre de spontanéité. En 2005, l’émission prenait le pays par surprise en retenant 400 millions de spectateurs qui pouvaient élire par téléphone portable leurs futures idoles comme Zhang Liangying.

Très vite, les censeurs ne purent plus supporter un tel engouement. Alors que le concept était copié par d’autres chaînes à travers le pays, Super Girl fut interdit de 2007 à 2008. De nouvelles règles tentèrent de limer les dents de ce type d’émissions: interdisant la tranche horaire 19:30-22:30, les limitant à 120 minutes et bannissant le vote par SMS.

Analysant la mise au ban de Super Girl, bien des observateurs ne croient pas un instant aux fautes alléguées et cherchent d’autres motifs. Tel J. Goldcorn qui relève les liens étroits entre CCTV et la Sarft et croit que l’interruption sine die de ce programme provincial à si grand succès, peut tirer d’embarras la chaîne centrale, dont les propres productions, un peu ternes, sont trop souvent boudées. Tandis que Song Shinan, du jury de Super Girl, lit dans ce sabrage un refus du ministère de la culture de perdre son propre droit de désigner les êtres, et les valeurs qu’il convient d’admirer: refus du remplacement des « ouvriers modèles » par ces idoles clinquantes à paillettes.

D’autres imaginent une raison politique de mettre fin au programme—le principe du vote, même réduit à l’enceinte d’un auditorium, donne un mauvais exemple. Enfin, l’exhibition de jeunes filles court vêtues va contre les efforts officiels contre la « marchandisation » du corps de la femme et donc, contre a libération.

Ce qui est certain et relevé par tous les experts, est qu’une nouvelle campagne de « relèvement moral » de la télévision est de nouveau en cours, du même type qu’en 2007.

A l’époque Liu Zhonde, ex-ministre de la culture tenait contre l’émission ces propos combattifs : « Super Girl est certes le choix du marché, mais nous ne pouvons pas laisser la classe ouvrière se complaire du matin au soir dans de la culture de bas niveau ».

Yin Hong, professeur de journalisme à l’université Tsinghua (Pékin) conclut sur un certain déchirement que vit la politique culturelle en ce moment: « la Chine avance, mais dans deux directions. Elle se veut internationale et moderne, mais aussi, elle a en tout temps besoin de renforcer les valeurs socialistes… En fin de compte, la campagne durera le temps que durera la patience du public ».


Défense : L’APL dans sa nouvelle longue marche

N°1 chinois à partir de 2012, Xi Jinping est plus proche de l’armée que Hu Jintao son prédécesseur. A Washington, une théorie prête à Xi le projet de s’appuyer sur l’Armée pour accéder au pouvoir complet, sans perdre de longues années à circonvenir les hommes que Hu place actuellement aux postes-clés. Le prix à payer pour ce coup d’accélérateur étant plus de libertés à l’ APL , l’armée chinois, pour s’imposer en Mer de Chine du Sud , face à la 6 ème flotte US… Laquelle APL fait peau neuve dès 2011, sortant coup sur coup son chasseur J15 aéroporté, son porte-avions, son bombardier furtif J20 Mais face à cette lecture alarmiste, un expert occidental en Défense s’inscrit en faux et dresse pour nous un tableau réaliste de l’avancement de l’APL, dans sa longue marche vers la modernité.

 Hu, chef militaire qui s’est créé ses bases

Face à l’APL d’abord, le curriculum de Hu est loin d’être insignifiant. Il l’a côtoyée dès son poste de Secrétaire provincial du PCC au Tibet, où, avec la région militaire de Chengdu, il fit durement réprimer les émeutes de 2008.

Puis 2 ans après sa nomination comme vice-Président à la CMC, la Commission Militaire chinoise, (1997), il y nomme deux fidèles, Xu Caihou et Guo Bo-xiong, aujourd’hui les hommes forts de l’armée. Pour Guo, l’ascension fut vertigineuse : personne n’était monté si vite et si haut, d’un rang inférieur à Directeur de département à chef d’état major et à la vice-présidence de l’armée.

En 2004, dès que Jiang Zemin, son prédécesseur, eut quitté la CMC, Hu nomma 10 généraux. En 2006, il y fit entrer des marins, aviateurs et artilleurs : il la rendit « interarmes », brisant ainsi le monopole de l’armée de terre sur la direction des armées.

Jiang avait retardé de 2 ans sa cession des rênes de l’armée à Hu. En fait sans s’en rendre compte, il lui rendit service en lui donnant le temps de réfléchir et de créer sa stratégie propre. En 15 ans, Jiang avait nommé 79 généraux. Hu en nomma 39 en 6 ans (2005-2011) : à peu près au même rythme, mais selon une stratégie différente. Là où Jiang plaçait des vieux officiers « terrestres », à l’ancienneté, Hu privilégie des jeunes de terrain, qu’il responsabilise, comme il le fait d’ailleurs dans l’administration et le Parti.

Ainsi, Hu favorise une levée de jeunes officiers d’active, de scientifiques s’étant distingués dans la R&D (dont 3 présidents d’universités militaires) et de commissaires politiques, 19 sur ses 39 généraux. L’insistance sur la R&D est importante, car elle pallie une faiblesse structurelle du pays – la Chine investit trop dans les applications, pas assez dans la recherche fondamentale. L’arrimage de l’APL au Parti l’est tout autant. Ce faisant, Hu renoue avec la tradition maoïste et assure le PCC contre toute dérive aventureuse de « notre nouvelle Grande Muraille».

Autre stratégie : il nomme à tour de bras des « petits princes » tel Liu Yazhou (gendre de feu Li Xiannian ). Ainsi, il crée ex-nihilo une faction dans l’APL, qui n’existait guère avant 2007. Or, ces gens-là sont l’électorat naturel de Xi Jinping. Des hommes comme Liu Yuan ou Zhang Haiyang auraient été promus généraux de toute manière, mais l’ayant été par Hu, ils lui sont redevables.

Au final, la stratégie de Hu rend sa succession moins tendue que celle de Jiang 10 ans en arrière : Hu et Xi sont sur la même ligne. Hu respecte les anciens, même Jiang, quoiqu’il ait frustré ses espoirs de faire adouber son dauphin Li Keqiang, en se rangeant derrière Xi, son rival. Mais Hu l’a accepté. De son côté, Xi comprend son intérêt à coopérer, pour poursuivre les réformes urgentes. Les militaires n’ont d’autre choix que d’obéir aux deux- de cette harmonie dépend leur légitimité, leur lien au Parti. Notez que la plupart des meetings de la CMC se font sans son Président, lequel doit aussi assurer la Direction du Parti et celle de la République : une telle pratique serait impensable, sans la confiance.

 Sous l’angle opérationnel…

L’APL a des équipements modernes. Mais leur efficacité n’est pas démontrée—quid de la capacité des hommes à maîtriser ces matériels ? Ce qui explique l’insistance de Hu sur la formation et la R&D et sur un recrutement d’officiers jeunes, capables d’intégrer la mutation technologique. On note ici d’ailleurs une limite à cette montée en puissance : l’embargo européen sur la Chine et sa dépendance au seul complexe militaro-industriel russe.

L’APL s’est développée, c’est vrai, mais pas autant qu’on le dit. L’armée de l’air est très active, mais c’est surtout la marine qui fait parler d’elle—quoique ses capacités restent limitées, mises à part ses missions-croisières dans le Golfe d’Aden.

Sur ses 70 sous-marins, seuls 40 sont opérationnels, d’une capacité non démontrée et de technologie obsolète, notamment face aux américains. Leur sous-marin stratégique n’a toujours pas son missile, suite à un problème de développement. Leur porte-avions, du type « Sky Jump » en a encore pour 15 ans avant d’entrer en service et ses bombardiers J15, du type F14-Tomcat que l’US Air Force vient de déclasser, ne décolleront alors qu’à réservoirs moitié pleins pour économiser du poids. Ils prétendent disposer d’un missile balistique anti-porte-avions – mais rien n’est moins sûr : toutes les puissances ont abandonné cette recherche, trop aléatoire et pas assez fiable.

Le seul domaine où la Chine peut être plus avancée, est sa capacité offensive du cyberespace, envisageable suite à la destruction réussie d’un satellite en juillet 2007. Ils ont pris le monde par surprise : peu de militaires les en savaient capables. Le message était qu’en cas de conflit à propos de Taiwan, la Chine serait en état d’endommager les communications de l’Occident.

Conclusion : La Chine ne se lancera dans une guerre, que contrainte et forcée, par exemple à la suite d’une déclaration d’indépendance de Taiwan. Mais elle a encore fort à apprendre, et reste bien consciente de ses limites. Un rôle de l’Occident, est de ne pas la conforter dans l’illusion qu’elle pourrait gagner…


Minorités : Xinjiang, l’introuvable New Deal

Depuis quelques mois, les événements se bousculent au Xinjiang.

Fin juillet à Kashgar et Hotan, deux commandos-suicides frappaient des commissariats, causant 32 morts, des 10aines de blessés. De façon remarquable, ces attaques avaient été annoncées par des locaux à des touristes, 15 j plus tôt, comme un remake des attaques d’Urumqi qui avaient coûté près de 200 vies en 2009. Ce triste incident a eu son épilogue le 15/09, les juges des deux villes condamnant quatre assaillants à mort, pour terrorisme, incendie et meurtre.

Le même jour, la police admet que ces attaques n’ont eu aucun lien avec l’étranger. C’est nouveau. Jusqu’à l’été, Pékin croyait à une collusion avec une alliance islamiste de l’extérieur. De l’étranger d’ailleurs, un groupuscule, le PIT (Parti indépendantiste du Turkestan) revendiquait fin août la responsabilité des attentats. On peut sans doute voir en cette admission un progrès : l’effort pour mieux adhérer aux réalités du terrain.

A vrai dire, la gouvernance chinoise sur le Xinjiang ces derniers mois apparaît tiraillée entre deux tendances : le discours « vieux jeu » d’arrimage autoritaire du territoire à la République, et la recherche d’un rapport nouveau, ralliant et pacifiant l’ethnie ouïghoure.

Dans la 1ère tendance, entrent les peines capitales. Face à des agresseurs pris les armes à la main, Pékin n’avait guère de marge de manoeuvre pour accorder la clémence. Mais ces exécutions imminentes feront quatre héros de plus. Un autre signe de répression est l’interdiction sur tout le Xinjiang de suivre le Ramadan. Sous peine d’ennuis sérieux, les restaurants durent rester ouverts et fournir des mets inutiles faute de clients. Les étudiants furent accompagnés par les profs dans les réfectoires. La mesure visait à empêcher les réunions de nuit- rituelles durant ce carême islamique- qui auraient permis d’ourdir d’autres attentats. Cependant l’interdit fit plus de mal que de bien : l’irrespect de la loi religieuse put radicaliser modérés et hésitants.

Dans la 2ème tendance, l’Etat tente de dissiper la tension par des actions plus bénéfiques. Tel l’envoi, pour un an d’études, de 500 professeurs et instituteurs ouighours, suivis de 300 collègues Han, aux universités de l’intérieur (14/09). Comme au Tibet, cette stratégie d’enseignement bilingue vise à renforcer chez les enfants la langue locale (base de stabilité sociale), tout en leur apportant l’usage du mandarin, vecteur des métiers sur un marché du travail inévitablement sinophone.

Autre effort au Xinjiang, celui des consortia publics : durant le XII. Plan, la priorité est donnée aux énergies, surtout propres, et d’usage local. D’ici 2016 CPIC (un des 5 géants électriciens) placera 11MM$ dans le territoire, en diverses énergies. Guodian en investira 12,5MM$. Shenhua (charbon)mettra 21MM$, Baosteel (Shanghai) 6,5MM$ en sidérurgie et le pétrolier national CNPC 47MM$ (d’ici 2021). Au total, 31 Grandes entreprises d’Etat vont jusqu’à décupler leur présence, doublant en 5 ans leurs invests précédents, pour 155MM$.

Autre idée forte : faire du Xinjiang le poumon économique d’Asie Centrale, et une nouvelle porte de l’Europe. Le 01/09, le vice-1er Li Keqiang ouvrait à Urumqi le 1er salon China-Eurasia, version renforcée de l’ex-salon régional. En 5 jours, le résultat fut honorable, 130 MM$ de contrats, avec présence remarquée de la Turquie (20 groupes).

Tout ceci témoigne d’une ligne politique, au fond pas si nouvelle, misant sur l’intégration économique pour enrichir le Xinjiang -sans céder sur la demande des Ouighours en droits spécifiques qui tiennent compte de leur différence ethnique et de leur culture propre. Autrement dit, le problème est encore probablement là pour longtemps.


Automobile : La route barrée de l’automobile chinoise vers le Brésil

Vers le Brésil, la Chine a lancé son offensive d’exportation, nécessaire pour combler son déficit – 5MM$, du à ses énormes importations de minerai, soja.

Sa “route de la soie du Sud” donne ses 1ers fruits: à 43 000 ventes en 8 mois, l’automobile chinoise prend 3,3% du marché contre…0% en avril 2010. JAC (Anhui), est n°2 de l’import, derrière Kia (Corée). Chery lance sa QQ, son modèle d’entrée de gamme, à 14.600$, toute équipée…

Puis le 16/09, coup de tonnerre : la «taxe industrielle» passe à 37% pour les petites cylindrées (2/3 du marché) ce qui mettra la QQ à 17.000$, la détrônant de son rang de moins chère. Les autos locales, elles, ne paieront que 7%, pour peu que 65% des pièces viennent du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Venezuela), et 6/7 de l’assemblage. Ce bouclier protectionniste vise clairement les rivaux coréens et chinois.

Derrière cela, se lit la volonté du Brésil, 5ème marché mondial, de ne pas se reposer sur ses “commodities” ni rater son passage à l’âge industriel. On devine aussi la pression sur le législateur, des grandes maisons étrangères déjà dans la place (Fiat, GM, Ford , VW ), anxieuses de parer le coup de l’arrivée des agressives chinoises.

Ironie du sort : la stratégie brésilienne est celle de la Chine depuis 15 ans, qui se retrouve « l’arroseur arrosé ». Mais Pékin a vu le vent tourner et n’a pas attendu pour encourager ses exportateurs à délocaliser. Dès juillet, Chery annonçait pour 2013 une usine à Saõ Paulo (à 400M$) : Lifan Auto (Chongqing), et les autres n’auront qu’à suivre !


Société : Education sexuelle – la Chine affronte un vieux démon

Dix ans en arrière, l’école chinoise était dans le béton, bâtissant partout, aux nouvelles normes. Cet objectif une fois atteint, le Ministère s’attaque à présent à un autre chantier lourd: l’éducation sexuelle et sentimentale.

C’est là un grand bouleversement. Le sujet reste tabou : même les (rares) professeurs qui osent l’aborder, se retrouvent à balbutier sur l’estrade. Victimes d’une pudibonderie héritée du passé, 70% des parents chinois n’expliquent jamais la sexualité à leur enfant et interdisent toute relation sentimentale avant « l’âge »—même alors, ils tentent de la diriger selon les intérêts du clan.

Une action est donc en cours, dirigée par la Commission pékinoise de l’Education. Rédigé par des éducateurs, un manuel pour les 6-12 ans circule depuis août et doit être testé dans 18 écoles volontaires. Il comprend 3 chapitres :

– les organes et fonctions, employant les vrais termes, ceux qui choquent tant la génération adulte (cf photo) ;

– le tournant de l’adolescence (y compris un chapitre enseignant comment « communiquer avec les parents ») ;

– puis les questions adultes: plaisir, prévention des MST, risques de l’internet (pornographie, sites sociaux…).

L’ouvrage suscita autant d’intérêt que de scandale. Le site Ifeng. com vit 47 % des adultes conclure qu’il était «un progrès pour la Chine», mais 37 % le jugèrent «pornographique», reflétant ainsi l’angoisse de ces parents : qu’un cours d’éducation sexuelle ne débouche «naturellement» sur une libération sexuelle.

Si la Chine trouve aujourd’hui le courage d’affronter ce vieux démon, c’est qu’il y a urgence. Deux estimations récentes évoquent 4,5 à 6 millions d’avortements d’ados/an. Une étude de 2010, de l’université Beida sur 164M de jeunes de 15 à 24 ans, dévoile que 22,4% ont franchi le cap, dont 50% sans contraceptif, et que 20% des filles ayant des rapports réguliers tombent enceintes. Chiffres accablants, mais qui s’expliquent quand on constate que sur ces millions, seuls 4,4% ont une connaissance correcte du cycle reproductif—trop de filles, voyant pousser leur poitrine, croient avoir le cancer du sein. Et Zong Chunshan, chef d’un Centre pékinois de Consultation psy juvénile, constate une radicalisation de la jeunesse déboussolée. Désormais, un tiers des appels concerne les relations sexuelles auquel s’ajoutent 15% d’appels anonymes et obscènes—signe d’une vision « sale » de l’amour. C’est le prix à payer par une société entière pour son refus -jusqu’à hier- d’aborder cette question-clé.

A l’université aussi, où l’amour cause de la casse (grossesses imprévues, suicides…), les idées évoluent. On apprenait en juin l’ouverture d’un cours obligatoire dans les universités de la capitale (cf VdlC n°15-16). Depuis, durant l’été, l’obligation a été étendue aux 1.000 universités du pays. Sept modules familiarisent avec le cycle reproductif, la psychologie, l’art de dire « non », la rupture, le triangle amoureux… Reste à former les professeurs et les aider à être plus à l’aise, pour que le cours retrouve un peu de spontanéité. Comme conclut Zong, « l’éducation sexuelle en Chine, en est encore à ses balbutiements, mais à tout prendre, c’est toujours mieux que rien ».


Petit Peuple : Chaoyang, l’ascension résistible de « soeurette du balai »

Zhang Xiufang eut une enfance originale, au Henan. L’absence de père l’avait mariée à la précarité, la privant de dîner plus souvent qu’à son tour. En revanche, mère et fille vécurent ces années ’80 en liberté totale, tissées de fou-rires, rêves et imagination débridée. Elle fut aussi enfant de la balle, élève gratuite des maîtres de qigong ou taichi dans les parcs. Travaillant des heures par jour son sabre, bâton ou diabolo, elle gagna bientôt sa pitance en show de rue et autres métiers de fortune, telle la vente à la sauvette de kong zhu, bambous-accessoires obligés des acrobates.

A 22 ans, cette fille idéaliste et désintéressée épousait un homme de son style : spirituel, agréable et franc, mais totalement inadapté aux réalités de la vie. Malade chronique, chômeur toujours, il ne fournissait pas un 份 (sou) au budget commun. Autant dire que 16 ans après, le couple, avec leur fille lycéenne, n’avait pas toutes ses aises.

En 25 ans de spectacle, Xiufang s’était frottée à tous les genres : martial (en tenue de choc, à Tianjin), bouddhiste (en une sirupeuse corolle de lotus à Shanghai), opéra (en masques, à Zhuhai), sportif (en survêt’, aux fêtes des JO de Pékin). Mais elle se contorsionnait en vain, juste pour quelques bravos, de rares piécettes. Des saltimbanques de son genre, la Chine en avait « à la pelle » : pas moyen de faire la différence.

En mars 2010, elle craqua. Se priver de tout, pour elle-seule, c’était OK, mais devoir refuser à sa fille la flûte dont elle rêvait depuis des années, c’était un cauchemar. Aussi, pour un salaire ridicule mais garanti, à l’agence n°4 d’hygiène environnementale de Chaoyang, elle rejoignit une escouade de balayeuses aux casquettes de base-ball et vareuses fluo— celles que les mamans montraient aux petites filles en chuchotant : « voilà où tu vas finir, si tu n’étudies pas » !

L’artiste en elle, cependant, se rebellait contre la porte fermée à son talent. Elle avait du mal à faire causette avec les collègues, qui la trouvaient bêcheuse. Mais elles cessaient de lui en vouloir dès qu’elle lançait son balai en l’air pour le rattraper sur l’échine, le bras, les mollets, le cou, marchant sur les mains, jambes en «V» vers le ciel, face aux passants ébahis: par le plus grand des hasards, Zhang venait de découvrir la mise en scène appropriée, mi-dérisoire mi-admirable, pour un show d’une ère nouvelle, post-prolétaire.

Il ne fallut qu’un mois pour qu’elle reçoive un appel, l’invitant à l’émission N elle star chinoise, sur TV-Sichuan. On l’avait filmée sur téléphone portable, puis postée la vidéo sur internet : le clip avait reçu 30.000 clics en 3 jours.

Sa réponse fut d’abord non. Zhang croyait -encore- que ce déguisement était une trahison à son art, et à l’ordre social. Et puis s’envoler trois jours pour Chengdu, à peine embauchée, était impensable.

Le cachet (8 000¥), le coup de fil du réalisateur à sa chef, balayèrent les résistances. L’émission fut un succès triomphal, lui valant la célébrité immédiate sous le sobriquet de «soeurette du balai» (sào​zhou jiě 扫帚姐).

Les faits s’enchaînèrent. La 2de invitation tomba : Boulevard des étoiles, l’émission nationale de Pékin—rien que ça ! Après des jours à méditer ses options—c’était le tournant de sa vie, et elle le savait—elle réclama un congé, qui fut refusé. Elle s’y attendait et passa outre, déclenchant ainsi sa mise à pied. Laquelle fit fuser les émotions dans les chaumières : c’était «leur» héroïne qu’on assassinait ! Même des cadres, ayant vu le nouveau phénomène, parlèrent en sa faveur en haut lieu. Une star était née.

Si son souci de carrière est maintenant réglé, celui existentiel demeure. Xiufang, au temps de chiens, évitait de causer aux nettoyeuses, se disant «artiste». Mais aujourd’hui, elle se retrouve toute gauche face aux célébrités du show-biz venus saluer la nouvelle venue: «on n’est pas du même monde, prétend-elle, moi, c’est balayeuse» – ce qui une fois de plus, pourrait passer pour de l’orgueil.

Mais on la comprend. Zhang a du mal à jeter aux orties ses oripeaux d’hier, d’artiste ratée et « souillon » des hutongs. Quand on part de si bas pour monter si haut, on ne peut pas le faire trop vite. Il faut des paliers, pour éviter l’asphyxie, pour laisser à son être le temps de s’adapter. Pour accepter sa bonne fortune, ce qui en Chine se dit: «s’abandonner au destin» (委诸命运, wěi zhū mìng​yùn ).


Rendez-vous : A Pékin, le Tennis China Open
A Pékin, le Tennis China Open

26-28 sept, Shanghai Tube Expo

26-30 septembre, Pékin : P&T Expo Comm, Salon des télécommunications

30 sept – 9 oct, Pékin : China Tennis Open

1-30 octobre, Shanghai, Salon de l’industrie pharmaceutique

11-14 oct. Shanghai : Prolight+Sound Expo

12-14 octobre, Shanghai : SIDR, Salon des équipements de gestion des urgences 

  15-16 octobre, Dalian : EAITF, Salon asiatique du tourisme